57e CONFÉRENCE GÉNÉRALE DE L'AGENCE INTERVENTION DE MGR DOMINIQUE MAMBERTI, Vienne Mettre fin à la prolifération nucléaire
Monsieur le président, J’ai l’honneur de vous transmettre, ainsi qu’à tous les éminents participants à cette 57e Conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique, les meilleurs vœux ainsi que les salutations les plus cordiales de la part de Sa Sainteté le Pape François. Le Saint-Siège souhaite également la bienvenue au Brunei Derussalam et au Commonwealth des Bahamas et les félicite d’être entrés comme membres au sein de la famille de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Je désire également adresser des salutations et des félicitations particulières à S.E. M. Yukiya Amano, pour sa reconfirmation au poste de directeur général de l’Agence. Je vous souhaite, M. Amano, et à travers vous à toute l’Agence, un grand succès dans les années à venir. Monsieur le président, le Saint-Siège a toujours apprécié les initiatives, les efforts et les projets entrepris par l’Agence, en vue d’améliorer les conditions de vie de nombreux membres de notre famille humaine dans le monde. Depuis sa fondation, l’Agence internationale de l’énergie atomique a eu parmi ses principaux objectifs celui de « hâter et d’accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier [...] et de s’assurer, dans la mesure de ses moyens, que l’aide fournie par elle-même ou à sa demande ou sous sa direction ou sous son contrôle n’est pas utilisée de manière à servir à des fins militaires » (Statuts de l’aiea, art. 2). Parmi les principaux devoirs de l’Agence figure celui d’assurer que l’énergie nucléaire est utilisée de façon non seulement pacifique, mais également sûre. La sécurité continue d’être l’un des défis les plus importants dans l’utilisation de l’énergie nucléaire. Le Saint-Siège suit avec attention les efforts et les initiatives de l’Agence pour promouvoir et renforcer une culture mondiale de la sécurité nucléaire, à travers l’assistance dans la mise en place d’accords internationaux juridiquement contraignants, de normes de sécurité non contraignantes, ainsi que la fourniture de services pour la sécurité. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, en juillet dernier, au cours de son voyage au Brésil à l’occasion de la XXVIIIe Journée mondiale de la jeunesse, le Pape François a lancé un appel « à ceux qui possèdent plus de ressources, aux autorités publiques et à tous les hommes de bonne volonté engagés pour la justice sociale: ne vous lassez pas de travailler pour un monde plus juste et plus solidaire (...) Ce n’est pas, ce n’est pas la culture de l’égoïsme, de l’individualisme qui souvent régule notre société, celle qui construit et mène vers un monde plus habitable ; ce n’est pas celle-là, mais la culture de la solidarité ; la culture de la solidarité c’est voir dans l’autre non un concurrent ou un numéro, mais un frère. Et nous sommes tous frères ! » (Visite à la communauté de Varginha, Manguinhos, 25 juillet 2013). Dans l’esprit des paroles du Pape François et de la culture de la solidarité, je voudrais louer l’Agence pour ses activités de coopération technique, qui sont un exemple important de solidarité pratique et concrète avec les personnes dans le besoin en tenant compte du fait que c’est le bien-être de la personne humaine qui est et devrait être au centre de toute recherche et développement scientifique et jamais un moyen de parvenir à une fin. L’assistance fournie dans le domaine médical, en particulier dans le traitement du cancer et d’autres maladies non contagieuses, dans la radiologie diagnostique et dans la médecine nucléaire, aide de nombreuses personnes, en particulier dans les régions — malheureusement encore nombreuses — dans lesquelles les formes modernes de diagnostic et de soins médicaux ne sont pas encore disponibles à grande échelle, et où les populations rurales n’y ont souvent pas accès. Aller à la rencontre de ceux qui en ont besoin à travers une variété de moyens concrets d’assistance, compte parmi les aspects les plus importants du travail de l’Agence et révèle l’un des meilleurs aspects de la nature humaine. Les efforts de l’Agence dans le domaine de l’agriculture, de la lutte contre les maladies et les animaux nuisibles, de la sécurité et de la sûreté alimentaire, de