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RÉUNION DE HAUT NIVEAU DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE SUR L'ÉTAT DE DROIT AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL
INTERVENTION DE S.Exc. Mgr DOMINIQUE MAMBERTI, SECRÉTAIRE POUR LES RELATIONS AVEC LES ÉTATS ET CHEF DE LA DÉLÉGATION DU SAINT-SIÈGE À LA 67e SESSION ORDINAIRE DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE L'ONU
Siège des Nations unies, New York Lundi 24 septembre 2012 Monsieur le président, Comme le souligne à juste titre le rapport du secrétaire général (A/66/749, 1), l’humanité affronte actuellement une situation riche de défis et de difficultés. D’un côté, on assiste à un progrès scientifique toujours surprenant et rapide, avec l’accès croissant de nombreuses personnes à l’éducation et au bien-être économique, ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs et puissances mondiales; de l’autre, la crise financière mondiale, qui aggrave certaines situations d’urgences humanitaires et environnementales ne semble pas encore terminée, et pourrait même bien susciter de nouveaux et dangereux conflits. Dans ce contexte, la progression efficace de l’Etat de droit (rule of law) par tous les moyens devient une tâche particulièrement urgente en vue d’une gouvernance mondiale juste, équitable et efficace. Faisant écho au préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui affirme «qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit», le rapport du secrétaire général et la déclaration adoptée ce matin par cette assemblée partent de l’affirmation fondamentale selon laquelle toutes les personnes physiques, les institutions privées et publiques, les Etats et les organisations internationales doivent être soumis à des lois «justes et équitable» (cf. Déclaration). Ces documents réaffirment le lien indissociable entre l’Etat de droit et le respect des droits humains, tout en soulignant dans le même temps que, pour gouverner de manière légale, sont nécessaires des règles constitutionnelles concernant l’activité législative, le contrôle judiciaire des lois et du pouvoir exécutif, de même que la transparence dans les actes de gouvernement et l’existence d’une opinion publique capable de s’exprimer librement. Dans cette perspective générale, l’application de l’Etat de droit concerne tous les domaines de la vie sociale. Tout en exprimant son appréciation pour ces affirmations, le Saint-Siège désire avant tout souligner le besoin d’aller au-delà d’une simple définition des procédures qui garantiront une origine démocratique des normes et un consensus de base de la part de la communauté internationale, afin de mettre à jour et de rendre efficaces les principes fondamentaux de la justice contenus dans le préambule de la Charte des Nations unies et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Citons ici: la dignité inaliénable et la valeur de chaque personne humaine, précédant toute loi ou consensus social; l’égalité des droits des nations et le respect des traités et des autres sources du droit international. Le respect formel à lui seul ne suffit pas à garantir un Etat de droit national et international efficace. Ce n’est qu’en dépassant une telle définition que les institutions nationales et internationales peuvent éviter de subir des manipulations et des contraintes qui interfèrent dans la vie des citoyens privés. La complexité croissante de la vie quotidienne engendre également, de façon presque inévitable, une prolifération de normes et de procédures, susceptibles à leur tour de multiplier les applications et les interprétations, allant jusqu’à entrer en contradiction entre elles et à mettre en danger la certitude de la loi elle-même. Une telle dérive vide l’Etat de droit de toute dimension pratique. La fragmentation de la phénoménologie juridique devient alors parfois un miroir et un symptôme de visions anthropologiques partielles ou excessivement analytiques, qui affaiblissent et remettent en cause la conception unifiée et intégrale de la personne. Le désordre juridique, d’un côté, et la réduction anthropologique, de l’autre, compromettent l’objectif ultime et essentiel de toute loi: promouvoir et garantir la dignité de la personne humaine. Lorsque manquent des critères objectifs pouvant servir de base et d’orientation à l’activité législative, l’affirmation de l’Etat de droit (rule of law) est réduite à une tautologie stérile, à un simple «gouvernement de règles» (rule of rules; cf. Benoît XVI, Discours au Bundestag, 22 septembre 2011); et la création de nouvelles lois, bien que produites par des systèmes pouvant être qualifiés de démocratiques, peut facilement devenir l’expression de la volonté de quelques-uns. Afin d’éviter de telles dérives dangereuses, l’Etat de droit doit se fonder sur une vision unifiée et complète de l’homme, qui tient compte de la complexité et de la richesse des relations entre les personnes, et qui garantit la certitude et la stabilité des relations juridiques établies au sein des communautés au