XLVIII CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL LA SITUATION DE LA FOI DANS LÂÂEUCHARISTIE: Intervention de son Excellence Lundi 11 octobre 2004
INTRODUCTION Il est de bonne coutume en Afrique de saluer dÂÂabord les gens avant de leur adresser la parole, surtout quand on vient de loin. Venant du Burkina Faso, au cÂÂur de lÂÂAfrique Occidentale, où je suis, depuis 36 ans, Évêque de Diébougou, un diocèse rural dans un pays économiquement pauvre, je voudrais saluer tour à tour :
I ÂÂ « IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FOI »! Cette affirmation doctrinale, qui se situe au cÂÂur de la Prière Eucharistique consécratoire, est lÂÂacte de foi solennel partagé par toute lÂÂÉglise répandue à travers le monde dans les cinq continents. En Afrique, cÂÂest cette même affirmation qui est proclamée, comme partout ailleurs, à chaque célébration eucharistique. Nous nÂÂavons pas dÂÂautre foi dans le mystère de lÂÂEucharistie que celle de lÂÂÉglise catholique universelle. CÂÂest cette unique et même foi que nous sommes venus du monde entier proclamer dans le grand rendez-vous eucharistique international de Guadalajara. JÂÂexprime ici ma joie, avec les Archevêques, les Évêques et tout le peuple chrétien du Burkina Faso, pour ce 48ème Congrès Eucharistique International qui représente dÂÂabondantes grâces de bénédictions divines sur le monde de ce temps. La petite délégation de mon pays, le Burkina Faso, qui a réussi un exploit en venant participer à ce Congrès, se joint à votre serviteur pour remercier de tout cÂÂur notre Saint Père le pape Jean Paul II pour la poursuite courageuse des Congrès Eucharistiques Internationaux qui font le tour du monde et font partie désormais de la Tradition et des trésors spirituels de lÂÂÉglise catholique. Grand merci aux organisateurs de ce 48ème Congrès Eucharistique International. JÂÂai nommé son Éminence le Cardinal Joseph Tomko et tous ses collaborateurs. JÂÂai nommé également son Éminence le Cardinal Juan Sandoval Íñiguez, Archevêque de Guadalajara qui mÂÂa invité à prendre la parole en cette circonstance solennelle en lÂÂhonneur du sacrement de lÂÂEucharistie, « source et sommet de toute la vie chrétienne »[1]. II ÂÂ « PAR LUI, AVEC LUI ET EN LUI » Au début de mon épiscopat, jÂÂai choisi comme devise épiscopale les premières paroles de la doxologie qui vient en conclusion de la Prière Eucharistique de la messe. CÂÂétait là, pour moi et pour mon diocèse, tout un programme spirituel de ma charge pastorale qui se voulait enracinée dans le culte eucharistique. Avec le recul du temps, je me rends compte aujourdÂÂhui que cÂÂest cette devise épiscopale eucharistique qui a conduit tout mon diocèse à lÂÂorientation pastorale de base intitulée: «Parole et pain pour tous et par tous »[2] dans une Église perçue et vécue comme « Famille de Dieu ». Cet enracinement eucharistique de ma charge pastorale a permis à mon diocèse dÂÂorganiser, du 22 au 29 avril 2001 son premier Congrès eucharistique diocésain pour nous permettre de « repartir du Christ », cÂÂest-à-dire de Jésus-Eucharistie pour la nouvelle évangélisation dont le pape Jean Paul II a donné le ton dans sa Lettre apostolique « Novo millennio ineunte »[3]. CÂÂest là pour moi une source de joie et dÂÂaction de grâce à Dieu Père, Fils et Esprit Saint, à qui je rends avec lÂÂÉglise entière, tout honneur et toute gloire dans la foi au mystère de lÂÂEucharistie. III ÂÂ QUELQUES PRÉSUPPOSÉS FONDAMENTAUX COMMUNS En réfléchissant sur la situation de la foi dans lÂÂEucharistie : lumières et ombres en Afrique, nous constatons quÂÂil existe des convergences doctrinales et anthropologiques