VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS AU CHILI ET AU PÉROU
(15-22 JANVIER 2018)
CONFÉRENCE DE PRESSE DU SAINT-PÈRE
AU COURS DU VOL DE RETOUR DU PÉROU
Dimanche 21 janvier 2018
Greg Burke
Saint-Père, merci ! Merci pour le temps que vous nous donnez, ce soir, après un voyage long et intense, parfois un peu chaud et humide, mais un voyage riche au cours duquel vous avez touché le cœur des gens, le “santo pueblo fiel de Dios” –le saint peuple fidèle de Dieu –, par un message de paix et d’espérance. Mais vous avez aussi affronté les défis pour l’Eglise au Chili, pour l’Eglise au Pérou et aussi pour les deux sociétés avec une attention spéciale à la dignité humaine, aux peuples indigènes et à l’Amazonie. Merci pour l’opportunité de vous suivre de près. Et maintenant, cherchons à approfondir un peu les thèmes du voyage.
Pape François
Bonsoir. Merci pour votre travail. Cela a été un voyage, je ne sais pas comment on dit en italien, mais en espagnol on dit «pasteurisé», comme on le fait avec le lait: on fait passer du froid au chaud, du chaud au froid, et nous sommes passés du sud du Chili, frais, ce paysage magnifique, au désert, à la forêt de Maldonado, puis à Trujillo, la mer, puis Lima: toutes les températures et tous les climats. Et cela fatigue. Merci beaucoup. Et maintenant, les questions.
Greg Burke
Nous avons de questions du Pérou et du Chili, pour commencer. Nous avons Armando Canchanya
Pape François
Commençons par celles du voyage, toutes, et quand elles seront terminées, s’il manque quelque chose sur le voyage je vous le dirai, puis les autres questions, s’il y en a.
Greg Burke
Parfait. Armando Canchianya Alaya du «Rpp» du Pérou.
Armando Canchianya Alaya
Saint-Père, quelle impression emportez-vous du voyage au Pérou ?
Pape François
J’emporte avec moi l’impression d’un peuple croyant, un peuple qui traverse mille difficultés, et qui les a traversées dans l’histoire, mais qui a une foi qui m’impressionne. Non seulement la foi à Trujillo, où la piété populaire est très riche et très forte, mais la foi des rues. Vous avez vu comment étaient les rues: et pas seulement à Lima, où évidemment, on le remarque, mais aussi à Trujillo. Et à Puerto Maldonado, je pensais que la rencontre aurait eu lieu dans un endroit comme celui-là — et c’était une place pleine — et quand j’allais d’un bout à l’autre, les rues aussi étaient remplies. C’est-à-dire, un peuple qui est sorti pour exprimer sa joie et sa foi. Il est vrai que vous avez, comme je l’ai dit aujourd’hui à midi, que vous êtes une terre faite de saints [ensantada], vous êtes le peuple latino-américain qui a le plus de saints. Et des saints de haut niveau: Toribio, Rosa, Martino, Giovanni. Je crois que vous avez une foi très enracinée. Du Pérou, j’emporte avec moi une impression de foi, d’espérance, de recommencer à marcher, et surtout... beaucoup de jeunes. C’est-à-dire que j’ai vu à nouveau cette image que j’ai vue aux Philippines et en Colombie: les papas et les mamans, qui soulèvent leurs enfants sur mon passage, et cela signifie avenir, cela signifie espérance, parce que personne ne met au monde des enfants s’il n’a pas d’espérance. La seule chose que je demande est de prendre soin de la richesse, pas seulement de celle qu’ont les églises et les musées — les œuvres d’art sont géniales — pas seulement celle de l’histoire de la sainteté et des souffrances qui vous ont beaucoup enrichis, mais la richesse que j’ai vue en ces jours.
Giovanni Hinojosa Navarro, de «La Repubblica»
Sainteté, le problème de la corruption au Pérou a touché tant la classe politique que certains membres de l’Eglise avec les victimes du Sodalicio de Vida Cristiana qui attendent justice. Que pensez-vous des deux cas ?