moyen d’un ensemble globalement harmonieux de règles et d’institutions. L’Etat de droit est également menacé lorsqu’il est assimilé à une mentalité légaliste, à une adhésion formelle et inconditionnelle à des lois et des règles, dans une attitude qui peut même paradoxalement dégénérer dans un instrument d’abus de la dignité humaine et des droits des personnes, des communautés et des Etats, comme cela a été le cas au cours des régimes totalitaires du XXe siècle. De plus, dans l’expression «Etat de droit», le concept de «droit» devrait être compris comme «justice» — ce qui est juste, ce qui est une chose juste, un élément propre et inaliénable à la nature de chaque être humain et des groupes sociaux fondamentaux, comme la famille et l’Etat. Alors comment faut-il comprendre ce qui est «juste», une «chose juste»? En référence aux nombreuses questions anthropologiques sous-jacentes, ce qui est juste et peut devenir droit en vigueur n’est plus évident. La question de savoir comment reconnaître ce qui est véritablement juste et servir ainsi la justice dans la législation n’a jamais été simple et aujourd’hui, dans l’abondance de nos connaissances et de nos capacités, cela est devenu encore plus difficile (ibid.). Les conquêtes et les déclarations sur les droits humains, en particulier ceux enracinés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, nous offrent d’importants points de référence dans ce sens, mais ils ne suffisent pas en eux-mêmes s’ils ne sont pas lus dans l’esprit dans lequel ils ont été formulés et dans leur contexte historique. En effet, le préambule et le premier article de la Charte des Nations unies, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme, sont le résultat d’un long processus juridique et politique, qui a commencé par la rencontre de la raison théorique et philosophique de la culture grecque avec la raison juridique et pratique des Romains, auxquelles se sont ajoutés d’autres éléments, comme la sagesse judéo-chrétienne, les lois d’autres peuples européens, le droit canonique et ses développements, les œuvres de philosophes juifs, arabes et chrétiens au moyen-âge et à la Renaissance, et enfin, la contribution de la pensée du siècle des Lumières et des développements politiques produits par les Révolutions du XVIIIe siècle. C’est ainsi que s’est élaboré un statut des droits fondamentaux de l’homme, reconnaissable également par les cultures non-européennes et non-méditerranéennes, qui, après les guerres tragiques du XXe siècle, a été adopté par la communauté internationale comme référence juridique fondamentale pour la reconnaissance de la légitimité de toute activité juridique ou politique. Ce n’est qu’à la lumière de cet édifice complexe, riche et articulé, qui est à la fois historique, juridique et philosophique, que les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine peuvent et doivent être reconnus comme l’essence du droit, et auquel les règles doivent faire référence. Dans son deuxième paragraphe, le préambule de la Charte des Nations unies souligne le besoin de «proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme». Le terme «foi» indique habituellement ce qui est transcendant, quelque chose qui ne dépend pas des sentiments, des concessions, des reconnaissances ou des accords. Il peut toutefois être compris par la pensée philosophique, un processus au cours duquel nous nous posons des questions sur le sens de l’existence humaine et de l’univers et sur ce qui offre une base véritable et solide à l’Etat de droit, dans la mesure où nous sommes capables de comprendre l’existence de la nature humaine qui précède et est supérieure à toutes les théories et constructions sociales, que la personne et les communautés doivent respecter et ne doivent pas manipuler selon leur bon plaisir. L’homme n’est pas simplement une liberté qui se crée elle-même. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est également nature, et sa volonté est juste lorsqu’il respecte sa nature, l’écoute et s’accepte lui-même pour ce qu’il est, comme quelqu’un qui ne s’est pas créé lui-même. C’est ainsi, et seulement ainsi que se réalise la véritable liberté humaine (ibid.), et ce n’est qu’ainsi que nous pouvons parler véritablement d’Etat de droit. Au contraire, comme nous l’avons expliqué, une raison positiviste exclut et n’est pas capable de concevoir tout ce qui va au-delà de ce qui est fonctionnel, et peut dans le meilleur des cas donner naissance à un «gouvernement de règles» (rule of rules), un système de normes et de procédures construit uniquement sur des raisons pragmatiques et utilitaristes; une tautologie qui, dans la mesure où elle est privée de valeurs permanentes, est susceptible d’être manipulée. D’autre part, la foi dans la dignité transcendante de la personne humaine, ou mieux, la reconnaissance de sa transcendance, devient la clé fondamentale et indispensable pour comprendre les droits codifiés dans les documents fondateurs des Nations unies et un guide sûr pour leur protection et promotion concrète. On sait