VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
À CUBA, AUX ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
ET VISITE AU SIÈGE DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES
(19-28 SEPTEMBRE 2015)
RENCONTRE AVEC LES FAMILLES
DISCOURS DU SAINT-PÈRE
Cathédrale Notre-Dame de l'Assomption, Santiago de Cuba
Mardi 22 septembre 2015
Nous sommes en famille. Et lorsqu’on est en famille, on se sent chez soi. Merci à vous, familles cubaines, merci, Cubains, de faire que je me sens tous les jours en famille, de faire que je me sens chez moi. Merci pour tout. Cette rencontre avec vous en vient à être comme la ‘‘cerise sur le gâteau’’. Terminer ma visite par cette rencontre en famille est un motif de rendre grâce à Dieu pour la ‘‘chaleur’’ qui émane de personnes qui savent recevoir, qui savent accueillir, qui savent faire sentir qu’on est chez soi. Merci à tous les Cubains.
Je remercie Monseigneur Dionisio García, archevêque de Santiago, pour les salutations qu’il m’a adressées au nom de vous tous, ainsi que le couple qui a eu le courage de partager avec nous ses aspirations, ses efforts pour faire du foyer une ‘‘Eglise domestique’’.
L’Evangile de Jean nous présente comme premier événement public de Jésus les noces de Cana, à l’occasion de la fête d’une famille. Il s’y trouve avec Marie, sa mère, et certains de ses disciples. Ils partageaient la fête de famille.
Les noces sont des moments particuliers dans la vie de beaucoup de personnes. Pour les ‘‘plus âgés’’, parents, grands-parents, c’est une occasion pour recueillir le fruit de la semence. Cela réjouit le cœur de voir les enfants grandir et de voir qu’ils peuvent fonder un foyer. C’est l’occasion de voir, tout d’un coup, que tout ce pour quoi on a lutté valait la peine. Accompagner les enfants, les soutenir, les stimuler pour qu’ils puissent avoir le courage de construire leurs vies, de former leurs familles, est un grand défi pour les parents. D’autre part, la joie des jeunes époux. Et tout un avenir qui commence, tout a la ‘‘saveur’’ d’une maison nouvelle, d’une espérance. Lors des mariages, le passé dont nous héritons et l’avenir qui nous attend s’unissent toujours. Il y a mémoire et espérance. L’occasion s’y présente toujours de remercier de tout ce qui nous a permis d’arriver jusqu’à ce jour, grâce au même amour reçu.
Et Jésus commence sa vie publique précisément à la faveur d’un mariage. Il s’insère dans cette histoire de semences et de récoltes, de rêves et de recherches, d’efforts et d’engagements, de travaux ardus qui ont labouré la terre pour que celle-ci donne son fruit. Jésus commence sa vie dans une famille, dans un foyer. Et il est, précisément, au cœur de nos foyers où, constamment, il continue de s’introduire, il continue d’être partie prenante. Cela lui plaît d’intervenir dans la famille.
Il est intéressant d’observer comment Jésus se manifeste aussi par la nourriture, au cours de dîners. Manger avec diverses personnes, visiter diverses maisons a été une occasion, privilégiée par Jésus, pour faire connaître le projet de Dieu. Il va dans la maison de ses amis – Marie et Marthe –, mais il n’est pas sélectif, eh ? peu lui importe s’il y a des publicains ou des pécheurs, comme Zachée. Il se rend dans la maison de Zachée. Non seulement il agissait ainsi, mais en envoyant ses disciples annoncer la bonne nouvelle du Royaume de Dieu, il leur a dit : restez dans la maison où l’on vous reçoit, mangeant et buvant ce que l’on vous sert (cf. Lc 10, 7). Mariages, visites dans les familles, dîners, ces moments ont certainement quelque chose de ‘‘spécial’’ dans la vie des personnes pour que Jésus choisisse de s’y manifester.