au niveau des réalités fondamentales et constitutives de lÂÂEucharistie dÂÂun côté, et de lÂÂautre au niveau de celles de la culture africaine. Ces réalités qui sont comme des présupposés fondamentaux communs sÂÂarticulent autour de la famille, de la vie, du corps, de la parole et des relations avec le monde invisible par le biais des sacrifices religieux. Chacune de ces réalités semble véhiculer des lumières et des ombres, ou en dÂÂautres termes, des aspects positifs et négatifs en faveur ou en défaveur du mystère de lÂÂEucharistie. 1 ÂÂ La réalité de la FAMILLE La famille qui est une réalité universelle, «cellule première et vitale de la société »[4], a une importance particulière en Afrique. «Dans la culture et la tradition africaines, déclare Jean Paul II dans Ecclesia in Africa, le rôle de la famille est universellement considéré comme fondamental.»[5] CÂÂest pourquoi au Synode spécial pour lÂÂAfrique, en 1994, les Pères synodaux, après mûre réflexion et concertation, ont proposé au pape que le concept de la famille soit retenue comme lÂÂimage préférée de lÂÂÉglise pour lÂÂAfrique, sans exclusion des autres images. Le pape a accepté cette proposition en demandant dÂÂédifier en Afrique, lÂÂÉglise « Famille de Dieu » (« Familia Dei » selon lÂÂexpression des Pères de lÂÂÉglise, reprise par le Concile Vatican II), en lÂÂenracinant à sa source première quÂÂest la Famille Trinitaire, et en excluant ses aspects négatifs.[6] Du point de vue anthropologique et culturel, la famille africaine est le lieu dÂÂéclosion de la vie humaine et sociale, le lieu primordial des relations diverses (conjugales, parentales, claniques etc.), le lieu des aspects positifs des relations humaines (solidarité, fraternité, accueil mutuel, partage, etc.), et aussi le lieu des aspects négatifs (tensions, esprit dÂÂinimitié et de vengeance, conflits pouvant aller jusquÂÂaux guerres tribales et ethniques). Du point de vue ecclésiologique et doctrinal, nous savons que lÂÂEucharistie fait lÂÂÉglise et que lÂÂÉglise fait lÂÂEucharistie. En Afrique, cette Église qui se veut « Famille de Dieu », lieu de célébration de lÂÂEucharistie, a ses forces et ses faiblesses, ses lumières et ses ombres. LÂÂimage de la « Famille de Dieu » permet de vivre dans lÂÂÉglise une réelle fraternité chrétienne, une vraie solidarité, un esprit dÂÂaccueil mutuel et de partage. Et lÂÂEucharistie qui rassemble les fidèles dÂÂhorizons divers devient véritablement un lieu de joie profonde, dÂÂunion et de communion. On peut observer ces lumières dans la vie des communautés chrétiennes de base (CCB) en Afrique, à lÂÂexemple des communautés chrétiennes de lÂÂÉglise primitive. Quantité de célébrations eucharistiques sont de véritables lieux de joie, de paix, de fraternité humano-divine et finalement de sanctification personnelle et communautaire. Mais cette image de lÂÂÉglise « Famille de Dieu », quand elle est mal comprise et mal vécue, peut devenir un ghetto. Voici la remarque pertinente dÂÂun auteur africain dans son livre sur lÂÂEucharistie dans le contexte africain : « LÂÂÉglise Famille de Dieu dont rêvent les Évêques dÂÂAfrique, comme figure ecclésiologique, ne peut sÂÂaccommoder dÂÂune idolâtrie de son clan ou de son pays, ni dÂÂune loi induite du rejet de lÂÂautre, à cause dÂÂun espace-terre qui serait notre patrie. Il sÂÂagit avant tout de cultiver lÂÂattention à lÂÂautre et une solidarité protectrice, dÂÂentretenir la chaleur des relations, de promouvoir un accueil rassurant et un dialogue qui engendre confiance et compréhension.»[7] La formation catéchétique et spirituelle des chrétiens est une dimension capitale à ne pas rater. 