l’amélioration de la fertilité du sol et de la lutte contre l’érosion du sol et la dégradation du terrain, des applications des isotopes pour explorer les ressources hydrauliques et affronter les problèmes de la pollution dans certaines grandes villes, ont apporté des résultats positifs dans de nombreux cas et devraient certainement être poursuivis. Les dernières initiatives liées à l’impact de l’acidification des océans sur l’industrie de la pêche et l’aquaculture, thème du Forum scientifique de cette année, méritent certainement tout autant d’attention. Les activités de coopération technique ne sont toutefois pas une voie à sens unique: les expériences des années passées montrent que, afin qu’elles soient fécondes à long terme, ceux qui y participent doivent adapter leurs projets à leur région, les développer ultérieurement et transmettre leurs connaissances aux pays voisins, où se présentent des problèmes semblables. De cette façon, ce genre de coopération technique, au-delà des frontières, est en mesure d’affronter des questions fondamentales qui ont un impact profond sur la situation sociale, économique et humanitaire de nombreuses sociétés, en témoignant d’un esprit authentique de solidarité et de la recherche du bien commun. Monsieur le président, cette année est célébré le cinquantième anniversaire de l’encyclique Pacem in terris du bienheureux Pape Jean XXIII. De même qu’elles étaient valides dans le cadre de la course aux armements nucléaires dans la deuxième moitié du siècle dernier, les paroles de ce document solennel et historique contiennent un message important également pour notre monde actuel. Permettez-moi de partager avec vous certaines réflexions du Pape Jean : « On a coutume de justifier les armements en répétant que dans les conjonctures du moment la paix n’est assurée que moyennant l'équilibre des forces armées (...) Que si une communauté politique est équipée d’armes atomiques, ce fait détermine les autres à se fournir de moyens similaires d’une égale puissance de destruction. Et ainsi les populations vivent dans une appréhension continuelle et comme sous la menace d’un épouvantable ouragan, capable de se déchaîner à tout instant (...) ; Qu’il y ait des hommes au monde pour prendre la responsabilité des massacres et des ruines sans nombre d’une guerre, cela peut paraître incroyable; pourtant, on est contraint de l’avouer, une surprise, un accident suffiraient à provoquer la conflagration (...). La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament par conséquent, qu’on arrête la course aux armements (...); la proscription de l’arme atomique et enfin le désarmement dûment effectué d’un commun accord et accompagné de contrôles efficaces (...). Mais que tous en soient bien convaincus: l’arrêt de l’accroissement du potentiel militaire, la diminution effective des armements et — à plus forte raison — leur suppression, sont choses irréalisables ou presque sans un désarmement intégral qui atteigne aussi les âmes: il faut s’employer unanimement et sincèrement à y faire disparaître la peur et la psychose de guerre. Cela suppose qu’à l'axiome qui veut que la paix résulte de l’équilibre des armements, on substitue le principe que la vraie paix ne peut s’édifier que dans la confiance mutuelle » (Pacem in terris, nn. 59-61). Bien que ces paroles aient été écrites il y a cinquante ans, elles semblent refléter le début du XXIe siècle, où il existe encore des Etats qui possèdent des armes nucléaires, dont tous n’ont pas signé le Traité de non-prolifération, tandis que l’éventualité d’un terrorisme nucléaire est très concrète. Nous devrions nous demander si aujourd’hui nous vivons véritablement dans un monde plus sûr et plus protégé qu’il y a quelques décennies. Monsieur le président, le Saint-Siège partage les pensées et les sentiments de la majorité des hommes et des femmes de bonne volonté qui aspirent à l’élimination totale des armes nucléaires. Nous voudrions donc saisir cette occasion pour renouveler notre appel aux responsables des nations à mettre un terme à la production d’armes nucléaires et à transférer le matériel nucléaire des objectifs militaires aux activités pacifiques. Nous avons besoin d’une adhésion universelle et inconditionnelle et de l’application du Traité de non-prolifération, ainsi