Questo pomeriggio, alle ore 16.30, nell’Aula Nuova del Sinodo, si apre il Convegno sugli aspetti dottrinali e pastorali del Pontificato di Giovanni Paolo II, promosso dal Collegio Cardinalizio in occasione del XXV anniversario di Pontificato. Vi prendono parte tutti i Cardinali, i Presidenti delle Conferenze Episcopali, i Capi Dicastero della Curia Romana e i Patriarchi.
Pubblichiamo di seguito l’intervento introduttivo del Decano del Collegio Cardinalizio, Em.mo Card. Joseph Ratzinger, nonché i contributi dell’Em.mo Card. Bernardin Gantin Decano emerito del Collegio Cardinalizio e dell’Em.mo Card. Jean-Marie Lustiger, Arcivescovo di Parigi:
INTERVENTO DELL’EM.MO CARD. JOSEPH RATZINGER
Cari confratelli!
Ci siamo riuniti per rendere grazie per i 25 anni di pontificato del nostro venerato e amato Santo Padre Giovanni Paolo II. Ringraziamo il Signore per averci dato questo pastore che, in un’epoca piena di confusione e pericoli, conferma noi, suoi fratelli, nella fede (cfr. Lc 22,32). In un momento in cui tanti non vogliono più seguire il Signore perché la Sua parola sembra loro troppo dura, egli, con le parole di Pietro, dice a tutti noi: „Signore, da chi andremo? Tu hai parole di vita eterna. Noi abbiamo creduto e conosciuto che tu sei il Santo di Dio" (Gv 6,68s). L’intero pontificato del nostro Santo Padre sembra essere una grande azione svolta per rendere presenti ed efficaci tra noi queste parole e questa decisione. Di conseguenza, il nostro ringraziamento non può essere rivolto soltanto al passato. Allo stesso modo in cui gli altri undici apostoli riconobbero nelle parole di Pietro l’espressione della loro fede, mettendosi di nuovo con lui alla sequela di Cristo, così la parola del Santo Padre può indicarci la strada per trovare, con rinnovata gioia in Cristo, le parole di vita eterna e la via che conduce alla salvezza.
La prima forma del nostro ringraziamento è la preghiera, il grazie reso a Dio nel santo sacrificio. Ma deve essere accompagnato dall’ascolto del messaggio e dal mettersi in cammino in compagnia di Cristo. Perciò abbiamo pensato che un rinnovato ascolto di alcuni elementi fondamentali del messaggio lungimirante del Santo Padre potesse essere un’adeguata forma di ringraziamento. Certo, la ricchezza del messaggio che il Santo Padre ci ha offerto in questo quarto di secolo fa sì che sia impossibile esaurire, in due giorni, anche solo per accenni, tutto quanto egli ci ha donato in termini di dottrina e di indicazioni operative. Basta pensare alle 14 encicliche, che cominciano con un trittico trinitario e poi sviluppano i grandi temi della Chiesa, della missione, della mariologia, del messaggio sociale della fede, del dialogo tra Chiesa e mondo, tra fede e ragione. Basta pensare alle esortazioni post-sinodali scaturite dai sinodi dei vescovi come testimonianza dell’unione del collegio episcopale col Papa. Basta ricordare i due meravigliosi documenti dottrinali scritti sul volgere del millennio, „Tertio millennio adveniente" e „Novo millennio ineunte". Potremmo continuare questo elenco accennando alle omelie pronunciate in occasione dei viaggi apostolici, etc. Nella scelta dei temi, si sono dovute omettere tante cose molto significative. D’altra parte, questi giorni possono essere soltanto un invito a rileggere i grandi testi di questo pontificato, e a trasformarli, con nuovo slancio, in azione pastorale.
Non mi resta che ringraziare i venerati confratelli del collegio cardinalizio che ci parleranno, in sei conferenze, di temi fondamentali di questo pontificato, nonché tutti voi che siete venuti, spesso da lontano, per partecipare a questo nostro comune ringraziamento e a questa nostra comune riflessione.
Voglia il Signore benedire queste giornate!
[01600-01.02] [Testo originale: Italiano]
INTERVENTO DELL’EM.MO CARD. BERNARDIN GANTIN
Ministère Pétrinien et Communion dans l'Episcopat
- Témoignage -
1. - Saint Augustin, le plus grand Evêque africain de tous les temps, aimait à dire : "Tous mes souvenirs sont des actions de grâces".
En cette pensée et surtout en son auteur, je ne trouve pas meilleure lumière ni meilleur fil conducteur pour donner de l'assurance à mon humble témoignage, celui de la filiale et profonde reconnaissance que je voudrais exprimer ici devant vous et avec vous envers notre grand Pape Jean-Paul II.
Depuis qu'avec notre Cardinal-Doyen (Card. Josef Ratzinger) et quelques-uns des autres Eminents Collègues présents ici parmi nous, j'ai eu le privilège de participer au 2e Conclave du mois d'octobre 1978, mon admiration et ma vénération n'ont jamais cessé de grandir à l'endroit de ce "Pape venu de loin" que le Seigneur a donné à l'Eglise et au monde après l'éphémère mais inoubliable successeur de Pierre, le Pape Jean-Paul Ier, Albino Luciani. Celui-ci, en effet, avait été plutôt montré que donné. Et ainsi, Dieu a préparé les voies au Pape polonais.
Les voies de Dieu sont admirables, bien que souvent surprenantes.
Les Anciens Romains, pour célébrer et immortaliser les meilleurs de leurs compatriotes, généraux, chefs d’armée, rois et gouvernants, grands hommes de culture et de sagesse, s’empressaient d’écrire des livres ou des poèmes "De Viris illustribus". Les chrétiens d’aujourd’hui ont autant de motifs d’être fiers de leurs Papes. Les écrits de beaucoup d’entre vous sur Jean-Paul II enrichissent nos bibliothèques d’Evêques et de prêtres. Dans les Nonciatures et les Evêchés, on trouve des photos ou des bustes de Jean-Paul II qui racontent silencieusement aux visiteurs l’histoire d’une figure d’exception qui a honoré leur terre ou leur peuple. Au Maroc, par exemple, pays musulman, ineffaçable est demeuré le passage du Pape en 1985. Cette terre continue de dire sa gratitude pour le grand geste de son voyage d’amitié. "Comment va "notre" Pape?" me demande-t-on souvent à Casablanca.
Il est d'autre part facile de retrouver à travers notre Pape, qui n’est pas seulement Polonais, mais Romain et universel, la vigueur spirituelle et l’intuition missionnaire géniale de Pie XI, la noblesse et l’intelligence non communes de Pie XII, la bonté rayonnante, et l’ouverture légendaire du Bienheureux Jean XXIII, la délicatesse et le sens exceptionnel des gestes éloquents de Paul VI, enfin la simplicité et le génie catéchétique de Jean-Paul Ier.
Quelle merveilleuse synthèse de qualités et de talents dans une seule personne ! C'est une chance pour nous qui en sommes les témoins et les bénéficiaires !
Oui, «illustrissimi», dans le grand et beau sens du terme, tels sont tous nos Pères dans la Foi et l’Amour.
2. Ce 25e anniversaire du Pontificat du Pape Wojtyla est une magnifique occasion pour chacun de nous de réveiller des souvenirs personnels qui prennent la forme d'un hommage respectueux, plein d'affection et surtout chargé d'une immense gratitude envers le Seigneur. C'est depuis notre enfance en famille, à l'école ou à l’église paroissiale que nous avons appris à prier pour le Souverain Pontife "pro Pontifice nostro". C'est encore aujourd'hui, plus que jamais, l'heure de la prière d'une Eglise unanime et fidèle pour son Pasteur.
Quant à l'Evêque qui vous parle, il est venu de très loin à Rome, un peu comme autrefois la Reine de Saba à Jérusalem qui visita Salomon pour voir de ses yeux et toucher de ses mains quelque chose d'inédit…, que le monde est heureux de voir et d'admirer depuis un quart de siècle – chose rare – en un Suprême Pontificat qui restera dans l'Histoire comme l'un des plus grands phares de lumière et de référence.
La vraie Histoire des Hommes et des Peuples s’écrit non pas avec des guerres et des conflits négatifs et destructeurs, mais au contraire avec les exemples constructifs des meilleurs parmi nous, hommes et femmes de paix, de dialogue et d’amour qui balisent la route pour les générations futures.
Madre Teresa de Calcutta, avant le 19 octobre prochain, était déjà doublement la bienvenue parmi les étoiles de notre temps et de notre ciel. Le cœur de Jean-Paul II, et celui d’une multitude, vibreront bientôt d’une sainte allégresse. Cette imminente béatification s'ajoutera à toutes celles qui l'ont précédée, si nombreuses, et qui ont réjoui le cœur et l'âme de toute l'Eglise, la Mère des Saints.
La canonisation, hier, du très grand et saint missionnaire italien, Monseigneur Daniele Comboni, vient d’illustrer aux yeux de tous le visage impressionnant d’un successeur des Apôtres que l’Afrique, aimée par lui jusqu’à l’extrême de sa vie, ainsi que par ses fils et ses filles, n’oubliera jamais dans son cœur et dans son souvenir. Il en est de même du Fondateur allemand de la Société du Verbe Divin - le P. Janssen - et de son fidèle Compagnon, le P. Freinademetz, géants de l’Evangélisation Missionnaire de l’Eglise dans tous les Continents, en Chine dès le commencement.
3. - Dès que j'ai reçu du Cardinal-Doyen la lettre m'invitant à tenir cette Conférence, il m'est tout de suite revenu à l'esprit le souvenir d'une réflexion spontanée, celle d'un vieux chef traditionnel d'Afrique (Bénin) s'exclamant devant l'immense foule qui accueillait en son pays la visite du Pape à peine sorti de l'avion : "Quel homme impressionnant et fascinant que votre grand Chef blanc venu de Rome !".
Cette réflexion, saluée par des applaudissements enthousiastes, en dit long dans le cœur de tous. Elle était d'autant plus éloquente et plus frappante qu'elle avait jailli de la bouche d'un homme païen et analphabète, et donc de quelqu'un qui était loin du christianisme et ne savait ni lire ni écrire. Sa réflexion ne pouvait, par conséquent, être inspirée ni par le catéchisme, ni par la lecture des journaux favorables à Rome.
On dit que c'est généralement de la bouche des enfants que sort la vérité. Mais je pense qu'elle peut sortir également de la bouche des Anciens qui ont un cœur d'enfant, sans ruse et sans préjugé.
4. - J'entre ainsi dans l'évocation de quelques-uns – quelques-uns seulement ! – des milliers de souvenirs qui se sont gravés profondément en moi et sans doute aussi en beaucoup d'autres.
C’est d’abord la belle et surprenante figure d’un jeune Pape de 58 ans qui, devant des millions de spectateurs et d’auditeurs à travers le monde, se dit "venu d’une Eglise lointaine" pour être le Pasteur de Rome et donc le Pasteur de toute l’Eglise Catholique, et qui entend ainsi s’adresser à la grande Famille humaine, en termes compréhensibles par tous et s’invitant tout de suite au dialogue et au partage.
L’humilité et la totale disponibilité d’esprit et de cœur d’un Père et d’un Ami envoyé par Dieu venaient de gagner tous les cœurs.
Heureux celui ou celle qui peut aujourd’hui se rappeler et dire avec la fierté et l’espérance du témoin d’un grand événement : "Ce soir-là du 16 octobre 1978, au moment où une nouvelle aurore s’est levée sur le monde, j’étais là, sur la Place Saint-Pierre, ou devant un poste de radio ou de télévision !"
C'est ensuite l'image unanimement accueillie avec joie d'un Pape qui a sillonné la planète entière en tous sens et dans tous ses recoins. On l'a vu sur tous les continents et archipels de la planète, en plus de l'Italie et de Rome, sa Ville, dont il est devenu citoyen à part entière.
Les Evêques du monde ont tous appris, une fois de plus par un exemple lumineux, comment ils doivent visiter toutes et chacune des communautés chrétiennes paroissiales et humaines de leurs diocèses. Le bon Pasteur n’a-t-il pas pour trait principal de "connaître ses brebis"… par leurs noms et par leur histoire ?
"Urbi et Orbi", c'est devenu plus que jamais le double nom et la destination universelle de la parole du Pape, non seulement à Pâques et à Noël, mais tous les jours. Et l'extraordinaire don des langues qui caractérise Jean-Paul II rappelle facilement les étonnants et nombreux charismes de la première Pentecôte.
Autrefois, on disait : "Pour voir le Pape, à Rome il faut aller!" Aujourd'hui, la réalité est : pour voir le Pape, il faut aller le rencontrer sur toutes les routes du monde." Et pour vite savoir ce qu'il dit ou ce qu'il pense, on n'a que l'embarras du choix dans les volumineuses et innombrables biographies écrites sur lui, sans compter les pages entières, à la une, des grands périodiques du monde, à commencer par son propre journal : "l'Osservatore Romano" en plusieurs langues.
