SYNODUS EPISCOPORUM «Bienheureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l'observent» PRÉSENTATION DE L'EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE VERBUM DOMINI Conférence de presse - Jeudi 11 novembre 12h00 - Salle de Presse «Comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire: “Heureuse la mère qui t’a porté dans ses entrailles, et qui t’a nourri de son lait!”. Alors Jésus lui déclara: “Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent!”»(Lc 11, 27-28). À la foule qui entend le cri d’admiration de cette femme, frappée par sa prédication, Jésus réplique: Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent. L’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise, est la reprise de cette réponse de Jésus de la part de l’Eglise, avec la conscience que celle-ci a depuis vingt siècles de rendre témoignage dans le monde et pour le monde de la Parole de Dieu. Lors du Concile Vatican II, l’Eglise exprimait de cette manière le contenu essentiel de la Révélation: «Le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis, il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie»(Cons. past. Dei Verbum, n. 2). L’Exhortation apostolique Verbum Domini reprend le même message quarante-cinq ans plus tard: «Dieu se fait connaître à nous comme Mystère d’amour infini dans lequel le Père depuis l’éternité exprime sa Parole dans l’Esprit Saint. Par conséquent le Verbe, qui depuis le commencement est auprès de Dieu et est Dieu, nous révèle Dieu lui-même dans le dialogue d’amour des Personnes divines et il nous invite à y participer»(n. 6). A. Le paradigme marial de la révélation En s’inspirant de la Parole de Dieu telle qu’elle est révélée dans sa profondeur trinitaire et christologique dans le prologue de saint Jean et dans les écrits pauliniens (VD, nn. 5- 17), l’Exhortation post-synodale développe une vision dynamique et dialogique de la Révélation, dans la perspective de la Constitution conciliaire Dei Verbum. En effet, la révélation chrétienne n’offre pas en premier lieu une information privilégiée à l’égard de Dieu, ce Dieu inconnu que toutes les religions du monde s’efforcent d’approcher à tâtons (cf. Ac 17, 23.27). La révélation chrétienne est essentiellement un appel au dialogue, une Parole créatrice d’évènement et de rencontre, dont l’Eglise fait l’expérience des ses origines. Le Pape Benoît XVI a traduit par une célèbre formule ce caractère d’évènement de la révélation: «Nous avons cru à l’amour de Dieu: — écrit le Saint-Père —c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un évènement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive» (Deus caritas est, n. 1). Le christianisme n’est donc pas le fruit d’une sagesse humaine ou d’une idée géniale, mais d’une rencontre et d’une alliance avec une Personne qui donné à l’existence humaine son orientation décisive et sa forme. Dans cette optique, la figure de la Vierge Marie qui a coopéré au mystère de l’Incarnation du Verbe, demeure le paradigme inégalable du rapport fécond de l’Église avec la Parole de Dieu. Voilà pourquoi le Saint-Père présente de manière très explicite au numéro 28 de Verbum Domini la perspective mariale formulée par le Synode: «L’attention pleine d’amour et de dévotion a la figure de Marie comme modèle et archétype de la foi de l’Eglise est d’une importance capitale pour opérer aujourd’hui aussi un changement concret de paradigme dans la relation de l’Église avec la Parole, aussi bien dans l’attitude d’écoute orante qu’à travers la générosité de l’engagement pour la mission et l’annonce». L’Exhortation Verbum Domini répond ainsi à ce dont a besoin l’Eglise en ce début de millénaire. Même si au siècle dernier la connaissance de la Parole de Dieu a progressé de manière importante, en particulier grâce aux études bibliques, à la réforme liturgique, à la catéchèse, à l’œcuménisme et à une plus large diffusion de la Parole de Dieu, il reste encore un déficit à combler en ce qui concerne la vie spirituelle du Peuple de Dieu. Celui-ci a le droit d’être davantage inspiré et nourri par une approche plus orante