Je me rappelle que dans mon précédent diocèse beaucoup de familles me disaient que l’unique moment qu’elles avaient pour être ensemble était ordinairement le dîner, le soir, après le travail, et lorsque les enfants avaient terminé leurs devoirs pour l’école. C’était un moment spécial de la vie familiale. On parlait de la journée, de ce que chacun avait fait, on mettait de l’ordre dans la maison, on rangeait les vêtements, on programmait des tâches importantes pour les jours suivants, les enfants se querellaient, mais c’en était le moment. Ce sont des moments où l’on arrive aussi fatigué si bien que l’une ou l’autre discussion, l’une ou l’autre ‘‘querelle’’ voit le jour entre mari et femme, mais il ne faut pas en avoir peur... moi, j’ai plutôt peur des couples qui me disent que jamais, jamais, ils ne sont disputés. Bizarre, c’est bizarre ! Jésus choisit ces moments pour nous montrer l’amour de Dieu, Jésus choisit ces espaces pour entrer dans nos maisons et nous aider à découvrir l’Esprit vivant et agissant dans nos maisons et dans notre vie quotidienne. C’est à la maison que nous apprenons la fraternité, où nous apprenons la solidarité, où nous apprenons à ne pas être des dominateurs. C’est à la maison que nous apprenons à recevoir la vie et à en être reconnaissants comme une bénédiction, et c’est là que nous apprenons que chacun a besoin des autres pour aller de l’avant. C’est à la maison que nous expérimentons le pardon, et que nous sommes invités à pardonner continuellement, à nous laisser transformer. C’est curieux, à la maison, il n’y a pas de place pour les ‘‘masques’’, nous sommes ce que nous sommes et, d’une manière ou d’une autre, nous sommes invités à chercher le meilleur pour les autres.
C’est pourquoi la communauté chrétienne désigne les familles du nom d’églises domestiques, parce que c’est dans la chaleur du foyer que la foi imprègne chaque coin, illumine chaque espace, construit la communauté. Car en ces moments, c’est comme si les personnes apprenaient à découvrir l’amour concret et l’amour agissant de Dieu.
Dans beaucoup de cultures, aujourd’hui, ces espaces disparaissent progressivement, ces moments en famille sont en train de disparaître ; peu à peu tout conduit à la séparation, à l’isolement. Les moments passés en commun, pour être ensemble, pour être en famille, deviennent rares. Donc, on ne sait pas attendre, on ne sait pas demander l’autorisation, on ne sait pas demander pardon, on ne sait pas remercier, parce que la maison se vide progressivement non pas des personnes, mais elle se vide des relations, elle se vide des contacts humains, elle se vide des rencontres, entre parents, enfants, grands-parents, petits-enfants, frères. Récemment, quelqu’un qui travaille avec moi m’a raconté que son épouse et ses enfants étaient partis en vacances et qu’il était resté seul, parce qu’il devait travailler ces jours-là. Le premier jour, la maison était toute silencieuse, ‘‘en paix’’, il était heureux, rien n’était désordonné. Le troisième jour, quand je lui demande comment il allait, il me répond : je voudrais qu’ils reviennent déjà tous. Il sentait qu’il ne pouvait vivre sans son épouse et ses enfants. Et ça, c’est beau, c’est beau.
Sans famille, sans la chaleur du foyer, la vie devient vide ; les réseaux, qui nous soutiennent dans l’adversité, les réseaux qui nous alimentent dans la vie quotidienne et motivent la lutte pour la prospérité, commencent à manquer. La famille nous sauve de deux phénomènes actuels, deux choses qui arrivent de nos jours : la fragmentation, c’est-à-dire la division, et le phénomène de masse. Dans les deux cas, les personnes deviennent des individus isolés, faciles à manipuler, à gouverner. Et ainsi, nous trouvons dans le monde des sociétés divisées, cassées, séparées ou très affectées par le phénomène de masse, qui sont une conséquence de la rupture des liens familiaux, lorsque se perdent les relations qui nous constituent comme personnes, qui nous enseignent à être des personnes. Et, bon, on oublie comment dire papa, maman, fils, fille, grand-père, grand-mère… on est en train d’oublier ces relations qui sont le fondement. Elles sont le fondement du nom que nous portons.
La famille est école d’humanité, une école qui enseigne à avoir à cœur les besoins des autres, à être attentif à la vie des autres. Quand nous avons de bonnes relations en familles, les égoïsmes diminuent – ils existent, parce que tous nous avons quelque chose d’égoïste -, mais lorsqu’on ne mène pas une vie de famille, il se crée ces personnalités que nous pouvons qualifier comme ceci : ‘‘je, moi, mon, avec moi, pour moi’’, totalement centrées sur elles-mêmes, qui ignorent la solidarité, la fraternité, le travail en commun, l’amour, la discussion entre frères. Elles les ignorent. Malgré tant de difficultés, comme nos familles en sont aujourd’hui affectées dans le monde, n’oublions pas une chose, s’il vous plaît : les familles ne sont pas un problème, elles sont d’abord une opportunité. Une opportunité que nous devons préserver, protéger et accompagner. C’est une façon de dire qu’elles sont une bénédiction. Lorsque tu commences à considérer la famille comme un problème, tu te fatigues, tu n’avances pas, parce que tu es très centré sur toi-même.