On croit parfois relire ainsi les "Actes des Apôtres", ce livre célèbre qui ne s'est pas conclu avec la plume très documentée de l'Evangéliste St Luc. On y revoit de nouveau aujourd’hui l’Apôtre Pierre, presque à chaque page, aller voir les premières et petites communautés de fidèles partout où elles se trouvent ou bien encore des groupes à évangéliser, jusque dans les "cases" privées de gens qui étaient ravis de recevoir le Seigneur Jésus en sa personne, car "il leur apportait la joie, la paix, la guérison et l'espérance…"
Au cours d'un voyage en Afrique de l'Ouest (Togo), Jean-Paul II fit arrêter un jour, d'une façon imprévue, sa voiture ainsi que toute sa suite, pour entrer dans une pauvre cabane, afin de saluer les familles présentes. Celles-ci en restèrent profondément surprises et bouleversées. Tous les habitants de cet heureux village en gardent un souvenir reconnaissant et impérissable pour le restant de leurs jours.
Un geste semblable se reproduisit au Mexique (Zacatecas). Alors que, pour nous rendre au stade, nous allions avec lui passer tout près de la cathédrale du diocèse dont la visite n'était pas prévue, le Pape arrêta le cortège, entra et se recueillit longtemps en prière.
Nul n'oubliera non plus les obsèques, qu'il a présidées lui-même, d'un Evêque mort dans un accident d'avion alors qu'il venait, lui aussi, accueillir le Pape en son pays… La profonde douleur de Jean-Paul II était partagée par tous les assistants spécialement les parents et les amis du Prélat défunt qui en ont été émus jusqu'aux larmes…, larmes de consolation et de reconnaissance.
5. - "Lève-toi au nom du Christ !" : telle était, aux premiers temps du christianisme, l'injonction de foi, souvent adressée par l’Apôtre Pierre aux malades et aux infirmes qui aussitôt retrouvaient santé, activité et même vie : cela valait infiniment plus que l'or et l'argent que n’avait pas l’Envoyé de Dieu : "Tout Joppé était au courant de ces choses – c'est-à-dire la résurrection de Tabitha – et beaucoup crurent au Seigneur…" (Act. 9, 42).
Le Saint Esprit aujourd'hui encore n'est pas fatigué de conduire partout les pas de ses Apôtres et de leurs successeurs depuis 20 siècles sur tous les sentiers du monde… On croit revoir encore l’Apôtre Pierre qui passait partout, discourant par exemple "chez des Saints qui habitaient Lydda…".
Le service pétrinien – dit Jean Paul II lui-même plusieurs fois – "consiste à les confirmer là où se trouvent les frères dans la foi", les frères, c'est-à-dire les Evêques, les prêtres, les fidèles laïcs, et aussi les candidats au Baptême. Voilà comment la mission continue de se conformer fidèlement à la vocation du Pape en constante communion de cœur et de foi avec tous, à quelque religion ou confession qu'ils appartiennent.
Vocation et invitation : je pense à ces deux importantes et historiques réunions d’Assise, sous le signe de saint François, dont l’impact pour la paix a revêtu une dimension planétaire. Celui qui, le mieux, a salué le geste prophétique du Pape a été le Représentant de la Communion Anglicane, qui a dit : "Only You". Oui, "lui seul" pouvait oser et réussir cet événement de première grandeur, en rassemblant tant de diversités religieuses et spirituelles !
Lors de la fête du dernier "compleanno" du Pape, notre Cardinal-Doyen soulignait publiquement devant une immense foule rassemblée sur la place Saint-Pierre : "Croire et Aimer". C'est, disait-il, la synthèse de la vie toute donnée du Pasteur universel. Et si la Place Saint-Pierre pouvait elle-même parler, quels bouleversants témoignages entendrait le monde ! Sans nul doute, les témoignages et les images de ce lieu universellement connu souligneraient la dimension historique et profonde de la souffrance et du calvaire de Jean-Paul II : le tragique 13 mai 1981 est, en effet, encore présent dans toutes les mémoires, comme dans le glorieux martyrologe de l’Eglise.
Non. Pierre n'était pas seul. Jean-Paul II non plus ! C'est toute l'Eglise qui a intensément prié pour lui, comme ce fut autrefois le cas au temps d'Hérode qui avait jeté Pierre en prison pour offrir au peuple hostile le spectacle étrange de la mort du Premier des Apôtres. Mais Dieu sait trouver le moyen de déjouer le plan des impies ! Notre-Dame de Fatima, ainsi que Celle de tous les sanctuaires marials du monde, se montra tutélaire et maternelle pour la joie de tous. "Contre l'Eglise du Christ Ressuscité, les forces du mal ne pourront jamais prévaloir." Non prevalebunt !
Suivre Jésus et son Eglise
jusqu’au bout
jusqu’à l’effusion du sang,
cela correspond bien à une Volonté et au nouveau nom reçu par les Apôtres du Christ Ressuscité : "Vous serez mes témoins…"
Le serment publiquement prononcé devant Dieu et devant les hommes, le jour du Consistoire, par chacun des nouveaux Cardinaux, l’ancien Archevêque de Cracovie Mgr Wojtyla comme les autres l’avait aussi assumé avec joie et détermination :
"Je serai fidèle à Dieu, au Christ, à l’Eglise jusqu’au bout, jusqu’à l’effusion du sang si besoin…"
Nous avons eu l’occasion de voir avec grande émotion qu’il y a une continuité profonde entre tous les témoins du Christ, marquée le 13 mai 1981, sur la Place Saint-Pierre, par le sang répandu du Pasteur universel, Jean-Paul II.
6. - Fidélité et délicatesse dans l'amitié : c'est ce qu'avaient écrit, surpris et émus, tous les journalistes de Rome et du monde lorsqu'ils apprirent que la toute première sortie du Vatican de Jean-Paul II au lendemain même du Conclave avait été pour rendre visite à l'hôpital de Rome à un frère et ami (Mgr. André Deskur) très cher, terrassé par un mal encore persistant, presque au même instant où devenait Pape le premier Polonais…
Dans les impénétrables desseins du Seigneur, il y a parfois de ces mystérieux échanges de grâces et de souffrances qui font réfléchir, les unes fécondant les autres… Le Pape est allé tout de suite en pèlerinage remercier Notre-Dame de la Mentorella, sur la colline de sa prière habituelle, non loin de Rome.
Quant au tout premier voyage très lointain que le Pape a eu raison d'appeler «pèlerinage pastoral», ce fut pour porter le don de sa parole et de sa prière à la Réunion plénière de l'Episcopat latino-américain – CELAM – à Puebla au Mexique. Ce fut au mois de février 1979.
Ce très important forum épiscopal historique et fraternel de rencontres, d'études, de recherches et de dialogues, se déroulait dans un climat alors assez tendu, à cause de la fameuse "Théologie de la Libération" alors tentaculaire, avec ses dangereuses métastases. Une telle situation appelait la présence urgente, apaisante et éclairante du premier des Apôtres, qui a reçu du Christ personnellement l'imprescriptible mandat de confirmer ses frères… « C’est ici le chemin », disait déjà le prophète biblique à ceux qui avaient perdu leurs repères.
Nous pouvons dire aussi, sans nous tromper, même à 25 ans de distance, qu’avec ce tout premier grand service pastoral, universellement reconnu, rendu à une très importante réunion d'Episcopats nationaux en la partie du monde peut-être la plus nombreuse et la plus active de l’Eglise catholique (en Amérique Latine), le nouveau Pape a donné le ton juste et providentiel à tout son Pontificat dès ses premiers pas.
En effet, quand on sait ce qu’avait été, pendant un long temps de ministère pastoral sans cesse harcelé par des provocations idéologiques répandues de la tête aux pieds de son peuple, l’Evêque auxiliaire, l’Archevêque, le Cardinal de Cracovie, resté profondément fidèle au Saint-Siège et exemplaire de dynamisme apostolique inébranlable, on comprend que cela avait excellemment préparé le jeune Pape Wojtyla à guider et à orienter ses frères et ses fils assaillis par les difficultés et les recherches tâtonnantes…
Il se savait et se sentait tout à fait pleinement dans son rôle et dans son mandat apostolique en donnant les directives marquées au coin d’une sagesse et d’une vigueur tout évangéliques qu’il a laissées à Puebla : avant tout le Christ, l’Evangile, l’Eglise, puis l’Homme, comme la route de l’une et l’autre Réalité afin de vivifier le Service de la Nouvelle Evangélisation par le témoignage concret et visible de toute la communauté chrétienne du monde.
Le Pape dont la pensée profonde était déjà prophétique en vue de sa toute première Encyclique "Redemptor Hominis", avait été pleinement le participant efficace, pour sa part, du Concile Vatican II, lequel avait magistralement tracé les voies justes et insufflé l’esprit authentique de l'Eglise de l'avenir en affirmant que c’est en très étroite union de pensée et de cœur avec le Pontife Romain que, selon la Volonté de Dieu, l’Evêque devrait exercer le triple ministère d’enseignement, de sanctification et de gouvernement reçu à son ordination, pour être fidèle et crédible.
Seulement ainsi, le Peuple de Dieu cheminerait dans les voies de la sécurité pour sa foi et de la lumière pour son amour envers Dieu.
C’est le même Pape qui, quelques années plus tard, convoquera, en 1985, pour le 20e anniversaire de la conclusion du Concile, l’Assemblée extraordinaire du Synode des Evêques. Celle-ci a reconnu dans la situation actuelle l’utilité pastorale et plus encore la nécessité des Conférences des Evêques. Elle n’a pas manqué en même temps d’observer que, dans leur façon d’agir, les Conférences épiscopales doivent avoir en vue le bien de l’Eglise, c’est-à-dire le service de l’Unité et la responsabilité inaltérable de chaque évêque à l’égard de l’Eglise universelle et de son Eglise particulière.
Le Synode a donc recommandé que soit plus amplement et plus profondément explicitée l’étude du status théologique et juridique des Conférences des Evêques, et surtout le problème de leur autorité doctrinale, en tenant compte du n 38 du Décret Conciliaire "Christus Dominus" et des Canons 447 et 763 du Code de Droit canonique.
Le 28 mai 1998, cette étude, longuement et sérieusement approfondie sous le titre de "Apostolos suos", Motu proprio du Pape Jean-Paul II, a été publiée pour clarifier et diriger les chemins nouveaux de notre recherche ecclésiale.
L’union collégiale des Evêques, la substance théologique de leur existence, la vie canonique de leurs activités, les normes complémentaires les concernant, sont désormais des acquisitions certaines pour toute l’Eglise, dont la vigilance est confiée à la Congrégation pour les Evêques.
La révision des statuts et l’enrichissement des normes internes en sont déjà les résultats concrets et positifs, reçus de plusieurs parties du monde. Le Pape en est régulièrement informé : c'est lui qui a été et en est le moteur et l'âme dès le début.
Il en ressort plus clairement désormais, entre autres, que le "Successeur de Pierre garde le pouvoir du Primat qui s’étend à tous : qu’ils soient Pasteurs ou fidèles. En effet, le Pontife Romain, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et pasteur de toute l’Eglise, a sur l’Eglise un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement."
Le geste de Jésus accompagnant sa solennelle parole adressée au Premier des Douze : "… Pierre, sur toi mon Eglise" était une manifestation inédite, en réponse à une triple déclaration d’amour. C’est sur un socle d’amour que repose notre Eglise. Pierre devenue Rocher. Notre foi est désormais comme un granit de fondation.
C’était du jamais vu…
C’est de ce geste fondateur et irrévocable que sont parties la vocation et la mission d’investiture des Apôtres et d’abord de Pierre, le Chef…
Ce n’est pas pour rien que ces paroles échangées entre Jésus et Pierre ont été, au Vatican, gravées en grandes lettres d’or, à l’intérieur de la Couronne qui surplombe, comme Coupole, la Basilique la plus grande du monde. A partir de ces déclarations solennelles, les Apôtres seront envoyés…, en un groupe compact ou deux par deux, pour annoncer l’Evangile et rassembler un monde dispersé, afin qu’il devienne une seule famille, une Communauté des disciples du Christ (des chrétiens) ou au moins des croyants, dans une communion de foi et d’amour, formant un seul cœur et une seule âme.
C’est pour un tel engagement que Jean-Paul II a été, lui aussi, investi et destiné un jour, il y a 25 ans.
"Avec la grâce de Dieu et l’aide de Marie", a-t-il dit lui-même comme premières paroles immédiatement après son élection… Qui en a été témoin ne pourra jamais oublier ces moments forts dans la Vie de notre Eglise.