et plus ecclésiale des Saintes Écritures. C’est tout au moins ce que les Pères synodaux ont ressenti dans l’action de l’Esprit Saint parmi eux et qu’ils ont exprimé dans les orientations pastorales. S’il est vrai qu’il faut connaître les Ecritures pour connaître le Christ, il faut surtout prier avec les Saintes Écritures pour y rencontrer personnellement le Christ. D’où les nombreux développements de Verbum Domini sur la Liturgie, sur la lecture orante et assidue des textes sacrés, sur l’écoute et le silence, sur le partage de la foi en ce qui concerne les textes bibliques, de manière particulière ceux de la liturgie dominicale. C’est une bonne nouvelle pour les hommes et pour les femmes d’aujourd’hui qui sont sollicités par les messages opposés des puissants moyens de communication, parfois au détriment de leur recherche de sens et de bonheur. «C’est pourquoi —affirmé dès le début Verbum Domini —, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes que dans l’accueil du Verbe et dans la docilité à l’œuvre de l’Esprit Saint. C’est à la lumière de la Révélation opérée par le Verbe divin que se clarifie définitivement l’énigme de la condition humaine» (n. 6). L’homme trouve dans la rencontre avec Jésus beaucoup plus qu’un de ses enseignements comme Maître de doctrine; il trouve son amitié personnelle et personnalisante. La foi chrétienne est communion personnelle et ecclésiale avec le Verbe de Dieu né de la foi d’une femme. J’invite les lecteurs à méditer avec attention les passages substantiels sur la Vierge Marie et la Parole de Dieu qui donnent le ton à toute l’Exhortation. Marie est «Mère du Verbe de Dieu» et «Mère de la foi» (cf. VD, nn. 27-28), l’icône par excellence de la Lectio divina (cf. ibid., nn. 86-87), Marie, «Mater Verbi et Mater Laetitia» (cf. ibid., n. 124). B. Le sens spirituel des Écritures L’un des thèmes importants de l’assemblée synodale fut l’herméneutique de l’Écriture Sainte dans l’Église (cf. VD, nn. 29-49). Objet de débats enflammés et d’une intervention de référence du Saint-Père, ce thème a été repris et développé dans Verbum Domini sur près de 40 pages. Il n’est pas aisé de les résumer en quelques phrases. Disons toutefois que l’orientation donnée à l’herméneutique biblique est claire et constructive, situant la science biblique, exégétique et théologique, à l’intérieur et au service de la foi de l’Église. Les sciences sacrées, qu’elles soient philologiques, littéraires, historiques, patristiques ou théologiques de manière spéculative, ne peuvent faire abstraction de la foi de l’Église à aucun moment de leur développement et de leur méthodologie. D’où l’insistance du document postsynodal, face au «danger de dualisme» entre exégèse scientifique et théologie, sur l’unité et la complémentarité des deux disciplines et sur leur lien avec la vie spirituelle. En effet, rappelle Verbum Domini en citant la Commission pontificale biblique: «Avec la croissance de la vie dans l’Esprit croît également, chez le lecteur, la compréhension de la réalité dont parle le texte biblique» (Commission pontificale biblique, L’interprétation de la Bible dans l’Église, 15 avril 1993, II, A, 2: Ench. Vat. 13, n. 2291). «La Bible est le Livre de l’Eglise»(VD, n. 29) et son interprétation naît de la vie et de la croissance de l’Église, au point que l’on pourrait répéter avec saint Grégoire le Grand: «les paroles divines croissent avec celui qui les lit» (Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8; CCL 142, 87 (PL 76, 843 D). Dans la même veine, l’Exhortation apostolique Verbum Domini lance un appel pour un accueil renouvelé de l’«herméneutique biblique conciliaire» (VD, nn. 34-35) rappelant de manière particulière les critères fondamentaux pour rendre compte comme il se doit de la dimension divine de la Bible: «1) Interpréter le texte en tenant compte de l’unité de l’ensemble de l’Écriture — on parle aujourd’hui d’exégèse canonique; [...] 