PAPE FRANÇOIS
MÉDITATION MATINALE EN LA CHAPELLE DE LA
MAISON SAINTE-MARTHE
Lettre d'amour
vendredi, 11 novembre 2016
(L'Osservatore Romano, Édition hebdomadaire n° 48 du 1er décembre 2016)
L’amour chrétien est toujours « concret » , avec de nombreuses « œuvres de miséricorde » , car il a comme critère l’incarnation du Christ ; c’est pour cette raison que l’on ne doit jamais tomber dans le séduisant « processus » d’« intellectualiser et idéologiser » qui « désincarne » , en arrivant ainsi au « triste spectacle d’un Dieu sans Christ, d’un Christ sans Église et d’une Église sans peuple » . C’est contre le risque de croire à « un amour de roman ou de feuilleton télévisé, mondain, philosophique, abstrait et soft » que le Pape a mis en garde, en s’inspirant du passage de la seconde lettre de saint Jean (1, 3-9) proposée par la liturgie. On y lit, en effet : « Et maintenant, Dame, bien que ce ne soit pas un commandement nouveau que je t’écris mais celui que nous possédons depuis le début, je te le demande, aimons-nous les uns les autres » . C’est une invitation à marcher « dans l’amour » . « De quel amour s’agit-il? » . « Parce qu’on utilise ce mot aujourd’hui, mais il a toujours été utilisé, pour de nombreuses choses : c’est de l’amour, c’est de l’amour » . Voilà pourquoi il faut bien comprendre « de quel amour » il s’agit. Est-ce « l’amour, par exemple, d’un roman ou d’un feuilleton télévisé, car dans ce cas aussi on dit que c’est de l’amour? » . Ou bien est-ce « l’amour théorique, des philosophes? » . « Le critère de l’amour chrétien est l’incarnation du Verbe » . Et « celui qui dit que l’amour chrétien est une autre chose, celui-là est l’antéchrist, qui ne reconnaît pas que le Verbe est venu en s’incarnant » . C’est précisément « celle-ci notre vérité : Dieu a envoyé son Fils, il s’est incarné et il a mené une vie comme la nôtre » . Voilà pourquoi on doit « aimer comme a aimé Jésus ; comme nous l’a enseigné Jésus ; aimer selon l’exemple de Jésus ; aimer, en marchant sur la route de Jésus » . Et « la route de Jésus est donner la vie » . Dans le passage évangélique de Luc (17, 26-37), « Jésus nous avertit : celui qui cherchera à sauver sa propre vie la perdra ; mais celui qui la perdra, la gardera vivante » . De fait, « il a perdu la vie par amour, pour la retrouver dans sa résurrection » . Donc, « l’unique manière d’aimer comme a aimé Jésus est de sortir sans cesse de son propre égoïsme et d’aller au service des autres » . En revenant à la lettre de Jean, le Pape a répété les paroles avec lesquelles le pasteur « avertit » la « dame » : « Ayez les yeux sur vous, pour ne pas perdre le fruit de nos travaux, mais recevoir au contraire une pleine récompense » . C’est une invitation à prêter attention, avec un élément en plus : « Celui qui va au-delà et qui ne reste pas dans la doctrine du Christ, ne possède pas Dieu. Celui qui en revanche reste dans la doctrine, possède le Père et le Fils » . François a fait référence au mot grec « proagon » , qui est « si fort » , pour indiquer « celui qui va, celui qui marche au-delà » . Et « de là naissent toutes les idéologies sur l’amour, les idéologies sur l’Église, les idéologies qui ôtent la chair du Christ à l’Église » . Mais précisément « ces idéologies désincarnent l’Église » . Elles conduisent à dire : « Oui, je suis catholique ; oui, je suis chrétien ; j’aime tout le monde d’un amour universel » . Mais « cela est très éthéré » . En revanche, « un amour est toujours au dedans, concret, et pas au-delà de cette doctrine de l’incarnation du Verbe » . « Celui qui veut de l’amour, non comme le Christ aime son épouse, l’Église, avec sa propre chair et en donnant la vie, aime idéologiquement : il n’aime pas de tout son corps et de toute son âme » . Et « cette manière de faire des théories, des idéologies, également des propositions de religiosité qui ôtent la chair au Christ, qui ôtent la chair à l’Église, vont au-delà et abîment la communauté, abîment l’Église » . On ne doit « jamais aller au-delà du sein de la mère, de la sainte mère Église hiérarchique » . La lettre de Jean révèle son amour pour l’Église, en particulier quand il rappelle précisément que « si nous commençons à théoriser sur l’amour, sur le fait de marcher dans l’amour en dehors de l’Église, en dehors de l’incarnation du Verbe, nous arriverons à une réalité très fréquente dans l’histoire de l’Église, également de nos jours ; nous arriverons à la transformation de ce que veut Dieu, qu’il a voulu avec l’incarnation du Verbe ; nous arriverons à un Dieu sans Christ, à un Christ sans Église et à une Église sans peuple » . Et « tout cela dans ce processus de désincarnation de l’Église » . Avant de reprendre la célébration, François a demandé de prier « le Seigneur pour que jamais notre chemin dans l’amour ne fasse de nous un amour abstrait » . Et pour que l’amour soit en revanche « concret, avec les œuvres de miséricorde » , pour toucher « la chair du Christ, du Christ incarné » .
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