Un service évangélique de la même importance que celui qu’il avait accompli en Amérique Latine, le Pape ne devait pas tarder peu après à le rendre à sa propre patrie alors prisonnière d’une idéologie communiste, dure et étouffante – comme elle se montre partout dans les pays de sa conquête.
Mais est-il vrai que nul n’est prophète sur sa propre terre ? Les faits de la chute et de l’écroulement de tous les murs de la haine, de la honte et de la division ont démontré le contraire. Les voyages en Pologne et dans les autres pays en otage dans l'Est, ont enfin permis à l’Europe de vite se retrouver – Orient et Occident – pour respirer pleinement, avec ses deux poumons, en vue d’une marche commune et d’une évolution humaine et chrétienne normale. Le scandaleux mur de la division qui partageait le Continent s’est donc écroulé pour la joie de tous les hommes de bonne volonté, car la haine n’a jamais rien construit ! Jean-Paul II a été alors salué comme le Pape de la délivrance et de la réédification, de l'espérance et du renouveau !
Dans la Galilée de l’enfance de Jésus et de ses trente ans de préparation à sa divine mission, il n’avait pas eu apparemment beaucoup de succès eu égard à ses miracles. Mais c’est pourtant là qu’il a délivré ses premiers et grands messages depuis les noces de Cana en présence de Marie, sa Mère, et de ses premiers disciples…
La Pologne, sa terre natale, peut être fière de son fils devenu Pape et nous pouvons remercier Notre-Dame de Cestokowa de nous avoir donné le plus aimant et le plus universel dévot de Marie.
7. - La devise épiscopale du Pape polonais "Totus tuus" n’a rien d’exclusif. Bien au contraire. Elle est le signe d’un cœur qui se trouve chez lui partout où Jésus et sa Mère sont aimés et vénérés, partout d’où s’élèvent des appels pressants vers le Pape marial, pèlerin et avocat de toutes les pauvretés, détresses et misères. La Miséricorde se trouve au centre du ministère pétrinien pour faire découvrir à qui ne ferme pas son esprit et son cœur, le Seigneur Jésus doux et humble de Cœur.
La primauté de Pierre vivant parmi nous est une grâce, avant même d’être une juridiction. L’essentiel, selon moi, c’est l’humilité et l’amour qui accompagnent son exercice. Ce don reçu pour le Service des autres, Jean-Paul II en a une conscience aiguë.
Un adage de mon pays, que j’ai vu se réaliser plusieurs fois dans la personne de ce grand Pape affronté soit à des gestes de provocation, soit à des paroles incorrectes, impolies, offensantes, soit à des plaisanteries maladroites…, c’est celui-ci : "Le propre des rois et des chefs, c’est de se dominer, de ne jamais se fâcher."
C’est un reflet de la pensée biblique qui dit que l’homme sage ne parle pas ou parle peu ; car si la parole est d’argent, le silence est d’or.
Ainsi les grands confirment leur grandeur peu ordinaire. Ainsi leur grandeur fait grandir et croître les autres. C’est la vraie dimension, très élevée, du pardon évangélique, dans les cas de blessures ou de manques de respect.
A l’école de Jean-Paul II, on apprend jour après jour, à travers des contacts humains même fugitifs, la longue patience et le silence des forts, des bons protagonistes du dialogue, la légendaire sagesse des Anciens, l’humble disponibilité des bons bergers et des fidèles serviteurs, en un mot l’amour profond d’un Père au cœur de mère pour les enfants et les jeunes, avenir du monde et de l’Eglise.
Quand cet amour concerne les pauvres, les malades, les bébés, il devient tendresse évangélique, celle de Jésus pour ceux qui attendent absolument tout de l’intarissable générosité de Dieu.
C'est pourquoi, il ne se comporte pas en dominateur. Il tend au contraire les mains à tous ses frères dans l’Episcopat de l'Eglise catholique comme de l'Eglise orthodoxe. Vers des esprits ou des pays réticents, il multiplie les signaux de réconciliation par des gestes d’amitié et des demandes de pardon. Et cela, en fidèle disciple de celui qui avait lavé les pieds de ses Apôtres, peu avant l’Institution de l’Eucharistie et du Sacerdoce… et qui avait dit : "Allez vous réconcilier d'abord avant de célébrer ensemble le sacrement du Seigneur."
Le Ministère pétrinien, c’est profondément le service de Pierre rendu à toute l’Eglise, à commencer par les Evêques auxquels sont unis les communautés diocésaines et paroissiales. Les unes et les autres sont liées à Pierre, directement ou indirectement, mais en profondeur par le même baptême conféré au nom du même Dieu Trinité, Père, Fils et Esprit Saint.
La collégialité : il est évident que chaque Evêque a la responsabilité personnelle de son propre Diocèse. Elle n’est pas un poids d’autorité et de dépendance (selon le Motu Proprio "Apostolos Suos") ni une sorte de lourd manteau qui envelopperait, écraserait et entraverait la marche et la liberté normale. Mais elle offre de l’intérieur même de la Communion ecclésiale une garantie et une aide. L’Eglise n’est pas une organisation purement humaine et démocratique comme prétendent l’être les sociétés civiles ; "mais une réalité mystique, sociale, universelle et hiérarchique. Elle est donc précieuse et originale cette aide qu’elle offre à chaque pasteur responsable en face des problèmes communs, et une possibilité de concertation fraternelle vis à vis des éventuelles prises de position dans un même pays ou dans un contexte régional."
A remarquer aussi que tous les documents pontificaux de destination universelle, comme les Encycliques par exemple, commencent toujours par s’adresser aux Evêques en premier lieu.
Ils ont, avec Pierre, la responsabilité de l’Evangélisation du monde.
Que dire des messages ponctuels que le Pape ne manque jamais de remettre aux Evêques en visite "ad limina" ou durant les voyages aux pays respectifs ?
Comme tous ses prédécesseurs dans cet esprit profondément évangélique, le Pape est heureux de se dire et de se montrer selon une très belle tradition papale, le "Serviteur des Serviteurs de Dieu". Les exemples abondent… Pour nous, quelle grâce et quelle disposition providentielle, souvent enviées, d’avoir un Magistère de sécurité, de référence te d’orientation !
Allez, annoncez à toutes les créatures…
Nous ne pouvons pas ne pas parler… Et "ils partirent tout joyeux d’avoir souffert quelque chose pour Jésus Ressuscité…"
Toujours Pierre en tête…
Les Apôtres ne sont pas interchangeables ; mais la fraternité ne supprime pas la solidarité et le partage. Bien au contraire. On n’a jamais vu dans l’Ecriture quelqu’un tenter de prendre la place de Pierre. Pierre est unique. Si André est le premier appelé, Pierre est bien le Coryphée, le "chef d’orchestre" ! Ainsi l’a disposé Jésus sans tenir compte des critères humains de culture, de condition sociale, familiale, tribale, d’âge et de provenance…
Pierre le Premier Converti est chargé de convertir les autres.
Respecter l’identité de chacun se trouve au cœur de la collégialité. L’un des grands acquis du Concile, c’est la collégialité. Le Concile l’a voulue affective et effective.
8. – "N'ayez pas peur !" "Ouvrez très grandes les portes au Christ !" : tels ont été les premiers cris du cœur de Jean-Paul II, le dimanche 22 octobre 1978, jour solennel et officiel de sa prise en charge de l’Eglise et du monde.
Jusqu’aux extrémités de la terre, il a été entendu. Entendu par les hommes et les femmes de bonne volonté qui avouent n’avoir pas assez faim et soif de la Parole de Vérité, de pardon, de lumière et de réconciliation… Même ceux qui ne croient pas trouver dans la manne offerte par le Pape la nourriture des âmes esseulées et éprouvées par le désert de la vie ou par une incroyance silencieuse et solitaire, rendent cependant hommage à la main fraternelle et secourable qui se fait proche d'eux… A quoi serviraient en effet les nombreux, les très nombreux Documents du Magistère de Jean-Paul II, qui constituent une immense bibliothèque d’Encycliques, d’Exhortations post-synodales, de Discours, d’Homélies, d’Angelus du Dimanche, de Messages de compassion et de communion, si cette mine tellement riche et inépuisable de spiritualité, de culture et d’enseignement ne visait pas d'abord à nourrir substantiellement notre pauvre monde moderne gavé de pseudo-nourritures artificielles ou superficielles ?
Lorsqu’il administre les Sacrements à l'instar d'un simple curé de paroisse, ou simplement quand il entre en prière, Jean-Paul II se trouve plongé comme "un poisson dans l’eau", selon le mot de Jean-Marie Vianney, le Saint Curé d’Ars.
Confirmer ses frères, c’est aussi cela : c’est-à-dire ne pas se lasser de répéter et de proclamer à haute voix, à temps et à contretemps, le message évangélique de la paix, de la justice, du pardon et de la fraternité, devenu si nécessaire dans un monde où le bruit des violences et des missiles cherche à étouffer les appels du Père de famille au dialogue et au pardon… "Il faut déposer les armes : c’est un préalable nécessaire au pardon et à la réconciliation", criait récemment Jean-Paul II, avec souffrance, à des pays africains en guerre, au Libéria, au Congo et ailleurs…
Confirmer ses frères dans la foi et l’espérance jusqu’aux derniers confins de la Terre, c’est la signification primordiale des voyages du Pape autour de la planète…
Tous les Africains connaissent le Pape Jean-Paul II comme un homme de Foi, de Vérité et de Lumière, comme quelqu’un qui n’a peur de rien ni de personne.
Un Pasteur et un Père qui, sans paternalisme, défend et protège les faibles, les petits et les humbles, en ne transigeant pas sur le respect des droits humains.
A leurs yeux, c’est un champion de courage et d’intrépidité, toujours du côté des pauvres et des victimes d’injustice ou de violences.
La protection de la Vie est le combat le plus ardent et le plus constant de son Pontificat.
A ce propos, ils l’ont entendu dans les pays européens comme africains, où il a dénoncé sans ambages les corrompus et les corrupteurs, les dictateurs, les vendeurs et acheteurs d’armes, les trafiquants de drogues ou d’enfants…
Les îles les plus minuscules et les plus lointaines auront ainsi entendu "la claire Parole de notre Dieu", selon la prophétie millénaire du psalmiste, car elles ne sont pas considérées par le Pasteur universel comme des poussières négligeables, mais bien au contraire comme des communautés vivantes très aimées. "Au cœur de l’Eglise elles sont l’amour", dirait sainte Thérèse, la petite Carmélite de Lisieux devenue très grande parce que Docteur de l’Eglise, d’une Eglise qui n’est Eglise que missionnaire.
Jean-Paul II a visité plusieurs centres historiques qui portent tristement de graves blessures du passé. Le pardon est accordé, certes. Mais l’oubli n’est pas possible, à cause des cicatrices qui demeurent.
Auschwitz en Europe, la Shoah à Jérusalem, Gorée au large de Dakar, sont les portes du non-retour de tant d’hommes et de femmes maltraités comme des esclaves ou des bêtes de somme… Karol Wojtyla, premier Pape de la Pologne qui connut injustement un sort analogue n’a pas trouvé de mots assez forts ni assez émouvants pour flétrir la honte des pays dits chrétiens qui ont osé vilipender et déshonorer le nom chrétien en se livrant à de telles activités sans nom…
Le cœur du Pape est sans frontières, tout en étant doux et humble comme celui de Jésus venu pour libérer du péché les hommes, les sociétés et les structures… coupables à la manière de Caïn qui osa se dire étranger au destin de son frère Abel.
Je pense à certaines autres visites papales significatives et mémorables très appréciées, auxquelles j’ai eu le privilège de participer comme membre de la suite pontificale : l’Ile Maurice, Rodrigues, les Seychelles, La Réunion dans l’Océan Indien. Je pense aussi à Cuba, à Haïti dans les Caraïbes, au Cap-Vert et à l’Islande au cœur de l’Océan Atlantique. J’en garde un grand souvenir : la joie de les avoir déjà visités seul en ami, s’est doublée pour moi d’un honneur encore plus grand, celui de les resaluer à côté du Saint-Père… et de contempler les manifestations de leurs foules colorées et enthousiastes…
Les expressions inculturées de l’Evangile, offertes en hommage à un Pape qui a tant fait et tant dit en faveur de la culture locale et de la promotion des valeurs autochtones concernant la Nouvelle Evangélisation, communiquaient une authentique saveur du Concile. Qui mieux que le Pontife actuel, fils et Père du Concile, est pleinement entré dans l’esprit et les vues prophétiques de ces Assises ecclésiales ?