Pape François
Bien, d’abord le problème de la corruption. Je ne saurai pas te répondre d’un point de vue historique en ce qui concerne le progrès de la corruption ou d’un point de vue historique dans d’autres lieux du monde. Je sais que dans certains pays d’Europe, il y a beaucoup de corruption, certains, pas tous. Oui, en Amérique latine, il y a de nombreux foyers de corruption. A présent, il est à la mode de parler d’Odebrecht, par exemple. Mais cela est un phénomène qui émerge [botón de muestra]. L’origine de la corruption est, je dirais que c’est le péché originel qui te porte... J’ai écrit un petit livre un jour, très petit, qui s’appelle Corrupción y pecado; et le message que j’en tire, de ce livre, est «pécheur oui, corrompu, non». Nous sommes tous pécheurs. Mais moi je sais que nous tous, nous qui sommes ici — moi aussi j’ai ma part et je pense bien que vous aussi — quand nous sommes offside [hors-jeu], dans un péché fort: «Bien, cela est mal, là je me suis mal comporté avec un ami ou j’ai volé, ou j’ai fait cela et je me suis drogué», alors je freine et j’essaie de ne plus le faire. Bien, mais il y a le pardon de Dieu sur tout cela. Je n’ai pas peur du péché, j’ai peur de la corruption, parce que la corruption vice ton âme et ton corps; et un corrompu est si sûr de lui qu’il ne peut pas revenir en arrière. C’est-à-dire que la corruption est comme les sables mouvants dont tu voulais sortir: tu fais un pas et tu t’enfonces encore plus, encore plus, et elle t’a englouti. C’est un marécage. Cela oui, est la destruction de la personne humaine. Je ne sais pas si j’ai répondu et si vous voulez demander quelque chose de plus sur la corruption; après je passe au Sodalicio. Il est clair que l’homme politique a beaucoup de pouvoir. L’entrepreneur aussi a beaucoup de pouvoir. Un entrepreneur qui paye la moitié à ses employés est corrompu, et une femme au foyer qui est habituée à penser que c’est la chose la plus normale qui soit d’exploiter les femmes de ménage, que ce soit à travers le salaire ou la façon de les traiter, est corrompue, parce qu’elle considère ce fait comme normal. Je me souviens d’une conversation que j’ai eue un jour avec une personne, qui exerçait une profession libérale. Elle me disait comment fonctionnaient les choses. Jeune, elle devait avoir trente ans. Elle me disait qu’elle traitait le personnel domestique de façon pas du tout noble, et elle mentionnait les choses qu’elle faisait avec le personnel domestique. Je lui ai dit: «Mais vous ne pouvez pas faire cela. Cela est un péché». «Père — m’a-t-elle dit — ne comparons pas ces gens à moi, ces gens sont là pour cela». Et c’est ce que pense celui qui fait du trafic sexuel, du trafic de travail d’esclave: les corrompus. Et dans l’Eglise, y a-t-il de la corruption? Oui. Il y a des cas de corruption dans l’Eglise. Dans l’histoire de l’Eglise, il y en a toujours eu. Il y en a toujours eu, parce que des hommes et des femmes d’Eglise sont rentrés dans le jeu de la corruption. Et cela me sert de transition pour parler du Sodalicio. Le Sodalicio a commencé par le cas d’une personne qui semblait très vertueuse, d’une grande vertu: elle est morte et en enquêtant, on a découvert qu’elle avait une double vie. C’est le premier cas du Sodalicio que je connais. Mais cela a eu lieu il y a vingt ou vingt-cinq ans, et après une accusation d’abus, non seulement sexuel, mais d’abus de manipulation de conscience contre le fondateur. Le procès contre le fondateur est arrivé au Saint-Siège, il fut condamné, on ne l’a pas expulsé du Sodalicio, mais il vit seul, et une personne l’assiste. Il se déclare innocent face aux preuves apportées lors du jugement et a fait appel à la Signature apostolique qui est la cour suprême de justice du Vatican. La cause est en appel. Pour ce que j’en sais, [la sentence] sera prononcée dans moins d’un mois. Le procès dure depuis un an. Dans moins d’un mois, elle sera prononcée. Mais que s’est-il passé à présent? Ce jugement a été un encouragement afin que d’autres victimes de cette personne aient recours au jugement civil et ecclésiastique. Alors, si la Signature apostolique met fin à ce premier jugement — pour ou contre — désormais, cela n’a plus de sens, parce que sur cet homme, à présent, pèsent des choses beaucoup plus graves sur lesquelles la justice se prononcera, mais il y a plusieurs cas graves, et la justice civile est intervenue, chose qui dans ces cas d’abus