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INTERVENTION DU SAINT-SIÈGE AU COURS DE LA 49ème SESSION DE LA COMMISSION SUR LA CONDITION DE LA FEMME (NEW YORK, 28 FEVRIER-11 MARS 2005) INTERVENTION DE Mme MARY ANN GLENDON* Lundi 7 Mars 2005 Madame le Président, 1. En 2005, les Nations unies célébreront les anniversaires de cinq moments historiques, au cours desquels la famille des nations apportera un encouragement et un élan aux femmes dans leurs efforts en vue de faire reconnaître l'égalité de leurs droits et leur dignité. Le premier, et le plus important de ces moments, eut lieu il y a exactement 60 ans. C'était au printemps 1945, et les fondateurs des Nations unies surprirent de nombreuses personnes en proclamant leur "foi... dans la dignité et la valeur de la personne humaine" et dans "l'égalité des droits des hommes et des femmes". A l'époque, il n'existait pas un seul pays dans le monde où les femmes bénéficiaient d'une pleine égalité sociale et juridique. En proposant une vision différente dans la Charte des Nations unies, des hommes et des femmes clairvoyants encouragèrent un processus qui offrit bientôt des opportunités sans précédent pour les femmes dans le monde. Au fur et à mesure que ce processus se développa, les quatre Conférences sur la Femme des Nations unies - à Mexico, Copenhague, Nairobi et Pékin - furent l'occasion, à des moments décisifs, d'évaluer les progrès accomplis et de définir de nouvelles orientations. Aujourd'hui, le principe de l'égalité est officiellement reconnu presque partout dans le monde, et a été toujours plus appliqué dans divers domaines sociaux. Toutefois, alors même que nous célébrons ces victoires importantes, les femmes doivent faire face à de nouveaux défis. Car les mêmes années qui ont vu de grandes conquêtes pour le progrès de nombreuses femmes, ont également apporté de nouvelles formes de pauvreté à beaucoup d'autres, et de nouvelles menaces à la vie et à la dignité humaines. 2. Le fait que trois-quart de la population du monde frappée par la pauvreté aujourd'hui est composée de femmes et d'enfants rappelle avec force qu'il reste encore beaucoup à faire pour les femmes. Dans les pays en voie de développement, des centaines de millions de femmes et d'enfants manquent encore d'une alimentation adéquate, d'hygiène et de soins médicaux de base. Et même dans les sociétés opulentes, le visage des pauvres est avant tout celui des femmes et des enfants car, comme le Programme d'action de Pékin l'avait souligné, il existe un lien étroit entre l'éclatement de la famille et la féminisation de la pauvreté. Les répercussions de l'augmentation rapide des divorces et des parents célibataires sont retombées lourdement sur les femmes, et plus encore sur les femmes ayant fait des sacrifices personnels pour prendre soin de leurs enfants et des autres membres de la famille. 3. Il y a dix ans, le Programme d'action de Pékin a proclamé que "la clé pour faire sortir les femmes et leur famille de la pauvreté est l'éducation". Le Saint-Siège, fort de sa sollicitude de longue date en vue de l'éducation des femmes et des jeunes filles, constate donc avec préoccupation que les améliorations dans ce domaine ont été lentes et que les jeunes filles forment encore la majorité des plus de 100 millions d'enfants en âge d'être scolarisés qui ne sont pas inscrits à l'école (1). Tant que les conditions ne seront pas réunies pour que chaque jeune fille développe pleinement son potentiel humain, non seulement le progrès des femmes sera empêché, mais l'humanité sera privée de l'une de ses plus grandes ressources inexploitées d'intelligence et de créativité. 4. De plus, nous constatons qu'une nouvelle ombre menace le chemin des femmes, due au changement de la pyramide des âges de la population mondiale. L'effet combiné de l'augmentation de la durée de vie, de la chute du taux de natalité, de l'augmentation des dépenses de santé et du manque de personnel d'assistance donne déjà lieu à des tensions entre les générations les plus jeunes et les plus anciennes. Ce changement dans le pourcentage des personnes à charge suscite de graves questions quant au bien-être à venir des personnes âgées fragiles, et en particulier des femmes qui, ayant une espérance de vie plus longue, représentent un pourcentage élevé des personnes âgées à charge, et sont davantage susceptibles d'être frappées par la pauvreté. Dans un monde qui se préoccupe de moins en moins de protéger la vie humaine, à ses étapes les plus fragiles, c'est-à-dire au début et à son terme, les femmes les plus âgées sont particulièrement vulnérables. 