9. - On croirait voir se renouveler un peu partout les belles pages des Actes des Apôtres concernant Pierre : "Voilà les hommes qui te cherchent." (Ac 10,19)
Voilà aussi de quoi expliquer l’attrait que Jean-Paul suscite de la part des Jeunes et le secret de leurs Journées mondiales qui mettent en branle âmes et consciences, curiosités et recherches de l’Essentiel… Leur succès est allé toujours croissant avec des rassemblements inédits, de milliers et des millions de participants heureux, courageux et inlassables… Ce sont toujours des occasions de grands messages à délivrer et à recevoir.
Les Evêques le savent bien quand ils sont eux-mêmes en "visite ad limina". Beaucoup auront eu la joie de recevoir le Saint-Père dans leurs pays ou leurs diocèses. A Rome, ils se retrouvent devant
un Père qui les comprend,
un Pasteur qui les connaît,
un Ami qui les réconforte,
un Cyrénéen qui porte le poids avec eux, le poids de la Croix…
Et certains Pasteurs qui viennent de pays pauvres s’en retournent avec, en poche, une enveloppe discrète mais lourde comme aide économique, pleine de sens… de la part du Pasteur universel qui pense aux petits et aux plus démunis. Tous font, à travers ces contacts personnels, l'expérience d'un homme de prière, d'écoute, de partage, de proximité, pendant la Messe et à table, durant l'échange d'intimité en tête à tête.
Mais avec les Jeunes du monde entier, "sentinelles du matin", l’Eglise renouvelle aussi par Jean-Paul II le charisme de sa propre jeunesse.
J’ai entendu une fois quelqu’un se demander : "A cause des absences assez longues de Rome et des longues célébrations fréquentes qui prennent beaucoup de temps au Saint-Père, comment peut-il connaître et suivre sa Curie, la Curie romaine et ses activités ?"
C’est oublier que la présence pastorale et paternelle auprès des jeunes du monde entier, soit au Vatican, soit dans les Eglise lointaines, non seulement ne constitue pas une diminution de sa sollicitude «ad intra», mais elle lui confère, au contraire, une dimension de plénitude et d’universalité. Car le sang qui irrigue tout le corps enrichit aussi le cœur en nouvelle vitalité lorsqu’il revient à la source après son tour de circulation régulière et incessante.
De plus, je me sens bien placé pour témoigner que, s’il existe à Rome quelqu’un qui connaît parfaitement la Curie avec ses serviteurs, ses activités, ses études, c’est bien le Saint-Père.
En effet, dès après son élection, il avait tenu à visiter personnellement, l’un après l’autre, tous les Dicastères: le personnel, les outils de travail, bureau par bureau. Je me trouvais alors à S. Calisto, responsable en premier de "Justice et Paix" et de "Cor Unum", et cela fut pour moi un encouragement inoubliable. Mais Jean-Paul II n’a pas voulu seulement gérer le passé et consolider les acquis d’autrefois. Il a donné le jour – "aggiornamento" salutaire et opportun du Concile – en créant de nouveaux dicastères : Famille, Culture, Santé, Communications sociales, etc., en font foi, avec évidence et éloquence…
Comment ignorer, d’autre part, les Audiences non seulement accordées au Vatican sur demande présentée par les Chefs d’Etat, les Diplomates ou les Savants, mais encore programmées par le Pape lui-même pour chaque Dicastère en la personne du premier responsable et de ses collaborateurs immédiats. Tous les dossiers importants passent dans ses mains et par l’évaluation critique et autorisée de sa pensée et de son orientation personnelle : la signature de sa main a fait le tour du monde.
Ce que l’Eglise doit annoncer, c’est l’Evangile, et non pas des idées, des hypothèses, des inventions si géniales soient-elles…
Cela rappelle l’une des très belles prières proposées à la méditation de qui est tenu à la Prière quotidienne des Heures: "Seigneur, tu demandes à ton Eglise d’être le lieu où l’Evangile est annoncé en contradiction avec l’esprit du monde. Donne à tes enfants assez de foi pour ne pas déserter, mais témoigner de toi devant les hommes en prenant appui sur ta parole."
Il semble que tient tout entier dans ce programme l’esprit qui a toujours animé l’immense effort du Pape Jean-Paul II, non seulement depuis un quart de siècle, mais depuis sa prêtrise de vicaire, professeur, aumônier universitaire, éducateur de jeunes et d’archevêque.
9 bis. - A la suite de Paul VI, le Pape de l’internationalisation de la Curie, et de la création du synode des Evêques en 1965, Jean-Paul II a continué de nommer à Rome des Prélats qui avaient de grandes responsabilités chez eux pour occuper divers postes-clés dans le gouvernement central de l’Eglise.
Il a tenu à mettre un accent particulièrement fort pour la tenue des Assemblées synodales à Rome.
Ces actes, on peut le dire, constituent des faits majeurs de portée universelle et sont comme la colonne vertébrale du Pontificat de Jean-Paul II. On ne peut oublier que le Concile de Jérusalem, le tout premier de l’Eglise, s’était tenu sous l’autorité et la présidence de Pierre, le tout premier des Apôtres. Leurs Actes continuent encore de nos jours…
C’est la tenue régulière et périodique des synodes romains qui durent chacun environ un mois, après plusieurs sessions soigneusement préparées.
C’est dans ce sillage que de très nombreux synodes diocésains se sont tenus dans toute l’Eglise comme une réplique pastorale de ce qui se passe à Rome.
Il n’y a pas pour le Pape, en effet, façon meilleure ou plus fructueuse d’être personnellement à l’écoute et au service de l’Eglise entière au cœur de son ministère pétrinien à travers la participation des Evêques. C’est aussi la plus efficace manière de prolonger, pour ainsi dire, et de renouveler et de faire revivre aujourd’hui le grand et inoubliable Evénement du Concile Vatican II avec son esprit, ses directives, ses orientations et ses bienfaits.
C’est une très grande bibliothèque qu’il faudrait pour recueillir les Exhortations postsynodales du Pape Jean-Paul II et leurs travaux préparatoires portant sur tous les grands thèmes vitaux de l’Eglise auxquels les réflexions épiscopales ont apporté de substantielles contributions. C’est dans cet apport venu de la base et de la périphérie et, bien entendu, de sa propre expérience que le Pape a puisé ses instructions magistrales à l’adresse du Peuple de Dieu, lesquelles doivent passer par les Evêques, les Conférences nationales, régionales ou continentales, pour rayonner et porter les fruits attendus.
Tous les continents en ont, tour à tour, bénéficié sans exception. Il en est de même pour chaque thème majeur de la vie ecclésiale comme par exemple les Laïcs, les Vocations, la Vie religieuse, le Sacerdoce, les Missions, l’Episcopat… Chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier. Ainsi en est-il de la sollicitude universelle du Cœur du Père commun-
Le Pape Jean-Paul II aura ainsi, pendant 25 ans, prodigieusement enrichi en profondeur le Magistère séculaire de l’Eglise par les Synodes qu’il a personnellement convoqués et à chaque fois tous les jours d’un bout à l’autre dirigés, et finalement offerts à la réflexion et à l’action des Communautés chrétiennes d’aujourd’hui, immergées dans "les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent".
Cela restera un très solide témoignage de la foi et des convictions profondes d’un Pasteur chargé de confirmer ses frères. Il s’était lui-même enrichi d’une multiple et exceptionnelle expérience humaine, chrétienne, sociale, et pastorale, ayant été le citoyen d’un pays souffrant, l’ouvrier dans une usine contrôlée, le prêtre, et l’Evêque dans une Eglise qu’on disait du silence, le philosophe, le théologien, le poète reconnu dans une société aux aspirations étouffées…
Sans nul doute, les Synodes servent à éclairer, guider, soutenir tous ceux qui cherchent lumière sur leur route et certitude pour leurs pas hésitants.
Ne sommes-nous pas dans un monde grisé par les performances de la technique et de la science ? Un monde où la raison n’a rien à voir avec la foi et où les déviations morales, au nom d’une liberté débridée, reçoivent une sorte de silencieuse approbation ? L’Eglise ne peut pas ne pas parler.
Du Synode l’Afrique garde un souvenir profond de reconnaissance envers Jean-Paul II surtout quand elle pense aux assises de 1994 qui furent les siennes intensément vécues après avoir été longuement préparées sur tout le Continent. Toutes les rencontres épiscopales africaines, comme celle du SCEAM, qui vient de se tenir à Dakar, s’en inspirent largement et se relient ainsi par une sève souterraine aux veines profondes et salutaires du Concile.
10. - C’est sans doute le moment de dire ici quels sont mes souvenirs profonds et mon expérience personnelle à cet égard. Je puis témoigner de l’attentive et priante sollicitude "pétrinienne" du Pape dans la Communion de l’Episcopat, puisque pendant quatorze ans, le Préfet de la Congrégation pour les Evêques a été reçu ponctuellement chaque samedi soir... et cela continue fidèlement, au même rythme aujourd’hui comme hier.
L'actuel Préfet de la Congrégation (Card. G.B.Re) a bien défini Jean-Paul II comme "un prêtre de prière et un prophète d'espérance". Son service le rend lui aussi très proche du Saint-Père.
L’appel des prêtres à la succession des Apôtres est une des responsabilités les plus graves du Pape : j’allais dire le tout premier de ses devoirs. C’est lui, lui seul, qui nomme chaque évêque, après un examen approfondi et jamais précipité.
A Rome, on le sait, tout est urgent, encore et toujours plus urgent… Mais quand il s’agit de la nomination épiscopale, je peux témoigner que les choses vont au pas de la sagesse plutôt que selon la fiévreuse vitesse moderne, au point que parfois des gens se plaignent que certains diocèses vivent douloureusement un trop long veuvage. Mais du côté de la préparation, il est nécessaire que certaines démarches et certaines interventions requises soient accomplies ; au niveau local où tout commence, il n’est pas rare non plus que les réponses se fassent attendre, que des choix de candidats ne soient pas faciles : tout cela est à l’honneur de la conscience de ceux qui prennent les choses au sérieux. Certaines Représentations pontificales - courroies de transmission absolument nécessaires - sont parfois submergées ou pas satisfaites des dossiers reçus de la base…; d’autre part seraient irrecevables des rapports approximatifs. De plus chaque dossier concernant un candidat est soigneusement et rigoureusement couvert par le secret pontifical, étant donné l’importance et la gravité des démarches qui aboutissent finalement à la décision personnelle et suprême du Pape…
Il faut donc que cessent les idées reçues mais fausses selon lesquelles c’est le Cardinal Préfet de la Congrégation, ou le Nonce apostolique, ou quelque personnage influent, qui nomme les Evêques. Certes, les uns et les autres ont leur rôle respectif à jouer dans la longue chaîne des responsables intermédiaires. Aujourd’hui, la subsidiarité est une valeur que revendiquent les administrations civiles. Il faut savoir qu’elle est également reconnue et respectée dans les structures juridiques et les démarches spirituelles d’une Eglise hiérarchique, qui est avant tout Communion. C’est au service inlassable et exemplaire de cette Communion que s’emploient les Collaborateurs du Saint-Père. Ils ne font pas ce qu’ils veulent. Ils ne se croient pas non plus supérieurs aux autres, sachant bien qu’ils proviennent eux-mêmes de communautés chrétiennes et missionnaires qui ont chacune ses limites et ses insuffisances aussi bien que ses mérites et ses charismes. Nous sommes tous des chercheurs de l'excellence et du désir de toujours mieux faire.
C'est pourquoi, il faut qu’on cesse de dire ou de croire que la Curie n’est pas en communion parfaite avec le Pape et ses directives.
C'est une autre contre-vérité que de penser ou de laisser circuler la légende selon laquelle : "Le Pape, oui ; la Curie, non." Quelle étrange façon de concevoir notre Eglise divisée au sommet en deux parties : une sorte de Haute Eglise et une autre de seconde catégorie. L'une qui serait servante et disponible, et l'autre qui serait uniquement carriériste et jamais satisfaite. Des livres ou des périodiques ont répandu de tels propos, déjà au temps du Concile Vatican II. Je les réentends aujourd'hui, non sans surprise : la désinformation a la vie dure. Mais, après plus de 31 ans passés au service de trois Dicastères de la Curie du Pape, je ne suis pas près de changer d’avis.
Rien ne vaut une expérience personnelle, vécue objectivement et sans préjugé à l'intérieur des faits ou des réalités.
Je cite un exemple personnel : au commencement de mon ministère romain, en 1971, j’avais reçu à "Propaganda Fide", deux Prélats polonais, l’Archevêque de Cracovie, Mgr Wojtyla, et l’un de ses suffragants, Evêque de Tarnow, Mgr Ablewicz, venus faire visite au Dicastère missionnaire : ce qui n’était pas habituel de la part des évêques relevant de leur propre Dicastère. Avec mes visiteurs, nous avons parlé de la vie et de l'évangélisation de l’Eglise missionnaire en Afrique. Ils étaient venus aussi pour avoir des nouvelles des prêtres et religieuses que, par fidélité à l’Encyclique "Fidei donum" (1957), ils avaient envoyés au Congo. J'ai eu ainsi l'occasion de leur exprimer la reconnaissance de l’Afrique. Le futur Pape était heureux de voir en ma présence à Rome une action prophétique du Concile qui a ouvert les portes de la Curie à l’internationalisation des services immédiats du Souverain Pontife.