2 ÂÂ La réalité de la VIE. «Je suis venu pour que les hommes aient la vie, et quÂÂils lÂÂaient en abondance.»[8] La vie qui est primordiale partout dans le monde prend un relief particulier en Afrique. Pourquoi ? CÂÂest parce que, pour lÂÂAfricain, la vie est le premier don de Dieu fait aux êtres humains. DÂÂoù le respect religieux dont on lÂÂentoure. Le pape Jean Paul II le confirme dans son Exhortation apostolique post-synodale : «Ouvert à ce sens de la famille, de lÂÂamour et du respect de la vie, lÂÂAfricain aime les enfants, qui sont accueillis joyeusement comme un don de Dieu. Les fils et les filles de lÂÂAfrique aiment la vieÂÂ Ils apprécient la vie et rejettent lÂÂidée quÂÂelle puisse être supprimée.»[9] Voilà donc une réalité primordiale de la culture et de la mentalité africaines traditionnelles. Malheureusement cette lumière ne brille pas toujours du même éclat dans lÂÂAfrique moderne dÂÂaujourdÂÂhui. On observe de nos jours des foyers de guerres et de tensions familiales et tribales qui sÂÂattaquent à la vie et tuent la vie. Les avortements dictés par le libertinage sexuel se multiplient. « Mon ventre mÂÂappartient », dit-on sans honte. Donc on peut avorter en supprimant la vie. Les génocides sont là aussi, sous nos yeux, en Afrique, dans des communautés chrétiennes. Le tableau est parfois sombre dans certains pays. On le voit bien, les lumières et les ombres ne manquent pas à propos de la vie en Afrique. Cela influence positivement ou négativement lÂÂimage de lÂÂÉglise et la foi dans lÂÂEucharistie en Afrique. En effet, toute la grande tradition chrétienne nous apprend que cÂÂest Dieu seul qui est la vie et la source primordiale de la vie. La Bible, depuis le livre de la Genèse jusquÂÂà lÂÂApocalypse, est traversée par la vie de Dieu créateur. La vie vient de Dieu et retourne à Dieu. Dieu est le maître suprême de la vie. A la plénitude des temps, le Christ, Verbe de Dieu et Dieu lui-même, sÂÂincarne. LÂÂapôtre saint Jean nous dit : «En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.»[10] Mais aux jours de sa passion, le Christ qui est la vie de Dieu révélé aux hommes, fut mis à rude épreuve par la mort. « La mort et la vie sÂÂaffrontèrent en un duel prodigieux. Le maître de la vie mourut ; vivant il règne.» (Mors et vita duello conflixere mirando : dux vitae mortuus, regnat vivus) CÂÂest ce que lÂÂÉglise chante le jour saint de Pâques dans la Séquence « Victimae pascali laudes ». Et lÂÂEucharistie est elle même source de vie, puisquÂÂelle contient substantiellement le Christ, pain de vie : « CÂÂest moi qui suis le pain de vie, dit Jésus. Celui qui vient à moi nÂÂaura pas faim, celui qui croit en moi nÂÂaura jamais soif.»[11] Or en Afrique, cette lumière de Dieu créateur de la vie et source de vie, cette lumière du Christ, pain de vie célébré dans lÂÂEucharistie, est parfois ternie, voire cachée par les ombres dÂÂune foi mal vécue en lÂÂEucharistie. Bon nombre de chrétiens vont à la messe, non pas tellement pour chercher la vie de Dieu dans le sacrement de lÂÂEucharistie, mais pour dÂÂautres intentions toutes humaines, pour des raisons purement sociales. Et aux heures sombres de leur vie, ils vont ailleurs vers les sacrifices païens ou vers les magies noires rechercher la vie et la paix. Ceux-là tombent alors dans le syncrétisme religieux en recherchant la vie du côté de la mort. Ce qui signifie que leur foi dans lÂÂEucharistie, source de vie, sÂÂest arrêtée à mi-chemin. Si la formation catéchétique, doctrinale et spirituelle, la formation continue, ne sont pas bien assurées, cÂÂest une catastrophe au niveau de lÂÂévangélisation de lÂÂAfrique. 