5. Dans sa Déclaration finale à la Conférence de Pékin, le Saint-Siège a exprimé sa crainte que les sections des documents de Pékin relatifs aux femmes touchées par la pauvreté ne demeurent des promesses vaines, à moins d'être soutenues par des programmes correctement conçus et accompagnés par des engagements financiers. Aujourd'hui, au vu des inégalités croissantes des richesses et des chances, nous sommes contraints de soulever à nouveau cette préoccupation. Les récentes conclusions du Projet des Objectifs du Millénaire des Nations unies, ainsi que les observations directes provenant de plus de 300.000 organismes d'éducation catholique, de service médical et d'assistance, au service principalement des personnes les plus marginalisées, confirment que les craintes que nous avons exprimées en 1995 continuent d'être fondées. 6. Madame le Président, ce qui fait de la plaie des femmes les plus défavorisées dans le monde un scandale autant qu'une tragédie, est que, pour la première fois dans l'histoire, l'humanité a enfin les moyens de combattre la faim et la pauvreté. Des programmes d'action réalisables, tels que ceux établis dans les Objectifs de Développement pour le Millénaire, ont déterminé des mesures qui, si elles sont prises, pourraient sortir de leurs situations d'extrême pauvreté plus de 500 millions de personnes d'ici 2015. Mais le progrès dans ce but a déjà revu à la baisse les objectifs établis. Il est évident que les objectifs et les programmes d'action ne suffisent pas. Ce qui est nécessaire, comme le Pape Jean-Paul II l'a récemment souligné est "une vaste mobilisation morale de l'opinion publique [...] en particulier dans les pays bénéficiant d'un niveau de vie suffisant ou même aisé" (2). A cet égard, Madame le Président, le Saint-Siège désire profiter de cette occasion pour réaffirmer son engagement de longue date dans le domaine de l'éducation et de la santé des femmes et des jeunes filles, et assurer qu'il redoublera d'efforts pour réveiller les consciences des personnes les plus privilégiées. 7. Enfin, Madame le Président, alors que le progrès des femmes suit son cours, nous désirons soulever un autre problème auquel aucune société n'a encore apporté de solution satisfaisante. L'application du principe d'égalité aux conditions réelles d'existence de la majorité des femmes - mères et autres femmes qui ont donné la priorité à leurs fonctions maternelles - continue de représenter un défi. La question d'harmoniser les aspirations des femmes à une meilleure participation à la vie sociale et économique à travers leur rôle dans la vie de famille est un problème que les femmes elles-mêmes sont tout à fait capables de résoudre seules. Mais ce problème ne pourra pas être résolu sans certains changements importants, et on pourrait même dire radicaux, dans la société. En premier lieu, les responsables politiques doivent écouter davantage le jugement que les femmes se font de ce qui est important pour elles, plutôt que celui des groupes d'intérêt particuliers qui prétendent parler au nom des femmes, mais qui souvent, n'ont pas véritablement à coeur le bien de celles-ci. En second lieu, le travail à la maison, qu'il soit rétribué ou pas, doit recevoir le respect qu'il mérite en tant qu'il constitue l'une des formes les plus importantes de travail humain. Troisièmement, le travail rétribué doit être structuré de telle façon que les femmes n'aient pas à payer leur sécurité et leur promotion au détriment du rôle dans lequel plusieurs millions d'entre elles trouvent leur plus grande réalisation (3). En résumé, le problème ne sera pas résolu tant que les valeurs humaines ne prévaudront pas sur les valeurs économiques. Nul ne peut nier, Madame le Président, que ces mesures exigeraient de profonds changements d'attitudes et d'organisation (4). Mais ce fut une transformation culturelle tout aussi profonde que les Nations unies envisagèrent il y a soixante ans, lorsqu'elles proclamèrent courageusement l'égalité des femmes et insistèrent avec une même vigueur sur la défense de la famille, de la maternité et de l'enfance (5). Ce fut une profonde transformation culturelle qu'elles envisagèrent lorsqu'elles s'engagèrent à instaurer "de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande" pour tous les hommes et toutes les femmes (6). Alors que nous avons accompli un si long chemin pour faire de cette vision une réalité, ne devrions-nous pas avoir le courage de le poursuivre jusqu'au bout? Merci, Madame le Président. __________________________________ Notes 1. "A World Fit for Children" Compte-rendu du II Sommet mondial sur l'Enfance, par. 38 (2002). 2. Discours au Corps diplomatique, janvier 2005, n. 6. 3. Laborem Exercens, n. 19. 4. Jean-Paul II, Message à Gertrude Mongella, n. 5. 5. Déclaration universelle des Droits de l'Homme des Nations unies de 1948, art. 1, 2, 16 et 25. 6. Déclaration universelle des Droits de l'Homme, Préambule.
*L'Osservatore Romano. Edition hebdomadaire en langue française n.11 p.2. |