Voici ce que Jean Paul II disait, il y a seulement quatre mois, aux Evêques Indiens en visite "ad limina" à Rome : "Soyez personnellement une source claire et le fondement de l’Unité de vos Eglises particulières. Avec le Pape, les Evêques représentent l’Eglise tout entière, unie dans la paix, l’amour et l’unité. L’Evêque ne peut donc pas être le simple délégué d’un groupe social ou linguistique. Il doit toujours être perçu comme un successeur des Apôtres, dont la mission vient du Seigneur. Le rejet d’un Evêque par quelqu’un ou un groupe constitue toujours une transgression de la Communion ecclésiale, et par conséquent un scandale pour les fidèles et un piètre exemple pour les fidèles d’autres religions…"
C’est exactement, mais en d’autres termes, ce que disait saint Pierre il y a 2000 ans, dans sa première épître, chapitre 5 : "Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ et qui dois participer à la gloire qui va se révéler. Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié. Veillez sur lui, non par la contrainte, mais de bon gré, comme Dieu le veut ; non par une misérable cupidité, mais avec l’élan du cœur ; non pas en faisant les seigneurs… mais en devenant les modèles du troupeau."
11. -Ainsi, dans tout l’Episcopat du monde, est bien concerné chacun des Successeurs des Apôtres, diocésains et titulaires, anciens et jeunes, préposés à la tête des nombreuses et diverses communautés d’hommes et de femmes, de chrétiens et de non-baptisés, de croyants et d’incroyants, de frères et de sœurs de bonne volonté appelés à la foi au Christ et au Dieu unique, quelquefois sans le savoir…
Parmi ces Evêques, l’Eglise a la joie de compter une immense majorité de serviteurs déjà bien expérimentés, chevronnés, pleins d’usage et de raison, hommes de terrain, "bon pied, bon œil", ouvriers à toute épreuve, sans peur et sans complexe, donneurs de leur vie et de leur sang, si besoin…
Il y a les Evêques plus jeunes qui ont encore beaucoup à apprendre comme beaucoup à donner… Ils le savent et s’appliquent avec ferveur et dévouement à leur ministère exaltant, mais pas toujours facile…
Il y a les vénérables Evêques émérites, dont le titre nouveau en dit long sur leur sagesse, l’héritage de leur travail, l’exemple de leur piété, le résultat de leur combat pour la vérité, la foi et la morale dans un monde de civilisation apparemment brillante et performante mais en chute libre vis-à-vis des valeurs et des signaux salutaires de la conscience et de la Volonté de Dieu…
Il y a, parmi les uns et les autres, plusieurs figures de grands Cyrénéens de la Croix du Christ : malades, éprouvés, physiquement réduits au minimum dans le maximum de leur donation totale en maints domaines… Il y a aussi ceux qui sont confrontés durement à des situations politiques, économiques ou sociales difficiles…
La Communion fraternelle épiscopale s'est démontrée, à l'expérience, une force inexpugnable car les successeurs des Apôtres tiennent tous ensemble le même gouvernail et la même boussole.
L'un ne peut se dérégler ni l'autre se désorienter si ce sont les mêmes yeux et les mêmes cœurs qui regardent toujours la même étoile, Jésus Christ, et le même horizon, le Salut des âmes.
Le Pape autant que ses frères de l'Episcopat ont besoin de cette nécessaire et précieuse Communion.
Et voici ce qu'ajoute le Motu proprio "Apostolos suos" : chaque Conférence doit comprendre tous les Evêques diocésains du territoire et ceux qui leur sont équiparés par le droit, ainsi que les Evêques coadjuteurs, les Evêques auxiliaires et les autres Evêques titulaires qui exercent dans ce territoire une charge spéciale confiée par le Siège Apostolique ou par la Conférence Episcopale elle-même.
Dans les réunions plénières de la Conférence épiscopale, les Evêques diocésains et ceux qui leur sont équiparés de droit, ainsi que les Evêques coadjuteurs, ont voix délibérative, et cela de par le droit lui-même, les statuts de la Conférence ne pouvant prendre d'autres dispositions à cet égard.
Quant aux Président et Vice-Président de la Conférence épiscopale, ils doivent être choisis parmi les membres qui sont Evêques diocésains.
En ce qui concerne les Auxiliaires et les autres Evêques titulaires, membres de la Conférence épiscopale, c'est aux statuts de la Conférence qu'il revient de déterminer si leur voix est délibérative ou consultative.
A cet égard, on devra tenir compte de la proportion entre les Evêques diocésains et les Evêques auxiliaires et les autres Evêques titulaires, afin qu'une éventuelle majorité de ces derniers ne conditionne pas le gouvernement pastoral des Evêques diocésains.
La présence d'Evêques émérites est aussi à prévoir avec voix consultative… Leur participation à certaines Commissions d'études, pour lesquelles un Evêque émérite a une compétence particulière est à envisager également.
La reconnaissance (recognitio) par le Saint Siège des Statuts n'est pas un geste de sujétion, mais de communion. Cela créé des liens de confiance réciproque.
La visite désormais régulière et périodique à Rome des premiers choisis par leurs frères évêques (comme Président et Vice-Président) dès leur élection est un autre signe très louable de proximité réciproque et de communion constructive.
En somme, être Evêque aujourd’hui, quelle lourde, très lourde responsabilité devant Dieu et devant les hommes ! Il n’est pas rare que des prêtres désignés à cette charge hésitent et même reculent quand la voix de Dieu les appelle par celle du Pape. C’est un plus haut service qui a de quoi les effrayer. "Ce service est redoutable", disaient déjà certains grands prophètes de l’Ancien Testament.
En vingt-cinq ans de Pontificat suprême, étoile de courage et de persévérance héroïque, combien mérite d’être félicité et remercié le Pape Jean-Paul II ! Des Jeunes, avec une grande admiration et un immense respect, lui dirent, spontanément, un jour, en signe d’hommage et d’encouragement : "Les Cardinaux en la Chapelle Sixtine vous ont élu comme Pape, Père de tous… Aujourd’hui, nous aussi vous réélisons publiquement pour le même service, tant vous le rendez si bien ! "
12. -C’est la même impression que j’ai recueillie en assistant un jour ici à Rome lors d’une très brillante conférence donnée par un éminent professeur d’Ecriture Sainte et, par surcroît, Recteur d’une des plus prestigieuses Universités de la Ville… Parlant de Jean-Paul II, il avait évoqué quelques grandes figures bibliques, celles de Moïse et d’Elie, de Josué et d’Elisée, ainsi que de Jean Baptiste… Le témoignage de cet Enseignant (Card. C.M. Martini)de très haut niveau, appelé plus tard comme Pasteur à la tête d’un des Diocèses les plus grands du monde, ne peut que me rassurer.
En effet, celui que nous avons essayé d’évoquer comme "un prestigieux Conducteur de peuple" en ces temps difficiles qui sont les nôtres ; celui qui "a surgi comme un feu" et qui a su faire découvrir aux élites comme aux gens simples la grandeur de Dieu et sa bonté ; celui qui nous a introduits dans la Terre Promise du Grand Jubilé de l’Année sainte 2000 – selon la recommandation du grand Cardinal Wynzinski en 1978 –…, celui qui, selon les noms mêmes de Jean et de Paul assumés dès le premier instant de son Election, aura accompli un très efficace ministère d’éclaireur et de prophète des générations nouvelles…, nous le saluons avec une joie et une reconnaissance infinies.
13. -Les Papes ne prennent pas de Retraite, étant choisis pour être Serviteurs à vie.
En tous cas, aujourd’hui, il est bon de réentendre le mot de saint Léon le Grand, pour son anniversaire épiscopal : "… Je trouve ma joie, en toute dignité et sainteté dans les dispositions que Dieu a prises. S’il a délégué à de nombreux pasteurs le soin de ses brebis, il n’a pas abandonné lui-même la garde de son troupeau bien-aimé… Saint Pierre, gardant toujours cette solidité de la pierre qui lui a été donnée, n’a pas abandonné le gouvernail de l’Eglise qui lui a été confiée…"
14. -Je dois maintenant, à regret, arrêter de feuilleter l’album de mes souvenirs…
Permettez-moi de relire avec vous, pour finir, ce qu’avait écrit Ignace d’Antioche, le très grand Successeur des Apôtres, venu de loin baptiser le Colisée de Rome avec son sang.
Il s’adressait à Polycarpe, l’évêque au nom prédestiné :
"Justifie ta fonction d’évêque par une parfaite sollicitude de chair et d’esprit.
Préoccupe-toi de l’Unité, car il n’y a rien de meilleur.
Supporte tous les frères, comme le Seigneur te supporte.
Soutiens-les tous avec amour, comme d’ailleurs tu le fais.
Adonne-toi sans relâche à la prière...
Parle à chacun en particulier, à la manière de Dieu.
Porte les infirmités de tous comme un athlète accompli…
Là où il y a plus grand labeur, il y a grand profit."
Ces belles et suggestives paroles d’un saint Evêque à un autre frère dans l’Episcopat, j’aurais pu simplement me contenter de les citer, au commencement comme prophétiques pour tous les Evêques de tous les temps… et comme un magnifique programme réalisé par Jean-Paul II durant ses très fécondes et impressionnantes vingt-cinq années de Souverain Pontificat à la Gloire de Dieu, en l’honneur de Marie et au service de l’Humanité.
[01601-03.03] [Texte original: Français]
INTERVENTO DELL’EM.MO CARD. JEAN-MARIE LUSTIGER
Les prêtres, la vie consacrée et les vocations
sous le pontificat de Jean Paul II
L'ensemble des interventions de Jean Paul II au sujet des prêtres, de la vie consacrée et, plus largement, de la vocation des baptisés – y compris donc celle des laïcs – représente des milliers de pages. Je voudrais m'efforcer ici de dégager leur logique et leur originalité, et d'en comprendre l"'économie" au sens où les Pères ont employé ce mot pour décrire l'économie du salut où le mystère trinitaire nous est révélé. Au-delà de leur diversité, nous y découvrons à la fois les grands enjeux de la vie de l'Eglise à la fin du 20è siècle et la cohérence d'une réponse structurée, puisant sa force dans le mystère même du Christ.
Les pages très personnelles que le Pape a données en 1996 à l'occasion du jubilé de son ordination sacerdotale et qui ont été publiées sous le titre Ma vocation, don et mystère, apportent une précieuse lumière à ce sujet. En effet, dans ce modeste volume, Jean Paul II ne nous livre pas seulement une autobiographie spirituelle, il retrace (je le cite) « le parcours de prière et de contemplation qui allait diriger [ses] pas sur la route du sacerdoce », mais aussi « dans tous les événements jusqu'à ce jour ». Et il ajoute : « Si je regarde en arrière, je constate que "tout se tient" : aujourd'hui comme hier, nous nous trouvons illuminés par le même mystère avec la même intensité ». Ce mystère est, bien sûr, le don inépuisable du Christ rédempteur. C'est aussi le mystère du sacerdoce et des vocations dans leur diversité organique et leur unité ecclésiale, et cela inclut la vocation baptismale des laïcs.
I. Quel était, à ce sujet, l’état des esprits il y a vingt-cinq ans, lorsque Jean Paul II prononça ses premières paroles en public : « N’ayez pas peur. Ouvrez grand vos portes au Christ » ?
[I.1. La quasi-totalité des Églises sous le joug communiste étaient enfermées dans la détresse et le silence. On les soupçonnait de passéisme, pour le peu qu’on savait d’elles, et elles restaient isolées et méconnues.
Les jeunes Églises d’Asie émergeaient tout juste dans le concert de la pensée catholique. Certains théologiens d’Occident s’efforçaient de reconnaître chez elles le lieu d’une « inculturation » remettant en cause la nature même du sacerdoce dans son universalité.
D’autre part, l’Afrique, riche d’expérience et de ferveur chrétiennes, était déjà ébranlée par les drames humains qui, çà et là, encore aujourd’hui, l’éprouvent cruellement.
L’Amérique latine était de son côté malmenée par les différents courants de la « théologie de la libération », avec leur tentation d’emprunter au marxisme. En Amérique anglo-saxonne, aux Etats-Unis et au Canada, le catholicisme était en proie à une énorme crise où étaient remis en cause le rôle du prêtre, la vie religieuse et, par voie de conséquence, les vocations et la place du laïcat.
