MESSAGE VIDÉO DU PAPE FRANÇOIS
AUX PARTICIPANTS À LA CONFERENCE VIRTUELLE DES
JUGES MEMBRES DES COMITÉS POUR
LES DROITS SOCIAUX D'AFRIQUE ET AMÉRIQUE
[Pérou, 30 novembre - 1er décembre 2020]
Chers juges, hommes et femmes, des continents africains et américains,
C’est pour moi une joie de partager avec vous cette rencontrer virtuelle entre juges membres des Comités pour les droits sociaux.
A un moment aussi critique pour l’humanité, le fait que les hommes et les femmes qui travaillent pour rendre la justice se réunissent pour réfléchir à leur travail et construire la nouvelle justice sociale est sans aucun doute une excellente nouvelle.
Je crois que pour construire, pour analyser, à partir d’une révision conceptuelle complète, l’idée de justice sociale, il est fondamental d’avoir recours à un autre ensemble d’idées et de situations qui constituent, à mon avis, les bases sur lesquelles celle-ci devrait reposer.
La première est en lien avec la dimension de la réalité. Les idées sur lesquelles vous travaillerez certainement, ne devraient pas perdre de vue la situation angoissante qui voit une petite partie de l’humanité vivre dans l’opulence, alors que la dignité est inconnue à un nombre toujours plus grand de personnes et que leurs droits humains les plus élémentaires sont ignorés ou violés. Nous ne pouvons pas penser en étant détachés de la réalité. Et il s’agit-là d’une réalité que vous devez garder à l’esprit.
La deuxième nous renvoie aux manières dont la justice est engendrée. Je pense à une œuvre collective, à une œuvre d’ensemble, où tous et toutes les personnes animées de bonnes intentions défient l’utopie et admettent que, comme le bien et l’amour, ce qui est juste est également une tâche à conquérir chaque jour, car le déséquilibre est une tentation de chaque instant. C’est pourquoi chaque jour est une conquête.
Mais il ne s’agit pas seulement de s’unir pour modeler cette nouvelle justice sociale. Il est également nécessaire de le faire avec une attitude d’engagement, en suivant le chemin du bon samaritain. Et il s’agit là du troisième paradigme qu’il faut avoir à l’esprit, en reconnaissant la tentation si fréquente de se désintéresser des autres, en particulier des plus faibles. Nous devons admettre que nous sommes habitués à nous détourner, à ignorer les situations tant que celles-ci ne nous frappent pas directement. L’engagement inconditionnel est de prendre en charge la douleur de l’autre, et de ne pas glisser vers une culture de l’indifférence. Il est tellement commun de détourner le regard.
Je ne peux que mentionner, comme partie fondamentale de cette construction de la justice sociale, l’idée de l’histoire comme axe fondamental. Et c’est là la quatrième réflexion obligée pour ceux qui entendent construire une nouvelle justice sociale pour notre planète, assoiffée de dignité: ajouter à leur approche la perspective du passé, c’est-à-dire historique, une réflexion historique. C’est là que se trouvent les luttes, les triomphes et les défaites. C’est là que se trouve le sang de ceux qui ont donné leur vie pour une humanité pleine et intégrée. Dans le passé, il y a toutes les racines des expériences, également les racines de la justice sociale que nous voulons repenser, faire croître et renforcer.
Et il est très difficile de pouvoir construire la justice sociale sans nous baser sur le peuple. C’est-à-dire que l’histoire nous conduit aux peuples. Cela sera une tâche beaucoup plus simple si nous y introduisons le désir gratuit, pur et simple de vouloir être un peuple, sans prétendre être une élite illuminée, mais un peuple, en nous montrant constants et inlassables dans le travail d’inclure, d’intégrer et de relever celui qui est tombé. Le peuple est la cinquième base pour construire la justice sociale. Et ce que Dieu nous demande, à nous qui sommes -croyants, à partir de l’Evangile, est d’être le peuple de Dieu, pas l’élite de Dieu. Car ceux qui suivent le chemin de l’«élite de Dieu» finissent dans les si célèbres cléricalismes élitistes qui travaillent ici et là pour le peuple, mais ne font rien avec le peuple, ne se sentent pas du peuple.
Je vous suggère enfin, au moment de repenser l’idée de justice sociale, de le faire en vous montrant solidaire et justes. Solidaires en luttant contre les causes structurelles de la pauvreté, l’inégalité, le manque de travail, de terre et de logement. Terre, toit et travail, «techo, tierra y trabajo», les trois T qui nous rendent dignes. En luttant, en somme, contre ceux qui nient les droits sociaux et des travailleurs. En luttant contre cette culture qui conduit à utiliser les autres, à rendre les autres esclaves et qui finit par ôter la dignité aux autres. N’oubliez pas que la solidarité, entendue dans son sens le plus profond, est une manière de faire l’histoire.
Ceux qui rendent justice doivent être justes. Justes, en sachant qu’en résolvant dans le droit, nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur donnons pas ce qui est à nous, ni ce qui est à d’autres, mais nous leur rendons ce qui leur appartient.
Construisons la nouvelle justice sociale en admettant que la tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu et intouchable le droit à la propriété privée et a toujours souligné la fonction sociale de chacune de ses formes.
Le droit de propriété est un droit naturel secondaire dérivant du droit que possède tout le monde, né de la destination universelle des biens créés. Il n’y a pas de justice sociale qui puisse s’édifier sur l’iniquité, qui comporte la concentration de la richesse.
Chers juges, je vous souhaite une excellente journée de réflexion. Je souhaite également que tout ce que vous construirez sur la justice sociale soit plus qu’une simple théorie, mais plutôt une pratique juridique nouvelle et urgente, qui contribuera à faire en sorte que l’humanité, dans un avenir très proche, puisse s’intégrer dans la plénitude et dans la paix.
Je forme pour vous les meilleurs vœux. Que Dieu vous bénisse.
Copyright © Dicastero per la Comunicazione - Libreria Editrice Vaticana