est toujours utile, parce que c’est un droit. Et, pour ce que j’en sais, je n’en suis pas très sûr, l’affaire est assez défavorable au fondateur. D’autre part, ce n’était pas une situation personnelle uniquement, il y avait là des choses pas tout à fait claires. Alors, il y a près de deux ans, j’ai envoyé un visiteur au Sodalicio, le cardinal Tobin, évêque de Newark. Le cardinal Tobin accomplit la visite; il découvre des choses qu’il ne comprend pas ou qui ne sont pas claires; il nomme deux vérificateurs économiques et cela est le troisième abus qui tournait autour du fondateur: les trafics financiers. Et après une étude, il recommande de désigner un «administrateur juridique» auprès du Sodalicio. Sa lettre est arrivée il y a quatre semaines, on a étudié le cas et il y a deux semaines, un commissaire a été nommé. Si actuellement, le Sodalicio est placé sous un «administrateur juridique» du Saint-Siège, c’est pour toutes ces raisons. Un cas semblable — je dirais dans les nouvelles procédures, pas dans les accusations — est celui des Légionnaires et il a déjà été résolu à l’époque par le Pape Benoît XVI, qui a été très ferme et très fort dans ce cas. Benoît ne tolérait pas ces choses. Et j’ai appris de lui à ne pas les tolérer non plus. Je ne sais pas si je t’ai répondu. C’est-à-dire que la situation juridique actuellement du Sodalicio est une «administration juridique» et dans le même temps, la visite apostolique se poursuit.
Juan Pablo Iglesias Mori, de «la Tercera»
Dans votre premier discours au Chili, vous avez été très dur à l’égard des abus. Vous avez parlé de «honte» et vous avez dit comprendre la douleur des victimes. Mais dans les déclarations successives concernant le cas de l’évêque Barros, pourquoi avez-vous davantage cru le témoignage de ce dernier que celui des victimes?
Pape François
Je comprends la question. Sur l’évêque Barros, j’ai fait une déclaration, pas des déclarations: une seule. J’ai parlé au Chili, et cela a été à Iquique, à la fin. J’ai parlé deux fois au Chili des abus: avec beaucoup de force devant le gouvernement, ce qui signifiait parler devant la patrie, et dans la cathédrale avec les prêtres. Le discours que j’ai adressé aux prêtres est celui que je sens le plus profondément par rapport à ce cas. Vous savez que c’est le Pape Benoît qui a commencé avec la tolérance zéro, et moi j’ai poursuivi avec la tolérance zéro, et après près de cinq ans de pontificat, je n’ai pas signé une seule demande de grâce. Les procès se font de la façon suivante: ils arrivent à la Congrégation pour la doctrine de la foi et la Congrégation prononce la sentence. Dans les cas d’éloignement de l’état clérical, le jugement de première instance est définitif; la personne qui est condamnée a le droit de faire appel. Il y a un tribunal d’appel de seconde instance. Le tribunal d’appel sait que s’il y a des preuves claires d’abus, il n’y a pas de possibilités d’appel; on ne fait pas appel, ce pour quoi on peut faire appel sont les procédures: des défauts de procédures, des irrégularités, alors là, il faut émettre ou revoir la sentence, comme dans tout jugement, n’est-ce pas? Si la seconde instance confirme la première, il n’y a qu’une issue pour la personne, et c’est de faire appel au Pape pour recevoir la grâce. Moi, en cinq ans, j’ai reçu — je ne me souviens pas du nombre — vingt ou vingt-cinq cas de grâce que l’on a eu le courage de demander. Je n’en n’ai signé aucune. Uniquement dans un cas, qui n’était pas une demande de grâce, mais une demande de discuter une sentence juridique, au cours de la première année de mon pontificat, et je me suis retrouvé avec deux sentences. Une très sérieuse qui provenait du diocèse et une autre prononcée par la doctrine de la foi. La doctrine de la foi était la plus dure, celle qui provenait du diocèse était très sérieuse, très prudente et soumise à des conditions. C’est-à-dire avec ces conditions: tu dois attendre un peu et voir, c’est-à-dire qu’elle n’avait pas clos le cas. Comme il convient de le faire dans toute bonne jurisprudence, toujours en faveur du coupable, j’ai opté pour la plus légère, avec les conditions. Après deux ans, on a jugé que les conditions n’étaient pas remplies et donc, j’ai laissé appliquer l’autre sentence. C’est le seul cas où j’ai douté, mais parce qu’il y avait deux sentences, et il y avait un principe juridique: in dubio pro reo, juste? Puis, j’ai opté pour cela. Voilà ma position.
