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CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN
ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS

DIRECTOIRE
SUR LA PIÉTÉ POPULAIRE ET LA LITURGIE

PRINCIPES ET ORIENTATIONS

Cité du Vatican
Décembre 2001


PLAN

Abréviations et sigles
Extraits du "Message" de Sa Sainteté Jean-Paul II
Décret

***

INTRODUCTION (1-21)

Nature et structure (4)
Les destinataires (5)
La terminologie (6-10)
Quelques principes (11-13)
Le langage de la piété populaire (14-20)
Responsabilités et compétences (21)

PREMIÈRE PARTIE

CARACTÉRES PRINCIPAUX
DÉTERMINÉS PAR L’HISTOIRE, LE MAGISTÈRE, LA THÉOLOGIE
(22-92)

Chap. I. LITURGIE ET PIÉTÉ POPULAIRE À LA LUMIÈRE DE L’HISTOIRE (22-59)

La liturgie et la piété populaire au cours des siècles (22-46)
Les premiers siècles chrétiens
(23-27)
Le Moyen Âge
(28-33)
L’époque moderne
(34-43)
L’époque contemporaine
(44-46)
Liturgie et piété populaire: la problématique actuelle (47-59)
Les indications de l’histoire: les causes de déséquilibre
(48-49)
À la lumière de la Constitution liturgique
(50-58)
L’importance de la formation
(59)

Chap. II. LITURGIE ET PIÉTÉ POPULAIRE DANS LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE (60-75)

Les valeurs de la piété populaire (61-64)
Quelques dangers qui peuvent faire dévier la piété populaire (65-66)
Le sujet de la piété populaire (67-69)
Les pieux exercices (70-72)
Liturgie et pieux exercices (73-74)
Critères généraux pour le renouveau des pieux exercices (75)

Chap. III. PRINCIPES THÉOLOGIQUES EN VUE DE L’ÉVALUATION ET DU RENOUVEAU DE LA PIÉTÉ POPULAIRE (76-92)

La vie cultuelle: la communion avec le Père, par le Christ dans l’Esprit Saint (76-80)
L’Église, communauté cultuelle (81-84)
Sacerdoce commun et piété populaire (85-86)
Parole de Dieu et piété populaire (87-89)
Piété populaire et révélations privées (90)
Inculturation et piété populaire (91-92)

DEUXIÈME PARTIE

ORIENTATIONS

EN VUE DE L’HARMONISATION DE LA PIÉTÉ POPULAIRE AVEC LA LITURGIE (93-287)

Avant-propos (93)

Chap. IV. ANNÉE LITURGIQUE ET PIÉTÉ POPULAIRE (94-182)

Le dimanche (95)
Le temps de l’Avent
La Couronne de l’Avent
(98)
Les Processions de l’Avent
(99)
Les "Quatre-Temps d’hiver"
(100)
La Vierge Marie dans le temps de l’Avent
(101-102)
La Neuvaine de Noël
(103)
La Crèche
(104)
La piété populaire et l’esprit de l’Avent
(105)
Le temps de Noël (106-123)
La Nuit de Noël
(109-111)
La fête de la Sainte Famille
(112)
La fête des Saints Innocents
(113)
Le 31 décembre
(114)
La solennité de la sainte Mère de Dieu
(115-117)
La solennité de l’Épiphanie du Seigneur
(118)
La fête du Baptême du Seigneur
(119)
La fête de la Présentation du Seigneur
(120-123)
Le temps du Carême (124-137)
La vénération de Jésus crucifié
(127-129)
La lecture de la Passion du Seigneur
(130)
La Via Crucis
(131-134)
La Via Matris
(136-137)
La Semaine Sainte (138-139)
Le dimanche des Rameaux
Les palmes et les rameaux d’olivier ou d’autres arbres
(139)
Le Triduum pascal (140-151)
Le Jeudi Saint
La visite au reposoir
(141)
Le Vendredi Saint

La procession du Vendredi Saint
(142-143)
La représentation de la Passion du Christ
(144)
L’évocation de la Vierge des Douleurs
(145)
Le Samedi Saint
"L’Heure de la Mère"
(147)
Le Dimanche de Pâques
La rencontre de Jésus Ressuscité avec sa Mère
(149)
La bénédiction de la table familiale
(150)
Le salut pascal à la Mère du Ressuscité
(151)
Le temps pascal (152-156)
La bénédiction annuelle des familles dans leurs maisons
(152)
La "Via Lucis"
(153)
La dévotion à la divine miséricorde
(154)
la neuvaine de la Pentecôte
(155)
le dimanche de la Pentecôte
(156)
Le temps ordinaire (157-182)
La solennité de la Très Sainte Trinité
(157-159)
La solennité du Corps et du Sang du Seigneur (la Fête-Dieu)
(160-163)
L’adoration du Saint-Sacrement
(164-165)
Le Sacré-Cœur de Jésus-Christ
(166-173)
Le Cœur Immaculé de Marie
(174)
Le Très Précieux Sang de Jésus-Christ
(175-179)
La solennité de l’Assomption
(180-181)
La Semaine de prières pour l’unité des chrétiens
(182)

Chap. V. LA VÉNÉRATION ENVERS LA SAINTE MÈRE DU SEIGNEUR (183-207)

Quelques principes
Les temps des pieux exercices mariaux (187-189)
La célébration de la fête (187)
Le samedi (188)
Triduums, septénaires, neuvaines (189)
Les "mois de Marie" (190-191)
Quelques pieux exercices recommandés par le Magistère (192-207)
La méditation de la Parole de Dieu (193-194)
L’Angelus (195)
Le "Regina cæli" (196)
Le Rosaire (197-202)
Les Litanies de la Sainte Vierge (203)
La consécration à la Vierge Marie (204)
Le scapulaire du Carmel et les autres scapulaires (205)
Les médailles de la Vierge Marie (206)
L’hymne "Akathistos" (207)

Chap. VI. LA VÉNÉRATION DES SAINTS ET DES BIENHEUREUX (208-247)

Quelques principes (208-212)
Les Saints Anges (213-217)
Saint Joseph (218-223)
Saint Jean Baptiste (224-225)
Le culte des Saints et des Bienheureux (226-247)
La célébration des Saints (227-229)
Le jour de la fête (230-233)
Au cours de la célébration de l’Eucharistie (234)
Dans les Litanies des Saints (235)
Les reliques des Saints (236-237)
Les saintes images (238-244)
Les processions (245-247)

Chap. VII. LES SUFFRAGES POUR LES DÉFUNTS (248-260)

La foi dans la résurrection des morts (248-250)
La signification des suffrages (251)
Les obsèques chrétiennes (252-254)
Les autres suffrages (255)
La mémoire des défunts dans la piété populaire (256-260)

Chap. VIII. LES SANCTUAIRES ET LES PÈLERINAGES (261-287)

Le Sanctuaire (262-279)
Quelques principes
(262-263)
La reconnaissance canonique
(264)
Le sanctuaire, lieu des célébrations cultuelles
(265-273)
La valeur exemplaire du sanctuaire
(266)
La célébration de la Pénitence
(267)
La célébration de l’Eucharistie
(268)
La célébration de l’Onction des malades
(269)
La célébration des autres sacrements
(270)
La célébration de la Liturgie des Heures
(271)
La célébration des sacramentaux
(272-273)
Le sanctuaire, lieu d’évangélisation
(274)
Le sanctuaire, lieu de la charité
(275)
Le sanctuaire, lieu culturel
(276)
Le sanctuaire, lieu de l’engagement œcuménique
(277-278)
Le Pèlerinage (279-287)
Les pèlerinages bibliques
(280)
Le pèlerinage chrétien
(281-285)
La spiritualité du pèlerinage
(286)
Le déroulement du pèlerinage
(287)

CONCLUSION (288)


ABREVIATIONS ET SIGLES

AAS Acta Apostolicae Sedis

CEC Catéchisme de l’Église Catholique

CCL Corpus Christianorum (Series Latina)

Cf. comparez

CIC Codex Iuris Canonici

CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum

DS H. DENZINGER - A. SCHÖNMETZGER, Enchiridion Symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum

EI Enchiridion Indulgentiarum. Normae et concessiones (1999)

Ibid Ibidem

LG CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Constitution Lumen gentium

PG Patrologia graeca (I.P. MIGNE)

PL Patrologia latina (I.P. MIGNE)

SC CONCILE ŒCUMÉNIQUE VATICAN II, Constitution Sacrosanctum Concilium

SCh Sources chrétiennes


Extrait du "MESSAGE" de Sa Sainteté JEAN-PAUL II
à l’Assemblée Plénière de la Congrégation
pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements

(21 septembre 2001)

2. La Sainte liturgie, que la Constitution Sacrosanctum Concilium qualifie de sommet de la vie ecclésiale, ne peut jamais être réduite à une simple réalité esthétique, ni être considérée comme un outil aux finalités purement pédagogiques ou œcuméniques. La célébration des saints mystères est avant tout un acte de louange à la souveraine majesté de Dieu, Un et Trine, et c’est une expression voulue par Dieu Lui-même. Avec elle l’homme, de façon personnelle ou communautaire, se présente devant Lui pour lui rendre grâce, conscient que son être ne peut trouver sa plénitude sans Le louer et sans accomplir Sa volonté, dans la recherche constante du Règne qui est déjà présent, mais qui arrivera définitivement au jour de la Parousie du Seigneur Jésus. La liturgie et la vie sont des réalités indissociables. Une liturgie qui ne se refléterait pas dans la vie deviendrait vide, et ne serait certainement pas agréée par Dieu.

3. La célébration liturgique est un acte de la vertu de religion qui, de façon cohérente avec sa nature, doit se caractériser par un sens profond du sacré. En elle l’homme et la communauté doivent être conscients de se trouver d’une façon particulière devant Celui qui est trois fois saint et transcendant. Par conséquent, l’attitude requise ne peut qu’être pénétrée de respect, de ce sens de stupeur qui provient du fait de se savoir en présence de la majesté de Dieu. Peut-être était-ce ce que Dieu voulait exprimer, en commandant à Moïse d’enlever ses sandales devant le buisson ardent ? L’attitude de Moïse et d’Élie ne naissait-elle pas de cette conscience, quand ils n’osèrent pas regarder Dieu facie ad faciem ?

Le Peuple de Dieu a besoin de voir dans les prêtres et les diacres un comportement plein de révérence et de dignité, capable de l’aider à pénétrer les choses invisibles, même avec peu de paroles et d’explications. Dans le Missel Romain, dit de Saint Pie V, comme dans diverses liturgies orientales, on trouve de très belles prières avec lesquelles le prêtre exprime le plus profond sens d’humilité et de révérence face aux saints mystères: celles-ci révèlent la substance même de toute liturgie.

La célébration liturgique présidée par le prêtre est une assemblée priante, rassemblée dans la foi et attentive à la Parole de Dieu. Son premier but est de présenter à la divine Majesté le Sacrifice vivant, pur et saint, offert sur le Calvaire une fois pour toutes par le Seigneur Jésus, qui se rend présent chaque fois que l’Église célèbre la Sainte Messe pour exprimer le culte dû à Dieu en esprit et en vérité.

Je connais l’engagement de cette Congrégation pour promouvoir, avec les Évêques, l’approfondissement de la vie liturgique dans l’Église. En vous exprimant ma satisfaction, je souhaite que cette œuvre précieuse contribue à rendre les célébrations toujours plus dignes et fructueuses.

4. Votre assemblée plénière, en vue également de préparer un directoire approprié, a choisi comme thème central celui de la religiosité populaire. Celle-ci constitue une expression de la foi qui bénéficie d’éléments culturels d’un milieu déterminé, en interprétant et en interpellant la sensibilité des participants de façon vive et efficace.

La religiosité populaire, qui s’exprime dans des formes diversifiées et diffuses, quand elle est sincère, a comme source la foi et doit être, par conséquent, favorisée. Dans ses manifestations les plus authentiques, elle ne s’oppose pas au caractère central de la Sainte Liturgie, mais, en favorisant la foi du peuple qui la considère comme une expression religieuse connaturelle, elle prédispose à la célébration des mystères sacrés.

5. Une juste notion du rapport entre ces deux expressions de foi doit maintenir fermement certains points et, parmi ceux-ci, essentiellement que la liturgie est le centre de la vie de l’Église et qu’aucune autre expression religieuse ne peut s’y substituer ou être considérée au même niveau.

Il est important de répéter, en outre, que la religiosité populaire a son couronnement naturel dans la célébration liturgique, vers laquelle elle doit s’orienter idéalement, bien qu’habituellement elle en reste distincte, et cela doit être expliqué par une catéchèse appropriée.

Les expressions de la religiosité populaire apparaissent parfois corrompues par des éléments incompatibles avec la doctrine catholique. Dans ce cas il faut les purifier avec prudence et patience, à travers des contacts avec les responsables et par une catéchèse attentive et respectueuse, à moins que des incohérences radicales ne rendent nécessaires des mesures claires et immédiates.

Une telle évaluation est avant tout de la compétence de l’Évêque diocésain ou des Évêques concernés par de telles formes de religiosité sur un territoire. Dans ce cas, il est opportun que les Pasteurs confrontent leurx expériences pour offrir des orientations pastorales communes, en évitant les contradictions dommageables au peuple chrétien. Toutefois, que les Évêques aient à l’égard de la religiosité populaire une attitude positive et encourageante, à moins de motifs contraires évidents.

***

CONGRÉGATION POUR LE CULTE DIVIN
ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS

Prot. N. 1532/00/L

DÉCRET

En affirmant la primauté de la Liturgie, "sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps, la source d’où découle toute sa certu" (Sacrosanctum Concilium 10), le Concile Œcuménique Vatican II rappelle, toutefois, que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie" (ibidem 12). En effet, la vie spirituelle des fidèles est aussi alimentée par "les pieux exercices du peuple chrétien", et en particulier par ceux qui sont préconisés par le Siège Apostolique et pratiqués dans les Églises particulières sur mandat de l’Évêque, et avec son approbation. En rappelant qu’il est important que de telles expressions cultuelles soient conformes aux lois et aux normes de l’Église, les Pères conciliaires ont délimité le domaine de leur signification sur les plans théologique et pastoral: "les pieux exercices doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure" (ibidem 13).

À la lumière d’un tel enseignement autorisé et aussi d’autres règlements du Magistère de l’Église concernant les pratiques de piété du peuple chrétien, et après avoir recueilli les demandes qui ont été adressées ces dernières années par les pasteurs, l’Assemblée plénière de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, qui s’est déroulée du 26 au 28 septembre 2001, a approuvé le présent Directoire. Ce dernier présente, selon une forme organique, les liens existant entre la Liturgie et la piété populaire, tout en rappelant les principes qui régissent ces relations et en donnant des orientations destinées à leur application fructueuse dans le cadre des Églises particulières, selon la tradition particulière de chacune d’entre elles. Ainsi, il revient aux Évêques, à un titre spécial, de favoriser la piété populaire, qui a contribué dans le passé et contribue toujours à maintenir la foi du peuple chrétien, en entretenant une attitude pastorale positive à son égard et en l’encourageant.

Le Souverain Pontife Jean-Paul II ayant approuvé le projet de publication du "Directoire sur la piété populaire et la Liturgie. Principes et orientations" (Lettre de la Secrétairerie d’État du 14 décembre 2001, Prot. N. 497.514), la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements est heureuse de le rendre public, en souhaitant que, par ce moyen, les Pasteurs et les fidèles puissent bénéficier d’un renouveau qui leur permette de croître dans le Christ, par Lui et avec Lui, dans l’unité du Saint esprit, à la louange du Père des cieux.

Nonobstant toutes choses contraires.

Du siège de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, le 17 décembre 2001.

Jorge A. Card. Medina Estévez
Préfet

 Francesco Pio Tamburrino
Archevêque Secrétaire


INTRODUCTION

1. Afin d’assurer la croissance et la promotion de la Liturgie, "sommet auquel tend l’action de l’Église et la source d’où découle toute sa vertu" , cette Congrégation est attentive à ce qu’on ne néglige pas les autres formes de piété du peuple chrétien, dont l’apport fructueux est l’union de la vie des fidèles à celle du Christ, dans l’Église, selon l’enseignement du Concile Vatican II.

Au cours de cette période consécutive au renouveau conciliaire, la situation de la piété populaire chrétienne se présente de manières diverses en fonction des pays et des traditions locales. On note des attitudes contrastées, parmi lesquelles, il convient de citer: l’abandon manifeste et hâtif de formes de piété héritées du passé, qui a pour effet de laisser des vides qu’il est souvent impossible de combler; l’attachement à des formes imparfaites ou erronées de dévotion, qui éloignent les fidèles de la révélation biblique authentique et qui entrent en concurrence avec l’économie sacramentelle; des critiques injustifiées à l’encontre de la piété du peuple des humbles au nom d’une prétendue "pureté" de la foi; l’exigence de sauvegarder les richesses de la piété populaire, qui est l’expression d’un sentiment religieux profond et mûr des croyants dans un espace et à une époque déterminés; le besoin d’une purification des équivoques et la nécessité de se prémunir contre les dangers du syncrétisme; la vitalité renouvelée de la religiosité populaire, qui exprime une résistance et une réaction envers une certaine culture technologico-pragmatique et l’utilitarisme économique; un manque d’intérêt envers la piété populaire, qui n’a cessé de croître, et qui est dû aux idéologies de la sécularisation et à l’agression des "sectes" qui lui sont hostiles.

Cette question requiert l’attention constante des Évêques, des prêtres et des diacres, ainsi que des fidèles qui sont engagés dans la vie pastorale, et aussi des chercheurs, qui ont à cœur d’assurer la promotion de la vie liturgique auprès des fidèles, autant que le développement de la piété populaire.

2. Les relations existant entre la Liturgie et les pieux exercices ont été exprimées explicitement par le Concile Vatican II dans la Constitution sur la sainte Liturgie. En diverses circonstances, le Siège Apostolique et les Conférences des Évêques ont traité plus amplement de ce sujet de la piété populaire, et elle fut de nouveau présentée par Jean-Paul II lui-même, parmi les tâches à accomplir dans le cadre du renouveau liturgique, dans la Lettre apostolique Vicesimus Quintus Annus: la "piété populaire ne peut être ni ignorée, ni traitée avec indifférence ou mépris, car elle est riche de valeurs et déjà par elle-même elle exprime le fond religieux de l’homme devant Dieu. Mais elle a besoin sans cesse d’être évangélisée, pour que la foi qui l’inspire s’exprime par un acte toujours plus réfléchi et authentique. Les "pieux exercices" du peuple chrétien, comme aussi les autres formes de dévotion, sont accueillis et recommandés, pourvu qu’ils ne se substituent pas et qu’ils ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques. Une authentique pastorale liturgique saura s’appuyer sur les richesses de la piété populaire, les purifier et les orienter vers la liturgie comme offrande des peuples".

3. Ainsi, dans le but d’aider "les Évêques afin que, outre le culte liturgique, soient favorisées et tenues en honneur les prières et les pratiques de piété du peuple chrétien qui sont pleinement en accord avec les normes de l’Église", il a semblé opportun à ce Dicastère de rédiger le présent Directoire, qui contient un exposé aussi complet que possible des relations entre la Liturgie et la piété populaire, ainsi que certains principes et des indications concernant leur application pratique.

 

Nature et structure

4. Le Directoire est constitué de deux parties. La première partie, intitulée Caractères principaux, fournit des éléments destinés à harmoniser le culte liturgique et la piété populaire. Il est tout d’abord question de l’expérience mûrie tout au long de l’histoire et de la description de la situation complexe propre à notre temps (chap. I); puis, le Directoire présente l’ensemble des enseignements du Magistère, qui constituent les bases indispensables pour réaliser la communion ecclésiale et mener une action pastorale bénéfique (chap. II); enfin, le document expose les principes théologiques, à la lumière desquels il est possible d’affronter et de résoudre les problèmes concernant les rapports entre la Liturgie et la piété populaire (chap. III). Le développement d’une harmonie vraie et féconde entre ces deux réalités dépend du respect effectif et sage de ces présupposés. Au contraire, leur non-respect a pour conséquences une ignorance mutuelle, qui est stérile, une confusion dommageable ou une opposition polémique.

La seconde partie, intitulée Orientations, présente un ensemble de propositions concrètes, sans oublier néanmoins de mentionner les usages et les pratiques de piété de certains lieux particuliers. Il reste qu’en mentionnant les différentes expressions de la piété populaire, on n’a pas voulu pour autant encourager leur adoption là où elles n’existent pas. La présentation est réalisée en se référant à la célébration de l’Année liturgique (chap. IV), à la vénération particulière que l’Église porte à la Mère du Seigneur (chap. V), à la dévotion envers les Anges, les Saints et les Bienheureux (chap. VI), aux suffrages destinés aux frères et sœurs défunts (chap. VII), à l’accomplissement des pèlerinages et aux manifestations de piété dans les sanctuaires (chap. VIII).

L’ensemble de ce Directoire, qui a pour but d’orienter et aussi, dans certains cas, de prévenir de possibles abus et déviations, se distingue en outre par son caractère constructif et son ton positif. Dans cette perspective, les Orientations comprennent, au sujet des dévotions particulières, de brèves notices historiques, suivies du rappel des divers pieux exercices, auxquels elles donnent lieu, et elles exposent les raisons théologiques qui constituent leur fondement, en donnant des suggestions pratiques concernant le temps, le lieu, le langage et les autres éléments qui sont nécessaires pour réaliser l’harmonie indispensable entre les actions liturgiques et les pieux exercices.

 

Les destinataires

5. Les propositions concrètes, qui concernent seulement l’Église latine et en premier lieu le Rite Romain, sont adressées avant tout aux Évêques, à qui il appartient de présider la communauté cultuelle de leur diocèse, de faire progresser la vie liturgique et de coordonner cette dernière avec les autres formes cultuelles; les destinataires de ces propositions sont aussi les collaborateurs directs des Évêques, c’est-à-dire leurs Vicaires, les prêtres et les diacres, et, à un titre particulier, les recteurs des sanctuaires. Enfin, elles sont adressées aux Supérieurs majeurs des instituts de vie consacrée, masculins et féminins, parce qu’un grand nombre de manifestations de la piété populaire se sont développées à leur contact, et que, de cette collaboration des religieux, des religieuses et des membres des instituts séculiers, on peut attendre beaucoup de résultats positifs pour une juste harmonisation entre la Liturgie et la piété populaire.

 

La terminologie

6. Au cours des siècles, les Églises d’Occident se sont distinguées par leur capacité de développer et d’enraciner, dans le peuple chrétien, avec et à côté des célébrations liturgiques, des formes à la fois multiples et variées pour exprimer, avec simplicité et ferveur, la foi en Dieu, l’amour envers le Christ Rédempteur, l’invocation de l’Esprit Saint, la dévotion envers la Vierge Marie, la vénération des Saints, le devoir de la conversion et la charité fraternelle. Il reste que, dans ce domaine si complexe, désigné communément par les expressions de "religiosité populaire" ou de "piété populaire", la terminologie employée n’est pas univoque, et c’est pourquoi il est indispensable d’apporter quelques précisions. Tout en n’ayant pas la prétention de trancher définitivement chacune des questions, il a paru important de présenter la définition usuelle des locutions employées dans ce document.

Les pieux exercices

7. Dans le Directoire, la locution "pieux exercice" désigne les expressions publiques ou privées de la piété chrétienne qui, bien que ne faisant pas partie de la Liturgie, sont en harmonie avec cette dernière, c’est-à-dire conformes à son esprit, à ses normes et à ses rythmes; de plus, ces expressions tirent d’une certaine manière leur inspiration de la Liturgie, et elles doivent y conduire le peuple chrétien. Certains pieux exercices sont accomplis sur l’ordre du Siège Apostolique, d’autres sur l’ordre des Évêques; beaucoup appartiennent aux traditions cultuelles des Églises particulières et des familles religieuses. Les pieux exercices ont toujours une référence dans la révélation divine publique, et un fondement ecclésial: ils concernent, en effet, les réalités de la grâce révélées par Dieu en Jésus Christ; de plus, ils doivent se conformer "aux lois et aux normes de l’Église", et ils sont célébrés "selon les coutumes ou les livres légitimement approuvés".