3 - La réalité du CORPS. « Ma chair est vraie nourriture et mon sang vraie boisson » - « Prenez, mangez, ceci est mon corps »[12] En Afrique nous avons un sens aigu et un grand respect du corps humain. Le corps de lÂÂenfant qui est blotti contre sa mère est précieux. Le corps de celui qui est mort est entouré de profond respect : toilette et habillement soignés, attitude de respect devant la dépouille mortelle, enterrement avec beaucoup dÂÂégards. Bref, vivant ou mort, le corps humain est respecté en Afrique. Et cela représente une lumière, un aspect anthropologique positif qui permet de mettre en relief de beaux gestes et attitudes corporels durant les messes solennelles. Dans la tradition chrétienne, le corps humain a une grande importance en tant que créature de Dieu, douée dÂÂintelligence et ayant une âme. Cette lumière sera portée à son sommet par le Christ, Verbe de Dieu incarné. Non seulement il a pris notre corps mortel[13], mais il nous a surtout donné son corps en nourriture en lÂÂoffrant en sacrifice sur la croix pour notre salut. «Prenez et mangez, ceci est mon corps.»[14] Et depuis lors, le corps du Christ, cÂÂest-à-dire, sa chair et son sang, est au centre du mystère eucharistique comme une grande lumière dans lÂÂÉglise des cinq continents. CÂÂest ainsi que le corps physique de Jésus est devenu son corps sacré et eucharistique reçu en communion, pour être enfin son corps glorieux et mystique qui est lÂÂÉglise. CÂÂest pourquoi saint Augustin aimait dire à ses fidèles qui venaient communier : «Recevez ce que vous êtes : le corps du Christ, pour devenir ce que vous avez reçu : le corps du Christ.» Mais à côté de ces lumières à propos du corps, il y a des ombres qui empêchent de parvenir à une foi profonde dans lÂÂEucharistie. Par exemple, avec le phénomène de la mondialisation, de la modernité ainsi que la facilité des mass-média, le corps humain ÂÂ surtout féminin ÂÂ est de plus en plus perçu comme un objet de plaisir et non plus comme une réalité sacrée et respectable. De plus le clonage humain qui est dÂÂactualité un peu partout dans le monde, et par lequel on peut manipuler le corps dès lÂÂorigine, est un problème inacceptable et pastoralement préoccupant en Afrique. Ensuite le corps est bien souvent voué à la misère et exposé à toutes sortes de maladies, tel que le sida devant lequel on reste impuissant ainsi quÂÂau manque de soin dû à la pauvreté économique du continent africain. Durant les célébrations eucharistiques dans les grosses communautés chrétiennes africaines, la communion au corps du Christ peut parfois apparaître plus comme une démarche sociale que spirituelle. Certains gestes et attitudes peu respectueux envers lÂÂEucharistie remarqués ça et là en sont la preuve. Ne pourrait-on pas alors appliquer à ces chrétiens dÂÂAfrique ces paroles que St Paul a adressées aux chrétiens de Corinthe ? Celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun sÂÂéprouve soi-même, avant de manger ce pain et de boire à cette coupe ; car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation. »[15] Il reste cependant quÂÂune éducation au sens du sacré et des gestes liturgiques sÂÂavèrent nécessaire. 