Enfin, les pays de vieille chrétienté de l’Europe occidentale étaient affectés par le même syndrome qui frappait l’Amérique du Nord. Mais le malaise était peut-être plus grave que dans le Nouveau Monde, en raison des bouleversements sociaux provoqués par trente ans de croissance économique ininterrompue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et une urbanisation accélérée.]
I.2. Le nouveau pape en avait une connaissance très précise. En effet, sept ans auparavant, archevêque de Cracovie, il avait pris part au deuxième synode ordinaire des évêques tenu à Rome du 30 septembre au 6 novembre 1971, qui devait traiter du ministère sacerdotal et de la justice dans le monde. Les journaux annonçaient que les évêques demanderaient au Saint-Père d’ordonner des viri probati mariés. Beaucoup suggéraient de bannir le mot « sacerdoce » et de ne parler que de « ministère presbytéral ».
On sait la manière dont ce Synode de 1971 a été conclu. Le Pape Paul VI a courageusement résisté aux pressions. La béatification du Père Maximilien Marie Kolbe comme « prêtre catholique » n’est-elle pas sa réponse à ces interrogations obscurcissant la figure du sacerdoce presbytéral ? Pour autant, la crise et les problématiques que je viens d’évoquer s’étaient durablement installées dans l’Occident développé.
Ceux qui sont assez âgés pour avoir vécu cette période n’auront pas oublié l’intensité de la crise pendant ces années 1970, ni les questions posées par les abandons qui se multipliaient, ni la chute du nombre des entrées dans les séminaires.
[L’enseignement de Vatican II avait-il alors été vraiment compris ? Quoi qu’il en soit, les problèmes de l’Église et de son personnel étaient perçus par l’opinion sous un angle bien plus organisationnel ou socio-politique que théologique ou mystique. On peut, rétrospectivement, reconnaître là les influences symétriques du marxisme et d’un certain libéralisme. Le premier poussait à tout concevoir en termes de rapports de force. Le second invitait à tout considérer dans une perspective gestionnaire et à privilégier la liberté individuelle.]
L’obéissance, la pauvreté, la chasteté et finalement la nature même du sacerdoce et des vocations, y compris la vocation baptismale des laïcs, étaient évidemment contestées lorsqu’on raisonnait ainsi dans des perspectives de fonctionnalité, de rapport de forces ou de partage du pouvoir, de reconnaissance sociale dont la seule mesure est l’argent, etc. La sociologie occupait le devant de la scène ; l’anthropologie dans ses diverses branches semblait défier l’enseignement traditionnel en matière de sexualité, tandis que l’histoire servait à dénoncer comme toute relative la règle du célibat ecclésiastique.
[En bref, trois idées occultaient les réalités spirituelles et sacramentelles du sacerdoce presbytéral et de la vocation aussi bien religieuse que baptismale :
- Tout d’abord, la réalité sacramentelle du sacerdoce devait s’effacer devant la fonctionnalité des tâches ministérielles, lesquelles paraissaient pouvoir être accomplies sans ordination. C’était ce que certains ont appelé une « désacerdotalisation ».
- Ensuite, la dialectique du pouvoir conduisait à souhaiter confier celui-ci à l’assemblée démocratique des fidèles. C’était ce qui a été alors nommé une « décléricalisation ».
- Enfin, la suppression du célibat était censée devoir parachever la « sécularisation » d’une chrétienté jugée trop liée à une culture périmée.
Vatican II avait néanmoins explicitement prévu ces difficultés. Comme l’annonçait Lumen gentium (4, 2), « le genre humain vit aujourd’hui un âge nouveau de son histoire, caractérisé par des changements profonds et rapides qui s’étendent peu à peu à l’ensemble du globe. (…) À tel point que l’on peut déjà parler d’une véritable métamorphose sociale et culturelle, dont les effets se répercutent jusque dans la vie religieuse ». Mais les intuitions du Concile pour faire face à cette situation restaient à mettre pleinement en œuvre.]
I.3. Quelle leçon le futur pape a-t-il pu tirer de ce synode de 1971 ? Il venait de la partie de l’Église du Christ qui, derrière le rideau de fer, était affrontée à l’athéisme d’État, écrasée sous la botte stalinienne.
La « séduction du marxisme » et de la sociologie du pouvoir ne pouvaient s’exercer sur lui. Car, le jeune Karol Wojtyla partageait avec tout un peuple soumis au joug du nazisme puis du marxisme-léninisme l’expérience tragique de l’écrasement de l’homme par l’homme. Cette expérience avait confirmé sa foi que l’humanité ne peut surmonter ses contradictions et ses tentations nihilistes qu’en accueillant le mystère du Rédempteur, le Christ unique Grand-Prêtre. Par son action sacerdotale, celui-ci vient délivrer l’homme de son péché et lui rendre sa véritable dignité ainsi que sa grandeur.
Karol Wojtyla avait aussi appris que seule la grâce du salut peut affranchir la raison et la culture, afin qu’elles résistent aux mensonges et aux errances des idéologies fondées sur des analyses socio-économico-politiques, qu’elles soient communistes ou mercantiles.
Cette liberté de penser et les outils conceptuels qu’elle requérait, le futur Jean Paul II les avait rencontrés non seulement dans la tradition de l’Église (de la Bible à saint Jean de la Croix en passant par saint Thomas d’Aquin), mais encore dans le dialogue avec des intellectuels dissidents (artistes, philosophes et scientifiques, pas tous croyants) et au contact du courant « personnaliste » de la Mittel Europa, dans le sillage de la phénoménologie de Husserl, avec notamment Max Scheler. Ce sont là des « écoles » que l’Occident avait fâcheusement perdues de vue depuis plusieurs décennies et qui ont depuis manifesté leur fécondité.
II. Comment en cette année 1978 le nouveau pape allait-il, à son tour, répondre aux questions posées à Paul VI en 1971 ? Dans quels chemins allait-il engager l’Eglise du Christ sur laquelle il doit désormais veiller ?
II.1. Ce n’est pas par hasard que le jeune archevêque de Cracovie avait déjà contribué aux formulations les plus décisives et les plus riches de Gaudium et spes et de Lumen gentium notamment. Et l’on comprend ici également pourquoi, une fois élu Pape, il s’est refusé à entrer dans un jeu d’affrontements et de rapports de force pour régler autoritairement les problèmes. Car, alors, l’opinion de l’Occident aurait interprété une intervention de la hiérarchie comme un moyen de sa domination, comme une réponse idéologique à une crise dont le « moteur » était précisément de tout réduire aux affrontements idéologiques. Une phrase de Don et mystère nous dévoile la réalité qui déjoue ce piège : « le Christ est la mesure de tous les temps. En son ‘aujourd’hui’, divino-humain et sacerdotal, se résout fondamentalement toute l’antinomie – tant disputée naguère – entre le ‘traditionalisme’ et le ‘progressisme’ ».
[Jean Paul II n’a donc pas plus que Paul VI agi ni réagi (sauf de façon vraiment ponctuelle et limitée) par des mesures disciplinaires. Mais comme Vatican II l’avait fait et le demandait, il nous a engagés à nous replacer au cœur du mystère où nous recevons notre existence et notre vocation. Il a invité tous les fidèles – laïcs, diacres, prêtres, évêques, religieux et religieuses – à juger, comme le Christ le commande dans l’Évangile de saint Jean (7, 24 ; 8, 15-16), « non selon le monde, mais selon l’Esprit de Dieu ».
Il l’a fait – et continue de le faire – dans ce que l’on peut appeler le quotidien de son magistère ordinaire : audiences du mercredi, réception de différents groupes, visites ad limina, voyages, publications, etc. Dans toutes ces activités, deux méritent une mention particulière : ce sont les visites aux Églises du monde entier, et la lettre annuelle aux prêtres.
Dans chaque pays où il se rend, le Pape rencontre non seulement l’épiscopat mais encore le clergé, les religieux consacrés et les laïcs. C’est à chaque fois l’occasion d’une catéchèse, d’un encouragement, d’un rappel de la bonté, de la grandeur, de la nécessité de la grâce faite à ceux qui, par leur baptême et leur vocation personnelle, sont appelés à en vivre et à la partager.
Et puis, dès le Jeudi saint de 1979, le Pape a écrit aux prêtres du monde entier. Il n’a cessé de le refaire chaque année, en partageant à chaque fois fraternellement son expérience avec ses frères dans le sacerdoce et en faisant appel à la leur.
Toutes ces paroles sont destinées à réconforter, à toucher les cœurs et à préparer les membres du Peuple de Dieu à entrer, tous ensemble et chacun selon sa vocation ou son état propre, plus avant dans le mystère pascal du salut.]
II.2. Jean Paul II a ancré l’Église dans l’économie du salut en la situant paradoxalement dans un Avent. Dès sa première encyclique Redemptor hominis en 1979 il parle de « l’Église du nouvel Avent », du « nouvel Avent de l’humanité ».
[RH 1 §2 :« Nous sommes nous aussi, d’une certaine façon, dans le temps d’un nouvel Avent, dans un temps d’attente. ‘Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils…’, par le Fils-Verbe, qui s’est fait homme et est né de la Vierge Marie. Dans l’acte même de cette Rédemption, l’histoire de l’homme a atteint son sommet dans le dessein d’amour de Dieu. Dieu est entré dans l’histoire de l’humanité et, comme homme, il est devenu son sujet, l’un des milliards tout en étant Unique. Par l’Incarnation, Dieu a donné à la vie humaine la dimension qu’il voulait donner à l’homme dès son premier instant, et il l’a donnée d’une manière définitive, de la façon dont Lui seul est capable, selon son amour éternel et sa miséricorde, avec toute la liberté divine ; il l’a donnée aussi avec cette munificence qui, devant le péché originel et toute l’histoire des péchés de l’humanité, devant les erreurs de l’intelligence, de la volonté et du cœur de l’homme, nous permet de répéter avec admiration les paroles de la liturgie : ‘Heureuse faute qui nous valut un tel et un si grand Rédempteur ! »]
Vint ensuite, en 1980, Dives in misericordia. L’attentat de 1981 puis l’Année sainte de la Rédemption en 1983-1984 et, en 1985, l’important Synode extraordinaire marquant le 25ème anniversaire de la clôture de Vatican II repoussèrent jusqu’à 1986 la publication de Dominum et vivificantem pour clore ce premier volet.
C’est dix ans après l’inauguration de son pontificat que commencent à paraître les trois exhortations apostoliques post-synodales consacrées successivement aux vocations qui constituent notre sujet : celles des laïcs (Christifideles laici) en 1988, des prêtres (Pastores dabo vobis) en 1992 et des religieux et religieuses (Vita consecrata) en 1996.
Cet ensemble des trois encycliques suivies des trois exhortations apostoliques déploie une pédagogie spirituelle qui étonne par sa cohérence, même si – à ce que nous assurent les biographes du Saint-Père – toutes les étapes n’étaient pas rigoureusement planifiées. Et cette fermeté de la visée est encore plus frappante si l’on tient compte des circonstances et des événements qui sont venus en contrarier le développement. D’une certaine manière, le Pape fonde les engagements des hommes de notre temps à la suite du Christ, qu’ils soient prêtres, consacrés ou laïcs, en les plaçant dans l’économie du salut : au terme de cet Avent, l’homme se découvre dans sa dignité inaliénable qu’est sa participation au sacerdoce du Christ. Cet homme sauvé peut célébrer son Rédempteur et entrer dans son œuvre salvifique. Annonçant l’ouverture du grand Jubilé de l’an 2000, Jean Paul II écrit : « Dès ma première encyclique Redemptor hominis, j’ai envisagé cette échéance avec la seule intention de préparer les esprits de tous à se rendre dociles à l’action de l’Esprit. » Ses trois exhortations apostoliques ont pu préparer les esprits des laïcs, des prêtres, des religieux et religieuses, bref de tous, parce que chacun d’entre eux est remis devant la révélation du Père et de l’Esprit, accomplie par l’unique Rédempteur de tous. Proclamant ce dernier quart de siècle du deuxième millénaire comme un Avent, le Pape a préparé chacun et tous à se placer devant le mystère de la Rédemption. Telle fut l’« économie » dans laquelle Jean Paul II nous a fait entrer en situant chacune des vocations dans cet Avent, temps où l’avènement du Royaume se fait proche, temps de la venue du Christ. L’Avent est même, comme le souligne le pape, le temps de « l’incessant aujourd’hui » de Dieu (Redemptoris Mater, n°52).
Les confidences de Don et mystère nous aideront à discerner et suivre le fil conducteur. Elles ont été publiées précisément au terme de ce cycle (soit en 1996, quelques mois après Vita consecrata), et elles en éclairent la genèse, mais aussi la portée, dont l’actualité demeure vive et sans cesse à redécouvrir.