Les dévotions

8. Dans ce document, le terme "dévotions" est employé pour désigner les diverses pratiques extérieures (par exemple, les prières ou les chants; le respect de certains temps et la visite de lieux particuliers, les insignes, les médailles, les habitudes et les normes), qui, animées de l’intérieur par la foi, mettent un accent particulier sur la relation entre, d’une part, le fidèle et, d’autre part, les Divines Personnes de la Très Sainte Trinité, ou la bienheureuse Vierge Marie en se référant à ses privilèges de grâce ou aux titres qu’ils expriment, ou encore les Saints, considérés dans leur configuration au Christ ou dans le rôle qu’ils ont exercé dans la vie de l’Église.

La piété populaire

9. La locution "piété populaire" désigne ici les diverses manifestations cultuelles de nature privée ou communautaire qui, dans le cadre de la foi chrétienne, s’expriment d’abord, non pas selon les formes de la sainte Liturgie, mais en empruntant des aspects particuliers appartenant en propre au génie d’un peuple ou d’une ethnie, et donc à leur culture.

La piété populaire, définie très justement comme un "vrai trésor du Peuple de Dieu", "traduit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de manifester la foi. Elle comporte un sens aigu d’attributs profonds de Dieu: la paternité, la providence, la présence amoureuse et constante. Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées ailleurs au même degré: patience, sens de la croix dans la vie quotidienne, détachement, ouverture aux autres dévotions".

La religiosité populaire

10. Les réalités désignées par la locution "religiosité populaire" renvoient à une expérience universelle: une certaine dimension religieuse est toujours présente dans le cœur de chaque personne, comme dans la culture de chaque peuple, en particulier dans le cadre de ses manifestations collectives. De fait, chaque peuple tend à exprimer sa propre vision totalisante de la transcendance, ainsi que sa conception de la nature, de la société et de l’histoire en se servant des médiations cultuelles, et il réalise ainsi une synthèse particulière qui a une dimension humaine et spirituelle de grande valeur.

La religiosité populaire ne concerne pas uniquement la révélation chrétienne. En effet, en de nombreuses régions, où vivent des sociétés imprégnées d’éléments chrétiens selon des modes différents et variables, jaillit une sorte de "catholicisme populaire", où coexistent, d’une manière plus ou moins harmonieuse, divers éléments provenant du sens religieux de la vie, de la culture propre du peuple et de la révélation chrétienne.

 

Quelques principes

Afin d’avoir une vision d’ensemble de la question, il est indispensable d’exposer succinctement différents éléments qui seront ensuite développés et expliqués dans le présent Directoire.

Le primat de la Liturgie

11. L’histoire enseigne que, à certaines époques, la foi a été soutenue par des formes et des pratiques de piété, qui, dans la majorité des cas, ont été souvent considérées par les fidèles comme des événements particulièrement marquants et indissociables des célébrations liturgiques. En vérité, "toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence, dont nulle action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré". Cependant, il faut surmonter l’équivoque qui consiste à soutenir que la Liturgie ne serait pas "populaire": le renouveau conciliaire s’est fixé comme objectif de promouvoir la participation du peuple à la célébration de la Liturgie, en favorisant des moyens et des éléments (les chants, la participation active, les ministères dévolus aux laïcs...) qui, en d’autres temps, avaient suscité l’élaboration de prières qui alternaient avec l’action liturgique ou se substituaient à elle.

La primauté de la Liturgie sur les autres formes de prières chrétiennes, qui sont possibles et légitimes, doit trouver un écho dans la conscience des fidèles: si les sacrements sont indispensables pour pouvoir vivre unis au Christ, les diverses formes de la piété populaire ont, en revanche, un caractère facultatif. On peut citer, à titre d’illustration particulièrement importante et vénérable, le précepte de la participation à la Messe dominicale; de leur côté, les pieux exercices, qui, pourtant, peuvent être recommandés et répandus parmi les fidèles d’une manière habituelle, ne font jamais l’objet d’une obligation, même si certaines communautés ou des fidèles, à titre personnel, ont toujours la possibilité de considérer qu’ils ont un caractère impératif.

Ce principe doit être enseigné aux prêtres et aux fidèles dans le cadre de leur formation respective; en effet, il faut affirmer sans ambiguïté la primauté de la prière liturgique et de l’année liturgique sur toutes les autres pratiques de dévotion. Il est vrai, toutefois, que cette même primauté ne peut en aucun cas être synonyme d’exclusion, d’opposition et de marginalisation.

Valorisation et renouveau

12. Le caractère facultatif des pieux exercices ne peut en aucun cas signifier une quelconque méconnaissance, ni même le mépris à leur égard. L’attitude juste qu’il convient d’adopter est, au contraire, celle qui consiste à valoriser d’une manière adéquate et avec sagesse, les richesses non négligeables de la piété populaire, avec ses potentialités et la qualité de la vie chrétienne qu’elle est capable de susciter.

Puisque l’Évangile est la mesure et le critère de toute forme, ancienne et nouvelle, de la piété chrétienne, la valorisation des pieux exercices et des pratiques de dévotion doit aller de pair avec un travail de purification, en vue de les harmoniser avec le mystère chrétien. Cette remarque vaut particulièrement pour les éléments de la piété populaire assumés par la Liturgie chrétienne, car cette dernière "ne peut absolument pas accueillir des rites de magie, de superstition, de spiritisme, de vengeance ou à connotation sexuelle".

Ainsi, on comprend que le renouveau liturgique voulu par le Concile Vatican II doive aussi, en quelque sorte, inspirer l’évaluation et le renouveau des pieux exercices et des pratiques de dévotion. La piété populaire doit faire apparaître les éléments suivants: l’inspiration biblique, car on ne peut concevoir une prière chrétienne sans référence directe ou indirecte à un passage de la Bible; l’inspiration liturgique, puisque la piété populaire met en relief ou du moins se fait l’écho des mystères célébrés dans les actions liturgiques; l’inspiration œcuménique, c’est-à-dire la prise en compte des sensibilités et des traditions chrétiennes diverses, tout en évitant de se prêter à des expériences inopportunes; l’inspiration anthropologique, qui s’exprime, soit dans l’accueil de symboles et d’expressions propres à un peuple, en évitant, toutefois, un archaïsme qui serait privé de toute signification, soit dans l’effort qui vise à engager un dialogue avec les sensibilités contemporaines. Un tel renouveau ne sera fructueux que s’il est réalisé graduellement et avec pédagogie, en tenant compte des lieux et des circonstances.

Distinction et harmonie avec la Liturgie

13. La différence objective entre, d’une part, les pieux exercices et les pratiques de dévotion, et, d’autre part, la Liturgie, doit apparaître clairement dans les expressions du culte chrétien. Cela signifie, d’une part, que les formes particulières des pieux exercices ne peuvent pas se mêler aux actions liturgiques, et, d’autre part, que les actes de piété et de dévotion ont une place qui leur est propre, en dehors de la célébration de l’Eucharistie et des autres sacrements.

De plus, il faut éviter le phénomène de la superposition, afin que le langage, le rythme, la configuration, les accents théologiques de la piété populaire se différencient bien des éléments correspondants dans les actions liturgiques. De même, si cela est nécessaire, il convient de remédier à une éventuelle concurrence ou opposition avec les actions liturgiques, en garantissant en particulier le caractère primordial du dimanche, des solennités, des temps et des jours liturgiques.

Enfin, il faut éviter de qualifier les pieux exercices de "célébrations liturgiques", car ils doivent conserver leur propre style, leur simplicité et leur langage particulier.

 

Le langage de la piété populaire

14. Le langage verbal et gestuel de la piété populaire, tout en conservant sa simplicité et sa spontanéité d’expression, doit néanmoins toujours être particulièrement soigné, afin de laisser apparaître, dans tous les cas et en même temps, la vérité de la foi et la grandeur des mystères chrétiens.

Les gestes

15. La piété populaire se caractérise par une variété très riche d’expressions corporelles, de gestes et de symboles. On peut citer, par exemple, l’usage d’embrasser ou de toucher avec la main les images et les lieux saints, les reliques ou les objets sacrés; le fait d’entreprendre des pèlerinages ou d’organiser des processions, de parcourir des tronçons de route ou certains parcours "spéciaux" à pieds ou à genoux; la présentation d’offrandes, de cierges et d’ex-voto; le port d’habits particuliers; le fait de s’agenouiller et de se prosterner, de porter des médailles et des insignes... De telles expressions, qui se transmettent depuis des siècles de père en fils, constituent des moyens directs et simples destinés à manifester extérieurement les sentiments présents dans le cœur des fidèles, et aussi leur volonté de vivre d’une manière authentiquement chrétienne. Sans cette dimension d’intériorité, les gestes symboliques risquent de devenir des coutumes vides de sens et, dans le pire des cas, de dégénérer en superstition.

Les textes et les formules

16. Bien que les énoncés des prières et les formules de dévotion soient rédigés en employant un langage que l’on pourrait qualifier de moins rigoureux, si on les compare aux prières de la Liturgie, ils doivent néanmoins s’inspirer des textes de la Sainte Écriture, de la Liturgie, des Pères et du Magistère, tout en étant conformes à la foi de l’Église. L’emploi des textes des prières et des actes de piété, qui ont un caractère stable et public, requiert l’approbation de l’Ordinaire du lieu.

Le chant et la musique

17. De même, le chant, qui est l’expression naturelle de l’âme d’un peuple, occupe une place de choix dans le cadre de la piété populaire. Le soin apporté à conserver les chants traditionnels transmis par les générations précédentes, doit être associé au sens biblique et ecclésial, et, par conséquent, doit se conjuguer avec la nécessité de révisions successives ou de nouvelles compositions.

Certains peuples ont coutume d’associer le chant avec le battement des mains, le mouvement rythmique du corps et la danse. Ces manières particulières d’exprimer les sentiments intérieurs font partie des traditions populaires, spécialement à l’occasion des fêtes des saints Patrons; elles sont recevables dans la mesure où elles constituent les expressions d’une vraie prière commune, et non pas simplement un spectacle. Le fait qu’elles aient cours habituellement dans des lieux bien déterminés ne signifie pas pour autant qu’on doive encourager leur extension à d’autres lieux, dans lesquels leur usage ne conviendrait pas par manque de connaturalité.

Les images

18. Une autre expression très importante de la piété populaire est le recours aux images sacrées; celles-ci sont réalisées en tenant compte des règles de la culture ambiante et en fonction de la grande diversité des artistes, et elles aident les fidèles à accéder aux mystères de la foi chrétienne. Il convient d’affirmer que la vénération envers les images sacrées appartient, par nature, à la piété catholique: le signe tangible de cet attachement est constitué par le grand patrimoine artistique, présent dans les églises et les sanctuaires, à la constitution duquel la dévotion populaire a souvent contribué.

Il convient de rappeler le principe relatif à l’emploi liturgique des images du Christ, de la Vierge Marie et des Saints, qui est traditionnellement affirmé et défendu par l’Église, consciente que "l’honneur rendu à l’image est adressé à la personne qui est représentée". Les directives qui s’imposent aux images sacrées présentées dans les églises - concernant la vérité de la foi qu’elles expriment, ainsi que leur hiérarchie, leur beauté et leur qualité - doivent s’appliquer aussi aux images et aux objets destinés à la dévotion privée et personnelle.

Puisque l’iconographie, qui a sa place dans les édifices sacrés, n’est pas laissée à l’initiative privée, les responsables des églises et des oratoires doivent exercer la vigilance nécessaire, afin de garantir la dignité, la beauté et la qualité des images présentées à la vénération publique des fidèles, en veillant en particulier à ce que des tableaux ou des statues inspirés par les dévotions privées de quelques personnes, ne soient pas imposés de facto à la vénération commune.

Les Évêques, de même que les recteurs des sanctuaires, doivent s’assurer que les images sacrées destinées à l’usage des fidèles, qui sont réalisées de manières diverses, pour être exposées dans les maisons, ou portées en pendentif, ou encore conservées personnellement, ne dégénèrent ni dans la banalité, ni dans l’erreur.

Les lieux

19. En plus de l’église, la piété populaire a comme espace privilégié le sanctuaire - il ne s’agit pas toujours d’une église -, qui se distingue par des formes et des pratiques particulières de dévotion, dont la plus notable est le pélerinage. À côté de ces lieux de culte, qui sont explicitement réservés à la prière communautaire et privée, il en existe d’autres, non moins importants, à savoir la maison, les lieux de vie et de travail, et, en certaines circonstances, les rues et les places, qui, ainsi, sont appelées à devenir elles aussi des lieux de manifestation de la foi.

Les temps

20. L’alternance des jours et des nuits, la succession des mois et le changement des saisons sont accompagnés par des expressions variées de la piété populaire. De même, cette dernière est associée à des jours particuliers, où sont célébrés des événements joyeux et tristes de la vie personnelle, familiale et communautaire. Surtout, la "fête", avec ses journées de préparation, est destinée à donner du relief aux manifestations religieuses qui ont contribué à forger la tradition particulière d’une communauté déterminée.

 

Responsabilité et compétence

21. Les manifestations de la piété populaire sont placées sous la responsabilité de l’Ordinaire du lieu: c’est à lui qu’il appartient de les réglementer, de les encourager dans le cadre de sa fonction propre qui consiste à stimuler la vie chrétienne des fidèles, de les purifier là où cela s’avère nécessaire, et de les évangéliser. Il revient aussi à l’Ordinaire du lieu de veiller à ce que les manifestations de la piété populaire ne se substituent pas et ne se mélangent pas aux célébrations liturgiques; de même, il lui revient d’approuver les textes des prières et des formules, qui sont employés durant les actes publics de piété et dans le cadre des pratiques de dévotion. Les dispositions prises par un Ordinaire, qui sont destinées à son propre territoire de juridiction, concernent l’Église particulière qui lui est confiée.

Il reste que des fidèles, à titre personnel - qu’ils soient clercs ou laïcs - ainsi que des groupes particuliers doivent éviter de proposer publiquement et de propager des prières, des formules et des initiatives, sans le consentement de l’Ordinaire.

Selon la norme de la Constitution apostolique Pastor Bonus précitée (n. 70), cette Congrégation est compétente pour aider les Évêques dans la détermination des prières et des pratiques de piété du peuple chrétien, pour émettre des dispositions qui s’appliquent à des cas dépassant le cadre territorial d’une Église particulière, et pour imposer des mesures complémentaires, si cela s’avère nécessaire.

***

PREMIÈRE PARTIE

CARACTÈRES PRINCIPAUX

DÉTERMINÉS PAR L’HISTOIRE, LE MAGISTÈRE, LA THÉOLOGIE

Chapitre I

LITURGIE ET PIÉTÉ POPULAIRE
À LA LUMIÈRE DE L’HISTOIRE

La liturgie et la piété populaire au cours des siècles

22. Les rapports entre la Liturgie et la piété populaire sont très anciens. Dans un premier temps, il est nécessaire de présenter succinctement comment ces relations ont été vécues tout au long des siècles. Sur ces fondements, il sera ensuite possible d’émettre des idées ou d’énoncer des suggestions, dans le but de contribuer, dans un nombre non négligeable de cas, à résoudre certaines questions qui se posent à notre époque.

Les premiers siècles chrétiens

23. La période apostolique et post-apostolique a été marquée par une interpénétration profonde entre les diverses expressions liturgiques, qui sont qualifiées de nos jours respectivement de "Liturgie" et de "piété populaire". Dans les communautés chrétiennes les plus anciennes, la seule réalité qui est prise en considération est le Christ (cf. Col 2, 16), avec ses paroles de vie (cf. Jn 6, 63), son commandement de l’amour réciproque (cf. Jn 13, 34), et les actions rituelles qu’il a commandées d’accomplir en mémoire de lui (cf. 1 Cor 11, 24-26). Tout le reste - les jours et les mois, les saisons et les années, les fêtes et les nouvelles lunes, la nourriture et les boissons... (cf. Gal 4, 10; Col 2, 16-19) - est secondaire.

Dès les premières générations chrétiennes, il est possible de relever l’existence de signes et de gestes se rapportant à la piété personnelle; ceux-ci, en tout premier lieu, provenaient de la tradition judaïque; de plus, tout en se conformant à l’exemple donné par Jésus et saint Paul, ces initiatives des chrétiens s’inspiraient de leurs conseils au sujet de la prière incessante (cf. Lc 18, 1; Rm 12, 12; 1 Th 5, 17), qui doit être adressée à Dieu pour obtenir ou commencer toute chose dans l’action de grâce (cf. 1 Co 10, 31; 1 Th 2, 13; Col 3, 17). Le pieux Israëlite commençait la journée en louant et en rendant grâce à Dieu, et il accomplissait chaque action dans cet esprit tout au long du jour; ainsi, chaque moment, qu’il fût joyeux ou triste, était l’occasion d’exprimer une prière de louange, de demande ou de pardon. Les Évangiles et les autres écrits du Nouveau Testament contiennent des invocations adressées à Jésus, qui, répétées par les fidèles en dehors du contexte liturgique, étaient devenues en quelque sorte des prières jaculatoires, par lesquelles ils exprimaient leur dévotion centrée sur le Christ. On peut penser que les fidèles avaient l’habitude de répéter des locutions bibliques telles que: "Jésus, Fils de David, aie pitié de moi" (Lc 18, 38); "Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir" (Mt 8, 1); "Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume" (Lc 23, 42); "Mon Seigneur et mon Dieu" (Jn 20, 28); "Seigneur Jésus, reçois mon esprit" (Ac 7, 59). Cette forme de piété constituera le modèle à partir duquel se développeront d’innombrables prières adressées au Christ par les fidèles de tous les temps.

On a pu remarquer que, jusqu’à la fin du II siècle, diverses formes et expressions de la piété populaire, qui étaient d’origine judaïque, ou qui étaient basées sur des éléments appartenant à la culture gréco-romaine, ou à d’autres cultures, avaient pénétré spontanément dans la Liturgie. Ainsi, par exemple, il a été souligné que le document connu sous le nom de Traditio apostolica comprend un certain nombre d’éléments qui proviennent de la culture populaire de cette époque.

De même, le culte des martyrs, si important dans les Églises locales, contient des éléments qui proviennent d’usages populaires concernant la mémoire des défunts. De tels éléments de la piété populaire se retrouvent aussi dans certaines expressions de vénération à l’égard de la bienheureuse Vierge Marie, parmi lesquelles on peut citer la prière du Sub tuum praesidium, et l’iconographie mariale présente dans les catacombes de Priscille, à Rome.

Il est vrai que l’Église fait preuve de beaucoup de rigueur pour exiger les dispositions personnelles requises de la part des fidèles, et pour imposer les conditions indispensables en vue d’une célébration des mystères divins qui soit empreinte de dignité (cf. 1 Cor 11, 17-32); pourtant, elle n’hésite pas à incorporer elle-même dans les rites liturgiques des formes et des expressions de la piété individuelle, familiale et communautaire.

À cette époque, la Liturgie et la piété ne s’opposent pas, aussi bien sur le plan doctrinal que pastoral: de fait, elles concourent toutes les deux d’une manière harmonieuse à la célébration de l’unique mystère du Christ, considéré dans son unité, et au soutien de la vie surnaturelle et morale des disciples du Seigneur.

24. À partir du IV siècle, le nouveau contexte politique et social dans lequel se trouve l’Église, encourage cette dernière à poser la question des rapports entre les expressions liturgiques et celles de la piété populaire en des termes, non seulement de convergence spontanée, mais aussi d’adaptation volontaire et d’inculturation.

Les diverses Église locales, mues par des intentions intensément missionnaires et pastorales, acceptaient volontiers d’accueillir dans la Liturgie, tout en les purifiant, des formes cultuelles solennelles et festives, appréciées par le peuple, qui, tout en provenant de l’univers du paganisme, étaient capables d’émouvoir les âmes et de toucher l’imagination. Ces formes, mises au service du culte, ne paraissaient pas contraires à la Vérité de l’Évangile, ni à l’authenticité du vrai culte chrétien. Ainsi, il s’avérait que les multiples expressions cultuelles ancrées dans les sentiments religieux les plus profonds de la personne humaine, qui s’adressaient habituellement à des faux dieux et à des faux sauveurs, trouvaient leur juste et véritable place dans le seul culte rendu au Christ, vrai Dieu et vrai Sauveur.

25. Au cours des IV et V siècles, le sens du sacré marque de plus en plus explicitement le temps et les lieux. De fait, en ce qui concerne tout d’abord le temps, les Églises locales, qui se référaient déjà aux événements du Nouveau Testament relatifs au "jour du Seigneur", aux festivités pascales et aux périodes réservées au jeûne (cf. Mc 2, 18-22), établirent en outre des jours bien déterminés en vue de la célébration de certains mystères du Christ Sauveur, dont, en particulier, l’Épiphanie, Noël et l’Ascension. Elles fixèrent aussi certains jours pour honorer les mémoires des martyrs, le jour de leur dies natali, pour évoquer l’entrée dans la vie éternelle de leurs pasteurs en l’anniversaire de leur dies depositionis, enfin, pour célébrer certains sacrements ou des engagements solennels. La sacralisation d’un lieu a pour origine la convocation, à cet endroit, de la communauté en vue de la célébration des mystères divins et de la louange du Seigneur; ce lieu, qui est alors soustrait au culte païen ou tout simplement à l’usage profane, est exclusivement dédié au culte divin, et devient, du fait de la disposition même de son espace architectonique, un reflet du mystère du Christ et une image de l’Église célébrante.

26. C’est de cette époque que date le processus de formation, et, par la suite, de différenciation des diverses familles liturgiques. En effet, les plus importantes Églises métropolitaines, pour des motifs tenant à la langue, à la tradition théologique, à la sensibilité spirituelle et au contexte social, célèbrent l’unique culte du Seigneur en se référant à leurs propres usages culturels et populaires. Cette démarche conduit progressivement à la création de familles liturgiques qui possèdent chacune leur propre style de célébration et un ensemble complexe de textes et de rites. Il convient de relever la présence, dans ces diverses Liturgies, de nombreux éléments d’origine populaire, y compris durant ces périodes, qui sont généralement considérées comme particulièrement brillantes.

De plus, les Évêques et les synodes régionaux interviennent dans l’organisation du culte, en promulguant des normes, en vérifiant la rectitude doctrinale des textes et en veillant sur leur beauté formelle, enfin en évaluant l’ordonnancement des rites. Ces interventions contribuent à fixer les formes liturgiques, ce qui a pour conséquence d’affaiblir la créativité, dépourvue de tout caractère arbitraire, qui prévalait à l’origine. L’analyse de ce phénomène a permis à certains spécialistes de mettre en évidence l’une des causes de la future prolifération des textes destinés à la piété privée et populaire.

27. Le pontificat de saint Grégoire le Grand (590-604), éminent pasteur et liturgiste, est généralement considéré comme une référence exemplaire dans le domaine de la fécondité des rapports entre la Liturgie et la piété populaire. De fait, ce Pontife entreprit de réaliser une importante œuvre liturgique destinée à offrir au peuple romain, par l’organisation des processions, des stations et des rogations, des formes liturgiques qui, tout en correspondant à la sensibilité populaire, étaient solidement ancrées dans la célébration même des mystères divins; il promulgua de sages directives afin d’éviter que la conversion des nouveaux peuples à l’Évangile ne se fasse au détriment de leurs propres traditions culturelles, mais, que, au contraire, la Liturgie puisse être enrichie de nouvelles expressions cultuelles légitimes; il harmonisa les nobles expressions du génie artistique avec celles, plus simples, de la sensibilité populaire; il renforça l’unité du culte chrétien en le centrant d’une manière intangible sur la célébration de Pâques, de telle sorte que les divers événements de l’unique mystère du salut - comme, par exemple, Noël, l’Épiphanie et l’Ascension... - soient célébrés d’une manière particulière; enfin, il favorisa l’extension du culte des Saints par la multiplication des mémoires.