A présent, le cas de l’évêque Barros. C’est un cas que j’ai fait étudier, j’ai fait faire des enquêtes, j’ai fait beaucoup travaillé, et véritablement, il n’y a pas d’éléments à charge — j’utilise le terme d’«élément à charge» parce que plus tard, je parlerai des preuves — et il semble qu’on ne va pas en trouver, parce qu’il y a une cohérence en sens inverse. C’est donc sur la base de ce manque d’éléments à charge que j’attends des éléments à charge pour changer de position, sinon j’applique le principe juridique de base de tout tribunal: nemo malus nisi probetur, nul n’est coupable jusqu’à preuve du contraire. Et ici, je crois que c’est le terme «preuve», qui m’a joué un mauvais tour.
J’entrais et une journaliste d’Iquique m’a demandé: «Au Chili, nous avons le grand problème de l’évêque Barros, qu’en pensez-vous?». Je pense que les paroles que j’ai prononcées ont été celles-ci, mais avant, j’ai pensé: est-ce que je réponds ou pas? Je me suis dit que oui. Pour quelle raison? Parce que Mgr Barros était évêque d’Iquique et que l’une de ses fidèles me le demandait. Elle a droit à une réponse. Et j’ai dit: «Le jour où j’aurai des preuves, je parlerai». Je crois avoir dit: «je n’ai pas de preuve»; je crois mais je ne me rappelle pas. Mais c’est enregistré, tu peux le retrouver. Je parlerai d’éléments à charge et, naturellement, je sais qu’il y a de nombreuses victimes d’abus qui ne peuvent apporter de preuves, elles ne les ont pas. Elles ne peuvent pas les avoir. Ou parfois elles les ont, mais la honte les bloque et elles souffrent en silence. Le drame de victimes d’abus est terrible, terrible. J’ai dû m’occuper il y a deux mois d’une femme qui a été victime d’abus il y a quarante ans, quarante! Mariée, avec trois enfants. Cette femme ne recevait pas la communion depuis cette époque, parce que dans la main du prêtre, elle voyait la main de celui qui l’avait abusée. Elle ne pouvait pas s’approcher. Et elle était croyante, elle était catholique. Elle ne pouvait pas. Donc, le terme «preuve» n’était pas le meilleur pour m’approcher d’un cœur blessé; je dirais «éléments à charge». Dans le cas de l’évêque Barros, on a étudié et étudié encore, et il n’y a pas d’éléments à charge, et c’est ce que je voulais dire: je n’ai pas d’éléments à charge pour condamner. Et là, si je condamnais sans éléments à charge ou sans certitude morale, je commettrais un délit en tant que mauvais juge.
Mais il y a une autre chose en plus que je veux dire. Tu comprends l’italien? Je l’expliquerais en italien. L’un de vous s’est approché de moi et m’a dit: «Avez-vous vu la lettre qui a été publiée?», et il m’a fait voir une lettre que j’avais écrite il y a quelques années, quand a commencé le problème de Barros. Je dois expliquer cette lettre parce que c’est aussi une lettre en faveur de la prudence avec laquelle a été géré le problème Barros. Cette lettre n’est pas le récit d’un fait ponctuel; cette lettre est le récit de plus ou moins dix ou douze mois. Quand a éclaté le scandale Karadima, un homme dont nous connaissons tous la nature du scandale, on a commencé à voir combien de prêtres qui avaient été formés par Karadima avaient été victimes d’abus ou se sont rendus coupables d’abus. Au Chili, il y a quatre évêques que Karadima avait envoyés au séminaire. Certaines personnes de la conférence épiscopale ont suggéré que ces évêques — trois, parce qu’un quatrième était très malade et n’avait pas de charge diocésaine — qu’il valait peut-être mieux que ces évêques renoncent, présentent leur démission, prennent une année sabbatique et puis, une fois la tempête passée, pour éviter les accusations, parce que ce sont de braves évêques, de bons évêques. Comme Barros: Barros avait alors déjà vingt ans d’épiscopat. Il allait finir l’ordinariat militaire, parce que d’abord il a été auxiliaire à Valparaíso, puis évêque d’Iquique et enfin évêque aux armées pendant près de dix ans. [La lettre] dit: «Demandons-lui sa démission, en lui expliquant peut-être»; et lui a généreusement présenté sa démission. Il est venu à Rome, et j’ai dit: «Non. Ce n’est pas comme cela que l’on agit. Parce que cela signifie admettre au préalable la culpabilité. Pour chaque cas, s’il y a des coupables, il faut une enquête». Et j’ai refusé la démission. Ce sont les dix mois de cette lettre. Puis, quand il a été nommé [à Orsono], tout ce mouvement de protestation a continué et lui m’a présenté sa démission pour la deuxième fois. J’ai dit: «Non, tu y vas». J’ai parlé longuement avec lui, d’autres ont parlé longuement avec lui: «Tu y vas». Et vous savez ce qui s’est passé là, le jour de sa prise de possession et tout le reste. On a continué l’enquête sur Barros: aucun élément à charge n’est apparu. Voilà la raison, c’est ce que j’ai voulu dire. Je ne peux pas le condamner, parce que je n’ai pas les éléments à charge; mais moi aussi je suis convaincu qu’il est innocent.