III. Jean Paul II en effet, par son enseignement, s’est d’abord porté prioritairement sur ce qui est à la source des différents états de vie et des missions dans leur diversité au sein de l’Église, à savoir le mystère du Christ.
Ce fut assurément un renversement assez radical de perspective : il s’agissait pour le Pape de relever les défis des temps nouveaux, d’évaluer les besoins réels et d’apporter des réponses non plus en prenant comme critère la politique, ni la sociologie, ni l’anthropologie, mais en s’adressant à l’homme blessé et racheté tel que la foi le donne à voir et à aimer. Ce réalisme de la foi libère de la prison des idéologies.
III.1. Dans Don et mystère, nous lisons justement : « Après mon élection comme Pape, ma première intuition (…) fut de me tourner vers le Christ Rédempteur. L’encyclique Redemptor hominis naquit de ce mouvement (…) Il existe un lien étroit entre le message de cette encyclique et tout ce qui s’inscrit dans l’âme de l’homme grâce à sa participation au sacerdoce du Christ ».
Autrement dit, la Rédemption n’est pas seulement ce qui rend l’homme intelligible à lui-même malgré ses contradictions et ses tentations nihilistes ou suicidaires. En lui permettant de comprendre combien il est aimé de Dieu il lui fait mesurer son infinie dignité qui requiert une union immédiate et concrète au sacrifice du Christ. Toute vocation chrétienne trouve là son sens et son contenu, qui sont proprement sacerdotaux.
III.2. Tout cela sera dûment explicité et développé plus tard, on le verra. Mais auparavant, Jean Paul II aura prolongé Redemptor hominis par deux autres encycliques fondamentales, donnant ainsi à son enseignement et à son action un enracinement trinitaire, c’est-à-dire dans le mystère le plus intime à Dieu lui-même.
Dives in misericordia a exploré dès 1’année suivante le mystère de la paternité de Dieu en soulignant la gratuité de son amour, depuis la création jusqu’au dessein de sauver l’homme du péché et de la mort qui en est la conséquence. [Inévitablement, la figure du Père est toujours difficile à cerner. Nous le connaissons par son Fils et grâce à leur Esprit. Ce qui demeure insaisissable dans la source ultime de toute vie suggère d’ordinaire – et fort légitimement – un éloignement, qui semble à son tour marquer la majesté de Dieu. L’encyclique de 1980 complète cette vision par son indispensable symétrique, en rappelant vigoureusement que c’est d’abord le Père qui se rapproche de l’homme et que sa miséricorde excède surabondamment les normes proportionnelles de la stricte justice.]
C’est évidemment là, pour cette participation à la vie divine qu’est la réponse à toute vocation, une orientation essentielle. Dives in misericordia nous rappelle le sens profond de toute paternité, dans l’Église et dans le monde de même qu’au sein de la Trinité sainte. La distanciation n’y est pas abolie mais constitue l’espace où le don de soi-même peut se déployer en s’inscrivant dans la dynamique de l’amour créateur et rédempteur dont la miséricorde est inépuisable.
[Don et mystère nous éclaire au moins indirectement sur ce point, lorsque le Pape évoque le rôle qu’ont joué dans sa vocation sacerdotale d’une part son propre père et d’autre part le futur cardinal Sapieha. L’un et l’autre demeurent pour lui des personnages relativement distants, mais à l’« influence déterminante ». Il se souvient qu’ « il [lui] arrivait de [se] réveiller la nuit et de trouver [son] père à genoux ». Et il ajoute : « Entre nous, nous ne parlions pas de vocation (…), mais son exemple fut pour moi, en quelque sorte, le premier séminaire, une sorte de séminaire domestique ». Il redit aussi son émotion à croiser presque chaque jour le bien-aimé « prince-archevêque » de Cracovie, qui hébergeait dans sa résidence les candidats forcément clandestins au sacerdoce vers la fin de l’occupation nazie.]
III.3. Dominum et vivificantem est venu en 1986 compléter le fondement trinitaire de l’enseignement de Jean Paul II. Le titre même est, comme toujours, hautement significatif : l’Esprit est Dieu et Seigneur ; et c’est lui qui donne de partager la vie du Père et du Fils.
[Les dons de l’Esprit Saint avaient été une des « redécouvertes » de la période conciliaire. Le Pape a rappelé que la puissance de l’Esprit ne se manifeste pas seulement dans des « charismes » particuliers, mais anime l’Église tout entière, dans sa vie intérieure et sacramentelle aussi bien que pour sa mission à l’extérieur.] C’est lui, l’Esprit, qui « convainc le monde », comme le rapporte l’Évangile de saint Jean (16, 8). C’est lui aussi qui, comme le relève au passage Don et mystère, « opère toute consécration », qu’il s’agisse de « la transsubstantiation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ » à la messe ou d’une ordination sacerdotale ou épiscopale – ou encore, est-il permis d’ajouter, des vœux religieux ou d’engagements pris par des laïcs.
IV. Nous pouvons aujourd’hui clairement percevoir comment le pape a voulu que soit repris à nouveaux frais le synode des évêques de 1971. C’est au travail de trois nouveaux synodes – d’abord sur la vocation des laïcs, puis sur la formation des prêtres, enfin sur la vie consacrée – qu’il demandera de formuler les réponses attendues.
La méthode, ici, est aussi importante que les conclusions de chaque synode, puisque, à chaque fois, les évêques délégués étaient porteurs de la réflexion des évêques et des fidèles préalablement sollicités. Les exhortations apostoliques expriment par l’autorité de Pierre le sentiment collégial des évêques.
De plus, l’ordre des trois synodes est significatif : commencer par les laïcs met en lumière la vocation universelle à la sainteté du Peuple sacerdotal. Avec les laïcs, le synode a autant revisité Gaudium et spes que Lumen gentium et exprimé la mission de l’Eglise de notre temps.
Du coup, le sacerdoce ministériel, thème du synode suivant, apparaît clairement comme le moyen voulu par le Christ pour faire vivre le Peuple saint ; l’appel radical à la sainteté adressé aux prêtres éclaire prophétiquement la « haute convenance » du célibat sacerdotal. Celui-ci doit être considéré en cohérence avec la vie consacrée qui signifie de façon prophétique la destinée des hommes dont elle est ici et maintenant l’anticipation eschatologique.
La logique des trois exhortations apostoliques à la lumière des trois grandes encycliques du début du pontificat, se déploie à partir de l’idée de sacerdoce, elle-même inhérente à la Rédemption : « Le Christ est prêtre parce qu’il est le rédempteur du monde », pouvons-nous lire dans Don et mystère. Les intuitions et souvenirs confiés dans ce texte précieux pourront à nouveau nous servir de guide ou de contrepoint pour éclairer ou condenser tel ou tel aspect des vocations à travers leur diversité et leur unité théologique et mystique.
IV.1. Le mystère du Rédempteur offre à l’homme de comprendre sa propre condition : le Christ révèle à l’humanité à la fois qu’elle est blessée et qu’elle est aimée. L’offrande essentiellement sacerdotale que le Christ fait de lui-même la délivre du mal en lui donnant le pardon de ses péchés. Sacerdotale, elle a nécessairement une dimension de sacrifice où, comme Jean Paul II le redit à chaque occasion en citant le chapitre 7 de l’Épître aux Hébreux, Jésus ne se contente pas d’intercéder. Car, « Grand-Prêtre parfait », il s’offre lui-même comme « victime immaculée ». Sa Résurrection ne signifie pas seulement que son sacrifice est agréé. En un sens, le Fils, en se solidarisant jusqu’au bout avec l’humanité défigurée par le péché accomplit, dans son obéissance, l’amour qui de toute éternité l’unit à son Père. Le matin de Pâques il manifeste que cet amour qui est leur vie même est vainqueur de la mort.
Pour l’homme le salut consiste, uni au Christ, à s’offrir à son tour au Père par la puissance de l’Esprit afin de contribuer pour sa part à répandre et partager cette miséricorde. Le chrétien est en quelque sorte incorporé au Christ pour être associé à son action sacerdotale et rédemptrice. C’est dans cette mesure qu’il convient bel et bien de parler, à la suite de Vatican II, du « sacerdoce commun de tous les baptisés ».
Christifideles laici a repris ce thème avec netteté en 1988, en rappelant à tous les baptisés les deux dimensions de leur vocation : appelés pleinement à la sainteté, ils participeront pleinement à la mission de l’Église. C’est même là, peut-on estimer, qu’est apparu, au moins implicitement, le concept de « nouvelle évangélisation » qui a tenu une place importante dans la deuxième décennie du pontificat.
[Ce terme a parfois été mal interprété. Il ne s’agit pas platement, comme ont voulu le comprendre certains observateurs extérieurs en Occident, d’une mobilisation de « la base » pour relancer le prosélytisme afin de tenter d’inverser le mouvement socio-culturel de sécularisation.
Car la « nouveauté » résidait non seulement dans le contexte inédit déjà identifié par Vatican II notamment avec Lumen gentium, mais encore dans l’invitation pressante faite aux laïcs de prendre activement la part qui leur revient dans la mission d’évangélisation, puisque celle-ci incombe à tout membre du Corps du Christ, et pas seulement à un clergé plus ou moins spécialisé.]
Cet engagement se fonde sur le mystère pascal et sur la dimension sacerdotale de la vie chrétienne au sein de la création tout entière et dans le cours de l’histoire. Don et mystère l’exprime clairement : « La Rédemption, prix qui devait être payé pour le péché, comporte aussi une redécouverte, comme une "nouvelle création", de tout ce qui a été créé : la redécouverte de l’homme comme personne, de l’homme créé par Dieu homme et femme, la redécouverte, dans leur vérité profonde, de toutes les œuvres de l’homme, de sa culture et de sa civilisation, de toutes ses conquêtes et de toute sa créativité ».
Si les laïcs sont ainsi appelés à « redécouvrir » la vérité du monde, à y témoigner et à y agir, ce n’est évidemment pas en raison d’un quelconque dessein politique. C’est en vertu de leur participation au sacrifice du Christ, actualisé par chaque messe. Dans le bilan qu’il dresse de ses cinquante années de vie sacerdotale, le Pape écrit que c’est « la célébration des sacrements, de l’Eucharistie spécialement, (qui) rend tout le Peuple de Dieu toujours plus conscient de sa participation au sacerdoce du Christ et, en même temps, l’incite à la réaliser pleinement ».
IV.2. Le Pape précise « en tant qu’"intendant des mystères de Dieu", le prêtre est au service du sacerdoce commun des fidèles ».
On voit ici que Jean Paul II a puissamment renouvelé l’approche des rôles à la fois bien distincts et interdépendants des prêtres et des laïcs. De même qu’il a insisté sur le fait que la mission ecclésiale des fidèles laïcs a sa source dans leur dignité sacerdotale et se poursuit dans leurs tâches temporelles, il a montré que les ministères ordonnés ont pour fin immédiate de rendre possible l’accomplissement de cette vocation de tout baptisé.
Chaque mot a ici son importance. Le sacerdoce commun n’est pas l’origine du sacerdoce presbytéral. Le second est au service du premier, mais il n’en dérive pas. La raison en est, comme le relève Don et mystère, que « le sacerdoce, à sa racine même, est le sacerdoce du Christ » – et de nul autre.
Reste à légitimer la distinction et la complémentarité de ces deux aspects ou niveaux de l’unique sacerdoce. C’est entre autres ce à quoi se sont employés le Synode de 1990 et l’exhortation apostolique Pastores dabo vobis publiée seize mois plus tard, en 1992. [Il ne faut pas oublier que ce Synode portait d’abord sur la formation des prêtres. Il n’en demeure pas moins que le texte final signé par le Pape est un des documents pontificaux les plus longs qui aient jamais été publiés (226 pages dans l’édition originale) et que les questions y sont traitées à fond, en remontant aux principes les plus hauts et les plus décisifs.
Il ne peut donc être ici question de recenser seulement toutes les ressources qu’offre Pastores dabo vobis. Cependant, pour ce qui nous concerne ici,] Nous pourrons, une fois de plus, en trouver un écho significatif dans Don et mystère. « Si le Concile, écrit Jean Paul II, (…) parle de la vocation "universelle" à la sainteté, dans le cas du prêtre, il faut parler d’une vocation "spéciale" à la sainteté. Le Christ a besoin de saints prêtres ! Le monde actuel demande de saints prêtres ! Seul un saint prêtre peut devenir un témoin transparent du Christ et de son Évangile dans un monde toujours plus sécularisé. Ainsi seulement, le prêtre peut devenir guide des hommes et maître de sainteté. Les hommes, surtout les jeunes, attendent de tels guides ».