L’on discute beaucoup aujourd’hui sur l’avenir, sur le monde que nous voulons léguer à nos enfants, sur la société que nous voulons pour eux. Je crois que l’une des réponses possibles réside dans le fait de vous voir – cette famille qui a parlé-, chacun de vous : laissons un monde avec des familles. C’est le meilleur héritage. Léguons un monde de familles. Certes, il n’existe pas de famille parfaite, il n’existe pas d’époux parfaits, de parents parfaits ni d’enfants parfaits, et si elle ne se fâche pas – je dirais – de belle-mère parfaite. Ils n’existent pas. Ils n’existent pas, mais cela n’empêche pas que vous soyez la réponse pour demain. Dieu nous incite à l’amour et l’amour engage toujours la personne qui aime. L’amour s’engage toujours en faveur des personnes aimées. Par conséquent, prenons soin de nos familles, véritables écoles de demain. Prenons soin de nos familles, véritables espaces de liberté. Prenons soin de nos familles, véritables centres d’humanité. Et ici, me vient à l’esprit une scène : lorsque, durant les Audiences du mercredi, je passe saluer les gens ; beaucoup, beaucoup de femmes me montrent leur ventre et me disent Padre : ‘‘Le bénissez-vous pour moi?’’. Je vais proposer quelque chose à toutes ces femmes qui sont ‘‘enceintes de l’espérance’’, car un enfant est une espérance : en ce moment, qu’elles se touchent le ventre. S’il y en avait ici, qu’elles le fassent ici. De même que celles qui sont en train d’écouter à la radio ou à la télévision. Et moi, à chacune d’elles, à chaque garçon ou fille qui est là, dedans, attendant, je donne la bénédiction. Donc, que chacune se touche le ventre, et moi je donne la bénédiction, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Et je souhaite qu’il naisse en bonne santé, qu’il croisse bien, que vous puissiez bien l’allaiter. Caressez l’enfant que vous attendez.
Je ne saurais terminer sans faire mention de l’Eucharistie. Vous avez dû vous rendre compte que Jésus veut utiliser comme lieu de son mémorial, un repas. Il choisit comme espace de sa présence parmi nous un moment concret de la vie familiale. Un moment vécu et que tous peuvent comprendre, le dîner.
Et l’Eucharistie est le repas de la famille de Jésus, qui par toute la terre se réunit pour écouter sa Parole et se nourrir de son Corps. Jésus est le Pain de Vie de nos familles, il veut être présent en nous alimentant de son amour, en nous soutenant de sa foi, en nous aidant à marcher avec son espérance, pour qu’en toute circonstance nous puissions expérimenter qu’il est le vrai Pain du ciel.
Dans quelques jours, je participerai avec les familles du monde à la Rencontre Mondiale des Familles et, dans moins d’un mois, au Synode des Evêques, qui a comme thème la Famille. Je vous demande, s’il vous plaît, de prier à ces deux intentions, pour que nous sachions tous nous aider à prendre soin de la famille, pour que nous sachions continuer à découvrir l’Emmanuel, c’est-à-dire le Dieu qui vit au milieu de son Peuple en faisant de chaque famille, et toutes les familles, son foyer. Je compte sur vos prières. Merci.
Salutation finale du Pape à partir de la terrasse :
(Je vous salue. Je vous remercie… pour l’accueil… pour la chaleur… merci). Les Cubains sont vraiment aimables, gentils et font qu’on se sent chez soi. Merci beaucoup. Et je veux dire un mot d’espérance. Un mot d’espérance qui, peut-être, nous fera tourner le regard par derrière et par devant. En regardant par derrière, la mémoire. La mémoire de ceux qui nous ont donné la vie, et surtout, la mémoire des grands-parents. Une salutation spéciale aux grands-parents. Ne négligeons pas les grands-parents. Les grands-parents sont notre mémoire vivante. Et en regardant par devant, les enfants et les jeunes, qui sont la force d’un peuple. Un peuple qui prend soin de ses grands-parents et qui prend soin de ses enfants ainsi que de ses jeunes, a la victoire assurée. Que Dieu vous bénisse et permettez-moi de vous donner la bénédiction, mais à une condition. Vous allez devoir payer quelque chose. Je vous demande de prier pour moi. C’est la condition. Que Dieu Tout-Puissant vous bénisse, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Au revoir, merci !
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