Je passe à un troisième point: celui de la lettre, je l’ai expliqué clairement, de la façon dont cela s’est passé; je passe à un troisième point: ce que ressentent les victimes d’abus. Sur cela, je dois demander pardon, parce que le terme «preuve» a blessé, a blessé de nombreuses victimes d’abus. «Ah, faut-il que j’aille chercher la certification de ceci ou faire cela?». Non. C’est un terme de traduction d’un principe juridique et il a blessé, et je leur demande pardon si je les ai blessés sans m’en apercevoir, mais c’est une blessure faite sans le vouloir. Et cela m’a fait beaucoup de peine, parce que je les reçois et au Chili, j’en ai reçus deux, on les connaît; et il y en a eu d’autres de façon plus cachée. Au Pérou non. Mais dans chaque voyage, il y a toujours une possibilité. Ceux de Philadelphie ont été rendus publics; les autres, deux, trois ont été rendus publics; d’autres cas ne l’ont pas été. Je sais combien ils souffrent. Entendre que le Pape leur dit en face: «Apportez-moi une lettre avec la preuve» est une gifle. Et à présent, je m’aperçois que mon expression n’a pas été heureuse, parce que je n’ai pas pensé à cela. Et je comprends — comme le dit l’apôtre Pierre dans l’une de ses lettres — l’incendie qui a éclaté. Voilà ce que je peux dire en toute sincérité. Barros restera là si je ne trouve pas la manière de le condamner. Je ne peux pas le condamner si je n’ai pas — je ne dis pas des preuves — si je n’ai pas d’éléments à charge. Et il y a beaucoup de manières d’arriver à des éléments à charge. C’est clair? Très bien.
On me dit qu’après les turbulences de Barros et du Sodalicio, nous en avons une plus météorologique. Je resterai là. Si ce n’est pas un problème pour vous, nous continuerons sans nous regarder, assis, pour ne pas perdre de temps: parce qu’après on sert le dîner et on nous interrompt la conférence de presse. On dit que les anges n’ont pas de dos: voyons. Je resterai debout si on ne bouge pas; si l’on bouge, je continuerai assis.
Greg Burke
Restons au Chili avec Matilde Burgos de Cnn/Chili
Matilde Burgos
A propos du cas Barros: pourquoi, pour vous, le témoignage d’une victime n’est-il pas un élément à charge? Et ensuite: à quoi attribuez-vous le fait que la visite au Chili soit considérée comme un échec du point de vue des fidèles et un échec de l’Eglise qui apparaît plus divisée?
Pape François
Le témoignage des victimes est toujours un élément à charge. Toujours. Dans le cas de Barros il n’y en a pas: il n’y a pas d’élément à charge. Cela a peut-être commencé avec la mauvaise décision de démissionner et ensuite on a commencé à l’accuser. Mais il n’y a pas d’élément à charge prouvant des abus sexuels.
Matilde Burgos
D’avoir couvert des abus sexuels?
