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INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE À GENÈVE, LORS DE LA XIIIe SESSION ORDINAIRE DU CONSEIL DES DROITS DE L'HOMME SUR LE THÈME DE LA LUTTE CONTRE L'INTOLÉRANCE RELIGIEUSE INTERVENTION DE S. Exc. MGR SILVANO M. TOMASI OBSERVATEUR PERMANENT DU SAINT-SIÈGE AUPRÈS DU BUREAU DES NATIONS UNIES ET DES INSTITUTIONS SPÉCIALISÉES À GENÈVE Genève Mardi 23 mars 2010 Monsieur le président, Les épisodes croissants de dérision de la religion, de manque de respect pour les personnalités et les symboles religieux, de discrimination et de meurtres de fidèles de minorités religieuses, ainsi qu'une vision générale négative de la religion dans le domaine public, nuisent à la coexistence pacifique et blessent les sentiments d'une grande partie de la famille humaine. Ces épisodes soulèvent des questions politiques et juridiques en ce qui concerne la façon et la mesure dont l'application des droits humains, en particulier le droit à la liberté religieuse, devrait protéger les personnes dans l'exercice personnel et communautaire de leur foi et de leurs convictions. La protection du droit à la liberté religieuse est particulièrement importante, étant donné que les valeurs religieuses sont un pont vers tous les droits humains; elles permettent à la personne de s'orienter vers ce qui est vrai et réel. La dignité humaine, en effet, est enracinée dans l'unité des dimensions spirituelle et matérielle de la personne. L'appartenance à une communauté, à une culture et à une religion fait également partie de l'expérience humaine, bien que celles-ci demeurent au service du développement intégral de la personne, qui constitue la base de l'universalité des droits humains. C'est pourquoi la préoccupation légitime d'empêcher la dérision ou les insultes à l'égard de la religion devra tenir compte de l'interdépendance – qui découle de la relation naturelle de la personne humaine avec les autres, – entre la personne et la communauté. Etant donné que les systèmes de croyances sont différents et même en opposition entre eux, la justification de leur respect devra découler d'une base universelle qui est la personne humaine. Les obligations de la société suivront en conséquence. La Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que d'autres instruments des droits humains apporteront à cet égard des orientations claires. Une législation adaptée devrait donc être orientée vers l'objectif du bien commun, et devrait être fondée sur des valeurs, des principes et des règles qui reflètent la nature humaine et qui font partie de la conscience de la famille humaine, plutôt que sur telle ou telle religion, tout en tenant compte de toutes les implications de la liberté d'expression et de religion. Le respect des droits de chacun à la liberté religieuse ne requiert pas la sécularisation totale du domaine public, ni l'abandon de toutes les traditions culturelles, pas plus que le respect de la liberté d'expression n'autorise le manque de respect pour les valeurs communément partagées par une société particulière. Un cadre juridique qui protège le bien commun et l'égalité des citoyens dans des sociétés de plus en plus pluralistes, implique que les systèmes de normes qui s'appliquent aux croyants ne doivent pas être imposés aux fidèles d'autres religions ou aux non-croyants, sinon les droits humains et le droit à la liberté religieuse pourraient devenir un instrument politique de discrimination plutôt qu'un instrument pour favoriser les relations interpersonnelles éthiques. L'Etat ne peut pas non plus devenir un arbitre de rectitude religieuse en décidant de questions théologiques ou doctrinales: cela représenterait une négation du droit à la liberté de religion. Les instruments juridiques obligatoires actuels, tant nationaux qu'internationaux, s'ils sont correctement appliqués, peuvent apporter un remède aux attaques gratuites contre les religions et les croyances, à travers l'application de mesures qui protègent le bien commun et l'ordre public. Les débats actuels sur l'opportunité ou non d'établir de nouveaux instruments afin d'empêcher la discrimination et l'intolérance religieuse, peuvent être l'occasion d'examiner à nouveau la proposition d'une convention sur la liberté de religion. Cette tâche a été interrompue il y a de nombreuses années, et elle pourrait rassembler les arguments suggérés par les nouvelles formes de pluralisme dans la société ainsi qu'une compréhension plus précise de la dignité humaine. La délégation du Saint-Siège, d'autre part, est également convaincue qu'un bon chemin conduisant à la coexistence pacifique pourrait être représenté par une attitude plus positive à l'égard des religions et des cultures. On peut y parvenir à travers un meilleur dialogue entre les religions et les cultures, une promotion sincère du droit à la liberté de religion sous tous ses aspects, et un débat franc et ouvert entre les représentants des différents systèmes de croyance, comme le garantit le droit à la liberté d'expression. Combattre les comportements blessants à l'égard de la religion en s'éloignant du caractère universel découlant de notre humanité commune et en s'en remettant à la discrétion de l'Etat, en introduisant un vague concept de « diffamation » dans le système des droits humains, ne peut promouvoir de solution efficace et satisfaisante. Il existe également le risque supplémentaire que l'interprétation de ce que comporte la diffamation puisse changer selon l'attitude du censeur à l'égard de la religion ou de la croyance, et cela souvent, de façon tragique, aux dépens des minorités religieuses. C'est malheureusement le cas dans les Etats qui ne font pas la distinction entre les affaires civiles et religieuses, et qui s'identifient à une religion particulière, ou à une certaine secte au sein de cette religion, et interprètent la notion de diffamation selon les convictions de la religion ou des croyances auxquelles ils adhèrent, discriminant ainsi de façon inévitable les citoyens qui ne partagent pas les mêmes convictions. L'expérience des législations nationales qui appliquent les concepts tels que la « diffamation de la religion » permet de dire qu'un éventuel instrument international sur la diffamation de la religion ne fera qu'aboutir à une oppression supplémentaire des minorités religieuses, comme cela est précisément apparu dans ces pays. Monsieur le président, en conclusion, le Saint-Siège appelle les pays membres de cet éminent Conseil à