Le Moyen Âge

28. Dans l’Orient chrétien, spécialement byzantin, la période médiévale est marquée par la lutte contre l’hérésie iconoclaste, qui s’est déroulée en deux phases (725-787 et 815-843); cette époque est considérée comme une ligne de partage en ce qui concerne le développement de la Liturgie; celle-ci est bien visible autant dans les commentaires classiques sur la Liturgie eucharistique que dans l’iconographie intéressant les édifices du culte.

Dans le domaine de la Liturgie, on assiste à la fois à un accroissement considérable du patrimoine iconographique, et à la fixation définitive des formes rituelles. La Liturgie reflète la vision symbolique de l’univers, et la conception hiérarchique et sacrale du monde. En elle convergent des éléments aussi divers que les traits dominants de la société chrétienne, les idéaux et les structures du monachisme, les aspirations populaires, les intuitions des mystiques et les règles des ascètes.

Après la fin de la crise iconoclaste due au décret De sacris imaginibus du Concile œcuménique de Nicée II (787) - une victoire qui fut consolidée dans le "Triomphe de l’Orthodoxie" (843) - l’iconographie se développe, s’organise d’une manière définitive et se dote d’une légitimation doctrinale. L’icône, hiératique, d’une grande qualité symbolique, constitue elle-même un élément de la célébration liturgique: elle est un reflet du mystère qui est célébré, elle en constitue même une forme de présence permanente, et elle le propose au peuple fidèle.

29. En Occident, la rencontre, qui remonte au V siècle, entre, d’une part, le christianisme et, d’autre part, les nouveaux peuples, spécialement les Celtes, les Wisigoths, les Anglo-saxons, les Francs et les Germains, donne lieu, durant le haut Moyen Âge , à un processus de formation de nouvelles cultures et de nouvelles institutions politiques et sociales.

Durant la longue période qui s’étend du VII siècle à la moitié du XV siècle, la différenciation entre la Liturgie et la piété populaire commence, dans un premier temps, à s’affirmer, puis elle ne cesse de s’accentuer, dans un deuxième temps, jusqu’à la constatation de l’existence d’un véritable dualisme dans les célébrations: à côté de la Liturgie, célébrée en langue latine, on assiste au développement d’une piété populaire communautaire, qui est exprimée en langue vernaculaire.

30. Parmi les causes qui, durant cette période, ont déterminé un tel dualisme, on peut citer essentiellement:

- l’idée selon laquelle la Liturgie relève plutôt de la compétence des clercs, les laïcs devant se contenter d’en être en quelque sorte les spectateurs;

- la différenciation particulièrement accentuée entre les diverses composantes de la société chrétienne - c’est-à-dire entre les clercs, les moines et les laïcs - donne naissance à des formes et à des styles très divers de prières;

- l’attention, à la fois distincte et approfondie, portée aux divers aspects de l’unique mystère du Christ, dans les domaines liturgique et iconographique; si, d’un côté, cet intérêt particulièrement vif peut être considéré comme l’expression d’un attachement ardent à la vie et à l’œuvre du Seigneur, d’un autre côté, il ne facilite pas la perception claire de l’importance centrale de Pâques, et il favorise même la multiplication des moments et des formes de célébration de caractère populaire;

- la connaissance insuffisante des Écritures de la part, non seulement des fidèles laïcs, mais aussi de celle de nombreux clercs et religieux, rend difficile l’accès à la clef indispensable qui permet d’ouvrir le cœur à la compréhension de la structure et du langage symbolique de la Liturgie;

- en revanche, la diffusion de la littérature apocryphe, riche de récits miraculeux et d’épisodes anecdotiques, exerce une influence considérable sur l’iconographie et attire l’attention des fidèles en touchant leur imagination;

- la rareté des homélies, la disparition presque complète de la mystagogie et l’insuffisance de la formation catéchétique, qui ont pour effet de fermer la célébration liturgique à l’intelligence et à la participation active des fidèles, encouragent ces derniers à adopter des formes et des moments cultuels de substitution;

- la tendance à l’allégorisme qui, en exerçant une trop grande influence sur l’interprétation des textes et des rites, détourne les fidèles de la compréhension de la vraie nature de la Liturgie;

- l’adoption de formes et de structures d’origine populaire peut être considérée en quelque sorte comme une revanche inconsciente contre une Liturgie qui, à divers titres, s’est éloignée du peuple, tout en devenant pour beaucoup incompréhensible.

31. Durant le Moyen Âge, on vit surgir un grand nombre de mouvements spirituels et d’associations, au profil juridique et ecclésial très divers, dont la vie et les activités influèrent sur la mise en place des rapports entre la Liturgie et la piété populaire.

Ainsi, par exemple, les nouveaux ordres religieux de vie apostolique et évangélique, dédiés à la prédication, adoptèrent des formes de célébration plus simples que celles qui avaient cours dans les monastères, et aussi plus proches du peuple et de ses manières de s’exprimer. De plus, ils contribuèrent à la création d’un certain nombre de pieux exercices, dans lesquels ils exprimaient leur propre charisme, ce qui leur permit ainsi de le transmettre aux fidèles.

Les confréries religieuses de toutes sortes, de nature cultuelle ou caritative, et les corporations laïques, constituées à des fins professionnelles, furent à l’origine d’une activité liturgique importante de caractère populaire: elles érigèrent des chapelles pour leurs rassemblements cultuels, elles choisirent un Patron, dont elles célébrèrent la fête, et elles composèrent assez souvent, pour leur propre usage, des petits offices et des formulaires de prières, dans lesquels transparaissaient à la fois l’influence de la Liturgie et la présence d’éléments appartenant à la piété populaire.

De leur côté, les écoles de spiritualité constituaient alors des points de référence importants dans la vie de l’Église; elles inspiraient des attitudes et des modes de vie ancrés dans le Christ et dans l’Esprit Saint, qui, tout en exerçant une influence non négligeable sur le choix de certaines célébrations (par exemple, l’évocation des épisodes de la Passion du Christ), étaient aussi à l’origine de nombreux pieux exercices.

De même encore, la société civile, qui se définissait elle-même volontiers comme une societas christiana, modelait certaines de ses structures sur celles de l’Église, allant jusqu’à fixer ses propres points de repère sur les rythmes liturgiques; ainsi, par exemple, lorsque, le soir venu, le son des cloches se faisait entendre, les paysans, qui travaillaient dans les champs, savaient que le temps était venu de rentrer au village, et cette sonnerie des cloches les invitait en même temps à adresser une salutation à la Vierge Marie.

32. Ainsi, le Moyen Âge a vu naître et se développer de nombreuses expressions de la piété populaire, dont beaucoup, parmi elles, sont parvenues jusqu’à notre époque. Citons notamment:

- l’organisation de représentations sacrées, ayant pour objet les mystères célébrés durant l’année liturgique, en particulier les événements du salut que sont la Nativité du Christ, sa Passion, sa Mort et sa Résurrection;

- la naissance de la poésie en langue vernaculaire qui, en trouvant une application large dans le domaine de la piété populaire, favorise la participation des fidèles;

- l’apparition, auprès ou à la place de certaines expressions liturgiques, de formes alternatives ou parallèles, comme, par exemple, les diverses modalités d’adoration du Saint-Sacrement destinées à compenser la rareté de la communion eucharistique; la prière du Rosaire qui, vers la fin du Moyen Âge, tend à se substituer à celle des Psaumes; et la tendance à remplacer la Liturgie du Vendredi Saint par de pieux exercices en l’honneur de la Passion du Seigneur.

- la multiplication des formes populaires du culte adressé à la bienheureuse Vierge Marie et aux Saints: pèlerinages aux lieux saints de la Palestine, et aux tombes des Apôtres et des martyrs, vénération des reliques, suppliques litaniques, suffrages pour les défunts;

- le développement considérable des rites de bénédiction, constitués à la fois d’éléments exprimant une foi chrétienne authentique, et d’autres qui relèvent plutôt d’une sensibilité naturaliste, de croyances et de pratiques populaires pré-chrétiennes;

- la constitution de certains ensembles de "temps sacrés" , d’origine populaire, qui se forment en marge de l’année liturgique: jours de fêtes à la fois sacrées et profanes, triduums, septénaires, octaves, neuvaines et mois dédiés à des dévotions particulières.

33. Au Moyen Âge, les relations entre la Liturgie et la piété populaire sont à la fois permanentes et complexes. De fait, durant toute cette période, il est possible d’observer le double mouvement suivant: si, d’une part, la liturgie inspire et produit certaines expressions de la piété populaire, d’autre part, et en sens contraire, des formes de la piété populaire sont accueillies et intégrées dans la Liturgie. Ce double phénomène se produit surtout en ce qui concerne les rites de consécration des personnes ou qui ont pour objet des engagements personnels, les rites qui ont trait à la dédicace des lieux sacrés, dans le domaine de l’institution d’un certain nombre de fêtes, et, enfin, dans celui, ample et varié, des bénédictions.

Toutefois, on note, à cette époque, un certain dualisme dans les rapports entre la Liturgie et la piété populaire. Vers la fin du Moyen Âge, ces deux réalités traversent une période de crise: dans la Liturgie, à cause de la rupture de l’unité cultuelle, il arrive que des éléments secondaires acquièrent une importance excessive au détriments des éléments principaux; dans le domaine de la piété populaire, par manque d’une catéchèse approfondie, des déviations et des exagérations altèrent l’expression appropriée du culte chrétien.

L’époque moderne

34. Il ne semble pas que l’époque moderne, du moins à ses débuts, ait été une période très favorable pour l’élaboration d’une solution équilibrée dans le domaine des relations entre la liturgie et la piété populaire. Dans la seconde moitié du XV siècle, la devotio moderna, qu’illustrèrent d’éminents maîtres de la vie spirituelle, et qui connut une diffusion importante parmi les clercs et les laïcs érudits, favorisa le développement d’un certain nombre de pieux exercices, marqués par un style méditatif et un ton affectif, qui se référaient essentiellement à l’humanité du Christ - c’est-à-dire, en l’occurrence, les mystères de son enfance, de sa vie cachée, de sa Passion et de sa Mort -. Toutefois, la primauté accordée à la contemplation et la valorisation de la subjectivité, elles-mêmes unies à un certain pragmatisme ascétique, qui exaltait le devoir à accomplir, avaient pour conséquence que la Liturgie, en tant que source primordiale de la vie chrétienne, n’exerçait pas une grande ascendance spirituelle sur les hommes et les femmes de cette époque.

35. Parmi les expressions les plus typiques de la devotio moderna, il convient de citer l’ouvrage De imitatione Christi; ce livre a exercé une influence extraordinaire et salutaire sur de nombreux disciples du Seigneur, qui désiraient parvenir à la perfection chrétienne. L’œuvre De imitatione Christi oriente les fidèles vers un type de piété plutôt individuelle, en mettant l’accent sur le détachement du monde et l’invitation à écouter la voix du Maître intérieur; en revanche, il semble que, dans ce même ouvrage, la place dévolue aux aspects communautaires et ecclésiaux de la prière, ainsi qu’aux éléments de la spiritualité liturgique, soit trop restreinte.

Les milieux qui pratiquent la devotio moderna mettent en valeur un certain nombre de pieux exercices de qualité, qui, certes, manifestent sur le plan cultuel la dévotion de personnes sincérement dévotes, mais qui, néanmoins, ont pour limite de ne pas toujours contribuer à la valorisation pleine et entière de la célébration liturgique.

36. Entre la fin du XV siècle et le début du XVI siècle, les grandes découvertes géographiques - en Afrique, en Amérique, et ensuite dans l’Extrême-Orient - ont pour effet de présenter la question des rapports entre la Liturgie et la piété populaire d’une manière complètement nouvelle.

L’œuvre d’évangélisation et de catéchèse, qui se déploie dans des pays éloignés du centre, à la fois culturel et cultuel, du rite romain, est accomplie non seulement grâce l’annonce de la Parole et à la célébration des sacrements (cf. Mt 28,19), mais aussi au moyen des pieux exercices propagés par les missionnaires.

Les pieux exercices deviennent, par conséquent, un moyen de transmission de l’annonce de l’Évangile, et, ils contribuent ensuite à maintenir la ferveur de la foi chrétienne. Il reste que l’influence réciproque entre la Liturgie et la culture autochtone demeure rare à cause des normes qui régissaient alors la liturgie romaine (à l’exception, toutefois, de ce qui s’est passé d’une certaine manière dans les Reducciones du Paraguay). En revanche, dans le domaine de la piété populaire, la rencontre avec cette culture locale n’a pas rencontré de difficulté majeure.

37. Dans les premières années du XVI siècle, parmi les hommes les plus convaincus de la nécessité d’une réforme appropriée de l’Église, on peut citer les moines camaldules Paul Giustiniani et Pierre Querini, auteurs d’un Libellus ad Leonem X, qui contient d’importantes indications en vue de revitaliser la Liturgie et d’en ouvrir les trésors à tout le peuple de Dieu: il convient de citer, notamment, la nécessité de l’instruction du clergé et des religieux, qui doit surtout être un enseignement biblique; l’adoption de la langue vernaculaire dans la célébration des mystères divins; la réorganisation des livres liturgiques; l’élimination des éléments illégitimes et altérés de certaines formes erronées de la piété populaire; et la nécessité d’une catéchèse destinée, en particulier, à transmettre aux fidèles la valeur de la Liturgie.

38. Peu de temps après la clôture du Concile œcuménique de Latran V (16 mars 1517), qui édicta quelques règles concernant l’éducation des jeunes à la Liturgie, débuta la crise due à l’apparition du protestantisme, dont les protagonistes soulevèrent de nombreuses objections sur des points essentiels de la doctrine catholique à propos des sacrements et du culte promu par l’Église, y compris la piété populaire.

Au cours de ses trois phases, le Concile œcuménique de Trente (1545-1563), convoqué pour faire face à la situation résultant de la propagation du mouvement protestant parmi les membres du peuple de Dieu, s’attacha à étudier les questions touchant la Liturgie et la piété populaire sous le double aspect de la doctrine et du culte. Toutefois, étant donné le contexte historique et le caractère dogmatique des thèmes qu’il était appelé à traiter, le Concile aborda principalement les questions d’ordre liturgique et sacramentel d’un point de vue doctrinal: il réalisa cette étude en adoptant une attitude où se mêlaient la dénonciation des erreurs et la condamnation des abus, ainsi que la défense de la foi et de la tradition liturgique de l’Église; il se montra aussi très attentif aux problèmes concernant l’instruction liturgique du peuple, en proposant, dans le décret De reformatione generali , un programme pastoral, dont la réalisation était confiée au Saint-Siège et aux Évêques.

39. Conformément aux dispositions émises par le Concile, de nombreuses provinces ecclésiastiques tinrent des synodes, au cours desquels se manifesta la préoccupation de conduire les fidèles à une participation active durant la célébration des mystères divins. De leur côté, les Pontifes Romains entreprirent une réforme liturgique de grande ampleur: en effet, en un temps relativement bref, c’est-à-dire exactement entre 1568 et 1614, le Calendrier et les livres liturgiques du Rite romain furent révisés; de plus, en 1588, la Sacrée Congrégation des Rites fut créée dans le but de veiller au bon ordonnancement des célébrations liturgiques de l’Église romaine. Enfin, le Catechismus ad parochos était destiné à remplir un rôle de formation pastorale et liturgique.

40. La Liturgie tira de nombreux avantages de la réforme opérée à la suite du Concile de Trente: de nombreux rites furent renouvelés en tenant compte des "normes vénérables et antiques des Pères", dans les limites des connaissances scientifiques de l’époque; des éléments et des ajouts étrangers à la Liturgie, trop liés à la sensibilité populaire, furent supprimés; le contrôle du contenu doctrinal des textes fut institué, afin que ces derniers soient le reflet exact de la pureté de la foi; une unité rituelle remarquable fut restituée à la Liturgie romaine, qui retrouva sa dignité et sa beauté.

Toutefois, il convient de noter que cette réforme eut aussi, indirectement, quelques effets négatifs: le caractère invariable, dont était revêtue la Liturgie, semblait provenir des indications fournies par les rubriques, plus que de sa propre nature; de plus, le fait que la Liturgie paraissait résulter de l’action de la seule hiérarchie contribuait à renforcer le dualisme, qui existait déjà entre cette dernière et la piété populaire.

41. La Réforme catholique, dans le cadre de son entreprise positive de rénovation doctrinale, morale et institutionnelle de l’Église, unie à une intention manifeste d’arrêter la propagation du protestantisme, favorisa en un certain sens le développement de la culture baroque aux contours si complexes. Et cette dernière, de son côté, exerça une influence considérable sur les expressions littéraires, artistiques et musicales de la piété catholique. Durant la période post-tridentine, le rapport entre la Liturgie et la piété populaire se présente sous un apect quelque peu différent: de fait, la Liturgie entre dans une période d’uniformité substantielle et de statisme constant; à l’inverse, la piété populaire connaît un développement sans précédent.

Sans franchir certaines limites, dues à la nécessité d’empêcher l’apparition de formes exubérantes et fantaisistes, la Réforme catholique encouragea la création et la diffusion des pieux exercices, qui, de fait, constituèrent un moyen important pour la défense de la foi catholique et l’entretien de la piété des fidèles. Ce fut le cas, par exemple, des confréries vouées aux mystères de la Passion du Seigneur, à la Vierge Marie et aux Saints, qui se multiplièrent, ayant pour triple finalité la pénitence, la formation des laïcs et les œuvres de charité. Cette piété populaire a laissé derrière elle de très belles images, pleines d’émotion, dont la contemplation continue à alimenter la foi et l’expérience religieuse des fidèles.

Les "missions populaires", qui datent de cette époque, contribuent elles aussi à la diffusion des pieux exercices. Celles-ci font apparaître la coexistence entre la Liturgie et la piété populaire, tout en manifestant un certain déséquilibre entre les deux composantes de cette même réalité: en effet, les missions, dont le but est essentiellement de conduire les fidèles à s’approcher du sacrement de la réconciliation et à recevoir la communion eucharistique, recourent abondamment aux pieux exercices; ceux-ci constituent donc le moyen le plus sûr pour inciter ces mêmes fidèles à la conversion dans le cadre d’une action de type cultuel, elle-même marquée par une participation populaire qui ne fait jamais défaut.

Les pieux exercices étaient souvent recueillis et consignés dans des livres de prières qui, munis de l’approbation ecclésiastique, constituaient de véritables manuels destinés au culte; ils étaient utilisés aussi bien durant les divers moments de la journée, du mois et de l’année, que dans les circonstances innombrables de la vie.

À l’époque de la Réforme catholique, les relations entre la Liturgie et la piété populaire ne se présentent pas seulement dans les termes contraires de statisme et de développement, mais elles recouvrent aussi des réalités que l’on peut qualifier d’anormales: ainsi, il arrive parfois que les pieux exercices se déroulent à l’intérieur de l’action liturgique elle-même, en se superposant à cette dernière, et que, sur le plan pastoral, ils occupent une place primordiale par rapport à la Liturgie. Ces attitudes ont pour effet d’accentuer l’éloignement des fidèles par rapport à la Sainte Écriture; elles ont aussi pour conséquence de ne pas mettre suffisamment l’accent sur le caractère central du mystère pascal du Christ, qui s’exprime d’une manière privilégiée dans la célébration dominicale.

42. À l’époque de l’Illuminisme, la différence s’accentue entre la "religion des érudits", qui est potentiellement proche de la Liturgie, et la "religion des simples", qui, par nature, s’apparente à la piété populaire. Il reste que si, de fait, les personnes instruites et le peuple sont habitués à recourir aux mêmes pratiques religieuses, les gens "doctes" font néanmoins preuve d’une pratique religieuse éclairée par l’intelligence et le savoir, tout en affirmant leur volonté de se démarquer des formes de la piété populaire qui, à leurs yeux, se nourrissent de superstition et de fanatisme.

La Liturgie est alors influencée par de nombreux facteurs, dont, en particulier, le caractère aristocratique qui imprègne de multiples éléments de la culture de cette époque, la méthode de l’encyclopédie qui permet de rassembler tous les éléments de la connaissance, l’esprit critique et de recherche qui conduit à la publication des antiques sources liturgiques, et le caractère ascétique de certains mouvements qui, bien qu’influencés par le jansénisme, incitent au retour à la pureté de la Liturgie des premiers siècles chrétiens. Tout en répercutant des éléments de la culture ambiante de cette époque, l’intérêt renouvelé pour la Liturgie est animé par des considérations de nature pastorale, qui concernent aussi bien les clercs que les laïcs, comme on peut le constater en France, à partir du XVII siècle.

L’Église ne manque pas de prêter attention à la piété populaire dans les divers secteurs, très vastes, de son action pastorale. De fait, elle n’hésite pas à promouvoir un type d’action apostolique qui, dans une certaine mesure, tend à une intégration réciproque de la Liturgie et de la piété populaire. Ainsi, par exemple, la prédication est intégrée dans des temps liturgiques significatifs, tels que le Carême et les dimanches consacrés à la catéchèse des adultes; elle est destinée à la conversion des âmes et des mœurs des fidèles, qui sont incités à s’approcher du sacrement de la réconciliation, et à revenir à la pratique de la Messe dominicale, tout en rappelant la valeur du sacrement de l’Onction des malades et du Viatique.

La piété populaire, qui, dans le passé, s’était révélée efficace pour endiguer les effets négatifs du protestantisme, se révèle capable de contrer les idées corrosives du rationalisme et, à l’intérieur de l’Église, de remédier aux conséquences néfastes du jansénisme. Cette double confrontation, ainsi que le développement ultérieur des missions populaires, ont pour conséquence d’enrichir encore la piété populaire: certains aspects du Mystère de la foi sont ainsi mis en valeur d’une manière toute nouvelle; tel est le cas, par exemple, du Cœur du Christ, et des nouveaux "jours" qui polarisent la piété des fidèles, comme les neuf "premiers vendredis" du mois.

Au XVIII siècle, il convient de souligner, en particulier, l’activité de Louis Antoine Muratori qui sut conjuguer l’érudition avec la nécessité de s’adapter aux nouvelles situations pastorales, en proposant dans son ouvrage demeuré célèbre: Della regolata devozione dei cristiani, une religiosité capable de tirer sa substance de la Liturgie et de l’Écriture Sainte, tout en demeurant étrangère à toute superstition et à toute activité relevant de la magie. De même, il est important de faire référence à l’œuvre accomplie par le pape Benoît XIV (Prospero Lambertini), à qui l’on doit l’initiative de premier plan consistant à permettre l’usage de la Bible dans les langues vernaculaires.

43. La Réforme catholique avait renforcé les structures et l’unité du rite de l’Église romaine. Durant le XVIII siècle, qui fut marqué par une grande expansion missionnaire, l’Église avait introduit sa propre Liturgie et ses structures institutionnelles au milieu des peuples à qui le message évangélique était annoncé.

Au XVIII siècle, dans les territoires de mission, les rapports entre la Liturgie et la piété populaire se définissent en des termes semblables à ceux qui étaient déjà observés aux XVI et XVII siècles, tout en les accentuant:

- Dans le domaine de la Liturgie, par crainte d’éventuelles conséquences négatives dans le domaine de la foi, le problème de l’inculturation ne se pose pratiquement pas à cette époque - même s’il convient pourtant de mentionner les louables efforts de Matteo Ricci dans la question des Rites chinois, et ceux de Roberto de’ Nobili à propos des Rites indiens - ce qui a pour effet de maintenir intacte sa physionomie romaine, tout en lui conférant un aspect qui demeure, au moins en partie, étranger à la culture autochtone.

- Quant à la piété populaire, elle est, d’une part, soumise au danger du syncrétisme religieux, surtout là où l’évangélisation demeure superficielle; et, d’autre part, elle acquiert progressivement une autonomie plus grande et une maturité plus profonde, du fait qu’elle ne se limite pas aux seuls pieux exercices diffusés par les évangélisateurs, mais qu’elle en crée d’autres, qui s’enracinent dans la culture locale.

L’époque contemporaine

44. Au XIX siècle, après la crise provoquée par la Révolution française, dont l’intention était d’éradiquer la foi catholique en s’attaquant notamment au culte chrétien, on assiste à un renouveau très significatif de la Liturgie.

