Eminents invités, chers amis journalistes!
Il y a quarante ans, j'entrai au service du Saint-Siège et parmi les premières figures qui restèrent gravées dans ma mémoire il y a celle d'un Monseigneur aimable et doux: tout le monde l'appelait dom Agostino!
Il était encore "Minutante" à la Secrétairerie d'Etat et venait à l'Académie ecclésiastique pontificale donner un cours de style diplomatique. Il arrivait toujours serein et content, parfois à pied, parfois sur sa motocyclette, et il nous introduisait à notre travail, d'abord par son style de vie, puis également par sa parole et sa plume, toujours fine et discrète. Depuis cette lointaine année de 1960, 40 ans se sont écoulés, mais son souvenir demeure toujours vivant en moi, comme chez tous ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin.
Le livre qui est aujourd'hui présenté au public nous révèle une grande passion de sa vie: rencontrer les catholiques des pays de régime communiste et contribuer ainsi à apporter sur leur terre un air nouveau de liberté. Ce n'est pas pour rien que le Pape Jean XXIII rappelait en ces années que la liberté est l'un des quatre piliers sur lesquels seule peut se fonder la coexistence humaine. En réalité, celle-ci ne peut être ordonnée et féconde que lorsqu'elle est fondée sur les piliers de la vérité, de la justice, de l'amour et sur celui tout aussi irremplaçable de la liberté.
Le titre du livre indique également bien l'esprit qui animait ce grand homme de l'Eglise, que fut le Cardinal Agostino Casaroli. Dans certains cas, la patience est véritablement un martyre. C'est accepter l'épreuve avec une âme forte. Dans une salle de la Loggia du Palais apostolique, j'ai remarqué, il y a quelques jours seulement, une représentation typique de cette vertu: il s'agit d'une femme, sur son bras tendu s'écoule la cire chaude d'une bougie. Mais la femme ne se trouble pas et continue calmement à regarder au loin.
Les vingt-cinq ans de travail silencieux et patient du Cardinal Casaroli sont un exemple de cette attitude intérieure. D'abord comme Sous-Secrétaire, puis comme Secrétaire du Conseil pour les Affaires publiques de l'Eglise, et enfin, comme Secrétaire d'Etat, il resta toujours fidèle à cette ligne d'action.
Au cours des dernières années de sa vie, je lui rendais parfois visite dans son appartement dans le Palais de l'Archiprêtre au Vatican. Un jour, il me confia son intention de réunir certaines de ses notes sur les voyages qu'il avait effectués et sur les hommes qu'il avait rencontrés. Il ne savait pas encore quel titre donner à une éventuelle publication de ces notes.
En rappelant le livre classique de Massimo D'Azeglio, je me permis pour ma part de lui suggérer le titre: "Mes souvenirs". Avec son regard doux, il esquiva en disant qu'il en désirait un qui rendrait davantage l'inspiration intérieure qui avait soutenu son travail. Je suis donc heureux du titre sous lequel sont publiées aujourd'hui ses mémoires: "Le martyre de la patience".
En diverses occasions, on me demanda à moi aussi, travaillant à la Secrétairerie d'Etat au cours des années 1968-1978, de l'aider dans certaines de ses missions. Je me souviens en particulier de la collaboration que j'ai prêtée en 1970 lors de la reprise du difficile dialogue avec le gouvernement tchécoslovaque. La dureté des interlocuteurs venus de Prague à Rome, MM. Hruza et Homola, mit à dure épreuve la profonde sérénité d'esprit de Monseigneur Casaroli et de son collaborateur, Mgr Cheli. Ce n'est pas pour rien que le chapitre du livre qui est consacré à ce douloureux épisode s'intitule: "Négociations impossibles: la Tchécoslovaquie". Ce fut une page d'histoire qui révéla que la méthode évangélique de tendre la joue gauche à celui qui t'a frappé la joue droite (Mt 5, 39) est également une méthode politiquement correcte. Elle ne le sera pas selon les canons du "Prince" de Machiavel, mais elle l'est certainement selon les principes de l'Evangile du Christ.