4 ÂÂ La réalité de la PAROLE. «Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi »[16]. La 4ème réalité importante en Afrique et dans lÂÂEucharistie est celle de la Parole. QuÂÂelle soit humaine ou divine, la parole apparaît comme sacrée, un trésor, un objet dÂÂattention et dÂÂécoute. En tout cas, en Afrique, continent dominé par la tradition orale, la parole proférée a de lÂÂimportance surtout quand elle vient des gens importants et respectés. Les dernières paroles dÂÂun père ou dÂÂune mère sont gardées précieusement par la famille comme un testament, et sont ensuite communiquées aux membres de la famille absents. Cet aspect positif de la parole humaine en Afrique constitue une lumière qui prépare et favorise lÂÂécoute de la parole de Dieu à la messe. Dans la religion chrétienne en général, et au niveau de lÂÂEucharistie en particulier, la parole de Dieu est plus que sacrée, elle est divine, créatrice et éternelle. Dieu a tout créé par sa seule Parole. Et cette Parole est une Personne divine, le Verbe de Dieu fait chair[17]. Elle est pure vérité : «Je suis le chemin, la vérité et la vie » nous dit Jésus le Verbe de Dieu[18]. Elle est efficace et opérationnelle. Cette efficacité de la Parole divine ne dépend pas dÂÂabord des dispositions intérieures du sujet, de son intelligence, de sa volonté ou de son cÂÂur, mais avant tout de la toute puissance de Dieu. Et cÂÂest bien cette Parole de Dieu qui est proclamée à la messe, qui opère dans les sacrements, notamment dans lÂÂEucharistie, et qui est une présence actuelle et vivante dans lÂÂÉglise au milieu du peuple chrétien. Voilà une lumière, un aspect positif doctrinal qui permet en Afrique et ailleurs aussi, de proclamer solennellement cette Parole de Dieu à la messe, de lÂÂaccueillir parfois par des processions gestuées, rythmées, et même dansées, par des acclamations et des cris de joie dans le respect et la prière. Elle est alors, au témoignage des fidèles, source de joie spirituelle et de sanctification. Elle ne doit pas être gardée pour soi, elle doit être communiquée à ceux qui ne la connaissent pas. Mais, cette parole humaine peut être entachée dÂÂerreur ou de mensonge (omnis homo mendax), et peut même entraîner sur le chemin de la magie dont lÂÂAfrique détient le triste record de la spécialité. Une telle parole ainsi troublée et même erronée devient une ombre dans les célébrations eucharistiques. On célèbre la Parole de Dieu dans une foi superficielle et même avec une erreur de jugement due à la perception erronée de la parole humaine et divine, et de plus, on nÂÂa souvent pas le souci de la transmettre aux autres, ce qui indique un manque dÂÂesprit missionnaire fort regrettable. Ces lumières et ces ombres sont là qui font de nos liturgies de la Parole de Dieu, des célébrations en clair-obscur et des actes de foi faibles dans lÂÂEucharistie. Notre sollicitude pastorale propre doit y porter remède. 5 ÂÂ La réalité du MONDE INVISIBLE par le biais des sacrifices religieux . « NÂÂayez pas peur, cÂÂest moi »[19] Cette dernière réalité touche de plus près, me semble-t-il, la foi dans lÂÂEucharistie. Dans la Religion Traditionnelle Africaine (R.T.A.), les adeptes qui sont de loin les plus nombreux en Afrique sub-saharienne, ont une forte croyance en Dieu créateur et providence qui habite dans un univers inaccessible, lÂÂunivers invisible du Dieu créateur et maître de tout. Ils ont ensuite une forte croyance en divers « esprits » ou forces occultes dans lÂÂunivers visible environnant. Ils ont enfin une forte croyance au monde invisible des ancêtres dans lequel baignent les familles et les êtres humains. Dieu étant directement inaccessible parce que infiniment respectable, les êtres humains, par le système de la médiation, passent par les mânes des ancêtres et par les différents « esprits » pour offrir des sacrifices de paix et de réconciliation. Ils se réconcilient ainsi avec le monde des ancêtres et des « esprits », captent leurs faveurs avec ces sacrifices et pensent atteindre en définitive Dieu tout puissant. La notion de sacrifices est donc très