Cette renaissance fut précédée et préparée par un développement vigoureux de l’ecclésiologie, qui présentait l’Église, non seulement comme une société hiérarchique, mais aussi comme le Peuple de Dieu et comme une communauté réunie pour la célébration du culte. Parallèlement à ce réveil de l’ecclésiologie, il convient de relever, comme prémices du renouveau liturgique, la floraison des études bibliques et patristiques, et le dynamisme ecclésial et œcuménique de certains hommes tels que Antonio Rosmini († 1855) et John Henry Newman († 1890).

Dans le processus de renouveau du culte liturgique, il convient de mentionner particulièrement l’œuvre de l’abbé bénédictin Prosper Guéranger († 1875), restaurateur du monachisme en France et fondateur de l’abbaye de Solesmes: sa conception de la Liturgie est empreinte d’amour de l’Église et de la tradition; toutefois, la vénération dont il fait preuve envers la Liturgie romaine, considérée par lui comme un élément indispensable de l’unité de l’Église, l’incite à adopter une attitude d’opposition à l’égard des expressions liturgiques autochtones. Le renouveau liturgique promu par Dom Guéranger a le mérite de ne pas constituer seulement un mouvement de type académique, mais il a a surtout comme objectif de faire de la Liturgie l’expression cultuelle, intériorisée et active de tout le Peuple de Dieu.

45. Le XIX siècle n’est pas seulement marqué par le renouveau de la Liturgie mais il est caractérisé aussi par un développement de la piété populaire, qui s’effectue d’une manière autonome. Ainsi, la renaissance du chant liturgique coïncide avec la création de nouveaux chants populaires; de même, la diffusion de certains ouvrages liturgiques, tels que les missels bilingues à l’usage des fidèles, s’accompagne de la prolifération des livrets de dévotion.

Le mouvement culturel connu sous le nom de romantisme, qui met en valeur les sentiments humains et religieux de l’homme, favorise la recherche, la compréhension et la valorisation de la dimension populaire, y compris dans le domaine cultuel.

Durant ce siècle, on assiste aussi à un phénomène qui a une portée considérable: des expressions cultuelles promues localement sur la base d’initiatives venant du peuple, et se référant à des événements exceptionnels de caractère surnaturel - miracles, apparitions...-, obtiennent successivement une reconnaissance officielle, puis la faveur, et enfin la protection de l’autorité ecclésiale, et elles sont insérées dans la Liturgie elle-même. À titre d’illustration, on peut évoquer les divers sanctuaires, édifiés pour accueillir des pèlerinages, qui constituent à la fois des centres importants pour la Liturgie pénitentielle et eucharistique, et aussi des lieux où s’exprime la piété mariale du peuple.

Il reste qu’au XIX siècle les relations entre, d’une part, la Liturgie, qui se situe dans une phase de réveil, et, d’autre part, la piété populaire, qui traverse une période d’expansion, sont perturbées par un élément négatif: l’accentuation de la superposition des pieux exercices aux actions liturgiques, qui était un phénomène déjà présent à l’époque de la Réforme catholique.

46. Au début du XX siècle, le pape saint Pie X (1903-1914) manifeste sa volonté de rapprocher les fidèles de la Liturgie, c’est-à-dire de la rendre "populaire". De fait, le Souverain Pontife souligne que les fidèles ne peuvent acquérir le "vrai esprit chrétien" qu’en se tournant vers "sa première et indispensable source, qui est la participation active aux saints mystères, et à la prière publique et solennelle de l’Église". Par ces paroles, saint Pie X affirmait avec autorité la supériorité objective de la Liturgie sur toutes les autres formes de piété; de plus, il interdisait toute espèce de confusion entre la piété populaire et la Liturgie et, indirectement, il promouvait au contraire l’idée d’une claire distinction entre ces deux domaines, ouvrant ainsi la voie qui devait conduire à une compréhension plus juste de leurs rapports.

Ainsi, le mouvement liturgique prit naissance et se développa grâce à l’apport d’hommes éminents pour leur science, leur piété et leur attachement passionné à l’Église; il occupa une place remarquable dans la vie de l’Église du XX siècle, et les Souverains Pontifes virent en lui une manifestation de l’Esprit Saint. Le but ultime des protagonistes du mouvement liturgique était de nature pastorale: il s’agissait d’accroître chez les fidèles l’intelligence et donc aussi l’amour envers la célébration des mystères divins, et de les aider à prendre conscience de leur appartenance commune à un peuple sacerdotal (cf. 1 P 2,5).

On peut comprendre les réactions de certains représentants particulièrement exigeants du mouvement liturgique, qui se défiaient des manifestations de la piété populaire, en les considérant comme un motif de décadence de la Liturgie. En effet, ils étaient en présence de nombreux abus provoqués, soit par la superposition de certains pieux exercices à la Liturgie, soit, tout simplement, par la substitution de la Liturgie elle-même par des expressions cultuelles d’origine populaire. En outre, dans l’intention de restaurer le culte dans toute sa pureté, ces mêmes personnes considéraient la Liturgie des premiers siècles de l’Église comme un modèle insurpassable, et, par conséquent, ils rejetaient d’une manière catégorique toutes les expressions de la piété populaire d’origine médiévale, ou qui dataient de la période postérieure au Concile de Trente.

Toutefois, un tel refus ne tenait pas suffisamment compte du fait que les expressions de la piété populaire, qui, généralement, avaient été approuvées et recommandées par l’Église, avaient soutenu la vie spirituelle d’une multitude de fidèles, et qu’elles avaient engendré des fruits incomparables de sainteté, tout en contribuant très largement à la sauvegarde de la foi et à la diffusion du message chrétien. Cela explique pourquoi Pie XII, dans l’encyclique Mediator Dei du 21 novembre 1947, dont le contenu exhaustif manifestait l’intention de son auteur de prendre la tête du mouvement liturgique, opposa à ce refus la défense de ces pieux exercices, avec lesquels s’était identifiée, en quelque sorte, la piété catholique durant les derniers siècles.

Il revient au Concile œcuménique Vatican II, dans la Constitution Sacrosanctum Concilium, d’avoir défini d’une manière juste et équilibrée les relations entre la Liturgie et la piété populaire, en proclamant la primauté indiscutable de la sainte Liturgie et la subordination des pieux exercices par rapport à cette dernière, tout en réitérant leur caractère valide et légitime.

 

Liturgie et piété populaire: la problématique actuelle

47. Le parcours historique, qui a été retracé, met en évidence le fait que la question des rapports entre la Liturgie et la piété populaire ne se posent pas seulement à l’époque contemporaine: tout au long des siècles, elle s’est présentée de nombreuses fois, sous des dénominations et des formes différentes, et il lui a été donné diverses solutions. Il est donc nécessaire de tirer de l’expérience de l’histoire quelques indications permettant de répondre aux exigences pastorales qui se posent fréquemment et de façon urgente.

Les indications de l’histoire: les causes de déséquilibre

48. L’histoire montre tout d’abord que les relations entre la Liturgie et la piété populaire se détériorent durant les périodes où la conscience des valeurs essentielles de la Liturgie s’atténue dans l’esprit des fidèles. On peut citer les trois causes suivantes d’un tel affaiblissement:

- la conscience insuffisante ou sans cesse plus faible de la signification de Pâques et du rôle central que cette célébration occupe dans l’histoire du salut, et dont la Liturgie chrétienne est l’actualisation. Les fidèles font alors preuve de la tendance, presqu’inévitable, d’orienter leur piété vers d’autres épisodes salvifiques de la vie du Christ, et aussi vers la bienheureuse Vierge Marie, les Anges et les Saints, sans tenir compte de la "hiérarchie des valeurs";

- l’affaiblissement du sens du sacerdoce commun, en vertu duquel les fidèles sont habilités à "offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu, par Jésus Christ" (1 P. 2, 5; cf. Rm 12, 1), et à participer pleinement, selon leur condition, au culte de l’Église; un tel affaiblissement, qui va souvent de pair avec une Liturgie célébrée par des clercs qui interviennent même dans certaines parties de la célébration, qui ne relèvent pas de leurs fonctions propres de ministres sacrés, a pour conséquence d’orienter les fidèles vers la pratique des pieux exercices, dont ils se sentent pour leur part les participants actifs.

- la méconnaissance du langage propre à la Liturgie - c’est-à-dire la langue, les signes, les symboles et les gestes rituels - , a pour conséquence que le sens profond de la célébration échappe en grande partie aux fidèles. Cette ignorance peut même produire en eux l’impression qu’ils sont étrangers à l’action liturgique; c’est pourquoi ils marquent volontiers leur préférence pour les pieux exercices, dont le langage correspond mieux à leur formation culturelle, ou bien encore ils ont tendance à opter pour les dévotions particulières, qui répondent d’une manière plus satisfaisante aux exigences et aux situations de la vie quotidienne.

49. Chacun de ces éléments, qu’il n’est pas rare de rencontrer ensemble dans un même lieu, engendre un déséquilibre dans les rapports entre la Liturgie et la piété populaire, au détriment de la première et pour l’appauvrissement de la seconde. Pourtant, ces difficultés doivent être surmontées en recourant à une action catéchétique et pastorale bien menée et persévérante.

Au contraire, les diverses composantes du renouveau liturgique, ainsi que le développement du sens liturgique chez les fidèles, permettent à la piété populaire de trouver une nouvelle dimension par rapport à la Liturgie. Il convient de relever ce fait positif, qui est conforme à l’orientation la plus profonde de la piété chrétienne.

À la lumière de la Constitution liturgique

50. À notre époque, ce thème des rapports entre la Liturgie et la piété populaire est considéré avant tout à la lumière des directives contenues dans la Constitution Sacrosanctum Concilium; celles-ci cherchent à définir des relations harmonieuses entre ces deux expressions de la piété, à partir du double postulat suivant: la piété populaire est objectivement subordonnée à la Liturgie, et elle trouve en même temps dans cette dernière sa finalité.

Par conséquent, il faut avant tout éviter de poser la question des rapports entre la Liturgie et la piété populaire en termes d’opposition, ou même d’équivalence ou de substitution. De fait, la conscience de l’importance primordiale de la Liturgie et la recherche de ses expressions les plus justes ne doivent pas conduire à obscurcir la nature profonde de la piété populaire, et tout autant à la mépriser ou à la considérer comme superflue ou, tout simplement, à estimer qu’elle serait préjudiciable à la vie cultuelle de l’Église.

Il est vrai qu’une méconnaissance plus ou moins importante de la piété populaire, ou des manifestations d’hostilité à l’égard de celle-ci, révèlent chez leurs auteurs une évaluation inadéquate de certains éléments qui constituent la vie de l’Église, et semblent plus provenir de préjugés idéologiques que de la doctrine de la foi. De telles attitudes ont les conséquences suivantes:

- elles ne tiennent pas compte du fait que la piété populaire est elle aussi une réalité ecclésiale promue et soutenue par l’Esprit Saint,

- elles méconnaissent l’importance des fruits de grâce et de sainteté que la piété populaire a produits et continue de produire dans l’ensemble de l’Église.

- elles sont fréquemment l’expression d’une recherche illusoire de la "Liturgie pure"; de fait, l’expérience séculaire de l’Église montre bien que cette "Liturgie pure" correspond plus à une aspiration illusoire qu’à la réalité historique, à cause du caractère subjectif des critères à partir desquels ladite pureté est établie.

- elle a tendance à confondre une composante noble de l’esprit humain, en l’occurrence les sentiments, qui déterminent légitimement les diverses expressions de la piété liturgique et de la piété populaire, avec sa dégénérescence, c’est-à-dire le sentimentalisme.

51. Toutefois, les rapports entre la Liturgie et la piété populaire font apparaître aussi le phénomène contraire d’une valorisation tellement importante de la piété populaire qu’elle s’exerce au détriment de la Liturgie de l’Église.

Un fait de ce genre est à déplorer tout simplement dans certaines situations concrètes, mais il peut être aussi le fruit d’un choix théorique qui engendre une situation pastorale déviante: la Liturgie ne serait plus dans ce cas "le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu", mais une expression cultuelle qui serait considérée comme étrangère à la compréhension et à la sensibilité du peuple et qui, ainsi, serait négligée et reléguée à une place secondaire, ou encore qui serait réservée à des groupes particuliers.

52. L’intention louable de rendre plus proche le culte chrétien de l’homme contemporain, surtout de celui qui n’a pas reçu une instruction catéchétique suffisante, et la difficulté constante, de la part de quelques cultures, d’assimiler certains éléments de la Liturgie, ne doivent pas avoir pour effet de dévaluer, autant en théorie qu’en pratique, l’expression primordiale et fondamentale du culte liturgique. En agissant de cette manière, au lieu d’affronter les difficultés concrètes avec prévoyance et persévérance, on aurait tendance à les résoudre d’une manière trop simpliste.

53. Pour justifier le choix qui tend à privilégier les exercices de la piété populaire au détriment des actions liturgiques, on entend fréquemment des affirmations de ce genre:

- la piété populaire est un domaine particulièrement approprié pour célébrer d’une manière à la fois libre et spontanée la "Vie" et ses multiples expressions; en revanche, la Liturgie, centrée sur le "Mystère du Christ" est, par nature, tournée vers le passé, elle inhibe la spontanéité et elle se révèle répétitive et formaliste;

- La Liturgie ne parvient pas à impliquer le fidèle dans la totalité de son être, c’est-à-dire dans l’unité de son corps et de son esprit; en revanche, la piété populaire, en s’adressant directement à l’homme, concerne à la fois son corps, son cœur et son esprit;

- la piété populaire est un domaine bien déterminé, qui, de surcroît, est adapté à la vie de prière: en effet, grâce aux pieux exercices, le fidèle est introduit dans un vrai dialogue avec le Seigneur, qui est constitué d’expressions parfaitement compréhensibles et qu’il fait siennes; en revanche, la Liturgie, en faisant prononcer par le fidèle des mots qui ne sont pas les siens et qui sont souvent étrangers à son contexte culturel, se révèle être, dans sa vie de prière, moins un moyen qu’un empêchement.

- les diverses formes de rites, qui constituent la piété populaire, sont reçues et accueillies par le fidèle, à cause de la correspondance existant entre sa propre culture et le langage des rites; en revanche, les rites propres à la Liturgie ne sont pas compris par ce même fidèle, parce que les formes expressives de ces rites proviennent d’un univers culturel qu’il perçoit comme un monde différent et lointain.

54. De telles affirmations accentuent d’une manière exagérée et dialectique la différence indéniable qu’on peut relever, dans certaines aires culturelles, entre les expressions propres à la Liturgie et celles qui dépendent de la piété populaire.

Toutefois, il est certain que la présence en certains endroits de ces idées est le signe qu’une conception juste de la Liturgie chrétienne est fortement compromise, sinon même complétement vidée de son contenu essentiel.

À l’encontre de telles opinions, il convient de rappeler la parole grave et réfléchie du dernier Concile œcuménique: "toute célébration liturgique, en tant qu’œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l’Église, est l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré".

55. L’exaltation unilatérale de la piété populaire, qui a pour corollaire la mise à l’écart de la Liturgie, ne concorde pas avec le fait que les éléments essentiels de cette dernière ont été institués par la volonté du Christ lui-même; de plus, cette position a pour conséquence préjudiciable de ne pas souligner, comme elle le devrait, la valeur sotériologique et doxologique irremplaçable de la Liturgie. Après l’Ascension du Seigneur dans la gloire de son Père et à la suite du don de l’Esprit Saint, la glorification parfaite de Dieu et le salut de l’homme sont réalisés avant tout et par excellence par la célébration de la Liturgie; celle-ci requiert l’adhésion de la foi, et par c’est par elle que le croyant est inséré au cœur de l’événement fondamental du salut: la Passion, la Mort et la Résurrection du Christ (cf. Rm 6, 2-6; 1 Co 11, 23-26).

L’Église, consciente de son mystère et de l’efficacité de son action cultuelle et salvifique, ne cesse pas d’affirmer que "c’est par la Liturgie, surtout dans le divin sacrifice de l’Eucharistie, que "s’exerce l’œuvre de notre rédemption" ", ce qui n’exclut pas l’importance d’autres formes de piété.

56. La dévalorisation de la Liturgie comporte un certain nombre de conséquences sur un plan théorique autant que pratique: ainsi, elle conduit inévitablement à obscurcir la vision chrétienne du mystère de Dieu, qui se penche avec miséricorde vers l’homme déchu pour l’attirer à Lui par l’incarnation de son Fils et le don de l’Esprit Saint. Elle a aussi pour effet d’édulcorer le sens de l’histoire du salut et la perception du rapport entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. De même, elle conduit à sous-estimer la Parole de Dieu, qui est pourtant la seule Parole qui sauve, dont se nourrit et à laquelle se réfère sans discontinuité la Liturgie. Cette dévalorisation a encore pour effet d’atténuer dans l’esprit des fidèles la conscience de la valeur de l’œuvre accomplie par le Christ, le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge Marie, le seul Sauveur et l’unique Médiateur (cf. 1 Tm 2, 5; Ac 4, 12). Enfin, elle provoque la perte du sensus Ecclesiae chez les fidèles.

57. L’accent mis exclusivement sur la piété populaire, qui, selon l’affirmation susmentionnée, doit se déployer dans l’orbite de la foi chrétienne, peut comporter les effets négatifs suivants: accélérer le processus de détachement d’une partie des fidèles par rapport à la révélation chrétienne; inclure de nouveau, d’une manière abusive ou déséquilibrée, certains éléments de la religiosité cosmique et naturelle; provoquer l’introduction, dans le culte chrétien, d’un certain nombre d’éléments ambigus provenant de croyances pré-chrétiennes, ou exprimant unilatéralement la culture ou la psychologie d’un peuple ou d’une ethnie; créer l’illusion de pouvoir atteindre la transcendance au moyen d’expériences néfastes; compromettre le sens authentiquement chrétien du salut, qui est le don gratuit de Dieu, en proposant, au contraire, un salut qui proviendrait de la seule conquête de l’homme et serait donc le fruit de ses efforts personnels (de fait, il ne faut jamais oublier le danger potentiel de la déviation pélagienne); enfin, accentuer, dans la mentalité des fidèles, le rôle des médiateurs secondaires, que sont la Bienheureuse Vierge Marie, les Anges, les Saints et parfois, parmi ces derniers, les principaux protagonistes de l’histoire nationale, en leur faisant accomplir une fonction qui n’appartient qu’à l’unique Médiateur, Jésus-Christ.

58. La liturgie et la piété populaire sont deux expressions authentiques, quoique non équivalentes, du culte chrétien. De fait, la Constitution sur la sainte Liturgie montre bien qu’au lieu de vouloir les opposer ou de considérer qu’ils sont deux éléments interchangeables, il convient plutôt de les harmoniser: "Les pieux exercices du peuple chrétien [...] doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la Liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure".

La Liturgie et la piété populaire sont donc deux expressions cultuelles qui doivent se situer dans une relation mutuelle et féconde, même si la Liturgie est toujours appelée à constituer un point de référence permettant de "canaliser avec lucidité et prudence les désirs ardents de prière et de vie charismatique" qui se manifestent dans la piété populaire. De son côté, la piété populaire, avec ses valeurs symboliques et expressives, est en mesure d’aider la Liturgie à réussir son travail d’inculturation, et elle peut aussi lui procurer des éléments stimulants en vue d’accroître d’une manière efficace son dynamisme et sa créativité.

L’importance de la formation

59. À la lumière de ce qui vient d’être exposé, la formation, aussi bien des clercs que des laïcs, apparaît bien comme le moyen approprié pour résoudre les causes de déséquilibre ou de tension entre la Liturgie et la piété populaire. En plus de cette nécessaire formation liturgique, qui est une œuvre de longue haleine, toujours à redécouvrir et à approfondir, et en complément de cette dernière, une formation dans le domaine de la piété populaire s’impose dans le but de constituer une spiritualité harmonieuse et de qualité.

De fait, puisque "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule Liturgie", le fait de se limiter exclusivement à l’éducation liturgique est insuffisante pour assurer correctement la croissance spirituelle des fidèles dans toutes ses dimensions. Du reste, l’action liturgique, et en particulier la participation à l’Eucharistie, ne peut produire de fruit dans une vie marquée par l’absence de toute prière individuelle, et dépourvue des valeurs qui sont transmises par les formes traditionnelles de dévotion du peuple chrétien. L’habitude prise à notre époque de se tourner vers des pratiques "religieuses" en provenance de l’orient, qui sont adaptées de façons diverses sur les autres continents, est un indice de la quête spirituelle de nos contemporains, qui touche le sens même de l’existence, en particulier face à la souffrance et aussi dans un but de partage. Les générations post-conciliaires - d’une manière variable selon les pays - n’ont pas fait l’expérience des formes de dévotion que connaissaient bien les générations précédentes: afin que la vie spirituelle de ces fidèles puisse s’épanouir d’une manière vraiment personnelle, il est donc important d’intégrer pleinement, dans la catéchèse et l’éducation, le patrimoine constitué par la piété populaire, et d’une manière toute spéciale les exercices spirituels recommandés par le Magistère.

 

Chapitre II

LITURGIE ET PIÉTÉ POPULAIRE
DANS LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE

60. Après avoir exposé, dans un premier temps, l’attention portée à la piété populaire par le Magistère du Concile Vatican II, des Pontifes Romains et des Évêques, il a semblé opportun, dans un deuxième temps, de présenter une synthèse organique des enseignements de ce même Magistère dans le double but de faciliter l’élaboration d’orientations doctrinales dans le domaine de la piété populaire, et de favoriser une action pastorale appropriée.

Les valeurs de la piété populaire

61. Selon le Magistère, la piété populaire est une réalité vivante qui se situe dans l’Église, tout en étant indissociable de l’Église: elle trouve sa source dans la présence constante et active de l’Esprit Saint qui anime l’Église tout entière; son point de référence est constitué par le Mystère du Christ Sauveur; sa finalité est la gloire de Dieu et le salut des hommes; enfin, sa conformation dans l’histoire est constituée par "la rencontre fructueuse entre l’œuvre d’évangélisation et la culture". Le Magistère n’a donc pas manqué d’exprimer maintes fois son estime envers la piété populaire et ses diverses manifestations; en revanche, il n’a pas hésité à faire connaître sa réprobation à tous ceux qui l’ignorent, la négligent ou la méprisent, en leur enjoignant d’adopter envers elle une attitude plus positive qui tienne compte de ses valeurs. Enfin, le Magistère n’a pas hésité à présenter la piété populaire comme le "vrai trésor du peuple de Dieu".

Le grand intérêt manifesté par le Magistère envers la piété populaire est dû essentiellement aux valeurs que cette dernière incarne à ses yeux.

La piété populaire a un sens presqu’inné du sacré et de la transcendance. Elle manifeste une soif de Dieu authentique et "un sens aigu des attributs profonds de Dieu: la paternité, la providence, la présence amoureuse et constante", la miséricorde.

Les documents du Magistère se font l’écho des attitudes intérieures et des vertus promues, mises en valeur et entretenues par la piété populaire d’une manière toute particulière: ainsi, la patience et "la résignation chrétienne dans les situations irrémédiables", la confiance en Dieu, la force de supporter les souffrances et de discerner le "sens de la croix dans la vie quotidienne", le désir sincère de plaire au Seigneur, de réparer les offenses commises à son encontre, et de faire pénitence, enfin, le détachement envers les choses matérielles, la solidarité et l’ouverture aux autres, c’est-à-dire "le sens de l’amitié, de la charité et de l’union familiale."

62. La piété populaire se réfère volontiers au mystère du Fils de Dieu qui, par amour pour les hommes, s’est fait petit enfant et notre frère, en naissant, dans la pauvreté, d’une Femme elle-même humble et pauvre, et elle évoque aussi avec un intérêt très vif le Mystère de la Passion et de la Mort du Christ.

La piété populaire offre une large place à l’évocation de l’au-delà, au désir de communion avec ceux qui demeurent dans le ciel, la bienheureuse Vierge Marie, les Anges et les Saints, et donc à la prière de suffrages pour les âmes des défunts.

63. La fusion harmonieuse entre le message du Christ et la culture d’un peuple, dont les manifestations de la piété populaire constituent bien souvent une bonne illustration, est un motif qui suscite l’estime du Magistère à l’égard de celle-ci.