que du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, qui est un instrument important pour atteindre cet objectif, au-delà de sa potentielle application civile et scientifique à travers son système de surveillance international. La sécurité mondiale ne doit pas reposer sur les armes nucléaires. En outre, le Saint-Siège, ayant signé le protocole additionnel il y a quelque temps, entend soutenir cet important instrument juridique, visant à garantir une plus grande transparence internationale. Dans cette perspective, nous devons reconnaître que l’activité centrale de vérification devient toujours plus importante dans les efforts de la communauté internationale visant à prévenir la prolifération des armes nucléaires. Il est important que les vérifications soient réalisées à travers des inspections internationales impartiales, car seules ces activités peuvent engendrer une crédibilité et produire de bons résultats. Toutefois, pour rendre le monde plus sûr, il ne suffit pas de contrôler la situation actuelle dans le domaine nucléaire: nous devons apporter une nouvelle vigueur au processus de désarmement nucléaire, y compris un progrès authentique dans le démantèlement des armes nucléaires. Le désarmement nucléaire et la non-prolifération sont fondamentaux également du point de vue humanitaire. A l’occasion de la première et de la deuxième session du Comité préparatoire pour la Conférence de révision du Traité de non-prolifération de 2015, le Saint-Siège a été parmi les promoteurs de la déclaration commune sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, en exprimant sa profonde préoccupation pour les conséquences humanitaires catastrophiques de l’éventuelle utilisation de ces armes. Dans ce contexte, nous voudrions féliciter le gouvernement norvégien pour avoir accueilli, en mars dernier, une conférence sur ce thème qui mérite une considération attentive et un plus grand engagement de la part de tous, et nous accueillons avec plaisir la proposition du gouvernement mexicain d’organiser une rencontre pour poursuivre le débat sur ce thème extrêmement important. Monsieur le président, ma délégation désire souligner la profonde préoccupation du Saint-Siège pour les récents développements tragiques au Moyen-Orient, et réitère son profond soutien aux efforts en vue d’instituer une zone au Moyen-Orient exempte d’armes nucléaires et de toutes les autres armes de destruction de masse. Les zones exemptes d’armes nucléaires sont le meilleur exemple de confiance et de sécurité, et l’affirmation que la paix et la sécurité sont possibles sans posséder d’armes nucléaires. En outre, la conclusion, de la part de tous les Etats de cette région, des accords de garanties généralisées et protocoles, constituerait une contribution importante à la sécurité de la région tout entière. En ce qui concerne les développements les plus récents dans les négociations sur le programme nucléaire de l’Iran, ma délégation désire répéter que le Saint-Siège est fermement convaincu que les difficultés actuelles peuvent et doivent être surmontées à travers les voies diplomatiques, en utilisant tous les moyens à disposition de la diplomatie, et considère comme nécessaire de surmonter les divers obstacles qui empêchent objectivement la confiance réciproque. Monsieur le président, au carrefour difficile dans lequel se trouve l’humanité — un carrefour caractérisé par une interdépendance toujours plus forte au niveau économique, politique, social et environnemental — il faut se poser la question: l’utilisation de la force constitue-t-elle une solution durable dans le temps ? Elle semble de fait uniquement accroître la méfiance réciproque et renvoyer à un sens déformé des priorités, qui engage des ressources importantes de façon peu clairvoyante. La tentation d’affronter des situations nouvelles à travers des systèmes anciens doit être repoussée. Nous devons redéfinir les priorités et les hiérarchies des valeurs sur la base desquelles mobiliser les ressources en vue d’objectifs de développement moral, culturel et économique, car le développement, la solidarité et la justice ne sont autre que le véritable nom de la paix, d’une paix durable dans le temps et dans l’espace. Merci, Monsieur le président.
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