Un autre souvenir typique de sa fermeté sereine, même dans la grande distinction de ses traits, est lié au voyage de 1975 dans ce qui était alors la République démocratique allemande. C'est à moi qu'il revint alors de l'accompagner. La situation à Berlin-est était très tendue, mais j'eus l'occasion d'apprendre de mon Supérieur l'art ou, mieux encore, la vertu d'être patient et fort, dans toutes les circonstances difficiles de la vie.
Lorsqu'ensuite, en 1979, à la mort du regretté Cardinal Villot, Secrétaire d'Etat, Monseigneur Casaroli fut appelé à lui succéder dans cette fonction par l'actuel Souverain Pontife Jean-Paul II, il mettra à disposition du Pape toute sa longue expérience de fidèle serviteur du Saint-Siège et de véritable homme d'Eglise.
Le livre publié aujourd'hui se limite à nous transmettre certaines informations sur l'oeuvre du Cardinal Casaroli à l'égard des pays communistes de l'Europe centre-orientale. Il y aurait également tant d'autres aspects de son oeuvre à rappeler. Par exemple, au cours de la décennie où je fus Nonce apostolique au Chili, de 1978 à 1988, j'ai été le témoin de la profonde connaissance qu'il avait des problèmes de l'Amérique latine. Une grande contribution à la paix entre l'Argentine et le Chili, face à la possibilité d'un conflit entre ces deux pays en raison de la célèbre question des frontières de la zone australe, lui revient, ainsi qu'à l'Envoyé du Pape Jean-Paul II, le regretté Cardinal Antonio Samoré.
Lorsqu'ensuite, le Saint-Père me rappela à Rome en 1988, j'eus encore la chance de travailler sous la direction du Cardinal Casaroli et de jouir de ses précieux enseignements. Je me souviens en particulier des instructions qu'il me donna lorsque je me rendis à Moscou en 1989 en vue de la rencontre avec le Président Gorbatchev et avec le Ministre des Affaires étrangères Shevardnadze. Depuis ce 20 octobre 1989, alors que je me rendai au Kremlin, jusqu'à ce jour au cours duquel nous saluons M. Gorbatchev ici présent, beaucoup de choses ont changé. Mais il est juste de rappeler ceux qui ont coopéré avec patience à préparer les temps nouveaux. Cet hommage s'adresse également au Président Gorbatchev, pour son oeuvre personnelle en vue du triomphe de la liberté.
Le nom du Cardinal Agostino Casaroli demeurera pour toujours lié à l'histoire tourmentée de ce siècle et à l'activité inlassable du Siège apostolique, au service de la liberté de l'homme.
En lui resplendit l'une des figures les plus représentatives de la Curie romaine de ces derniers temps. Il nous démontre que les hommes de la Curie sont un instrument valide entre les mains des Pontifes Romains, afin que ceux-ci puissent remplir de façon appropriée leur mission dans le monde. Et, en tant que fils de la terre italienne, je suis également heureux de rappeler que cet humble prêtre de l'Eglise de Piacenza a prêté un service semblable au Souverain Pontife.
C'est le Pape Jean-Paul II qui a fait le plus bel éloge du Cardinal Casaroli le 1 décembre 1990, au moment d'accueillir la démission de son cher collaborateur pour la raison de limite d'âge.
Après avoir exalté son intense "Sen-sus Ecclesiae", uni à son non moins profond "Sensus Hominis", le Pape lui dit: "Je repense en ce moment, à la grande aide que j'ai reçue de Vous en ces années au cours desquelles l'Eglise et le monde ont connu des épisodes et des bouleversements de si grande portée. J'ai toujours pu compter sur la contribution des orientations et des suggestions que, avec un amour sincère pour le Christ et pour l'Eglise, vous m'avez offerte, dans une attitude de collaboration loyale, intelligente et dévouée" (Insegnamenti de Jean-Paul II, vol. XIII, 2, p. 1340).
Tel est le plus bel éloge que l'on pouvait faire du regretté Cardinal Agostino Casaroli: un collaborateur loyal, intelligent et dévoué du Pontife Romain.