De fait, les manifestations les plus appropriées de la piété populaire montrent que, d’une part, le message chrétien parvient bien à assimiler les éléments les plus caractéristiques de la culture d’un peuple, et que, d’autre part, il réussit à rendre cette même culture perméable au message évangélique en exerçant une influence bénéfique sur sa conception de la vie, de la liberté, de la mission et du destin de l’homme.

Ainsi, la transmission des expressions propres à une culture, qui s’effectue des parents à leurs enfants,et donc d’une génération à une autre, comporte en même temps la transmission des principes chrétiens. Dans certains cas, la fusion est tellement étroite que les éléments de la foi chrétienne sont devenus en même temps des éléments intégrants de l’identité culturelle d’un peuple. Il en est ainsi, par exemple, de la piété qui s’exprime à l’égard de la Mère du Seigneur.

64. Le Magistère souligne encore l’importance de la piété populaire pour la vie et la conservation de la foi du peuple de Dieu et pour la promotion de nouvelles initiatives dans le domaine de l’évangélisation.

Au sujet des différents apports positifs de la piété populaire, il convient de noter, tout d’abord, qu’il n’est pas possible de ne pas tenir compte de "ces dévotions qui sont pratiquées en certaines régions par le peuple fidèle avec une ferveur et une pureté d’intention émouvantes". De même, on peut affirmer que la saine religiosité populaire, "peut être, grâce à ses racines éminemment catholiques, une antidote contre les sectes et une garantie de fidélité au message du salut". La piété populaire montre aussi qu’elle constitue un instrument providentiel pour la sauvegarde de la foi, dans les régions où les chrétiens sont dépourvus d’assistance pastorale; de plus, là où l’évangélisation s’avère insuffisante, "la population exprime en grande partie sa propre foi en recourant surtout à la piété populaire". Enfin, la piété populaire constitue un "point de départ" approprié et irremplaçable "permettant au peuple de parvenir à une foi plus mûre et plus profonde".

Quelques dangers qui peuvent faire dévier la piété populaire

65. Le Magistère, qui tient à mettre en évidence les valeurs propres de la piété populaire, ne cesse, toutefois, de signaler certains dangers qui peuvent la menacer: ainsi, la présence insuffisante de certains éléments essentiels de la foi chrétienne, parmi lesquels la signification de la Résurrection du Christ pour le salut de l’humanité, le sens de l’appartenance à l’Église et la personne et l’action du Saint Esprit; la disproportion entre, d’une part, l’attachement envers le culte des Saints et, d’autre part, l’affirmation de la souveraineté absolue de Jésus-Christ et de son mystère; le contact direct trop rare avec la Sainte Écriture; l’éloignement de la vie sacramentelle de l’Église; la tendance à séparer le culte des obligations de la vie chrétienne; la conception utilitariste de certaines formes de piété; l’emploi de "signes, de gestes et de formules, qui, parfois, prennent une importance excessive, jusqu’à la recherche du spectaculaire"; le risque, dans des cas extrêmes, de "favoriser la pénétration des sectes et même en arriver à la superstition, à la magie, au fatalisme ou à l’oppression".

66. En vue de remédier à ces carences et à ces défauts éventuels de la piété populaire, le Magistère de notre temps rappelle avec insistance qu’il faut l’"évangéliser", en établissant un contact fécond entre cette dernière et la parole de l’Évangile. Cette relation privilégiée contribuera à "la libérer progressivement de ses défauts, en la purifiant et en la consolidant, et donc en faisant en sorte que ses éléments ambigus acquièrent une physionomie plus claire dans ses contenus de foi, d’espérance et de charité".

Toutefois, cette œuvre d’ "évangélisation" de la piété populaire doit être accomplie en tenant compte des réalités pastorales; celles-ci devraient inciter ses protagonistes à adopter une attitude marquée par une grande patience et un sens prudent de la tolérance, en s’inspirant de la méthodologie suivie par l’Église au cours des siècles face aux problèmes liés à l’inculturation de la foi chrétienne et de la Liturgie, et aux questions inhérentes aux dévotions populaires.

Le sujet de la piété populaire

67. En rappelant que "la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule Liturgie" et que le chrétien "doit aussi entrer dans sa chambre pour prier le Père dans le secret", et qu’ainsi, "enseigne l’Apôtre, il doit prier sans relâche", le Magistère de l’Église rappelle que chaque chrétien - qu’il soit clerc, religieux ou laïc - est le sujet des diverses formes de prières, soit quand il prie en privé, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, soit quand il prie de façon communautaire dans des groupes d’origines et de physionomies diverses.

68. Le Saint-Père Jean-Paul II a tenu à souligner que la famille est particulièrement concernée par la piété populaire. De fait, l’Exhortation apostolique Familiaris consortio, après avoir exalté la famille en tant que sanctuaire domestique de l’Église, affirme que "pour préparer et prolonger à la maison le culte célébré à l’église, la famille chrétienne recourt à la prière privée, qui présente une grande variété de formes: cette variété, tout en témoignant de l’extraordinaire richesse de la prière chrétienne animée par l’Esprit Saint, répond aux diverses exigences et situations concrètes de celui qui se tourne vers le Seigneur". Le même document ajoute que "outre les prières du matin et du soir, sont à conseiller expressément [...]: la lecture et la méditation de la Parole de Dieu, la préparation aux sacrements, la dévotion et la consécration au Cœur de Jésus, différentes formes de piété envers la Vierge Marie, la bénédiction de la table, les pratiques de dévotion populaire".

69. Les confréries et les autres pieuses associations sont aussi des sujets importants de la piété populaire. Outre l’exercice de la charité et l’engagement social, la promotion du culte chrétien constitue l’une des finalités de ces institutions: il s’agit du culte envers la Très Sainte Trinité, le Christ et ses mystères, la bienheureuse Vierge Marie, les Anges, les Saints et les Bienheureux, de même que les prières pour les âmes des fidèles défunts.

Les confréries disposent souvent, en plus du calendrier liturgique, d’une sorte de calendrier propre, dans lequel sont indiqués les fêtes particulières, les offices, les neuvaines, les septénaires, les triduums qui doivent être célébrés, de même que les jours pénitentiels qu’il faut observer, et enfin les jours où doivent être organisées des processions, accomplis certains pèlerinages ou encore réalisées des œuvres de charité bien déterminées. Les confréries disposent aussi de livres de dévotions propres, et d’insignes distinctifs, comme des scapulaires, des médailles, des costumes et des ceintures, et parfois aussi des lieux de culte et des cimetières particuliers.

L’Église reconnaît les confréries et leur accorde la personnalité juridique, elle approuve leurs statuts et considère favorablement leurs finalités et leurs activités cultuelles. Elle veille toutefois à ce que les confréries soient bien insérées dans la vie de la paroisse et du diocèse, en se gardant de toute attitude d’opposition ou d’isolement.

Les pieux exercices

70. Les pieux exercices constituent une expression typique de la piété populaire. Ils sont très divers par leur origine historique et leur contenu, par leur langage et leur style, par leur usage et leurs destinataires. Leur importance a été soulignée par le Concile Vatican II, qui les a vivement recommandés, tout en prenant le soin de mentionner les conditions de leur légitimité et de leur validité.

71. La nature du culte chrétien, ainsi que les caractéristiques qui lui sont propres, exigent que les pieux exercices soient avant tout conformes à la saine doctrine, ainsi qu’aux lois et aux normes de l’Église. Ils doivent aussi être en harmonie avec la sainte Liturgie, tenir compte autant que possible des temps de l’année liturgique et donc favoriser "une participation consciente active à la prière commune de l’Église".

72. Les pieux exercices font partie intégrante du culte chrétien, ce qui explique l’attention constante de l’Église à leur égard, afin que, par leur entremise, Dieu soit glorifié d’une manière qui soit digne de Lui, et que l’homme reçoive les fruits spirituels et l’aide lui permettant de mener une vie chrétienne cohérente.

L’attitude des Pasteurs à l’égard des exercices spirituels a revêtu divers aspects complémentaires: elle a été faite d’incitation et d’encouragement, d’orientation et, parfois, de correction. La vaste gamme des pieux exercices comprend: tout d’abord, les pieux exercices qui sont célébrés avec l’approbation du Siège Apostolique et ceux que ce dernier a recommandés tout au long des siècles; puis, les pieux exercices des Églises particulières "qui sont célébrés sur l’ordre des Évêques, selon les coutumes ou les livres légitimement approuvés" ; puis, les autres pieux exercices prévus par le droit particulier ou les coutumes propres aux familles religieuses ou aux confréries et aux autres pieuses associations de fidèles; ceux-ci ont souvent reçu l’approbation explicite de l’Église; enfin, les pieux exercices qui sont célébrés dans le cadre de la vie familiale ou personnelle.

Certains pieux exercices, introduits de façon coutumière par la communauté des fidèles, et qui sont approuvés par le Magistère, jouissent de la concession d’indulgences.

Liturgie et pieux exercices

73. L’enseignement de l’Église relatif aux rapports entre la Liturgie et les pieux exercices peut être exprimé d’une manière concise de la façon suivante: d’une part, la Liturgie étant, par nature, de loin supérieure aux pieux exercices, il est nécessaire de lui conférer, dans la vie pastorale, "la place primordiale qui lui revient face aux pieux exercices"; d’autre part, la Liturgie et les pieux exercices doivent coexister en tenant compte du respect de la hiérarchie des valeurs et de la nature spécifique de chacune de ces deux expressions cultuelles.

74. Le respect attentif de ces principes doit permettre de consentir un réel effort visant à harmoniser, si possible, les pieux exercices avec les rythmes et les exigences de la Liturgie; ainsi il sera possible, "sans mêler ou confondre les deux formes de piété", d’éviter la confusion ou le mélange hybride entre la Liturgie et les pieux exercices. Le respect de ces mêmes principes doit conduire à ne pas opposer la Liturgie et les pieux exercices ou, contre l’avis même de l’Église, à ne pas éliminer ces derniers, ce qui, dans le cas contraire, aurait pour effet de laisser un vide que, dans la plupart des cas, rien d’autre ne pourrait combler au grand détriment des fidèles.

Critères généraux pour le renouveau des pieux exercices

75. Le Siège Apostolique s’est efforcé d’indiquer les critères théologiques et pastoraux, historiques et littéraires qui doivent être employés, le cas échéant, en vue de restaurer les pieux exercices. Il s’est attaché à préciser de quelle manière les pieux exercices peuvent accentuer leur référence à la Bible et à la Liturgie, dont ils doivent s’inspirer, et quelle place ils doivent laisser à la dimension œcuménique. De même le Siège Apostolique a donné des indications visant à mettre en valeur le noyau essentiel des pieux exercices, identifié grâce à la recherche historique, tout en tenant compte, dans cette œuvre de restauration, de certains aspects de la spiritualité contemporaine, des acquis d’une saine anthropologie et de la culture ainsi que du style expressif du peuple à qui ils sont destinés, sans pour autant rejeter les éléments traditionnels ancrés dans les coutumes populaires.

 

Chapitre III

PRINCIPES THÉOLOGIQUES
EN VUE DE L’ÉVALUATION ET DU RENOUVEAU
DE LA PIÉTÉ POPULAIRE

La vie cultuelle: la communion avec le Père, par le Christ dans l’Esprit Saint

76. Dans l’histoire de la révélation, le salut de l’homme est constamment présenté comme un don de Dieu, provenant de sa miséricorde, et accordé d’une manière souveraine et totalement gratuite. L’ensemble des événements et des paroles, par lesquels se manifeste et se réalise le plan du salut, se présente sous la forme d’un dialogue continu entre Dieu et l’homme. Ce dialogue, dont Dieu prend l’initiative, exige de la part de l’homme une attitude d’écoute ancrée dans la foi ainsi qu’une réponse d’ "obéissance de la foi" (Rm 1, 5; 16, 26).

L’importance particulière de ce dialogue de salut se manifeste dans l’Alliance scellée sur le Sinaï entre Dieu et le peuple élu (cf. Ex 19-24), qui fait de ce dernier la "propriété" du Seigneur, un "royaume de prêtres et une nation sainte" (Ex 19, 6). Depuis lors Israël, qui, pourtant, ne fut pas toujours fidèle à l’Alliance, trouva néanmoins en cette dernière une inspiration et une force pour modeler son comportement sur celui de Dieu lui-même (cf. Lv 11, 44-45; 19, 2) et sur sa Parole.

Le culte et la prière d’Israël ont avant tout pour objet la mémoire des mirabilia Dei, c’est-à-dire les interventions salvifiques de Dieu dans l’histoire, ce qui a pour effet de maintenir vive la vénération du peuple à l’égard des événements par lesquels se sont accomplies les promesses de Dieu; celles-ci, dès lors, constituent le point de référence constant pour la réflexion de la foi et la vie de prière d’Israël.

77. Conformément à son dessein éternel de salut, "Dieu, qui avait souvent parlé, dans le passé, à nos pères par les prophètes sous des formes fragmentaires et variées, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, et par qui aussi il a créé le monde" (He 1, 1-2). Le mystère du Christ, et surtout sa Pâque, c’est-à-dire son passage de la Mort à la Résurrection, est, de fait, la révélation pleine et définitive, et l’accomplissement des promesses du salut. Puisque c’est par Jésus, "le Fils unique de Dieu" (Jn 3, 18) que le Père nous a tout donné, sans rien garder pour lui-même (cf. Rm 8, 32; Jn 3, 16), il est évident que le point de référence essentiel pour la foi et la vie de prière du peuple de Dieu se trouve dans la personne et l’œuvre du Christ: en lui, nous avons le Maître de la vérité (cf. Mt 22, 16), le Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), le souverain Prêtre (cf. He 4, 14), le Pasteur de nos âmes (cf. 1 P 2, 25), le Médiateur unique et parfait (cf. 1 Tm 2, 5; He 8, 6; 9, 15; 12, 24): c’est par lui que l’homme va vers le Père (cf. Jn 14, 6), que montent vers Dieu la louange et la supplication de l’Église et que descend sur l’humanité tout don de Dieu.

Mis au tombeau avec le Christ et ressuscités avec lui dans le baptême (cf. Col. 2, 12; Rm 6, 4), soustraits à la domination de la chair et introduits dans celle de l’Esprit Saint (cf. Rm 8, 9), nous sommes appelés à la perfection, c’est-à-dire à la plénitude de la stature du Christ (cf Ep 4, 13); dans le Christ, nous avons le modèle d’une existence dont chaque moment reflète une attitude d’écoute de la parole du Père et d’accueil de ses commandements, et qui exprime un consentement sans partage du Fils à la volonté de son Père: "Ma nourriture est d’accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé" (Jn 4, 34).

Le Christ est donc le modèle parfait de la piété filiale et du dialogue continuel avec le Père, c’est-à-dire l’exemple parfait d’une recherche ininterrompue de la relation vivante, intime et confiante avec Dieu, qui illumine, soutient et guide l’homme durant toute son existence.

78. L’Esprit Saint, qui a été donné aux fidèles pour les transformer progressivement dans le Christ, les guide dans leur vie de communion avec le Père (cf. Rm 8, 14); il répand en eux "l’esprit des fils adoptifs", par lequel ils adoptent l’attitude filiale du Christ (cf. Rm 8, 15-17) et ses propres sentiments (cf. Ph 2, 5). L’Esprit Saint rend présent l’enseignement du Christ (cf. Jn 14, 26; 16, 13-25), afin que les fidèles soient en mesure d’interpréter à la lumière de cet enseignement les divers événements de la vie et de l’histoire; il les conduit à la connaissance des profondeurs de Dieu (cf. 1 Co 2, 10) et il leur permet de faire de leur propre vie un "culte spirituel" (cf. Rm 12, 1); il les soutient au milieu des contradictions et des épreuves auxquelles ils sont confontés, au cours de leur itinéraire laborieux de transformation dans le Christ; enfin, il suscite, alimente et guide leur prière: "l’Esprit de Dieu vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède pour nous, en des gémissements ineffables; et Celui qui voit le fond des cœurs sait quels sont les désirs de l’Esprit: Il sait qu’en intervenant pour les fidèles, l’Esprit veut ce que Dieu veut" (Rm 8, 26-27).

Le culte chrétien doit à l’Esprit Saint à la fois son origine et son développement, et c’est dans ce même Esprit qu’il s’accomplit et trouve son achèvement. Ainsi, il convient d’affirmer que, sans la présence de l’Esprit du Christ, il n’existe ni culte liturgique digne de ce nom, ni piété populaire authentique.

79. À la lumière des principes qui viennent d’être exposés, il paraît nécessaire d’affirmer que la piété populaire constitue vraiment un élément du dialogue entre Dieu et l’homme par le Christ et dans l’Esprit Saint. Il ne fait aucun doute qu’elle porte en elle une empreinte trinitaire, nonobstant certaines carences qu’on peut parfois déplorer, comme, par exemple, la confusion entre Dieu le Père et Jésus.

La piété populaire est, de fait, très sensible au mystère de la paternité de Dieu: elle s’émeut face à sa bonté, elle admire sa puissance et sa sagesse; elle se réjouit de la beauté de la création et loue son auteur, le Créateur; elle proclame que Dieu ordonne de faire le bien et félicite ceux qui vivent honnêtement et qui cheminent dans la droiture, tandis qu’elle réprouve le mal et fuit ceux qui s’obstinent à suivre la voie de la haine et de la violence, de l’injustice et du mensonge.

La piété populaire concentre particulièrement son attention sur la figure du Christ, Fils de Dieu et Sauveur de l’homme: elle traduit les sentiments ressentis en présence du mystère de sa naissance, en évoquant l’amour infini qui habite cet Enfant, vrai Dieu et en même temps notre frère, pauvre et persécuté depuis le début de son existence. La piété populaire aime aussi évoquer les nombreuses scènes de la vie publique du Seigneur Jésus, dans la figure du Bon Pasteur qui se porte à la rencontre des publicains et les pécheurs, ou du Thaumaturge qui guérit les malades et secourt les pauvres, ou encore du Maître qui dit la vérité. Surtout, la piété populaire aime contempler les mystères de la Passion du Christ, en tant qu’expression d’un amour sans limites envers les hommes et de solidarité absolue avec leurs souffrances: Jésus trahi et abandonné, flagellé et couronné d’épines, crucifié entre deux criminels, détaché de la croix et déposé en terre, pleuré par ses amis et ses disciples.

La piété populaire considère aussi, dans le mystère de Dieu, la personne du Saint-Esprit. Elle proclame, en effet, que "par l’Esprit Saint" le Fils de Dieu "a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme" et qu’à la naissance de l’Église, l’Esprit Saint fut donné aux Apôtres (cf. Ac 2, 1-3). De même, la piété populaire met en valeur la puissance de l’Esprit Saint et sa présence dans les sacrements de l’Église, en particulier dans celui de la confirmation dont le caractère, tel un sceau, imprime particulièrement l’âme du chrétien. Elle est aussi consciente que c’est "au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit" que débute la célébration de l’Eucharistie, qu’est conféré le baptême et qu’est accordé le pardon des péchés. Enfin, elle sait que c’est en ce même nom des trois Personnes Divines que s’accomplit la prière de la communauté chrétienne et qu’est invoquée la bénédiction divine sur l’homme et toutes les autres créatures.

80. Il convient donc de renforcer chez les fidèles la conscience de la présence de la Très Sainte Trinité, que la piété populaire porte déjà en elle, ne serait-ce qu’en germe. C’est dans ce but que les indications suivantes sont données:

- Il est nécessaire d’éclairer les fidèles au sujet du caractère particulier de la prière chrétienne, qui est adressée au Père, par la médiation du Christ Jésus et dans la puissance de l’Esprit Saint.

- De même, il est nécessaire que les expressions de la piété populaire mettent plus clairement en lumière la personne et l’action de l’Esprit Saint. L’absence d’un "nom" attribué à l’Esprit Saint, de même que l’habitude de ne pas le représenter en employant des images anthropomorphiques ont eu pour conséquence une certaine absence, au moins partielle, de l’Esprit Saint aussi bien au niveau des textes que dans les autres formes d’expression de la piété populaire, sans oublier le rôle que la musique et les gestes du corps peuvent jouer pour manifester la présence de cette personne de la Très Sainte Trinité. Une telle lacune peut être comblée en recourant à l’évangélisation de la piété populaire, au sujet de laquelle le Magistère de l’Église s’est maintes fois prononcé.

- Il est nécessaire aussi que les expressions de la piété populaire mettent en valeur le caractère primordial et fondateur de la Résurrection du Christ. De fait, la proximité du Sauveur envers l’humanité souffrante, qui est traduite d’une manière si intense dans le cadre de la piété populaire, doit toujours être jointe à la réalité future de sa glorification. Une telle attitude est nécessaire pour exposer intégralement le projet de salut de Dieu dans le Christ, et pour percevoir l’unité inséparable du Mystère pascal du Christ. C’est seulement ainsi que peut apparaître le visage authentique de la révélation chrétienne, qui est la réalisation de la victoire de la vie sur la mort dans la célébration de Celui qui "n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants" (Mt 22, 32), c’est-à-dire du Christ, le Vivant, qui était mort et qui, maintenant, vit pour les siècles des siècles (cf. Ap 1, 18) et de l’Esprit Saint "qui est Seigneur et donne la vie".

- Enfin, il est nécessaire que la dévotion à la Passion du Christ conduise les fidèles à une participation pleine et consciente à l’Eucharistie, dans laquelle le corps du Christ offert en sacrifice pour chacun de nous est donné en nourriture (cf. 1 Co 11, 24), et le sang de Jésus versé sur la croix pour la nouvelle et éternelle Alliance et pour la rémission des péchés, est donné comme boisson. Le moment le plus intense et le plus significatif de cette participation se situe dans la célébration du Triduum pascal, qui est le sommet de l’Année liturgique, et dans la célébration dominicale des saints Mystères.

L’Église, communauté cultuelle

81. L’Église, ce "peuple réuni dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit", peut être définie comme une communauté cultuelle. De fait, selon la volonté de son Seigneur et Fondateur, les nombreux rites qu’elle célèbre ont pour finalité la gloire de Dieu et la sanctification de l’homme; ceux-ci se rapportent tous, selon des manières différentes et à des degrés divers, à la célébration du Mystère pascal du Christ, et ils contribuent à la réalisation de la volonté de Dieu, qui est de réunir ses enfants dispersés dans l’unité d’un seul peuple.

L’Église, en célébrant les divers rites, annonce l’Évangile du salut et proclame la Mort et la Résurrection du Christ, et elle accomplit ainsi, par ces signes sensibles, son œuvre de salut. Ainsi, dans l’Eucharistie, elle célèbre le mémorial de la bienheureuse Passion, de la glorieuse Résurrection et de l’admirable Ascension du Christ, et, dans les autres sacrements, elle reçoit les autres dons de l’Esprit Saint, qui proviennent de la Croix du Sauveur. L’Église glorifie le Père, avec des psaumes et des hymnes, pour toutes les merveilles qu’il a accomplies dans la Mort et l’Exaltation du Christ, son Fils, et elle le supplie d’accorder le salut à tous les hommes, c’est-à-dire les bienfaits du mystère pascal. Dans les sacramentaux, institués pour venir en aide aux fidèles dans les situations et les nécessités les plus variées, l’Église supplie le Seigneur, afin que toutes leurs activités soient soutenues et illuminées par l’Esprit de Pâques.

82. L’activité cultuelle de l’Église ne se limite pourtant pas à la célébration de la Liturgie. De fait, les disciples du Christ, conformément à l’exemple et à l’enseignement du Maître, prient aussi dans le secret de leur maison (cf. Mt 6, 6). De même, ces derniers participent à des réunions de prières organisées par des hommes et des femmes réputés pour leur grande expérience religieuse, qui ont répondu à certaines attentes spirituelles des fidèles en orientant leur piété vers des aspects particuliers du mystère du Christ. Enfin, les disciples du Christ prient dans des structures, qui sont issues de la conscience collective de la communauté chrétienne d’une manière presqu’anonyme, et dans lesquelles les exigences de la culture populaire se mêlent harmonieusement aux données essentielles du message évangélique.