Pape François
Oui, oui, d’avoir couvert, c’est aussi un abus. C’est-à-dire que cacher un abus est un abus. Il n’y a pas d’éléments à charge. C’est pourquoi le mieux est que ceux qui croient qu’il en est ainsi, présentent rapidement les éléments à charge. S’ils pensent honnêtement qu’il en est ainsi. Pour ma part, en ce moment je ne crois pas qu’il en soit ainsi, car il n’y en a pas, mais j’ai le cœur ouvert pour les recevoir. Et l’autre chose dite à propos du Chili est une légende [cuento chino]. Moi, je reviens heureux du Chili. Je ne m’attendais pas à voir tant de gens dans la rue — nous n’avons pas payé l’entrée, n’est-ce pas?, ces personnes n’ont pas été payées ou accompagnées en autocar — la spontanéité de l’expression chilienne a été très forte; à Iquique aussi, où je pensais que cela aurait été un très petit événement, car Iquique est dans le désert. Vous avez vu combien de personnes il y avait? Dans le sud, cela a été la même chose. Et les routes de Santiago du Chili parlaient toutes seules. A ce propos, je crois que la responsabilité de celui qui informe est d’aller aux faits concrets. Et ensuite le peuple qui serait divisé? Je ne sais pas d’où cela vient. C’est la première fois que je l’entends. Peut-être est-ce le cas de Barros qui a créé cette idée, en le replaçant dans le contexte cela pourrait être à cause de ça. Mais l’impression que j’ai eue a été très grande et gratifiante, et très forte. Ensuite je voudrais revenir — au moins un moment — à ce qui m’a le plus ému au Chili, mais avant de passer à d’autres thèmes, si nous avons le temps.
Greg Burke
Passons au groupe italien, Andrea Tornielli
Andrea Tornielli, La Stampa
Sainteté, je voulais parler de ce que vous avez dit en Amazonie, parce qu’il y avait dans votre discours non seulement la menace représentée par les grands groupes économiques, mais aussi celle — vous avez même parlé de «perversion» — de certaines politiques environnementales qui finissent pas étouffer la vie des personnes. Il existe donc une défense de l’environnement qui est contre l’homme?
Pape François
Oui. Dans cette région, je ne pourrais pas bien le décrire maintenant, la protection de la forêt pour sauver certaines tribus les a ensuite isolées, et la forêt a fini par l’exploitation. Mais les données les plus concrètes à propos de ce cas se trouvent dans les statistiques de la région. Là, je crois que tu trouveras sûrement les données précises. C’est un phénomène qui, pour protéger l’environnement, finit par isoler: ils sont restés isolés d’un réel progrès; un phénomène qui a eu lieu là, dans cette région, et dans les informations que l’on m’a envoyées pour préparer le voyage, je l’ai étudié. Merci.
Greg Burke
Et maintenant Aura Miguel de Rádio Renascença
Aura Vistas Miguel, «Rádio Renascença»
Sainteté, à propos de la célébration du mariage dans l’avion. Dorénavant, que diriez-vous aux curés, aux prêtres, aux évêques, quand des fiancés demandent à se marier dans certains endroits, par exemple à la plage, dans des parcs, sur des bateaux, dans des avions?
Pape François
Mais vous imaginez cela: des croisières avec un mariage! Cela serait... L’un d’entre vous m’a dit que je suis fou de faire ces choses. Cela a été quelque chose de simple. Ce Monsieur, l’homme, était sur le vol précédent, elle n’y était pas. Et j’ai parlé avec lui... Après, je me suis rendu compte qu’il m’avait “sondé”: il a parlé de la vie, de ce que je pensais de la vie de famille, il parlait…, nous avons eu une belle conversation. Ensuite, le jour suivant, ils était tous les deux, là, et quand nous avons fait les photographies, ils m’ont dit la chose suivante: «Nous allions nous marier à l’église, nous avons été mariés selon le rite civil, mais le jour précédent — on voit qu’ils étaient d’une petite ville — l’église s’est effondrée à la suite du tremblement de terre et il n’y a pas eu de mariage». Cela s’est passé il y a dix ans, peut-être huit: en 2010, il y a eu le tremblement de terre, il y a huit ans. «Oui, on le fera demain, après-demain. La vie est ainsi, puis une petite fille est née, et ensuite une autre petite fille. Mais nous avons toujours cela dans notre cœur: nous ne sommes pas mariés». Je les ai interrogés un peu, et les réponses étaient claires: «Pour toute la vie». «Et comment savez-vous ces choses? Vous avez une bonne mémoire du catéchisme». «Non, nous avons suivi les cours de préparation au mariage à cette époque». Ils étaient préparés. Aux curés, dites qu’ils étaient préparés et que j’ai jugé qu’ils étaient préparés. Ils me l’ont demandé: les sacrements sont pour les personnes humaines. Toutes les conditions étaient claires. Et pourquoi ne pas faire aujourd’hui ce que l’on peut faire aujourd’hui, sans le renvoyer à demain, un demain qui serait peut-être dix ans, huit ans de plus? Voilà la réponse. J’ai jugé qu’ils étaient préparés, qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. Chacun d’eux s’est préparé devant le Seigneur, par le sacrement de la pénitence, et ensuite je les ai mariés. Et quand ils sont arrivés ici tout était fini… On m’a dit qu’ils avaient dit à l’un d’entre vous: «Allons voir le Pape pour demander qu’il nous marie», je ne sais pas si c’est vrai ou pas qu’ils avaient cette intention. Cela s’est déroulé ainsi. Mais on peut dire aux curés que le Pape les a bien interrogés; et ils m’ont aussi dit qu’ils avaient suivi le cours. Mais ils étaient conscients, ils étaient conscients qu’ils étaient dans une situation irrégulière. Merci.
