Eminences,
Excellences,
illustres autorités,
chers membres du Mouvement des Focolari,
chers frères et sœurs
La première Lecture a reproposé à notre méditation le célèbre passage du Livre de Job. Le juste, durement éprouvé, proclame, et même crie: "Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant (...) je verrai Dieu. Celui que je verrai sera pour moi, celui que mes yeux regarderont ne sera pas un étranger" (Jb 19, 25-27). Tandis que nous adressons notre dernier salut à Chiara Lubich, les paroles de saint Job évoquent en nous le souvenir de l'ardent désir de la rencontre avec le Christ qui a marqué toute son existence, et encore plus intensément ses derniers mois et ses derniers jours marqués par l'aggravation du mal qui l'a dépouillée de toute énergie physique, dans une ascension graduelle du Calvaire terminée par le doux retour dans le sein du Père.
Chiara a parcouru les étapes finales de son pèlerinage terrestre accompagnée par la prière et par l'affection des siens qui se sont resserrés autour d'elle dans une grande embrassade sans fin. Dans le coeur de la nuit, son dernier "oui" à l'époux mystique de son âme, Jésus "abandonné-ressuscité", fut susurré mais ferme. Maintenant, tout est véritablement accompli: le rêve des débuts s'est fait vérité, son ardent désir est satisfait. Chiara rencontre celui qu'elle a aimé sans le voir, et, remplie de joie, elle peut s'exclamer: "Oui, mon rédempteur est vivant!".
La nouvelle de sa mort a suscité un large écho de condoléances dans tous les milieux, de la part de milliers d'hommes et de femmes des cinq continents, croyants ou non, puissants ou pauvres de cette terre. Le Pape Benoît XVI, qui a immédiatement fait parvenir sa bénédiction réconfortante, renouvelle à travers moi l'assurance de sa participation à la grande douleur de sa famille spirituelle.
Des représentants d'autres Eglises chrétiennes et de différentes religions se sont unis au chœur d'estime et de profonde participation. Les médias ont également mis en lumière le travail qu'elle a réalisé pour diffuser l'amour évangélique parmi des personnes de culture, de foi et de formation différentes. En effet - nous pouvons bien le dire - la vie de Chiara Lubich est un chant à l'amour de Dieu, à Dieu qui est amour.
"Qui est dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui". Combien de fois Chiara a médité ces paroles et combien de fois les a-t-elle répétées dans ses écrits, par exemple dans les "paroles de vie" auxquelles des centaines de milliers de personnes ont puisé pour leur formation spirituelle! Il n'y a pas d'autre voie pour connaître Dieu et pour donner sens et valeur à l'existence humaine. Seul l'Amour, l'Amour divin nous rend capables d'"engendrer" de l'amour, d'aimer même nos ennemis. C'est cela la nouveauté chrétienne, tout l'Evangile se trouve là!
Mais comment vivre l'Amour? Après la Dernière Cène, avant la séparation émue d'avec les Apôtres - nous l'avons réentendu il y a peu de temps - Jésus prie "pour que tous soient un". C'est donc la prière du Christ qui soutient le chemin de ses amis de toutes les époques. C'est son Esprit qui suscite dans l'Eglise des témoins de l'Evangile vivant; c'est encore Lui, le Dieu vivant, qui nous guide dans nos heures de tristesse et de doute, de difficulté et de douleur. Celui qui se fie à lui ne craint rien, ni la fatigue de la traversée d'une mer agitée, ni les obstacles et les adversités en tous genres. Celui qui bâtit sa maison sur le Christ, la construit sur le roc de l'Amour qui supporte tout, qui dépasse tout, qui l'emporte sur tout.
Le XX siècle est constellé d'astres luisants de cet amour divin. On ne devra pas se le rappeler seulement pour les merveilleuses conquêtes faites dans le domaine de la technique et de la science et pour le progrès économique qui n'a cependant pas éliminé, et a parfois même accentué la répartition injuste des ressources et des richesses entre les peuples; il ne passera pas non plus à l'histoire seulement pour les efforts déployés pour édifier la paix qui n'ont malheureusement pas empêché des crimes horribles contre l'humanité, des conflits et des guerres qui ne cessent d'ensanglanter de vastes régions du monde. Le siècle passé, même s'il n'est pas avare de contradictions, est le siècle dans lequel Dieu a suscité d'innombrables et héroïques hommes et femmes qui, alors qu'ils apaisaient les plaies des malades et des souffrants et partageaient le sort des petits, des pauvres et des derniers, dispensaient le pain de la charité qui guérit les cœurs, ouvre les esprits à la vérité, rend la confiance et l'élan à des vies brisées par la violence, l'injustice et le péché. L'Eglise a déjà déclaré certains de ces pionniers de la charité saints ou bienheureux: don Guanella, don Orione, don Calabria, Mère Teresa de Calcutta et d'autres encore.