83. Les vraies formes de la piété populaire sont elles aussi les fruits de l’action de l’Esprit Saint, et elles peuvent être considérées comme des expressions de la piété de l’Église: en effet, elles sont mises en œuvre par des fidèles qui vivent en communion avec l’Église, qui professent sa foi et respectent les normes qui régissent son culte; de plus, un grand nombre d’entre elles ont été explicitement approuvées et recommandées par l’Église elle-même.

84. La piété populaire, en tant qu’expression de la piété de l’Église, est soumise aux lois générales du culte chrétien et à l’autorité pastorale de l’Église, qui exerce par rapport à elle une action de discernement, de reconnaissance de son authenticité, et de rénovation en la mettant en relation avec la Parole révélée, la tradition et la Liturgie elle-même.

De plus, il est toujours nécessaire d’éclairer les expressions de la piété populaire en recourant au "principe ecclésiologique" du culte chrétien. L’application de ce principe, au niveau de la piété populaire, a pour effet:

- de se faire une conception plus adéquate des rapports entre l’Église particulière et l’Église universelle. La piété populaire a tendance, en effet, à concentrer son attention sur les valeurs et les centres d’intérêt locaux et immédiats, et elle risque alors de se fermer aux valeurs universelles et à la réflexion ecclésiologique.

- de réintégrer la vénération de la bienheureuse Vierge Marie, des Anges, des Saints et des Bienheureux, ainsi que les prières pour les défunts dans le domaine très large de la Communion des Saints et dans le cadre des rapports réciproques entre l’Église du ciel et l’Église encore en pèlerinage sur cette terre.

- de comprendre d’une manière à la fois correcte et féconde les relations entre les ministères et les charismes; de fait, les premiers sont nécessaires à l’expression du culte liturgique, tandis que les seconds sont souvent présents dans les manifestations de la piété populaire.

Sacerdoce commun et piété populaire

85. Les sacrements de l’initiation chrétienne introduisent le fidèle dans l’Église, peuple prophétique, sacerdotal et royal, à qui il appartient de rendre à Dieu le culte en esprit et en vérité (cf Jn 4, 23). Le fidèle exerce donc ce sacerdoce par le Christ et dans l’Esprit Saint, non seulement dans le cadre de la Liturgie, et spécialement au cours de la célébration de l’Eucharistie, mais aussi par de nombreuses autres expressions de la vie chrétienne, dont celles qui font partie des manifestations de la piété populaire. De fait, l’Esprit Saint lui confère la capacité d’offrir à Dieu des sacrifices de louange, d’élever vers lui des prières et des supplications, et, en premier lieu, de faire de sa propre vie un "sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu" (Rm 12, 1; cf. He 12, 28).

86. En se basant sur ce sacerdoce commun des fidèles, la piété populaire aide ces derniers à persévérer dans la prière et la louange de Dieu le Père, à rendre témoignage au Christ (cf. Ac 2, 42-47) et, en soutenant leur vigilance dans l’attente de sa venue dans la gloire, elle rend raison de l’espérance de la vie éternelle (cf. 1 P 3, 15). De plus, tout en conservant des éléments spécifiques appartenant à un contexte culturel particulier, la piété populaire exprime les valeurs ecclésiales qui caractérisent, selon des manières différentes et à des degrés divers, tout ce qui naît et se développe à l’intérieur du Corps mystique du Christ.

Parole de Dieu et piété populaire

87. La Parole de Dieu, contenue dans la Sainte Écriture, gardée et proposée par le Magistère de l’Église, et célébrée dans la Liturgie, constitue un élément privilégié et irremplaçable de l’action de l’Esprit Saint dans la vie cultuelle des fidèles.

Puisque l’écoute de la Parole de Dieu permet à l’Église de s’édifier et de croître, le peuple chrétien doit acquérir une grande familiarité avec la Sainte Écriture et s’imprégner de son esprit, afin de pouvoir traduire, d’une manière adéquate et conforme à la foi, les sentiments de piété et de dévotion qui jaillissent au contact de Dieu qui sauve, regénère et sanctifie.

La piété populaire trouve dans la Sainte Écriture une source inépuisable d’inspiration, des modèles de prière inégalables et des propositions de thèmes particulièrement fécondes. En outre, la référence constante à la Sainte Écriture constitue à la fois une référence et un critère pour ceux qui ont la charge de tempérer l’exhubérance avec laquelle le sentiment religieux populaire se manifeste en de nombreux cas, donnant lieu à des expressions ambiguës et par conséquent inadéquates de la piété populaire.

88. Toutefois "la prière doit aller de pair avec la lecture de la Sainte Écriture, pour que s’établisse le dialogue entre Dieu et l’homme; c’est pourquoi il convient de prévoir, en principe, dans les diverses formes de la piété populaire, l’insertion de textes de l’Écriture Sainte, opportunément choisis et correctement commentés.

89. Pour atteindre ce but, on prendra modèle sur les célébrations liturgiques, qui comportent, comme éléments constitutifs, des textes de la Sainte Écriture présentés selon des modes différents en fonction des divers types de célébrations. Toutefois, puisqu’une diversité légitime de projets et de présentations est laissée aux différentes expressions de la piété populaire, il n’est sans doute pas nécessaire de leur appliquer les mêmes dispositions que celles qui sont prévues, en ce qui concerne la proclamation de la Parole de Dieu, dans les rites qui font partie de la Liturgie.

On peut affirmer que, dans les tous les cas, le modèle offert par la Liturgie constitue, pour la piété populaire, une sorte de sauvegarde, qui lui permet de maintenir une échelle correcte des valeurs, dont fait partie, en premier lieu, l’attitude consistant à écouter avec attention Dieu qui parle. De même, ce modèle permet à la fois de découvrir l’harmonie existant entre l’Ancien et le Nouveau Testament, et d’interpréter l’un des deux à la lumière de l’autre; de plus, en tirant parti d’une expérience séculaire, ce même modèle apporte des solutions qui ont pour objet, d’une part, une actualisation appropriée du message biblique, et, d’autre part, la mise en valeur d’un critère valide permettant d’évaluer l’authenticité de la prière.

En ce qui concerne le choix des textes, il est souhaitable de recourir à de brefs passages, facilement mémorisables, incisifs et faciles à comprendre, même s’ils sont difficiles à mettre en pratique. Il est vrai aussi que quelques exercices de piété comme la Via Crucis et le Rosaire facilitent une meilleure compréhension de la Sainte Écriture: de fait, l’assimilation par la mémoire de ces gestes et de ces prières permettent de se souvenir plus facilement des épisodes évangéliques se rapportant à la vie de Jésus.

Piété populaire et révélations privées

90. Depuis toujours et en tous lieux, la religion populaire s’est intéressée aux phénomènes et aux faits extraordinaires, qui sont souvent liés à des révélations privées. Celles-ci concernent particulièrement la piété mariale, du fait des "apparitions" et de leurs "messages" respectifs, même si elles débordent ce cadre. À ce propos, il convient de rappeler ce que déclare le Catéchisme de l’Église Catholique: "Au fil des siècles il y a eu des révélations dites "privées" dont certaines ont été reconnues par l’autorité de l’Église. Elles n’appartiennent cependant pas au dépôt de la foi. Leur rôle n’est pas d’ "améliorer" ou de "compléter" la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire. Guidé par le Magistère de l’Église, le sens des fidèles sait discerner et accueillir ce qui dans ces révélations constitue un appel authentique du Christ ou de ses saints à l’Église" (n. 67).

Inculturation et piété populaire

91. La piété populaire est naturellement marquée par le contexte historique et culturel dans lequel elle se développe. Ce caractère particulier se traduit par la variété de ses expressions, qui ont prospéré et se sont affermies dans les diverses Églises particulières tout au long des siècles, et qui constituent autant de signes d’un véritable enracinement de la foi dans des peuples particuliers et de son intégration dans la vie quotidienne des fidèles. De fait, "la religiosité populaire est la forme première et fondamentale d’ "inculturation" de la foi; tout en se conformant sans cesse aux orientations de la Liturgie, elle est appelée à son tour à illuminer la foi à partir du cœur". La piété populaire résulte donc de la rencontre entre le dynamisme novateur du message de l’Évangile et les diverses composantes d’une culture particulière.

92. Le processus d’adaptation ou d’inculturation d’un pieux exercice ne devrait pas présenter de difficultés particulières dans le domaine du langage, dans celui des expressions musicales et artistiques, et en ce qui concerne les gestes et les attitudes corporelles qui doivent être adoptés. Il est vrai que, d’une part, les pieux exercices ne touchent pas des aspects essentiels de la vie sacramentelle, et que, d’autre part, ils sont très souvent d’origine populaire, c’est-à-dire que, venant du peuple, ils ont été formulés par ce dernier dans son propre langage avant d’être assumés par la foi catholique.

Toutefois, le fait que les pieux exercices et les pratiques de dévotion se réfèrent à l’expression des sentiments populaires, ne signifie pas pour autant qu’il faille les considérer sous un angle purement sujectif. Étant sauve la compétence particulière de l’Ordinaire du lieu et des Supérieurs Majeurs - s’il s’agit de dévotions liées à des Ordres religieux -, il convient que la Conférence des Évêques se prononce à propos des pieux exercices qui intéressent l’ensemble d’une nation ou une partie importante du territoire.

Une attention soutenue et un grand discernement sont donc nécessaires afin d’empêcher que ne s’insinuent dans les pieux exercices, par le biais des différentes formes de langages, des concepts contraires à la foi chrétienne, ou que ne soient introduites des expressions cultuelles viciées par le syncrétisme.

Il est nécessaire, en particulier, que le pieux exercice, qui fait l’objet d’un processus d’adaptation ou d’inculturation, conserve son identité profonde et sa physionomie propre. Cela requiert de maintenir très explicitement les références à son origine historique, ainsi que les éléments doctrinaux et culturels qui le caractérisent.

En ce qui concerne la question particulière de l’adoption de certaines formes de la piété populaire dans le processus d’inculturation de la Liturgie, il faut se conformer à l’Instruction qui a été promulguée par le Dicastère sur ce sujet.

***

DEUXIÈME PARTIE

ORIENTATIONS
EN VUE DE L’HARMONISATION DE LA PIÉTÉ POPULAIRE
AVEC LA LITURGIE

Avant-propos

93. Dans l’intention d’aider ceux qui doivent appliquer les principes qui viennent d’être exposés dans l’action pastorale concrète, il a paru souhaitable de présenter certaines orientations sur le rapport nécessaire entre la piété populaire et la Liturgie, en vue de susciter une vie pastorale à la fois harmonieuse et profitable aux fidèles. Cette présentation des exercices et des pratiques de piété les plus répandus ne prétend donc pas être exhaustive, et elle ignore en particulier ceux qui ont un caractère local. Étant donné qu’il est difficile de tracer des limites rigoureuses entre des domaines qui ont tant d’affinités, les orientations en question seront émaillées çà et là de certaines indications concernant plus particulièrement la pastorale liturgique.

La présentation des exercices et des pratiques de piété est répartie en quatre chapitres:

- Le quatrième concerne l’Année liturgique avec l’intention de réaliser au mieux une harmonisation de ses célébrations avec les manifestations de la piété populaire;

- le cinquième a trait à la vénération de la sainte Mère du Seigneur, qui occupe une place particulière aussi bien dans le domaine de la sainte Liturgie que dans celui de la piété populaire;

- Le sixième est sur le culte des Saints et des Bienheureux, qui occupe aussi un espace important dans la Liturgie et dans la dévotion des fidèles;

- Le septième concerne la prière pour les défunts, qui fait appel aux différentes expressions de la vie cultuelle de l’Église;

- Le huitième regarde enfin les sanctuaires et les pèlerinages, qui sont des lieux significatifs et des expressions caractéristiques de la piété populaire comportant de nombreuses implications dans le domaine liturgique.

Puisqu’il se réfère à des pieux exercices de nature et de caractère différents, qui sont destinés à être appliqués dans des situations très diverses, le texte formule des propositions en respectant constamment un certain nombre de présupposés fondamentaux: la supériorité de la Liturgie sur les autres expressions cultuelles; la dignité et la légitimité de la piété populaire; la nécessité pastorale d’éviter toute forme d’opposition entre la Liturgie et la piété populaire, ou au contraire la confusion entre ces deux domaines, ce qui donnerait lieu à ces célébrations de caractère hybride.

 

Chapitre IV

ANNÉE LITURGIQUE ET PIÉTÉ POPULAIRE

94. L’Année liturgique est la structure temporelle à l’intérieur de laquelle l’Église célèbre l’ensemble des mystères du Christ: "de l’Incarnation et la Nativité jusqu’à l’Ascension, jusqu’au jour de la Pentecôte, et jusqu’à l’attente de la bienheureuse espérance et de l’avènement du Seigneur".

Au cours de l’Année Liturgique "la célébration du mystère pascal constitue l’essentiel du culte chrétien dans son déploiement quotidien, hebdomadaire et annuel". Il s’ensuit que, dans le cadre des relations entre la Liturgie et la piété populaire, la priorité donnée à la célébration de l’Année liturgique sur toutes les autres formes d’expressions et de pratiques de dévotions, doit être considérée comme un principe fondamental.

 

Le dimanche

95. Le "jour du Seigneur", en tant que "jour de fête primordial" et "fondement et noyau de toute l’Année liturgique", ne doit pas être subordonné aux manifestations de la piété populaire. Il est évident que les pieux exercices sont célébrés en prenant le dimanche comme point de référence chronologique.

Pour le bien pastoral des fidèles, il est licite de reporter au dimanche "per annum" les célébrations du Seigneur, ou en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie ou des Saints dont la date coïncide avec un jour de semaine, dans la mesure où les fidèles font preuve d’une piété particulière à leur égard et à condition qu’elles aient la primauté sur le dimanche lui-même.

Puisque les traditions populaires et culturelles risquent de prendre le pas sur la célébration du dimanche, ce qui aurait pour effet de nuire à l’esprit chrétien qui caractérise cette dernière, "dans ces cas, il faut parler clairement, dans la catéchèse et des interventions pastorales opportunes, en écartant ce qui est inconciliable avec l’Évangile du Christ. Mais il ne faut pas oublier que de telles traditions - et cela vaut analogiquement pour de nouvelles propositions culturelles de la société civile - ne sont souvent pas dépourvues de valeurs qui s’harmonisent sans difficulté avec les exigences de la foi. Il appartient aux Pasteurs d’opérer un discernement qui sauvegarde les valeurs présentes dans la culture d’un contexte social déterminé, et surtout dans la religiosité populaire, faisant en sorte que la célébration liturgique, notamment celle des dimanches et des fêtes, n’en souffre pas mais en tire plutôt avantage".

 

Le temps de l’Avent

96. L’Avent est un temps d’attente, de conversion et d’espérance:

- l’attente, qui consiste à faire mémoire de la première et humble venue du Sauveur dans notre chair mortelle; attente aussi de l’ultime et glorieuse venue du Christ, Seigneur de l’histoire et Juge universel;

- la conversion, à laquelle la Liturgie de ce temps invite souvent par la voix des prophètes, spécialement par celle de Jean-Baptiste: "convertissez-vous, parce que le Royaume des cieux est tout proche" (Mt 3, 2);

- l’espérance joyeuse que le salut opéré par le Christ (cf. Rm 8, 24-25) et les fruits de la grâce déjà présents dans le monde parviennent à leur maturité et à leur plénitude, de telle sorte que la promesse soit transformée en possession, la foi en vision, et qu’ainsi "nous lui soyons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est". (1 Jn 3, 2).

97. Le temps liturgique de l’Avent transparaît volontiers dans les formes de la piété populaire, spécialement lorsqu’il s’agit de faire mémoire de la préparation de la venue du Messie. La longue attente qui a précédé la naissance du Sauveur est solidement ancrée dans la conscience du peuple chrétien. Les fidèles savent que Dieu soutenait l’espérance d’Israël dans la venue du Messie au moyen des prophéties.

La piété populaire n’élude pas l’événement extraordinaire de la révélation de ce Dieu de gloire qui s’est fait petit enfant dans le sein d’une vierge, humble et pauvre, mais elle contribue au contraire à en souligner le caractère stupéfiant. Les fidèles sont particulièrement sensibles aux difficultés que la Vierge Marie a dû affronter tandis qu’elle attendait la naissance de son fils, et ils s’émeuvent à la pensée qu’il n’y avait plus de place dans la salle commune pour Joseph et Marie, qui s’apprêtait à donner le jour à son fils premier-né (cf. Lc 2, 7).

L’Avent donne lieu à des expressions variées de la piété populaire, qui soutiennent la foi du peuple et transmettent de génération en génération un certain nombre de valeurs, qui font partie de ce temps liturgique.

La Couronne de l’Avent

98. La disposition de quatre cierges sur une couronne constituée de rameaux toujours verts, qui est en usage spécialement dans les pays germaniques et en Amérique du Nord, est devenue le symbole de l’Avent dans les maisons des chrétiens.

La couronne de l’Avent, qui consiste à allumer successivement, d’un dimanche à l’autre, les quatre cierges, jusqu’à Noël, contribue à raviver la mémoire des différentes étapes de l’histoire du salut antérieure au Christ, et elle symbolise la lumière des prophéties qui tout au long de l’histoire illuminèrent la nuit de l’attente du peuple de Dieu, jusqu’à l’apparition du Soleil de justice (cf. Ml 3, 20; Lc, 1, 78).

Les processions de l’Avent

99. Durant le temps de l’Avent, différentes sortes de processions sont organisées traditionnellement dans diverses régions; elles illustrent tantôt l’annonce de la prochaine naissance du Sauveur, en parcourant les rues de la ville (ainsi, la "chiara stella" de certaines contrées d’Italie), tantôt l’évocation du chemin accompli par Joseph et Marie vers Bethléem, et leur recherche d’un lieu hospitalier prêt à accueillir la naissance de Jésus (le "posadas" de la tradition hispanique et latino-américaine).

Les "Quatre-Temps d’hiver"

100. Dans l’hémisphère nord, le temps de l’Avent est marqué par la célébration des "Quatre-Temps d’hiver". Ceux-ci signalent à la fois l’entrée dans une saison nouvelle et aussi une suspension des activités dans certains secteurs de la société. La piété populaire est très attentive au déroulement du cycle vital de la nature: tandis que se célèbrent les "Quatre-temps d’hiver", la semence est enfouie dans le sol en attendant que, par sa lumière et sa chaleur, le soleil la fasse germer, en reprenant son cycle à partir du solstice d’hiver.

Dans les régions où la piété populaire a suscité des formes de célébrations s’inspirant du changement des saisons, il faudra les conserver et les valoriser pour qu’elles constituent vraiment des moments privilégiés de supplications adressées au Seigneur, et qu’elles permettent aux fidèles de réfléchir sur les différents sens du travail humain: la collaboration de l’homme à l’œuvre créatrice de Dieu, l’autoréalisation de la personne, le service du bien commun et l’actualisation du projet de la rédemption.

La Vierge Marie dans le temps de l’Avent

101. Durant le temps de l’Avent, la Liturgie célèbre fréquemment et d’une manière particulière la bienheureuse Vierge Marie: elle évoque certaines femmes de l’Ancien Testament, qui furent les figures annonciatrices de sa mission; elle exalte l’attitude de foi et d’humilité dont Marie de Nazareth fit preuve en adhérant totalement et avec empressement au plan de salut de Dieu; enfin, elle met en évidence sa présence dans les événements de grâce qui précédèrent la naissance du Sauveur. Durant le temps de l’Avent, la piété populaire prête aussi une attention particulière à la Sainte Vierge Marie, comme l’atteste incontestablement la variété considérable des pieux exercices, parmi lesquels il convient de citer avant tout la neuvaine de préparation à la solennité de l’Immaculée Conception et celle qui précède la Nativité du Seigneur.

Il reste que la valorisation de l’Avent, qui est "un moment particulièrement adapté au culte de la Mère du Seigneur" ne signifie pas pour autant que ce temps liturgique doive être présenté comme un "mois de Marie".

Dans les calendriers liturgiques de l’Orient chrétien, la période de préparation au mystère de la manifestation (Avent) du salut divin (Téophanie) dans les mystères de la Nativité-Épiphanie du Fils unique de Dieu le Père apparaît comme un temps éminemment marial. L’attention se concentre sur la préparation à la venue du Seigneur dans le mystère de la maternité divine. Pour l’Orient, tous les mystères qui se rapportent à la Vierge Marie sont des mystères christologiques, c’est-à-dire qu’ils se réfèrent au mystère de notre salut dans le Christ. Ainsi, dans le rite copte, on chante, durant cette période, les louanges de Marie dans les Theotokia; dans l’Orient syrien, ce temps est appelé Subbara, c’est-à-dire Annonciation pour souligner son caractère marial. Dans le rite byzantin, la préparation de Noël est marquée par une série croissante de fêtes mariales et de refrains chantés en l’honneur de la Vierge Marie.

102. La solennité de l’Immaculée Conception (8 décembre), profondément ancrée dans la vie spirituelle des fidèles, donne lieu à de multiples manifestations de la piété populaire, dont la principale est la Neuvaine de préparation à cette solennité. Il ne fait aucun doute que le contenu de la fête de la Conception pure et sans tâche de Marie, en tant que préparation prochaine à la naissance de Jésus, s’harmonise bien avec quelques thèmes primordiaux de l’Avent: comme la Liturgie de l’Avent, la solennité de l’Immaculée Conception évoque aussi la longue attente messianique, et elle fait référence aux prophéties et aux symboles de l’Ancien Testament.

Dans les lieux où la Neuvaine préparatoire à la solennité de l’Immaculée Conception est célébrée, il faudra mettre en lumière les textes prophétiques qui, en partant de la prophétie de Genèse 3, 15 aboutissent au salut de Gabriel à celle qui est "comblée de grâce" (lc 1, 28) et à l’annonce de la naissance du Sauveur (cf. Lc 1, 31-33).

À l’approche de Noël, les fidèles du continent américain célèbrent Notre-Dame de Guadalupe, le 12 décembre, en accompagnant cette fête de multiples manifestations populaires. Par cette célébration, ils se préparent donc à bien accueillir le Sauveur: Marie "unie intimement à la naissance de l’Église en Amérique, fut l’Étoile radieuse qui illumina l’annonce du Christ Sauveur aux fils de ces peuples".

La Neuvaine de Noël

103. La Neuvaine de préparation à Noël a pour origine le besoin de communiquer aux fidèles les richesses d’une Liturgie à laquelle ils n’avaient pas facilement accès. La Neuvaine de la Nativité s’est, de fait, révélée très utile, et elle peut encore continuer à remplir cette fonction salutaire. Toutefois, étant donné qu’à notre époque l’accès du peuple à la participation aux célébrations liturgiques a été facilité, il est souhaitable qu’entre le 17 et le 23 décembre, les fidèles soient invités à participer aux Vêpres, qui sont solennisées par la proclamation des "Grandes Antiennes O". Une telle célébration pourrait être associée à certains éléments particulièrement chers à la piété populaire, qui pourraient être mis en valeur avant ou après les vêpres. Elle constituerait ainsi une excellente "Neuvaine de Noël" à la fois pleinement liturgique et attentive aux exigences de la piété populaire. Au cours de la célébration des Vêpres, il est possible de mettre en évidence certains éléments déjà prévus par la Liturgie (par exemple, l’homélie, l’usage de l’encens, l’adaptation des intercessions).

La Crèche

104. Outre les représentations de la crèche de Béthléem, qui existent depuis les premiers siècles dans les églises, la coutume s’est répandue, à partir du XIII siècle, d’installer de petites crèches dans les maisons, en prenant exemple sur celle qui, en 1223, avait été aménagée à Greccio par saint François d’Assise. Leur préparation - à laquelle les enfants sont tout particulièrement associés - permet de rendre présent le mystère de Noël auprès des différents membres de la famille, qui, parfois, se recueillent pour un moment de prière ou pour lire les passages de l’Écriture Sainte, qui concernent la naissance de Jésus.

La piété populaire et l’esprit de l’Avent

105. La piété populaire, du fait de sa compréhension intuitive du mystère chrétien, peut contribuer efficacement à sauvegarder certaines valeurs présentes dans le temps liturgique de l’Avent, qui sont menacées par les mœurs actuelles de la société de consommation; en effet, de nos jours, la préparation de Noël se réduit à l’organisation d’une "opération commerciale", qui est faite de multiples propositions vides de sens.