2) tenir compte ensuite de la tradition vivante de toute l’Église, 3) respecter enfin l’analogie de la foi». L’Exhortation complète ce rappel de Dei Verbum en citant le Pape Benoît XVI à l’occasion de son allocution à l’assemblée synodale: «Seulement dans le cas où les deux niveaux méthodologiques, celui de nature historique et celui de nature théologique, sont observés, on peut alors parler d’une exégèse théologique, d’une exégèse adaptée à ce livre» (Benoît XVI, Aux participants de la XIVe Congrégation générale du synode des évêques, 14 octobre 2008; cf. Proposition 26). Ces éléments sont ensuite repris plus en détail, signalant les mérites et les limites de l’exégèse historique et critique, rappelant la valeur de l’exégèse patristique et exhortant les exégètes, les théologiens et les pasteurs à un dialogue constructif pour la vie et la mission de l’Église (cf. VD, n. 45) En effet, ce qui compte à notre époque est de développer le sens spirituel des Écritures, dans la continuité de la Tradition, et dans la ligne redéfinie par la Commission pontificale biblique. Le sens spirituel des Écritures est «le sens exprimé par les textes bibliques lorsqu’on les lit sous l’influence de l’Esprit Saint dans le contexte du mystère pascal du Christ et de la vie nouvelle qui en résulte. Ce contexte existe effectivement. Le Nouveau Testament y reconnaît l’accomplissement des Écritures. Il est donc normal de relire les Écritures à la lumière de ce nouveau contexte, qui est celui de la vie dans l’Esprit» (cf. VD, n. 37, Commission pontificale biblique, ibid.; Ench. Vat. n. 2987). Cette orientation fondamentale est reprise en clôture de la section sur l’herméneutique ecclésiale des Écritures avec l’évocation de nombreux exemples de saints qui se sont laissés façonner par la Parole de Dieu dans l'histoire de l'Eglise. Il suffit de citer saint Antoine abbé, saint Benoît, saint François d’Assise et les trois célèbres Thérèse pour comprendre que «La sainteté dans son rapport à la Parole de Dieu s’inscrit ainsi d’une certaine façon dans la tradition prophétique, où la Parole de Dieu prend à son service la vie même du prophète. En ce sens, la sainteté dans l’Église constitue une herméneutique de l’Ecriture dont personne ne peut faire abstraction. L’Esprit Saint qui a inspiré les auteurs sacrés est le même qui conduit les saints à donner leur vie pour l’Évangile. Se mettre à leur école représente un chemin sûr pour entreprendre une interprétation vivante et efficace de la Parole de Dieu» (VD, n. 49). C. Questions à approfondir L’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini accueille les 55 propositions approuvées par les pères synodaux et soumises à l’attention bienveillante du Saint-Père Benoît XVI. Leur contenu a été inséré et développé dans le texte du document. Certains points doivent être étudiés ultérieurement. Par exemple, les thèmes de l’inspiration et de la vérité des Écritures que la réflexion théologique a toujours considérés «comme deux concepts clé pour une herméneutique ecclésiale des Saintes Écritures. Toutefois, nous devons reconnaître la nécessite actuelle d’approfondir de façon adéquate ces réalités, afin de pouvoir mieux répondre aux exigences relatives à l’interprétation des textes sacrés selon leur nature» (cf. VD, n. 19). Un autre thème à approfondir est le caractère sacré de la Parole de Dieu qui «peut donc favoriser une compréhension plus unifiée du Mystère de la Révélation se réalisant “par des actions et des paroles intrinsèquement liées entre elles”, qui profitera à la vie spirituelle des fidèles et à l’action pastorale de l’Église» (cf. VD, n. 56). Il faut également approfondir «le rapport entre la mariologie et la théologie de la Parole. On pourra en tirer un grand bénéfice autant pour la vie spirituelle que pour les études théologiques et bibliques»(cf. VD, n. 27). En outre, la Proposition 17 sur le ministère de la Parole et la femme est développée dans les numéros 58 et 85. A cet égard, il est affirmé: «Comme on le sait, tandis que l’Évangile est proclamé par le prêtre ou le diacre, la première et la seconde lectures, dans la Tradition latine, sont proclamées par le lecteur choisi, homme ou femme. Je voudrais ici me référer aux pères synodaux qui, encore