C'est également le siècle qui a vu naître de nouveaux Mouvements ecclésiaux, et Chiara Lubich se place dans cette constellation avec un charisme qui lui est tout à fait propre et qui marque sa physionomie et son action apostolique. La fondatrice du Mouvement des Focolari, avec son style silencieux et humble, ne crée pas d'institutions d'assistance et de promotion de l'homme, mais se voue à allumer le feu de l'amour de Dieu dans les cœurs. Elle incite des personnes à être elles-mêmes amour, à vivre le charisme de l'unité et de la communion avec Dieu et avec le prochain, à répandre l'"amour-unité" en faisant d'elles-mêmes, de leurs maisons, de leur travail un "foyer" où l'amour ardent se propage de manière contagieuse et irradie tout ce qui l'entoure. Cette mission est à la portée de tous parce que l'Evangile est à la portée de chacun: Evêques et prêtres, enfants, jeunes et adultes, consacrés et laïcs, époux, familles et communautés, tous appelés à vivre l'idéal de l'unité: "Que tous ne fassent plus qu'un!". Dans le dernier entretien qu'elle a accordée et qu'on a pu lire précisément dans les derniers jours de son agonie, Chiara affirme que "la merveille de l'amour réciproque est la sève vitale du Corps mystique du Christ".
Le Mouvement des Focolari s'emploie à vivre à la lettre l'Evangile, "la révolution sociale la plus puissante et la plus efficace" et à partir de lui se sont mis en place les mouvements "Familles Nouvelles" et "Humanité nouvelle", la maison d'édition Città Nuova, la citadelle de Loppiano et d'autres citadelles de témoignages dans différents continents, et des branches laïques comme, par exemple, les "Volontaires de Dieu". Sa courageuse ouverture oecuménique et la recherche du dialogue avec les religions trouvèrent un terrain fertile dans le climat de renouveau suscité par le pontificat du Pape Jean XXIII et par le Concile Vatican II. Durant les années de la contestation des jeunes, le mouvement Gen regroupa des milliers de jeunes en les fascinant par l'idéal de l'amour évangélique, en élargissant ensuite leur propre rayon d'action avec les "Giovani per un mondo unito". Chiara voulut proposer l'Evangile dans son intégralité également aux enfants, aux adolescents pour lesquels le mouvement "Ragazzi per l'unità" fut fondé. Au Brésil, pour lutter contre les conditions de vie des habitants des périphéries des métropoles, elle lança le projet d'une "économie de communion dans la liberté", en concevant une nouvelle théorie et de nouvelles pratiques économiques basées sur la fraternité, pour un développement durable au bénéfice de tous. Puisse le Seigneur vouloir que tant de chercheurs et d'opérateurs économiques s'intéressent à l'économie de communion comme une ressource sérieuse pour la programmation d'un nouvel ordre mondial partagé! Et bien d'autres rencontres encore avec des représentants de différentes religions, des hommes politiques et du monde de la culture!
Elle voulut appeler les rencontres et les propositions d'une société renouvelée par l'amour évangélique: Mariapoli, ville de Marie. Pourquoi ville de Marie? Parce que, pour Chiara, la Vierge est "la clé la plus précieuse pour entrer dans l'Evangile". Et peut-être a-t-elle été capable, justement pour cela, de mettre en évidence dans l'Eglise, de manière efficace et constructive, son "profil marial". Elle décida de confier à Marie son œuvre en lui donnant justement son nom: Œuvre de Marie. L'Œuvre, affirmait Chiara, "restera sur la terre comme une autre Marie: tout l'Evangile, rien d'autre que l'Evangile et, puisque elle est Evangile, elle ne mourra pas". Comment alors ne pas imaginer que c'est justement la Sainte Vierge qui accompagne Chiara dans son approche de l'éternité.
Chers frères et sœurs, nous poursuivrons la célébration eucharistique en portant à l'autel nos remerciements au Seigneur pour le témoignage que nous laisse cette sœur dans le Christ, pour ses intuitions prophétiques qui ont précédé et préparé les grands changements de l'histoire et les événements extraordinaires qu'a vécu l'Eglise au XX siècle. Nos remerciements s'unissent à ceux de Chiara. Au vu de tous les dons et de tous les remerciements qu'elle avait reçus, Chiara disait que quand elle se serait présentée devant Dieu et que le Seigneur lui aurait demandé son nom, elle aurait simplement répondu: "Mon nom est MERCI. Merci, Seigneur, pour tout et pour toujours".
Il est de notre devoir, et particulièrement du devoir de ses fils spirituels, de poursuivre la mission qu'elle a commencée. Du Ciel où nous aimons à penser qu'elle a été accueillie par Jésus, son époux, elle continuera à nous accompagner et à nous aider. Ecoutons de nouveau sa voix aujourd'hui qui, alors que nous la saluons avec affection, prononce les paroles qu'elle aimait répéter si souvent: "Je voudrais que l'Œuvre de Marie, à la fin des temps, quand, unie, elle sera en attente d'apparaître devant Jésus abandonné-ressuscité, puisse lui répéter - en faisant siennes les paroles du théologien belge Jacques Leclerq qui m'émeuvent toujours - "ton jour, mon Dieu, je viendrai vers Toi... Je viendrai vers Toi, mon Dieu (...) et avec mon rêve le plus fou: te porter le monde entre mes bras"". Cela est le rêve de Chiara, qu'il soit aussi notre désir incessant: "Père, que tous soient un, pour que le monde croie". Amen!