transformer ces regrettables incidents d'intolérance religieuse et la culture qui les sous-tend en une occasion d'engagement renouvelé au dialogue et à la réaffirmation du droit et de la valeur d'appartenir à une communauté de foi ou de croyance. Un tel choix individuel, toutefois, en tant qu'expression des droits humains personnels fondamentaux, doit être exercé dans le contexte du bien commun. Merci, Monsieur le président. ___________________________________________________________________________ Archbishop Silvano TOMASI, C.S., Statement at the 13rd Session of the Human Rights Council (Agenda item 9: racism, racial Discrimination, Xenophobia and Related Forms of Intolerance, Follow-up and Implementation of the Durban declaration and Programme of Action) 23 March 2010 Mr. President, Increasing instances of ridiculing religion, of lack of respect for religious personalities and symbols, of discrimination and killings of followers of minority religions, and a generalized negative consideration of religion in the public arena damage peaceful coexistence and hurt the feelings of considerable segments of the human family. These occurrences raise political and juridical questions regarding the way and the extent the implementation of human rights, and specifically the right to religious freedom, should protect people in their personal and collective exercise of faith and convictions. The protection of the right to religious freedom is particularly important since religious values are a bridge for and to all human rights; they allow the person to orient himself or herself to what is true and real. Human dignity, in fact, is rooted in the unity of the spiritual and material components of the person. Belonging to a community, culture and religion is also part of the human experience although these remain at the service of the integral development of the person, that constitutes the base of the universality of human rights. The legitimate concern, therefore, to prevent derision or insult to religions will have to take into account the interdependence - which comes from the natural relationship of the human person to others - between the individual and the community. Since belief systems are diverse and even in contrast among themselves, the justification for their respect will have to come from a universal foundation that is the human person. The obligations of society will derive accordingly. The UDHR and other human rights instruments provide a clear direction. Pertinent legislation, therefore, should be oriented to achieve the common good and should be based on values, principles and rules that reflect human nature and are part of the conscience of the human family rather than on one or the other religion, while taking into account the full implications of freedom of expression and religion. The respect of everyone’s right to religious freedom does not require the complete secularization of the public sphere or the abandonment of all cultural traditions nor does the respect of freedom of expression authorize lack of respect for the values commonly shared by a particular society. A legislative framework that protects the common good and the equality of citizens in increasingly pluralistic societies implies that the normative systems applicable to believers must not be imposed on followers of other religions and on non-believers, otherwise human rights and the right to religious freedom can become a political tool for discrimination rather than a tool for ethical interpersonal relations. Nor can the State become an arbiter of religious correctness by deciding on theological or doctrinal issues: it would be the denial of the right to freedom of religion. Present binding international and national juridical instruments, if properly applied, can remedy the gratuitous offenses to religions and belief through the enactment of measures that safeguard the common good and public order. Current debates on the convenience or inconvenience of new instruments to prevent discrimination and religious intolerance may offer the opportunity to revisit the proposal for a convention on freedom of religion. This task was left unfinished many years ago. and it would bring together the arguments prompted by the new forms of societal pluralism and a more accurate understanding of human dignity. The Delegation of the Holy See, on the other hand, is also convinced that a good road leading to peaceful coexistence is a more positive attitude towards religions and cultures. This can be achieved through an improved dialogue between the different faiths, a sincere promotion of the right to freedom of religion in all its aspects, and a frank and open discussion between representatives of the different belief-systems, as guaranteed by the right to freedom of expression. Combating offensive attitudes towards religion by moving away from the universality provided by our common humanity and relying on the discretion of the State by introducing a vague concept of "defamation" into the human rights system, do not support an effective and satisfactory solution. There is the additional real risk that the interpretation of what defamation entails may change according to the censor’s attitude towards religion or belief, often at the tragic expense of minorities. This unfortunately is the case in those States that do not distinguish between civil and religious matters and identify with a particular religion, or with a certain sect within that religion, and interpret defamation according to the convictions of the religion or beliefs they adhere to, thus inevitably discriminating against those citizens who do not share the same convictions. The experience with national legislations that apply such concepts as ‘defamation of religion’ suggests that a possible international instrument on defamation of religion will only lead to further oppression of religious minorities, as can be verified in those countrie. Mr. President, in conclusion, the Holy See calls upon the member-countries of this respected Council to transform these unfortunate incidents of religious intolerance and the culture that underlies them into an opportunity for a new engagement to dialogue and for the reaffirmation of the right and value of belonging to a community of faith or belief. Such individual choice, however, as the expression of personal fundamental human rights always has to be exercised in the context of the common good. Thank you, Mr. President. |