La piété populaire permet, en revanche, de mieux comprendre que la célébration de la Nativité du Seigneur va de pair avec un climat de sobriété et de joie simple, et qu’elle implique aussi une attitude de solidarité envers les pauvres et les exclus; de plus, l’attente de la naissance du Sauveur rend les fidèles plus sensibles à la valeur de la vie, c’est-à-dire au devoir de respecter cette dernière et de la protéger depuis la conception. Enfin, la piété populaire permet de percevoir qu’il n’est pas possible de célébrer d’une manière convenable la naissance de celui "qui sauvera son peuple de ses péchés" (Mt 1, 21) sans consentir un effort pour renoncer au péché, en vivant dans l’attente vigilante de Celui qui reviendra à la fin des temps.

 

Le temps de Noël

106. Durant le temps de Noël, l’Église célèbre le mystère de la manifestation du Seigneur: son humble naissance à Béthléem, annoncée aux bergers, qui constitue les prémices de cet Israël qui est appelé à accueillir le Sauveur; l’Épiphanie des Mages "venus d’Orient" (Mt 2, 1), figures de tous ces païens qui, dans le nouveau-né Jésus, reconnaîtront et adoreront le Christ Messie; la théophanie du Jourdain, où Jésus est désigné par le Père comme son "fils bien-aimé" (Mt 3, 17) et qui marque publiquement le début de son ministère messianique; enfin, le miracle accompli à Cana par lequel Jésus "manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui" (Jn 2, 11).

107. La période de Noël comprend, en plus des célébrations qui expriment la signification primordiale de ce temps liturgique, un certain nombre d’autres célébrations qui ont un rapport étroit avec le mystère de la manifestation du Seigneur: le martyre des Saints Innocents (28 décembre), dont le sang fut versé à cause de la haine des hommes contre Jésus, et aussi à cause du refus d’Hérode de reconnaître sa seigneurie; la mémoire du Saint Nom de Jésus, le 3 janvier; la fête de la Sainte Famille (dimanche dans l’octave de Noël), qui permet d’évoquer cette famille, dans laquelle "Jésus croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes" (Lc 2, 52); la solennité du 1 janvier, qui est la mémoire importante de la maternité divine, virginale et salvifique de Marie; et, même si elle est située hors du temps liturgique de Noël, la fête de la Présentation du Seigneur (2 février), qui est la célébration de la rencontre du Messie avec son peuple, représenté par Siméon et Anne, durant laquelle est évoquée la prophétie messianique de Siméon.

108. La piété populaire se fait l’écho, à travers des expressions qui lui sont propres, d’une grande partie du mystère riche et complexe de la manifestation du Seigneur. Elle est particulièrement attentive aux événements de l’enfance du Sauveur, par lesquels celui-ci a manifesté son amour pour nous. De fait, la piété populaire évoque d’une manière intuitive:

- la valeur de la "spiritualité du don de soi", qui est propre à Noël: "un enfant nous est né, un fils nous a été donné" (cf. Is 9, 5), un don qui est l’expression de l’amour infini de Dieu, qui "a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16);

- le message de solidarité qui est apporté par l’événement de Noël: solidarité avec l’homme pécheur, manifestée en Jésus, qui est Dieu fait homme "pour nous et pour notre salut"; solidarité avec les pauvres, puisque le Fils de Dieu "de riche qu’il était s’est fait pauvre" pour nous enrichir "par sa pauvreté" (2 Co 8, 9);

- Le caractère sacré de la vie et l’événement merveilleux qui s’accomplit à chaque fois qu’une femme donne naissance à un enfant, parce que par l’enfantement de Marie, le Verbe de Vie est venu parmi les hommes et s’est donc rendu visible à nos yeux (cf. Jn 1, 2).

- Les valeurs de la joie et de la paix messianique, auxquelles aspirent profondément les hommes de notre temps: les Anges annoncent aux bergers la naissance du Sauveur du monde, le "Prince de la paix" (Is 9, 5), et expriment leurs souhaits de "paix sur la terre aux hommes que Dieu aime" (Lc 2, 14);

- l’atmosphère de simplicité et de pauvreté, d’humilité et de confiance en Dieu, qui entoure la naissance de l’enfant Jésus.

Grâce à sa compréhension intuitive des valeurs propres au mystère de Noël, la piété populaire est appelée à défendre la mémoire de la manifestation du Seigneur, de telle sorte que la forte tradition religieuse liée à cette solennité ne devienne pas une cible pour les opérations mercantiles de la société consommation, et qu’elle ne subisse pas les tentatives d’infiltration du néopaganisme.

La Nuit de Noël

109. Entre les premières Vêpres de Noël et la célébration de la Messe de minuit, les nombreuses expressions de la piété populaire, diverses selon les pays, comprennent en particulier la tradition des chants de Noël, qui contribuent à transmettre le message de joie et de paix propre à cette solennité. Or, il est opportun de valoriser ces différentes expressions et, le cas échéant, de les harmoniser avec les célébrations de la Liturgie. Il convient de citer, par exemple:

- la représentation des "crèches vivantes"; l’inauguration de la crèche familiale qui peut donner lieu à un moment de prière réunissant tous les membres de la famille. Cette prière peut comporter la lecture du récit de la naissance de Jésus dans l’Évangile selon Saint Luc, avec des chants typiques de Noël, auxquels se mêlent la supplication et la louange; il convient que ce moment de prière soit surtout animé par les enfants, qui sont les principaux participants de cette rencontre familiale;

- l’inauguration de l’arbre de Noël, qui se prête bien à l’organisation d’un moment de prière réunissant toute la famille. De fait, en faisant abstraction de ses origines historiques, l’arbre de Noël est devenu à notre époque un symbole dont la signification est très importante et cette coutume s’est répandue assez largement dans les milieux chrétiens; il évoque soit l’arbre de vie planté au centre du jardin d’Éden (cf. Gn 2, 9), soit l’arbre de la croix, et il a donc un sens christologique: le Christ, le vrai arbre de vie, est de notre lignée; cet arbre toujours vert et portant de nombreux fruits a surgi de Marie, comme d’une terre à la fois vierge et féconde. Les évangélisateurs des pays nordiques ont introduit une ornementation chrétienne de l’arbre de Noël, où figurent surtout des symboles évoquant des pommes et des hosties, qui sont suspendues à ses branches. Il ne faut pas non plus oublier les "cadeaux"; parmi ceux qui sont déposés aux pieds de l’arbre de Noël, certains sont destinés aux pauvres, qui doivent faire partie intégrante de toute famille chrétienne;

- le repas du soir de Noël. La famille chrétienne qui, chaque jour, selon la tradition, demande au Seigneur de bénir la table et rend grâce à Dieu pour la nourriture qu’elle reçoit de lui, accomplira ce geste avec une intensité particulière et une grande attention au cours de ce repas du soir de Noël, au cours duquel se manifestent la solidité des liens familiaux ainsi que la joie qui en découle.

110. L’Église souhaite que, la nuit du 24 décembre, les fidèles participent si possible à l’Office des lectures comme préparation immédiate à la célébration de la Messe de minuit. Lorsque l’Office des lectures n’est pas célébré, il convient d’organiser une veillée qui, en s’inspirant de cet Office, peut être composée de chants, de lectures et d’autres éléments de la piété populaire.

111. Durant la Messe de minuit, dont la signification liturgique, particulièrement intense, exerce une grande influence sur le peuple, il est possible de mettre en valeur les éléments suivants:

- au début de la Messe, le chant de l’annonce de la naissance du Seigneur, selon la formule du Martyrologe Romain;

- la prière des fidèles devra avoir un caractère vraiment universel dans le choix des intentions et, si cela s’avère possible et opportun, par l’emploi de diverses langues; à l’offertoire, la présentation des dons comportera toujours un élément qui évoquera ceux qui vivent dans des situations marquées par la pauvreté.

- à la fin de la célébration, il sera possible de proposer aux fidèles de venir embrasser une image ou une statue représentant l’Enfant Jésus, avant de la déposer dans la crèche, qui doit être elle-même située dans l’église ou dans l’une de ses annexes.

La fête de la Sainte Famille

112. La fête de la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph (le dimanche dans l’octave de la Nativité) offre aux familles chrétiennes des possibilités très amples pour accomplir certains rites, ou pour organiser des moments de prières adaptés à cette célébration liturgique.

L’évocation de Joseph, de Marie et de l’Enfant Jésus qui se rendent à Jérusalem, comme toute famille juive fidèle à la Loi, en vue d’accomplir les rites de la Pâque (cf. Lc 2, 41-42), favorisera l’accueil de la proposition pastorale consistant à encourager tous les membres de la famille à participer ensemble, en ce jour, à la célébration de l’Eucharistie. De même, cette fête constitue un cadre très approprié pour le renouvellement de la consécration des différents membres de la famille à la Sainte Famille de Nazareth, ainsi que la bénédiction des enfants, prévue dans le Rituel, et, si l’occasion se présente, le renouvellement des engagements des époux, devenus des parents, prononcés le jour de leur mariage, de même que l’échange des promesses par lesquelles des fiancés rendent public leur projet de fonder une nouvelle famille.

Toutefois, en dehors du jour même de cette fête, les fidèles se confient volontiers à la Sainte Famille de Nazareth dans de nombreuses circonstances de leur vie: ainsi, beaucoup font partie de l’Association de la Sainte Famille dans le but de mieux conformer la vie de leur propre famille au modèle de la Famille de Nazareth; de même, nombreux sont les fidèles qui adressent de fréquentes prières à la Sainte Famille pour se placer sous sa protection et demander son aide à l’heure de la mort.

La fête des Saints Innocents

113. Le 28 décembre, l’Église célèbre, depuis le VI siècle, la mémoire des enfants victimes de la fureur aveugle d’Hérode, qui désirait tuer Jésus (cf. Mt 2, 16-17). La tradition liturgique les appelle les "Saints Innocents" et elle les considère comme des martyrs. Tout au long des siècles, l’art, la poésie et la piété populaire ont exprimé les sentiments de tendresse et de sympathie des fidèles envers ce "tendre troupeau d’agneaux immolés"; de tels sentiments ont toujours été accompagnés d’un mouvement d’indignation due à la violence avec laquelle ces enfants ont été arrachés des bras de leurs mères d’avant d’être assassinés.

De nos jours les enfants subissent ancore d’innombrables formes de violence, qui attentent à leur vie et constituent des attaques contre leur dignité, leur vie morale et leur droit de recevoir une éducation digne de ce nom. Il faut toujours avoir présent à l’esprit la foule innombrable des enfants vivant encore dans le sein de leurs mères et qui sont tués avant même de voir le jour, à cause des lois qui autorisent l’avortement, ce crime abominable. Attentive aux problèmes concrets, la piété populaire a suscité, en de nombreux endroits, des initiatives d’ordre cultuel mettant en valeur le respect du caractère sacré de la vie, ainsi que des gestes de charité dans des domaines aussi divers que l’assistance aux mères qui attendent un enfant, l’adoption des enfants et le développement de leur instruction.

Le 31 décembre

114. Quelques pieux exercices, qui marquent la date du 31 décembre, ont la piété populaire pour origine. Dans la plus grande partie des pays occidentaux ce jour coïncide avec la fin de l’année civile. Cette fête conduit les fidèles à méditer sur le "mystère du temps" qui passe à la fois rapidement et inexorablement. Cette réflexion suscite en eux les deux réactions suivantes: tout d’abord, un sentiment mêlé de repentir et de regret pour les fautes qui ont été commises, et pour toutes les occasions de vivre dans la grâce de Dieu, qui ont été perdues durant l’année qui s’achève; ensuite, le désir de remercier Dieu pour tous les bienfaits reçus de lui.

Cette double attitude a donné naissance respectivement à deux pieux exercices: d’une part, l’exposition prolongée du Saint-Sacrement qui permet aux communautés religieuses et aux fidèles de bénéficier de longs moments de prière, surtout silencieuse; d’autre part, le chant du Te Deum, qui exprime la louange et l’action de grâces des fidèles pour tous les bienfaits obtenus de Dieu durant l’année qui va s’achever.

Dans certains lieux, surtout dans les communautés monastiques et dans les associations de laïcs, dont la spiritualité accorde une place importante à la dévotion eucharistique, la nuit du 31 décembre est marquée par une veillée de prières, qui s’achève par la célébration de la Sainte Messe. Il convient d’encourager l’organisation de telles veillées; toutefois, celles-ci doivent être célébrées en tenant compte des éléments liturgiques de l’Octave de Noël; de plus, elles doivent être conçues non seulement comme un acte de réparation tout à fait juste face à l’insouciance et à la débauche, qui marquent le passage d’une année à l’autre, mais encore comme une veillée offerte au Seigneur pour les prémices du nouvel an.

La solennité de la sainte Mère de Dieu

115. Le 1 janvier, dans l’Octave de Noël, l’Église célèbre la solennité de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. La maternité divine et virginale de Marie constitue un événement unique dans l’ordre du salut: de fait, pour la Vierge Marie, elle fut la promesse et la cause de sa gloire extraordinaire, et elle est pour nous la source de toutes les grâces et du salut, puisque Marie est "celle qui nous permit d’accueillir l’Auteur de la vie".

La solennité du 1 janvier, qui est éminemment mariale, offre un espace particulièrement adapté pour une rencontre fructueuse entre la Liturgie et les expressions de la piété populaire: d’un côté, la Liturgie de la solennité doit être célébrée selon les formes qui lui sont propres; la piété populaire des fidèles, pour sa part, et à condition qu’elle soit éduquée, donne souvent lieu à des expressions de louanges et de remerciements adressés à la Vierge Marie pour le don de son divin Fils, et elle contribue ainsi à approfondir le contenu de nombreuses formules de prières, à commencer par celle-ci, qui est particulièrement appréciée des fidèles: "Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs".

116. En Occident le 1 janvier marque le commencement de l’année civile. Les fidèles, qui sont immergés eux aussi dans l’atmosphère festive si caractéristique du début de l’année, échangent avec tous ceux qu’ils rencontrent les vœux de "bonne année". Toutefois, tout en respectant cette coutume, ils doivent être capables de lui donner une nouvelle dimension en insistant sur sa signification chrétienne et ils peuvent même en faire un acte de piété religieuse. En effet, les fidèles savent que la "nouvelle année" est placée sous le pouvoir souverain du Christ et c’est pourquoi, en échangeant les vœux du nouvel an, ils confient ce dernier, d’une manière plus ou moins explicite, au Seigneur tout-puissant, à qui appartiennent les jours et les siècles pour l’éternité (cf. Ap 1, 8; 22, 13).

Cette volonté des fidèles de conférer au nouvel an une dimension pleinement chrétienne se traduit dans la coutume très répandue de chanter le Veni, creator Spiritus, en ce jour du 1 janvier, pour demander à l’Esprit Saint d’inspirer, tout au long de l’année, les pensées et les actions de chaque fidèle et des communautés chrétiennes.

117. L’un des principaux vœux de nouvel an, que se souhaitent mutuellement les hommes et les femmes, est celui de la paix. Ce "vœu de la paix" a de profondes racines bibliques et christologiques, qui se rapportent spécialement au mystère de la Nativité. Les hommes de tous les temps ont évoqué unanimement le "bien de la paix", tout en n’hésitant pas à le remettre en cause fréquemment d’une manière violente et destructrice, qui a pour nom: la guerre.

Depuis 1967, le Siège Apostolique, qui a toujours montré sa solidarité avec les aspirations profondes des peuples, a décidé de célébrer, à la date 1 janvier, la "Journée mondiale de la paix".

La piété populaire n’est pas demeurée insensible à cette initiative du Siège Apostolique; c’est pourquoi, dans le contexte de la naissance du Prince de la paix, elle a fait de ce jour un moment intense de prières pour la paix, et d’éducation à la paix et aux valeurs qui lui sont indissolublement liées, parmi lesquelles il convient de citer notamment la liberté, la solidarité et l’esprit fraternel, la dignité de la personne humaine, le respect de la nature, le droit au travail, et le caractère sacré de la vie, ce qui incite les chrétiens à dénoncer les situations marquées par l’injustice, qui ont pour effet de troubler les consciences et de menacer la paix.

La solennité de l’Épiphanie du Seigneur

118. Le contenu très riche de la solennité de l’Épiphanie, dont l’origine remonte aux premiers siècles, a inspiré le développement de multiples traditions et de nombreuses expressions authentiques de la piété populaire. Parmi ces dernières, il convient de citer:

- l’annonce solennelle de la fête de Pâques et des principales fêtes de l’année; il est opportun de favoriser son rétablissement, qui est déjà notable en divers endroits, car elle aide les fidèles à mieux comprendre le lien existant entre l’Épiphanie et Pâques, ainsi que l’orientation de toutes les fêtes vers la solennité chrétienne la plus importante;

- L’échange des "cadeaux de l’Épiphanie"; cette tradition s’inspire du récit évangélique relatant les dons offerts par les Mages à l’enfant Jésus (cf. Mt 2, 11) et, plus profondément, elle évoque le don fait par le Père à l’humanité tout entière en la personne de l’Emmanuel, qui est né parmi nous (cf. Is 7, 14; 9, 6; Mt 1, 23). Toutefois, il est souhaitable que cet échange de cadeaux, à l’occasion de l’Épiphanie, conserve son caractère religieux en reliant cette tradition à l’évocation du récit évangélique: une telle référence explicite contribuera à faire de ces cadeaux un geste de piété chrétienne, et elle les détournera de certaines influences caractérisées par le luxe, le faste et le gaspillage, qui sont étrangères à l’origine de cette tradition;

- La bénédiction des maisons, sur les portes desquelles les fidèles ont placé la croix du Seigneur, le chiffre de l’année qui commence et les initiales des noms traditionnels des saints Mages (C+M+B), qui sont aussi celles de l’expression: "Christus mansionem benedicat", écrites avec de la craie bénite. Ces gestes, qui sont accomplis en présence de nombreux enfants accompagnés par les adultes, expriment le désir des fidèles de recevoir la bénédiction du Christ par l’intercession des saints Mages, et ils sont aussi l’occasion de recueillir des offrandes en faveur des œuvres caritatives et missionnaires;

- Les gestes de solidarité en faveur des hommes et des femmes qui, à l’exemple des Mages, proviennent de pays lointains. Ainsi, la piété populaire suscite chez les fidèles cette attitude d’accueil cordial et de solidarité concrète à l’égard de tous hommes, qu’ils soient chrétiens ou non.

- l’aide consentie à l’évangélisation des peuples. Au niveau de la piété populaire, la connotation missionnaire très forte de l’Épiphanie s’est traduite par la multiplication d’initiatives en faveur des missions, spécialement celles qui sont liées à "l’Œuvre missionnaire de la Sainte Enfance" instituée par le Siège Apostolique;

- La désignation de Saints Patrons. La coutume existe, dans de nombreuses communautés religieuses et confréries, d’assigner à chacun de leurs membres, un Saint, sous le patronage duquel il sera placé durant toute l’année.

La fête du Baptême du Seigneur

119. Les mystères du Baptême de Jésus et de la manifestation de sa mission, lors des noces de Cana, sont étroitement liés à l’événement salvifique de l’Épiphanie du Seigneur.

La fête du Baptême du Seigneur, dont l’importance a été soulignée à une époque récente, clôt le Temps de Noël; cela explique sans doute pourquoi elle ne donne pas lieu à des expressions particulières de la piété populaire. Elle peut néanmoins aider les fidèles à mieux prendre conscience de la signification du baptême et, en particulier, de leur propre naissance à la vie divine comme enfants de Dieu; il est donc recommandé de promouvoir les initiatives suivantes: l’emploi du Rite de l’aspersion d’eau bénite à toutes les messes de ce dimanche, qui se célèbrent avec le concours du peuple; l’évocation des thèmes et des symboles relatifs au baptême, au cours de l’homélie et dans l’enseignement catéchétique.

La fête de la Présentation du Seigneur

120. Jusqu’en 1969, la fête du 2 février, qui est ancienne et d’origine orientale, portait en Occident le nom de "purification de la bienheureuse Vierge Marie", et elle concluait, en ce quarantième jour après la Nativité du Seigneur, le temps liturgique de Noël.

Cette fête a toujours eu un grand retentissement auprès des fidèles; en effet:

- ils participent volontiers à la procession qui évoque l’entrée de Jésus dans le Temple, et en premier lieu la rencontre du Fils avec Dieu le Père, dans la demeure duquel il pénètre pour la première fois, ainsi que sa rencontre avec Siméon et Anne. En Occident, cette procession, dont le caractère pénitentiel s’était substitué à l’immoralité des défilés païens, fut marquée par l’introduction du rite liturgique de la bénédiction des cierges, allumés en l’honneur du Christ "lumière pour éclairer les nations" (Lc 2, 32);

- ils se montrent sensibles au geste accompli par la Vierge Marie, qui présente son Fils dans le Temple et, qui, en obéissant à la Loi de Moïse, se soumet au rite de la purification. La piété populaire a mis en valeur cet épisode de la purification en le présentant comme un témoignage de l’humilité de la Vierge Marie; c’est pourquoi le 2 février fut souvent considéré comme la fête de ceux qui accomplissent d’humbles services dans l’Église.

121. La piété populaire est sensible à l’événement, à la fois délibéré et mystérieux, de la conception et de la naissance d’une vie nouvelle. Les mères chrétiennes, en particulier, établissent sans peine une relation entre, d’une part, la maternité de la Vierge Marie, qui est la toute pure et la mère du Corps mystique, et, d’autre part, leur propre maternité, tout en étant conscientes de certaines différences importantes dues au caractère unique de la conception et de l’enfantement de Marie: de fait, leur maternité s’inscrit aussi dans le plan de Dieu et elles ont enfanté les futurs membres de ce même Corps mystique. Cette intuition des mères chrétiennes, ainsi que leur désir d’imiter le geste accompli par Marie (cf. Lc 2, 22-24), ont inspiré le rite des relevailles, dont quelques éléments reflétaient une vision négative de certains aspects de l’accouchement.

Le Rituale Romanum rénové prévoit la bénédiction d’une mère, soit avant, soit après l’enfantement; il faut toutefois noter que la bénédiction postérieure à l’accouchement ne peut être donnée que dans le cas où la nouvelle mère n’a pas pu être présente à la cérémonie du baptême de son enfant.

Il est néanmoins très important que les mères et leurs proches parents, en demandant de telles bénédictions, se conforment aux intentions de la prière de l’Église, c’est-à-dire qu’elles aient lieu dans une communion de foi et de charité, et dans la prière, afin que l’attente de l’enfant s’effectue dans la joie (bénédiction avant l’enfantement) et avec le désir de rendre grâces à Dieu pour le don reçu de lui (bénédiction après l’enfantement).

122. Dans certaines Églises locales, le 2 février est devenu la fête de ceux qui se consacrent au service du Seigneur et de leurs frères dans les diverses formes de la vie consacrée; cette signification particulière provient de la valorisation de certains éléments du récit évangélique de la fête de la Présentation du Seigneur (Lc 2, 22-40), comme, par exemple, l’obéissance de Joseph et de Marie à la Loi du Seigneur, la pauvreté de ces saints époux et la virginité de la Mère de Jésus.

123. La célébration du 2 février doit conserver son caractère populaire, tout en se conformant pleinement au sens authentique de la fête. Il ne serait donc pas juste qu’en célébrant la Présentation du Seigneur, la piété populaire obscurcisse le sens christologique de cette fête, en insistant presqu’exclusivement sur ses aspects mariologiques. Le fait qu’elle doive "être considérée [...] comme une mémoire conjuguée du Fils et de la Mère" ne peut avoir pour conséquence de favoriser une telle inversion de perspective. Ainsi, le cierge béni, conservé dans les maisons, doit être pour les fidèles le signe du Christ "lumière du monde", et donc un moyen d’exprimer leur foi.