forte et très ancrée dans la mentalité religieuse africaine. Elle se présente déjà comme une lumière qui annonce de loin, dÂÂune manière voilée, le sacrifice eucharistique de la croix. CÂÂest pourquoi les Africains nÂÂont pas beaucoup de mal à entrer dans la célébration eucharistique de la messe comprise comme sacrifice offert à Dieu par son Fils Jésus. Ils comprennent facilement aussi que le sacrifice eucharistique est un repas de communion parce quÂÂils savent quÂÂil nÂÂy a pas de sacrifice religieux sans repas sacré de communion. Ils célèbrent donc lÂÂEucharistie avec cette toile de fond lumineux. Par ailleurs, parler de repas sacré, de nourriture spirituelle ou matérielle, cÂÂest toucher aux cordes sensibles des Africains. Dans un climat de faim chronique, la nourriture revêt une grande importance. En positif, le repas a un caractère familial et manifeste la solidarité, le partage et la fraternité. DÂÂoù lÂÂinfluence positive quÂÂil joue dans lÂÂEucharistie, lieu de communion ecclésiale et de fraternité chrétienne. Quant à lÂÂEucharistie elle-même, nous savons quÂÂelle est à la fois mémorial du sacrifice du Christ sur la croix et repas sacré de communion au corps et au sang du Christ. Elle a aussi une dimension familiale si lÂÂon comprend que lÂÂÉglise où elle se célèbre est la Famille des enfants de Dieu, comme lÂÂaffirme cette phrase tirée de la Prière Eucharistie III : «Écoute les prières de ta famille assemblée devant toi.»[20] Dans lÂÂÉglise vécue comme Famille de Dieu en Afrique, lÂÂEucharistie est le lieu spirituel de lÂÂunité et de la fraternité universelle. Elle rappelle chaque jour aux chrétiens des cinq continents quÂÂen dehors de la mort et de résurrection du Christ, il nÂÂy a pas de fraternité universelle possible. LÂÂEucharistie est donc un appel à devenir frère universel, chacun à partir de son pays et de sa culture. Mais tous ces points lumineux peuvent être assombris par un certain nombre de points négatifs émanant de la culture africaine. Par exemple, de même que le repas familial peut verser dans lÂÂindividualisme et lÂÂégoïsme, de même la participation à lÂÂEucharistie ainsi que la communion au corps du Christ peuvent entraîner les chrétiens dÂÂAfrique dans lÂÂesprit du « chacun pour soi et Dieu pour tous.» On constate alors que la nourriture matérielle ou eucharistique crée des différences et des clivages notoires. Telle personne, telle famille, telle région, tel pays ou telle communauté chrétienne a de quoi manger et se trouve dans lÂÂabondance, tandis que lÂÂautre est dans la disette et même la misère. Cela entraîne, non pas un mouvement de solidarité, mais des sentiments de jalousie et de haine pouvant conduire à la guerre. Ensuite, la notion de sacrifice de paix, de communion et de réconciliation, quand elle nÂÂest pas purifiée par la lumière de lÂÂÉvangile et transfigurée par le sacrifice de la croix, maintient bon nombre de chrétiens dÂÂAfrique dans le syncrétisme religieux. Ils viennent à la messe célébrer le sacrifice du Christ et retournent sacrifier aux « esprits » et aux « mânes » des ancêtres. On retrouve là aussi une foi dans lÂÂEucharistie restée à mi-parcours. Or Jésus a dit dans lÂÂévangile de St Matthieu : «NÂÂallez pas croire que je sois venu abroger la loi et les prophètes. Je ne suis pas venu abroger mais accomplir.»