Greg Burke
Sainteté, cela fait presqu’une heure, mais je ne sais pas si nous pouvons faire encore une ou deux questions…
Pape François
Si, sur le voyage.
Greg Burke
Oui, sur le voyage, Nicole Winfield, «Associated Press»
Pape François
Oui, sur le Pérou, parce que sur le Pérou on a presque rien dit
Nicole Winfield
Ah, non : le Chili encore
Pape François
C’est bon…
Nicole Winfield, «Associated Press»
Saint-Père, hier le cardinal O’Malley a fait une déclaration sur ces commentaires sur l’évêque Barros, et il a dit que « des paroles comme celles-ci étaient source de douleur pour les survivants [les victimes] d’abus avec l’effet de les faire se sentir abandonnés et discrédités ». Il nous a dit qu’il se sentait mal… J’imagine, et je me demande : est-ce que ce sont les paroles du cardinal O’Malley qui ont fait comprendre la douleur des victimes des abus? Et ensuite: la fin du mandat des premiers membres de la commission pour la protection des mineurs, guidée par le cardinal O’Malley semble à certains être le signe d’un manque de priorité donné au thème.
Pape François
J’ai compris, j’ai compris. Le cardinal O’Malley…, j’ai vu la déclaration du cardinal O’Malley; il a également dit: «Le Pape a toujours défendu [les victimes], le Pape pratique la tolérance zéro». Avec cette expression malheureuse, il est [arrivé] ce que vous avez dit, et cela m’a donné à penser [à l’effet du] mot «preuve»...
[Nicole Winfield : aussi calomnie…]
Pape François
…calomnie: oui, quelqu’un qui dit avec insistance, sans avoir d’élément à charge, que vous avez fait cela, que celui-ci a fait cela, c’est de la calomnie. Si je dis: «Vous avez volé». «Non, je n’ai pas volé». «Vous avez volé, vous avez volé», je calomnie, car je n’ai pas les éléments à charge.
[Nicole Winfield : Mai ce sont les victimes qui le disent]
… Mais je n’ai entendu aucune victime de Barros…
Nicole Winfield : …il y a les victimes de Karadima qui disent que Barros était là…
Elles ne sont pas venues, elles n’ont pas apporté d’éléments à charge pour le jugement. Cela est un peu vague, c’est une chose qu’on ne peut pas utiliser. Vous, avec bonne volonté, vous me dites qu’il y a des victimes, mais moi je ne les ai pas vues, parce qu’elles ne se sont pas présentées. C’est vrai que Barros appartenait au groupe de jeunes qui étaient là, Barros est entré au séminaire je ne sais pas quand, mais aujourd’hui cela fait 24 ou 23 ans qu’il est évêque, il a dû être prêtre pendant 15 ans. Il y a tant d’années, il est entré très jeune. Il dit qu’il n’a rien vu. Il appartenait au groupe, mais ensuite il a pris une autre route. En cela nous devons être clairs: quelqu’un qui accuse sans les preuves, avec insistance, c’est de la calomnie. Mais si une personne vient et me présente l’élément à charge, je suis le premier à l’écouter. Nous devons être justes en cela, très justes. J’ai pensé à ce qu’a dit le cardinal O’Malley, je le remercie de la déclaration parce qu’elle a été très juste, il a dit tout ce que j’ai fait et que je fais et que fait l’Eglise, et ensuite il a parlé de la douleur des victimes, pas de ce cas, en général. Parce que, comme je l’ai dit au début, il y a beaucoup de victimes qui ne sont pas capables, par honte, pour une raison ou pour une autre, de produire un document, un témoignage. Tel est le fait. Et la deuxième question que vous m’avez posée était?