Cette sainteté « spéciale », le prêtre n’en fait pas seul le choix, bien qu’il engage sa liberté : il y est appelé, ordonné et consacré, afin de parler et d’agir in persona Christi. Cette vocation et cette mission ne peuvent lui être données par aucun autre que Jésus lui-même, et elles requièrent un don spécifique de l’Esprit Saint. Dans son autobiographie spirituelle à l’occasion de son jubilé sacerdotal, le Pape rappelle donc que le prêtre « reçoit du Christ les biens du salut pour les distribuer comme il convient aux personnes à qui il est envoyé ».
Jean Paul II insiste sur deux situations où le prêtre (je cite) « donne au Christ son humanité, afin qu’il puisse s’en servir comme instrument du salut, faisant en quelque sorte de cet homme un autre lui-même ».
C’est d’abord la célébration de la messe. « Y a-t-il au monde (demande le Pape) un accomplissement plus haut de notre humanité que de pouvoir reproduire chaque jour in persona Christi le sacrifice rédempteur, celui-là même que le Christ consomma sur la Croix ? Dans ce sacrifice, d’une part le mystère trinitaire lui-même est présent de la manière la plus profonde, d’autre part tout l’univers créé est comme "récapitulé" ».
En second lieu, il y a ce que le Pape nomme « le ministère de la miséricorde ». Puisque, souligne-t-il, « le prêtre est témoin et instrument de la miséricorde divine, (…) le service du confessionnal est important dans sa vie. C’est justement au confessionnal que sa paternité spirituelle se réalise le plus pleinement ».
Il est permis de voir ici mise en œuvre la relation que nous avons relevée tout à l’heure, en évoquant l’encyclique sur le Père des cieux, entre la paternité et la miséricorde. Dans sa dimension paternelle, le sacerdoce suppose comme une « distance » ou, si l’on veut, une distinction, une différenciation, une « mise à part »… C’est dans cette perspective, entre autres, que l’on peut comprendre le caractère « spécial » de la sainteté à laquelle est expressément appelé le prêtre.
Cette vocation prend la forme bien précise que Jean Paul II, dans Don et mystère, décrit en expliquant que le prêtre est amené « à faire un choix de vie inspiré par le radicalisme évangélique. [Il doit] vivre d’une manière spécifique les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance ».
Une telle exigence se justifie par le lien indissoluble entre le sacerdoce et le sacrifice. Se souvenant de sa propre ordination, le Saint-Père dégage la signification profonde d’un des rites du sacrement : le futur prêtre, écrit-il, « se prosterne de tout son long et pose son front sur le pavement du sanctuaire, manifestant par là son entière disponibilité pour entreprendre le ministère qui lui est confié ». Et il commente : « Rester étendu à terre, le corps en forme de croix, avant l’ordination, accepter, comme Pierre, la Croix du Christ dans sa propre vie et se faire avec l’Apôtre "pavement" sous les pas de ses frères, cela fait apparaître le sens le plus profond de toute spiritualité sacerdotale ».
Le Pape précise bien qu’il ne s’ensuit aucune mutilation de la personne. Au contraire, « le jeune [qui], entendant la parole "suis-moi", (…) en vient à renoncer à tout pour le Christ [peut avoir] la certitude que, sur ce chemin, sa personnalité humaine se réalisera en plénitude ».
IV.3. Mais les conseils évangéliques nous amènent comme naturellement au troisième Synode épiscopal qui a traité des vocations en se préoccupant en 1994 de la vie religieuse et à l’exhortation apostolique Vita consecrata, à nouveau seize mois plus tard, en 1996.
Dans ses conclusions, Jean Paul II a souligné, parmi d’autres, une difficulté rencontrée à la fin du XXe siècle non seulement au sein de nombre d’ordres religieux, mais encore dans l’Église entière : c’est la tentation de tout évaluer en fonction des critères utilitaires de la société. La vie consacrée, répondait le Pape, obéit à d’autres lois, et en particulier celle du don, à la fois inhérente à la condition humaine et confirmée par l’Incarnation et par la Croix. Des vies totalement vouées à Dieu et sans aucune perspective de « gratification » ici-bas aident la culture contemporaine à se remettre en question. Elles constituent aussi en ce monde un témoignage de l’avènement déjà survenu du Règne de Dieu.
Mais le « radicalisme évangélique » joue encore un rôle « moteur » dans l’Église. Non seulement en raison des multiples services que rendent religieux et religieuses, mais surtout grâce aux exemples et modèles de sainteté offerts par des prêtres et des baptisés laïcs ayant prononcé des vœux. Le Peuple de Dieu s’en trouve tout entier dynamisé, et le clergé aussi bien que les fidèles.
[Don et mystère, qui nous sert de guide, ne comporte pas de réflexion structurée sur la vie consacrée. Elle y est néanmoins bien présente à travers une impressionnante série de figures appartenant à de grands ordres ou en ayant créé de nouveaux et qui ont orienté et stimulé le jeune Karol Wojtyla sur le chemin de sa vocation. Je mentionnerai pêle-mêle le saint Frère Albert, la bienheureuse sœur Faustina Kowalska, les salésiens et les carmes de Cracovie, les jésuites à Rome, le saint franciscain Maximilien-Marie Kolbe…
La confidence de ces rencontres et des expériences qu’elles ont permises suggère admirablement que,] Pour Jean Paul II, la vie consacrée reflète en quelque sorte, c’est-à-dire intègre puis rediffuse la liberté et la surabondance des dons de Dieu, sans renier aucun de ceux qui ont déjà été irréversiblement dispensés et au contraire pour en stimuler l’assimilation à travers la variété et la richesse sans cesse renouvelées des vocations et des engagements.
Cette perspective permet de dépasser largement les polémiques qui ont surgi après la publication de Vita consecrata, au sujet de la traduction du latin praecellens. Convenait-il de comprendre que l’état de vie des religieux et religieuses est « objectivement supérieur » aux autres ?
La question, à la vérité, ne se pose pas davantage qu’entre le clergé et les fidèles. Que la sainteté à laquelle est appelé le prêtre ait quelque chose de « spécial » n’enlève rien à l’authentique perfection à laquelle les laïcs sont également invités.
L’existence même de la vie consacrée illustre la même logique de gratuité et de cohérence organique non moins que spirituelle qui articule déjà la complémentarité entre le « sacerdoce commun » et le sacerdoce presbytéral, sans qu’il soit possible de parler de prépondérance de l’un ou de l’autre. Le « radicalisme évangélique » s’avère œuvrer dans une interdépendance du même genre, avec une nécessité du même ordre mystique, au bénéfice du Peuple de Dieu tout entier et du monde dont le Christ est le Sauveur.
V. Plusieurs leçons peuvent être tirées du tableau qui vient d’être tracé, [forcément à grands traits et sans doute non sans omissions, de l’enseignement considérable et de l’action du Pape depuis vingt-cinq ans dans le domaine des vocations.]
V.1. En premier lieu, Jean Paul II s’est attaqué directement et vigoureusement aux difficultés que rencontrait l’Église à ce niveau dans le dernier tiers du XXe siècle. [Il n’a donc rien ignoré de nos épreuves ni de nos tentations. Mais] il l’a fait en déplaçant résolument la problématique.
Il nous a invités à remplacer une réflexion en termes de pouvoir sur les institutions par une perception renouvelée du drame de la condition humaine, déchiffrée à la lumière du mystère qui est au cœur de la foi chrétienne : celui de la Rédemption.
En d’autres termes, le Pape a su tout recentrer sur le Christ, sans craindre de n’être pas « de son temps ». Don et mystère, une fois de plus, nous le fait comprendre. Il s’agit des prêtres, mais la remarque vaut pour tous les fidèles, en raison de la solidarité des états de vie dans l’Église et de l’unicité dans le Christ de toutes les vocations.
Jean Paul II écrit donc : « Au-delà du renouveau pastoral qui s’impose, je suis convaincu que le prêtre ne doit pas avoir peur d’être "hors du temps", parce que l’"aujourd’hui" humain de tout prêtre s’inscrit dans l’"aujourd’hui" du Christ rédempteur. Le plus haut devoir de tout prêtre est de retrouver au jour le jour son "aujourd’hui" sacerdotal dans l’"aujourd’hui" du Christ, dans cet "aujourd’hui" dont parle la Lettre aux Hébreux (13, 8) : (…) "Jésus-Christ est le même hier et aujourd’hui ; il le sera à jamais" ».
V.2. En second lieu, il est permis de noter que le Saint-Père a puisé dans la richesse de ses expériences personnelles qui sont celles de l’Église-martyre pour recueillir la richesse de la Tradition et ainsi relever les défis du troisième millénaire. Don et mystère nous apporte l’influence de son père et du cardinal Sapieha, ainsi que des religieux et religieuses qui l’avaient éclairé sur le chemin de sa vocation.
Le même texte nous donne au moins deux autres témoignages de la façon dont Jean Paul II avait déjà vécu ce qu’il nous enseigne.
Il a d’abord pris très tôt conscience de l’importance capitale de la mission des laïcs. Il confie : « À Rome (c’est-à-dire à la fin de ses études, une fois ordonné), j’eus la possibilité de comprendre plus à fond combien le sacerdoce est lié à la pastorale et à l’apostolat des laïcs (entendons, bien sûr : l’apostolat accompli par les laïcs). Entre le ministère sacerdotal et l’apostolat des laïcs, il y a un rapport étroit, et même une réelle complémentarité. En réfléchissant à ces problèmes pastoraux, je découvrais toujours plus clairement le sens et la valeur du sacerdoce ministériel lui-même ».
Cette intuition précoce s’est renforcée pendant ses débuts comme jeune vicaire, professeur et aumônier, et elle a été confirmée par Vatican II. « Lorsque le Concile, reconnaît le Pape, a parlé de la vocation et de la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde, je n’ai pu qu’en éprouver une grande joie, [car cela] répondait aux convictions qui avaient inspiré mon action dès les premières années de mon ministère ».
L’expérience de l’occupation nazie puis de la dictature communiste en Pologne lui a d’autre part donné d’éprouver directement ce que signifie humainement le sacrifice et quel sens, quelle fécondité les événements les plus tragiques peuvent recevoir à la lumière de la Rédemption. Il écrit dans Don et mystère : « Mon sacerdoce, dès son origine, s’est situé par rapport au grand sacrifice de nombreux hommes et de nombreuses femmes de ma génération. La Providence m’a épargné les expériences les plus dures. J’ai d’autant plus conscience de la dette que j’ai contractée envers les personnes connues de moi, et aussi envers celles, bien plus nombreuses, inconnues de moi, sans aucune différence de nation ou de langue, qui, par leur sacrifice sur le grand autel de l’Histoire, ont contribué à la réalisation de ma vocation sacerdotale. Elles m’ont en quelque sorte introduit sur cette route, me faisant voir que la dimension sacrificielle est la vérité la plus profonde et la plus essentielle du sacerdoce du Christ ».
V.3. Parmi les souvenirs qu’il égrène pour son jubilé sacerdotal, Jean Paul II évoque de manière poignante celui d’un de ses camarades de séminaire clandestin, qui ne reparut pas un matin pour servir avec lui la messe du « prince-archevêque ». Ce jeune homme, Jerzy Zachuta, avait été arrêté dans la nuit et devait être bientôt fusillé. Le Pape se demande encore, cinquante ans après : « Pourquoi pas moi ? ». Et il répond : « Je sais aujourd’hui que cela n’était pas dû au hasard. Dans le cadre du grand mal de la guerre, tout dans ma vie personnelle allait dans la direction du bien qu’est la vocation ». Déjà Isaïe nous donnait dans le deuxième chant du Serviteur, la clef de toute vocation : « Dans l’ombre de sa main, il m’a dissimulé ; il m’a disposé comme une flèche acérée, dans son carquois il m’a tenu caché » (49, 2).
Il nous est permis aujourd’hui de dire que Karol Wojtyla a été entraîné par sa vocation bien plus loin encore qu’il ne pouvait l’imaginer, et que la Providence qui l’a épargné il y a une soixantaine d’années le réservait en quelque sorte pour guider l’Église entière et lui faire franchir le cap périlleux du troisième millénaire de l’ère chrétienne. Nous ne pouvons qu’en rendre grâces, avec une émotion où l’émerveillement devant les dons et le mystère de Dieu le dispute à la reconnaissance filiale.
Car Jean Paul II nous guide fidèlement à la suite du Christ-Prêtre qui accomplit la Rédemption du monde en faisant naître un peuple saint. L’appel universel à la sainteté éclaire la nature du combat spirituel dans ce nouveau millénaire de l’histoire du salut. Il éclaire par là-même la grâce que Dieu fait à son Eglise de reconnaître la « haute convenance » des conseils évangéliques radicalement suivis par les prêtres ; et la grâce aussi de recevoir le charisme de la vie consacrée. Pour que l’Eglise entière réponde généreusement à la mission que le Christ lui confie jusqu’à « sa venue dans la gloire ».
[01602-03.02] [Texte original: Français]
[B0509-XX.03]