[21] En élargissant les perspectives évangéliques, on peut dire que Jésus est venu opérer une vaste purification-transfiguration des cultures et des coutumes religieuses de tous les pays. En particulier, il est venu purifier et transfigurer tous les sacrifices par son sacrifice de la croix. CÂÂest pourquoi lÂÂÉglise proclame dans la préface pascale n° 5: «Quand il livre son corps sur la croix, tous les sacrifices de lÂÂAncienne Alliance parviennent à leur achèvement.» CÂÂest dire que le sacrifice eucharistique est plus grand que tous les sacrifices. Une foi solide dans lÂÂEucharistie devrait faire abandonner définitivement tous les sacrifices de la Religion Traditionnelle Africaine. Ce qui nÂÂest pas encore le cas sur le continent. De même la foi en lÂÂEsprit Saint, 3ème Personne de la Sainte Trinité, qui a présidé à la formation du corps de Christ dans le sein de la Vierge Marie, et dont la puissance transforme chaque jour le pain et le vin en corps et sang du Christ, devrait faire abandonner les sacrifices aux « esprits » et aux mânes des ancêtres, et conduire les chrétiens dÂÂAfrique au culte et à la communion des saints. Soulignons enfin le phénomène de la peur en Afrique. Beaucoup dÂÂAfricains ont peur du monde invisible : les « esprits », les ancêtres, les génies et autres forces occultes. Ils sont souvent paralysés par la peur à leur égard dans beaucoup de circonstances de leur vie. CÂÂest ce qui explique le nombre incalculable de sacrifices quÂÂils leur offrent pour entrer dans leur bonne grâce. On peut dire alors que la Religion Traditionnelle Africaine est une religion dominée par la peur. Or, nous chrétiens, nous croyons que le Christ est venu exorciser la grande peur des hommes. «NÂÂayez pas peur, cÂÂest moi », nous dit-il sur le rivage de nos vies. CÂÂest lui encore qui est présent dans lÂÂEucharistie et qui nous dit : «Et moi, je suis avec vous tous les jours jusquÂÂà la fin des temps.»[22] Ces paroles du Christ constituent pour nous une grande assurance si nous les accueillons dans la foi. CONCLUSION Que dire en synthèse finale sur la foi dans lÂÂEucharistie en Afrique ? Tout en sachant que lÂÂAfrique est un immense continent où il ne faut rien généraliser, je voudrais témoigner de quelques pratiques connues concernant le culte et la dévotion eucharistiques.
Il ressort de tout ce qui a été dit que la foi dans lÂÂEucharistie nÂÂest pas un vain mot ni une illusion dans lÂÂÉglise en Afrique, mais plutôt une réalité spirituelle de vie chrétienne. Les lumières que nous avons relevées le montrent suffisamment. Tandis que les ombres indiquent quÂÂil y a encore du chemin à faire dans lÂÂapprofondissement de la foi en lÂÂEucharistie. CÂÂest là un travail pastoral de premier ordre, auquel doivent sÂÂatteler les Évêques et leurs collaborateurs dans un continent assoiffé de Dieu-Trinité et de Jésus-Eucharistie, Lui qui est « le même hier, aujourdÂÂhui et pour lÂÂéternité.»[23] Je vous remercie. Monseigneur Jean Baptiste KPIELE SOME
[1] Concile ÂÂcuménique Vatican II, Constitution dogmatique LUMEN GENTIUM 11. [2] Dans cette formulation, le mot « Parole » représente toutes les réalités spirituelles de la pastorale diocésaine, à savoir : la catéchèse, la liturgie avec ses sacrements, la morale chrétienne et toutes les autres formes de prières et de dévotions. Le mot « Pain » représente toutes les réalités matérielles et temporelles de la pastorale diocésaine, à savoir : tous les efforts de développement et dÂÂamélioration des conditions de vie des populations ainsi que lÂÂeffort dÂÂauto-promotion individuelle et collective, basé sur la participation de tous sans distinction de religion. [3] Jean Paul II, Lettre apostolique NOVO MILLENNIO INEUNTE 29. Rome 6 janvier 2001 [4] Concile ÂÂcuménique Vatican II, Décret APOSTOLICAM ACTUOSITATEM 11 [5] Jean Paul II, Exhortation apostolique post-synodale ECCLESIA IN AFRICA 43 |
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