Greg Burke
La commission...
Pape François
La commission, oui, elle était nommée pour trois ans, je crois. L’échéance est arrivée; ils ont étudié la nouvelle commission, et ils ont décidé, la commission elle-même, de renouveler le mandat d’une partie et de nommer de nouveaux [membres] pour une autre partie. Le mardi avant le départ — le départ pour ce voyage — a été présentée la liste de la commission définitive et maintenant elle suit l’iter normal de la curie. Certaines observations sur des personnes ont été faites qui doivent être éclaircies, car pour les nouveaux, les personnes nouvelles, on étudie le curriculum, comme cela a été fait. Il y avait deux observations qui devaient être éclaircies. Mais le cardinal O’Malley a bien travaillé sur cela, il a travaillé comme doit le faire la commission. Non, non, s’il vous plaît, n’allez pas imaginer que... Le temps est le temps normal que prend une nomination de ce genre.
Greg Burke
Sainteté, prenons la dernière question. Si elle est sur le voyage…
Catherine Marciano, AFP
Sainteté, l’un des objectifs de l’Eglise est de lutter contre la pauvreté. En vingt ans, le Chili a abaissé le niveau de pauvreté de 40 à 11 pour cent. Est-ce le résultat d’une politique libérale, y-a-t-il du libéralisme selon vous ? Et à propos du cardinal Rodríguez Maradiaga... Que pensez-vous de la nouvelle à son propos concernant une question d’argent?
Pape François
A propos du cardinal Maradiaga, cela ne concerne pas le voyage, mais je réponds. Il a fait une déclaration filmée, il y a une vidéo, et je dis ce qu’il a dit.
A propos du libéralisme, je dirais que nous devons bien étudier les cas de politique libérale. Il y a d’autres pays en Amérique latine ayant des politiques libérales qui ont conduit le pays à une plus grande pauvreté. Dans ce cas, je ne saurais vraiment pas quoi répondre, parce que je ne suis pas un spécialiste dans ce domaine, mais, en général, une politique libérale qui n’inclut pas le peuple tout entier est sélective et entraîne vers le bas. Mais c’est une règle générale, je ne connais pas vraiment le cas du Chili pour pouvoir répondre. Mais nous voyons que dans d’autres pays d’Amérique latine les choses vont toujours plus vers le bas.
A propos du voyage, je voudrais dire quelque chose qui m’a beaucoup ému. La prison des femmes: mon cœur était là-bas. Je suis toujours très sensible à la prison et aux détenus et quand je vais dans une prison, je me demande toujours: “pourquoi eux et pas moi?”. Voir ces femmes, voir la créativité de ces femmes, la capacité de changer et de vouloir changer de vie, de se réinsérer dans la société avec la force de l’Evangile. L’un d’entre vous m’a dit: «J’ai vu la joie de l’Evangile». Cela m’a ému, j’ai vraiment été très ému pendant cette rencontre. C’est l’une des plus belles choses du voyage.
Ensuite, à Puerto Maldonado, la rencontre avec les autochtones, n’insistons pas parce qu’il est évident que c’était émouvant, c’est donner un signe au monde... Ce même jour a eu lieu la première réunion de la commission pré-synodale du synode pour l’Amazonie, qui aura lieu en 2019. Mais j’ai été ému par le Foyer “Le petit prince”: voir ces enfants, la plupart abandonnés, ces garçons et ces filles qui ont réussi, grâce à l’éducation, à aller de l’avant… Il y a des entrepreneurs parmi eux... Cela m’a beaucoup ému. Ce sont des œuvres qui conduisent les personnes vers le haut, de même que les choses dont nous avons parlé avant conduisent les personnes vers le bas. Cela m’a beaucoup ému pendant ce voyage. Et ensuite les gens, la chaleur des gens. Ici aujourd’hui c’était à ne pas y croire, c’était incroyable à Lima! A ne pas y croire! La chaleur des gens... Je dis: ce peuple a la foi et il me contamine par cette foi, et je rends grâce à Dieu pour cela. Et je vous remercie pour le travail qui vous attend pour écrire les articles et les nouvelles que vous devez diffuser. Merci de la patience et merci d’avoir posé des questions précises. Merci beaucoup.
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