en cette circonstance, ont souligné la nécessité de soigner par une formation adéquate l’exercice du munus du lecteur dans la célébration liturgique et, de manière particulière le ministère du lectorat qui, comme tel dans le rite latin, est un ministère laïc» (cf. VD, n. 58 ) Le vœu des pères synodaux que «le ministère du lectorat soit également ouvert aux femmes» a donc été pris en considération et le Saint-Père étudie attentivement la question. L’Exhortation post-synodale vise à renouveler la foi de l’Église dans la Parole de Dieu (cf. VD, n. 27). Elle comporte une vision dialogique, et même nuptiale, de la révélation (cf. VD, n. 51); elle comporte en outre une herméneutique ecclésiale des Écritures et souhaite un approfondissement de la relation entre la Parole de Dieu et les sacrements, et de manière particulière le sacrement de l’Eucharistie. L’Exhortation apostolique évoque, d’une part, le caractère performatif de la Parole qui naît en particulier de son lien avec les sacrements. Dans la célébration des sacrements comme dans l’histoire du salut, la Parole de Dieu — «dabar» —indique dans le même temps une Parole qui est une Action divine: «Dieu dit et fait, sa parole elle-même est vivante et énergique » (cf. He 4, 12). Ce caractère performatif de la Parole de Dieu culmine dans les paroles de la consécration eucharistique. D’où l’idée de la sacramentalité de la Parole, en analogie avec la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie (cf. VD, n. 56). «La proclamation de la Parole de Dieu dans la célébration comporte de reconnaître que c’est le Christ lui-même qui est présent et qui s’adresse à nous» (cf. Sacrosanctum concilium, n. 7) En outre, la profonde unité entre la Parole de Dieu proclamée et l’Eucharistie manifeste un caractère circulaire entre les deux pour la compréhension des Écritures: «L’Eucharistie nous ouvre à l’intelligence de la Sainte Ecriture, comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour le Mystère eucharistique. En effet, sans la reconnaissance de la présence réelle du Seigneur dans l’Eucharistie, l’intelligence de l’Écriture demeure incomplète» (cf. VD, n. 55). Éduquer le peuple de Dieu à saisir ce lien intrinsèque entre la Parole de Dieu et le sacrement l’aide également à «percevoir l’action de Dieu dans l’histoire du salut et dans l’histoire personnelle de chacun de ses membres» (cf. VD, n. 53). Tous les aspects susmentionnés restent à approfondir dans la vie de l’Église, avec la conviction profonde que celui qui lit la Bible ou écoute la Parole en priant rencontre personnellement le Christ. En effet, les Écritures sont une et la Parole de Dieu qui invite notre vie à la conversion est unique. «Toute les divines Écritures constituent un unique Livre —écrit Ugo di San Vittore — et cet unique Livre est le Christ, il parle du Christ et il trouve dans le Christ son accomplissement» (cf. VD, n. 39; De arca Noe, 2, 8; PL 176, 642 C-D). CONCLUSION Dieu parle de l’Eglise dans les Saintes Écritures pour rassembler son peuple, le nourrir de sa vie et pour l’accueillir dans sa communion. Cet appel divin est adressé à l’humanité tout entière. L’Exhortation apostolique post-synodale Verbum Domini place résolument l’accent sur la dimension divine de la Parole et propose un nouveau paradigme, dialogique et pneumatologique, inspiré du mystère trinitaire et de la réponse de la Vierge Marie. Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent. L’Exhortation post-synodale relance donc lacontemplation personnelle et ecclésiale de la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures, dans la Divine Liturgie et dans la vie personnelle et communautaire des croyants. Elle relance également l’activité missionnaire et l’évangelisation, du moment qu’elle renouvelle la conscience de l’Église d’être aimée et sa mission d’annoncer la Parole de Dieu avec audace et confiance dans la force de l’Esprit Saint. Puisse cette Exhortation tant attendue être l’objet d’un accueil authentique et en même temps enthousiaste. Card. Marc Ouellet
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