bien qu’au niveau international, il existe des groupes d’intérêt, qui, au moyen de procédures officiellement légales, réussissent à influencer les politiques des Etats, afin d’obtenir des normes multilatérales qui non seulement ne peuvent pas servir le bien commun, mais qui, sous couvert de la légitimité, sont en réalité des abus contre les normes et les recommandations internationales, comme on l’a constaté au cours de la récente crise financière. De la même manière, on connaît bien également la tentative de promouvoir, au nom de la démocratie, une vision matérialiste de la personne humaine, unie à une vision mécanique et utilitariste de la loi. C’est ainsi que, en dépit de l’apparent Etat de droit, la volonté du puissant prévaut sur celle du plus faible: les enfants, les bébés à naître, les porteurs de handicap, les pauvres, ou, comme c’était le cas lors de la crise financière, les personnes privées des informations correctes au juste moment. Au contraire, la valeur transcendante de la dignité humaine offre un fondement stable à l’Etat de droit parce qu’elle correspond à la vérité de l’homme comme créature de Dieu; tout en permettant dans le même temps à l’Etat de droit de poursuivre son véritable objectif, c’est-à-dire la promotion du bien commun. Ces conclusions conduisent aux prémisses incontournables selon lesquelles le droit à la vie de tout être humain, à tous les stades de son développement biologique, de la conception jusqu’à la mort naturelle, doit être considéré et protégé comme une valeur absolue et inaliénable, préalable à l’existence de tout Etat, de tout groupe social et indépendante de toute reconnaissance officielle. A ce fondement de l’Etat de droit doivent être ajoutés toutes les autres composantes des droits humains, sans distinction, telles qu’elles sont prévues par le principe d’indivisibilité, selon lequel «la promotion intégrale de toutes les catégories de droits de l'homme est la vraie garantie du plein respect de chacun des droits individuels» (Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la paix, 1993, n. 3). Il s’agit d’un principe qui est lié à son tour à l’universalité, ce qui permet ainsi d’affirmer que la promotion intégrale de toutes les personnes, sans exception de temps ni de lieu, est la véritable garantie du plein respect de tous. Tous les autres droits humains fondamentaux sont naturellement liés à la dignité humaine, en tant que norme fondamentale, et donc à l’Etat de droit, et incluent le droit d’avoir un père et une mère, le droit d'établir et de fonder une famille, le droit de grandir et d'être éduqué dans une famille naturelle, le droit des parents à éduquer leurs enfants, le droit au travail et à la redistribution équitable de la richesse produite, le droit à la culture, à la liberté de pensée et à la liberté de conscience. Parmi ces droits, la liberté de religion mérite une mention particulière. La réponse aux grandes questions de notre existence, la dimension religieuse de l’homme, la capacité de s’ouvrir au transcendant, seul ou avec les autres, constitue une part essentielle de chaque personne et, dans une certaine mesure, peut être identifiée à sa liberté même. Le droit de «chercher la vérité en matière religieuse» (Concile Vatican II, Dignitatis humanae, n. 3) sans contrainte et en toute liberté de conscience, ne doit pas être traité par les Etats avec suspicion ou comme quelque chose simplement à autoriser ou à tolérer. Au contraire, la garantie d’une telle liberté, indépendamment de son utilisation réelle, est un fondement inaliénable de l’Etat de droit pour les croyants et les non-croyants. Monsieur le président, face à des défis anciens et nouveaux, la convocation de la réunion de haut niveau sur l’Etat de droit est une occasion importante de réaffirmer notre volonté de trouver des solutions politiques applicables à un niveau global, à l’aide d’un système juridique solidement fondé sur la dignité et sur la nature de l’humanité, c’est-à-dire sur le droit naturel. Il s’agit là de la meilleure voie à parcourir si nous voulons réaliser les grands projets et l’objectif de la Charte des Nations unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui demeurent actuels au moyen des divers traités sur les droits humains, le désarmement, dans la codification des grands principes du droit international, et dans le rassemblement et les progrès accomplis dans les normes du droit humanitaire. Il sera possible d’aller de l’avant si, tout en travaillant à travers des organismes toujours plus spécialisés, notamment dans le domaine économique et financier, les Nations unies demeurent un point de référence central pour la création d’une véritable famille des nations, dans laquelle l’intérêt unilatéral des plus puissants ne prévaut pas sur les besoins des plus faibles. Tout ceci sera possible si la législation au niveau international se fonde sur le respect de la dignité de la personne humaine, à partir du caractère central du droit à la vie et à la liberté religieuse. Merci, Monsieur le président. |