 

Le Temps du Carême

124. Le Carême est le temps liturgique qui précède Pâques et prépare les fidèles à célébrer cette solennité. C’est un temps d’écoute attentive de la Parole de Dieu et de conversion, de préparation ou de rappel du baptême, de réconciliation avec Dieu et avec les frères, et une occasion de recourir plus fréquemment aux "diverses armes de la pénitence chrétienne": la prière, le jeûne et l’aumône (cf. Mt 6, 1-6. 16-18).

Faute d’avoir pu percevoir facilement les grands mystères de la foi exprimés par le Carême, les expressions de la piété populaire répercutent peu les valeurs et les thèmes principaux de ce temps liturgique: il convient de citer, en particulier, le rapport entre le "signe des quarante jours" et les sacrements de l’initiation chrétienne, ainsi que le mystère de "l’exode" qui est présent tout au long de l’itinéraire du Carême. En revanche, la tendance constante de la piété populaire à évoquer les mystères de l’humanité du Christ, a incité les fidèles à concentrer leur attention sur la Passion et la Mort du Seigneur.

125. Dans le Rite romain, le début des quarante jours de pénitence est marqué par le signe austère des cendres, qui caractérise la Liturgie du Mercredi des Cendres. Ce signe a pour origine le rite antique au cours duquel les pécheurs convertis se soumettaient à la pénitence canonique; de fait, le geste qui consiste à se couvrir de cendres signifie la reconnaissance de la fragilité et de la condition mortelle de l’homme, qui ressent le besoin de se tourner vers la miséricorde de Dieu pour obtenir de lui le salut. Ainsi, loin de le réduire à un geste purement extérieur, l’Église a voulu le conserver pour exprimer cette attitude de pénitence, à laquelle chaque baptisé est appelé durant l’itinéraire du Carême. Il est donc nécessaire d’aider les nombreux fidèles, qui viennent recevoir les cendres, à comprendre le sens profond de ce geste, destiné à ouvrir leurs cœurs à la conversion et au renouveau pascal.

En dépit de la sécularisation de la société contemporaine, il faut expliquer clairement au peuple chrétien que le Carême est un temps privilégié, qui vise à orienter les âmes des fidèles vers les seules réalités qui comptent vraiment. Cette attitude comporte l’engagement à suivre l’Évangile et à lui conformer sa propre vie, ce qui se traduit par l’accomplissement de bonnes œuvres, qui prennent la double forme d’un renoncement à tout ce qui est superflu et luxueux, et de gestes de solidarité envers les pauvres et tous ceux qui souffrent.

Les fidèles qui ne s’approchent que rarement des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie savent bien que le temps du Carême et de Pâques est lié au commandement de l’Église, issu d’une longue tradition, qui leur impose de confesser au moins une fois par an leurs propres péchés mortels et de recevoir la Sainte Communion, de préférence durant le temps pascal.

126. Les approches différentes de la Liturgie et de la piété populaire concernant le Carême ne doivent pas constituer un obstacle pour considérer le temps des "Quarante jours" comme un moment propice permettant d’établir des relations étroites et fécondes entre ces deux aspects du culte chrétien.

À titre d’exemple destiné à illustrer cette interaction, la piété populaire privilégie des jours et des pieux exercices bien précis, ainsi que des activités apostoliques et caritatives déterminées, que la Liturgie de Carême elle-même prévoit et recommande. La pratique du jeûne, qui caractérise ce temps liturgique depuis les premiers siècles de l’Église, est un "exercice" qui libère volontairement des désirs liés à la vie sur cette terre; il permet donc de redécouvrir la nécessité d’aspirer à la vie qui vient du ciel: "ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (cf. Dt 8, 3; Mt 4, 4; Lc 4, 4; antienne de la communion du premier Dimanche de Carême).

La vénération de Jésus crucifié

127. La fin de l’itinéraire du Carême coïncide avec le commencement du Triduum pascal, c’est-à-dire exactement à partir de la célébration de la Messe in Cena Domini. Durant le Triduum pascal, le Vendredi Saint, dédié à la célébration de la Passion du Seigneur, est le jour par excellence de "l’Adoration de la sainte Croix".

Toutefois, la piété populaire aime anticiper la vénération cultuelle de la Croix. De fait, durant tout le temps du Carême, la piété des fidèles s’oriente volontiers vers le mystère de la croix chaque vendredi qui, selon une très antique tradition chrétienne, est le jour consacré à la célébration de la mémoire de la Passion du Christ.

Les fidèles, en contemplant le Sauveur crucifié, saisissent plus facilement la signification de la souffrance illimitée et injuste que Jésus, le Saint et l’Innocent, a subi pour le salut de l’homme, et ils mesurent aussi beaucoup mieux la valeur unique et incomparable de l’amour du Christ qui a manifesté sa proximité à l’égard de chaque homme, ainsi que l’efficacité de son sacrifice rédempteur.

128. Les expressions de dévotion envers le Christ crucifié, qui sont nombreuses et variées, ont une importance particulière dans les églises dédiées au mystère de la Croix, ou dans lesquelles sont vénérées des reliques, considérées comme authentiques, du lignum Crucis. Il est vrai que la "découverte de la sainte Croix", qui remonte selon la tradition à la première moitié du IV siècle, et qui fut suivie de la diffusion de parcelles très vénérées de cette même Croix dans le monde entier, suscita un développement notable du culte de la Croix.

Les manifestations de dévotion, adressées au Christ crucifié, comprennent les éléments habituels de la piété populaire, c’est-à-dire des chants et des prières, ainsi que des gestes comme, par exemple, l’ostension de la croix, sa vénération par un baiser, et aussi la procession et la bénédiction avec la croix. Tous ces éléments s’insérent de manières diverses dans le culte adressé au Christ crucifié, donnant lieu à un certain nombre de pieux exercices, estimables à la fois pour la valeur de leur contenu et de leur forme.

Il reste que la piété envers la Croix a toujours besoin d’être éclairée. Il faut donc montrer aux fidèles que la Croix se réfère avant tout à l’évènement de la Résurrection: la Croix et le tombeau vide, la Mort et la Résurrection du Christ sont inséparables dans le récit évangélique et dans le plan de salut de Dieu. La foi chrétienne proclame que la Croix est l’expression tangible du triomphe du Christ sur le pouvoir des ténèbres; c’est pourquoi elle est souvent représentée couverte de pierres précieuses, et elle est devenue un signe de bénédiction quand elle est tracée sur soi-même ou sur d’autres personnes, et sur des objets.

129. Les fidèles ont volontiers mis en évidence certains aspects de la Passion du Christ, qui sont devenus autant de dévotions particulières. Cette attitude s’explique par la tendance, qui est propre à la piété populaire, de spécifier et de différencier les divers éléments du texte évangélique, qui, en l’occurrence, présente lui-même les différents épisodes du récit de la Passion d’une manière détaillée. Parmi ces dévotions liées à la Passion du Christ, on peut citer: celle qui s’adresse à l’ "Ecce Homo", au Christ méprisé et torturé, "portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre" (Jn 19, 5), que Pilate présente au peuple; la dévotion aux saintes plaies du Seigneur, en particulier celle qui s’adresse à la blessure de son Cœur transpercé, et au sang jailli de ce Cœur et qui donne la vie; l’évocation des instruments de la Passion, parmi lesquels la colonne de la flagellation, l’escalier du prétoire, la couronne d’épines, les clous, la lance qui transperça le côté du Christ, de même que le saint suaire et le linceul de l’ensevelissement.

Ces diverses expressions de la piété populaire, qui ont été promues dans certains cas par des personnes réputées pour leur sainteté, sont légitimes. Toutefois, afin d’éviter un morcellement excessif dans la contemplation de l’unique mystère de la Croix, il convient de souligner le caractère complexe de l’événement de la Passion en se basant sur la tradition biblique et patristique.

La lecture de la Passion du Seigneur

130. L’Église exhorte les fidèles à la lecture fréquente, individuelle et communautaire, de la Parole de Dieu. Il ne fait aucun doute que, dans l’ensemble de la Bible, les passages, qui narrent la Passion du Seigneur, ont une valeur pastorale particulière, puisque, par exemple, l’Ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae suggère de lire, au moment de l’agonie du chrétien, le récit tout entier, ou du moins quelques extraits, de cette Passion.

Durant le temps du Carême, les communautés chrétiennes marqueront leur attachement au Christ crucifié en témoignant leur prédilection pour la lecture de la Passion du Seigneur, surtout le mercredi et le vendredi.

Une telle lecture, d’une grande portée doctrinale, attire l’attention des fidèles sur le contenu même du récit ou sur sa disposition générale, et elle suscite en eux des sentiments de piété authentique, parmi lesquels il convient de citer: le regret des fautes commises, qui provient de leur perception que le Christ est mort pour la rémission des péchés de tout le genre humain, et donc aussi de leurs propres péchés; la compassion et la solidarité envers l’Innocent injustement persécuté; le sentiment de gratitude envers Jésus pour l’amour infini dont, durant sa Passion, ce Frère aîné a fait preuve envers tous les hommes; l’engagement à suivre les exemples de douceur, de patience, de miséricorde, de pardon des offenses et d’abandon confiant entre les mains du Père, donnés par Jésus d’une manière à la fois abondante et efficace durant sa Passion.

Lorsqu’elle est lue en dehors de la célébration liturgique proprement dite, la Passion pourra être opportunément "dramatisée" en faisant appel à divers lecteurs correspondant aux différents personnages, et en intercalant entre les différentes parties du récit des chants et des moments de méditation silencieuse.

La "Via Crucis"

131. Parmi les pieux exercices destinés à vénérer la Passion du Seigneur, peu sont aussi estimés par les fidèles que la Via Crucis. Ce pieux exercice leur permet de revivre avec une attention particulière cette ultime étape du chemin parcouru par Jésus durant sa vie terrestre: depuis le Mont des Oliviers, où dans "le domaine appelé Gethsémani" (mc 14, 32), le Seigneur "fut saisi par l’angoisse" (Lc 22, 44), jusqu’au Mont du Calvaire où il fut crucifié entre deux bandits (cf. Lc 23, 33), et au jardin où il fut déposé dans un sépulcre neuf, creusé dans le roc (cf. Jn 19, 40-42).

Le témoignage de l’attachement des fidèles chrétiens envers ce pieux exercice est perceptible dans les innombrables Via Crucis qui sont érigées aussi bien dans les églises, les sanctuaires et les cloîtres, qu’à l’extérieur, dans la campagne ou sur les pentes des collines, qui sont autant de lieux auxquels les diverses stations confèrent une physionomie particulière.

132. La Via Crucis peut être considérée comme la synthèse d’un certain nombre de dévotions qui remontent au Moyen Âge: le pèlerinage en Terre Sainte, durant lequel les fidèles se rendent sur les lieux même de la Passion du Seigneur; l’évocation des "chutes du Christ" sous le poids de la Croix et celle du "chemin de croix douloureux du Christ", qui est marqué par une procession accomplie d’église en église en mémoire des étapes parcourues par le Christ durant sa Passion; la dévotion aux "stations du Christ", qui se réfèrent aux différents endroits où le Christ fut contraint de s’arrêter au long du chemin qui le conduisait au Calvaire, soit à cause de l’attitude de ses bourreaux, soit du fait de l’épuisement de ses forces physiques, ou encore, parce qu’il manifestait son amour envers les hommes et les femmes, qui assistaient à sa Passion, en s’efforçant d’établir un dialogue avec eux.

Dans sa forme actuelle, déjà attestée dans la première moitié du XVII siècle, la Via Crucis est constituée de quatorze stations; cette dévotion, qui fut surtout diffusée par saint Leonardo da Porto Maurizio († 1751), est approuvée par le Saint-Siège et enrichie d’indulgences.

133. La Via Crucis est un chemin tracé par l’Esprit Saint, ce feu divin qui brûlait dans le Cœur du Christ (cf. Lc 12, 49-50) et le poussait à marcher vers le Calvaire; elle est aussi un chemin vénéré par l’Église, qui a conservé le souvenir très vif des paroles et des événements qui ont marqué les derniers jours de son Époux et Seigneur.

De plus, des expressions très variées, qui caractérisent la spiritualité chrétienne, sont présentes dans le pieux exercice de la Via Crucis: ainsi, la conception de la vie en tant que chemin ou pèlerinage à accomplir, ou comme un passage, à travers le mystère de la Croix, de l’exil de cette terre vers la patrie céleste; le désir de s’unir profondément à la Passion du Christ; les exigences de la sequela Christi, qui, pour le disciple, consiste à marcher derrière le Maître, en portant chaque jour sa propre croix (cf. Lc 9, 23).

Toutes ces raisons permettent d’afirmer que la Via Crucis est un exercice de piété particulièrement adapté durant le temps du Carême.

134. Les orientations suivantes sont destinées à accomplir le pieux exercice de la Via Crucis d’une manière frutueuse:

- La forme traditionnelle de la Via Crucis, avec ses quatorze stations, doit être considérée comme la forme ordinaire et typique de ce pieux exercice; toutefois, en certaines occasions, il peut être permis de remplacer l’une ou l’autre des "stations" par d’autres, qui évoquent certains épisodes du récit évangélique de ce chemin douloureux accompli par le Christ, et qui ne font pas partie de la forme traditionnelle.

- Il existe aussi d’autres formes de la Via Crucis, qui sont, soit approuvées par le Siège Apostolique, soit employées publiquement par le Pontife Romain: celles-ci peuvent être employées selon l’opportunité.

- La Via Crucis est un pieux exercice qui évoque la Passion du Christ; toutefois, il est opportun que sa conclusion permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la résurrection; c’est pourquoi, en prenant exemple sur la station à l’Anastasis à la fin de la Via Crucis à Jérusalem, il est possible de conclure le pieux exercice en évoquant la résurrection du Seigneur.

135. Les textes de la Via Crucis sont innombrables. Ils ont été composés par des pasteurs convaincus des fruits spirituels de ce pieux exercice, auquel ils ont manifesté un sincère attachement; ces textes ont aussi parfois pour auteurs de pieux fidèles laïcs, que leur sainteté, leur doctrine ou leurs dons d’écrivains ont rendu célèbres.

Le choix du texte de la Via Crucis, tout en prenant en considération les indications éventuelles des Évêques, devra être opéré en tenant compte à la fois de la condition de ceux qui participent à ce pieux exercice, et du principe pastoral consistant à associer d’une manière convenable la continuité et l’innovation. Il reste que, dans tous les cas, le choix devra toujours se porter de préférence sur les textes, qui contiennent des citations bibliques judicieusement choisies, et qui sont écrits dans un langage à la fois noble et simple.

Le fait d’accomplir la Via Crucis d’une manière sage et équilibrée en alternant les textes lus, le silence, les chants, la procession entre les stations et les arrêts permettant la méditation, permet à ce pieux exercice de porter tous ses fruits spirituels.

La "Via Matris"

136. L’union du Christ crucifié et de la Vierge des douleurs dans le projet de salut de Dieu (cf. Lc 2, 34-35) a pour effet de les associer dans la Liturgie et la piété populaire.

Tout comme le Christ est "l’homme des douleurs" (Is 53, 3), par lequel il a plu à Dieu "de tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" (Col 1, 20), Marie est aussi la "femme douloureuse", que Dieu a voulu associer à son Fils comme une mère unie à sa Passion (socia passionis).

Dès l’enfance du Christ et jusqu’à sa mort, la vie de la Vierge Marie fut associée au rejet que subissait son Fils, et elle fut donc marquée tout entière par le signe de l’épée, annoncée par Siméon (cf. Lc 2, 35). La piété du peuple chrétien a donc distingué dans cette vie douloureuse de la Mère, sept épisodes principaux, auxquels elle a donné le nom des "sept douleurs" de la Vierge Marie.

Le pieux exercice de la Via Matris dolorosa, ou plus simplement de la Via matris, s’est formé sur le modèle de la Via Crucis, et il fut approuvé par le Saint-Siège. Des ébauches de la Via Matris existent depuis le XVI siècle, mais la forme actuelle de ce pieux exercice ne remonte pas au-delà du XIX siècle. L’intuition fondamentale de la Via Matrix est de présenter la vie entière de la Vierge, depuis l’annonce prophétique de Siméon (cf. Lc 2, 34-35) jusqu’à la mort et la sépulture de son Fils, comme un chemin de foi et de souffrances: il s’agit d’un chemin marqué par sept "stations", qui correspondent aux "sept douleurs" de la Mère du Seigneur.

137. Le pieux exercice de la Via Matris s’harmonise bien avec certains thèmes propres à l’itinéraire du Carême. De fait, étant donné que les souffrances de la Vierge Marie ont été causées par le rejet du Christ de la part des hommes, il est inévitable que la Via Matris fasse constamment référence au mystère du Christ en tant que serviteur souffrant du Seigneur (cf. Is 52, 13 - 53, 12), et rejeté par son peuple (cf. Jn 1, 11; Lc 2, 1-7; 2, 34-35; 4, 28-29; Mt 26, 47-56; Ac 12, 1-5). De plus, ce pieux exercice renvoie aussi au mystère de l’Église: les stations de la Via Matris constituent, en effet, les étapes de ce chemin de foi et de souffrances, sur lequel la Vierge Marie a précédé l’Église, et que cette dernière devra suivre jusqu’à la consommation des siècles.

La "Piétà", qui est un thème inépuisable de l’art chrétien depuis le Moyen Âge, peut être considérée comme l’expression majeure de la Via Matris.

 

La Semaine Sainte

138. "Pendant la Semaine Sainte, l’Église célèbre les mystères du salut accomplis par le Christ les derniers jours de sa vie terreste, à partir de son entrée messianique à Jérusalem".

L’implication du peuple chrétien dans les rites de la Semaine Sainte est très forte; le rôle de la piété populaire dans leur formation est donc tellement importante que certains d’entre eux conservent des traces de leur origine. Toutefois, au cours des siècles, les rites de la Semaine Sainte se sont progressivement présentés sous la forme de deux cycles parallèles: l’un de nature strictement liturgique, et l’autre marqué par un certain nombre de pieux exercices, en particulier des processions.

Une telle différence devrait contribuer à la qualité de l’harmonisation entre les célébrations liturgiques et les pieux exercices. En effet, il est certain que, durant la Semaine Sainte, l’attention particulière manifestée par le peuple envers des pieux exercices, auxquels il est traditionnellement attaché, devrait conduire les fidèles à mieux apprécier les actions liturgiques, grâce à l’apport spécifique des actes de la piété populaire.

 

LE DIMANCHE DES RAMEAUX

Les palmes et les rameaux d’olivier ou d’autres arbres

139. "La Semaine Sainte commence avec le "Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur", qui unit le présage du triomphe du Christ Roi et l’annonce de sa Passion".

La procession qui commémore l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem revêt un caractère festif et populaire. Les fidèles aiment conserver chez eux, ou dans les endroits où ils travaillent, les palmes, ou bien les rameaux d’olivier ou d’autres arbres, qui ont été bénits et portés durant la procession.

Toutefois, il est nécessaire que les fidèles soient correctement instruits au sujet de la véritable signification de cette célébration, afin qu’ils en saisissent toute sa portée. Par exemple, il conviendra de leur redire que le plus important est de participer à la procession elle-même, et qu’il ne suffit donc pas de se procurer la palme ou le rameau d’olivier; de plus, ceux-ci ne doivent pas être conservés en guise d’amulettes, ou dans le seul but d’obtenir une guérison, ou bien encore dans le but d’éloigner les esprits mauvais, c’est-à-dire de protéger les maisons et les champs des dommages que ces esprits pourraient leur causer; de telles attitudes relèveraient sans doute de la superstition.

La palme et le rameau d’olivier doivent avant tout être conservés comme un témoignage de la foi dans le Christ, le roi messianique, et dans sa victoire pascale.

 

Le Triduum pascal

140. Chaque année, "durant le très saint Triduum de la crucifixion, de l’ensevelissement et de la résurrection du Christ" ou Triduum pascal, qui se situe entre la Messe de la Cène du Seigneur du soir du Jeudi Saint et les Vêpres du Dimanche de la Résurrection, l’Église célèbre, "uni au Christ, son Époux dans une intime communion" les grands mystères de la Rédemption de l’humanité.

 

LE JEUDI SAINT

La visite au reposoir

141. La piété populaire est particulièrement sensible à l’adoration du Saint-Sacrement, qui suit la célébration de la Messe de la Cène du Seigneur. À la faveur d’un développement historique, dont les diverses phases n’ont pas encore été totalement clarifiées, le lieu du reposoir, où est placé le Saint-Sacrement,a été considéré de plus en plus comme une évocation du "saint-sépulcre"; de fait, les fidèles y venaient en grand nombre pour vénérer le corps de Jésus, qui, après avoir été détaché de la Croix, avait été déposé dans le tombeau, où il devait demeurer durant Quarante heures.

Il est nécessaire d’éclairer les fidèles sur la vraie signification du reposoir: ce geste de déposer le Saint-Sacrement au reposoir, qui doit être accompli avec une austère solennité, est accompli essentiellement dans le but de conserver le Corps du Seigneur en vue de la communion des fidèles, durant l’Action liturgique du Vendredi Saint, ainsi que pour la communion en Viatique des malades; il est aussi une invitation à une adoration silencieuse et prolongée de l’incomparable Sacrement qui a été institué en ce jour.

Il conviendra donc que le lieu du reposoir ne soit pas qualifié de "sépulcre", et il faudra veiller, au moment de sa préparation, à ne pas lui donner l’aspect d’une sépulture: le tabernacle, en particulier, ne doit pas avoir la forme d’un sépulcre ou d’une urne funéraire. Ainsi, le Saint-Sacrement devra être conservé dans un tabernacle fermé, et il ne sera donc jamais exposé dans un ostensoire.

En cette nuit du Jeudi Saint, après minuit, l’adoration se fait sans solennité, puisque le jour de la Passion du Seigneur a déjà commencé.

 

LE VENDREDI SAINT

La procession du Vendredi Saint

142. Le Vendredi Saint, l’Église célèbre la Mort rédemptrice du Christ. Durant la Liturgie de l’après-midi, elle médite donc sur la Passion de son Seigneur, elle intercède pour le salut du monde, elle adore la Croix et elle évoque sa propre origine, en se souvenant qu’elle est issue du Cœur transpercé du Sauveur (cf. Jn 19, 34).

Parmi les manifestations de la piété populaire du Vendredi Saint, outre la Via Crucis, la procession évoquant la "mort du Christ" tient une grande place. Cette dernière représente, avec les accents propres de la piété populaire, le petit groupe des amis et des disciples de Jésus qui, après avoir détaché son corps de la Croix, le portèrent jusqu’au lieu où se trouvait le "sépulcre taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé" (Lc 23, 53).

L’atmosphère particulière de la procession évoquant la "mort du Christ", qui est caractérisée par l’austérité, le silence et la prière, permet aux nombreux fidèles, qui y participent, de mieux percevoir les diverses significations du mystère de la sépulture de Jésus.

143. Il est nécessaire que de telles manifestations de la piété populaire, tant du point du choix de l’horaire que de la manière de rassembler les fidèles, n’apparaissent pas aux yeux de ces derniers comme des éléments qui viendraient remplacer les célébrations liturgiques du Vendredi Saint.

Dans le projet pastoral du Vendredi Saint, il faudra donc veiller à accorder la première place à la Liturgie solennelle qui doit être célébrée, tout en la mettant particulièrement en valeur; il sera donc nécessaire de montrer aux fidèles qu’aucun pieux exercice ne peut être préféré à cette célébration et se substituer à elle.

Enfin, pour éviter de se trouver en présence de célébrations hybrides, la procession évoquant la "mort du Christ" ne doit pas être insérée dans le cadre solennel de la Liturgie du Vendredi Saint.

La représentation de la Passion du Christ

144. En de nombreux pays, la Semaine Sainte, et surtout le Vendredi Saint, donnent lieu à des représentations de la Passion du Christ. Il s’agit souvent de véritables "représentations sacrées", qu’il est possible de considérer, à bon droit, comme des pieux exercices. De fait, de telles représentations sacrées s’enracinent dans la Liturgie elle-même. Certaines d’entre elles qui, sont nées, pour ainsi dire, dans les sanctuaires monastiques, en suivant un processus de dramatisation progressive, sont parvenues sur les parvis des églises.

En de nombreux endroits, la préparation et l’exécution de la représentation de la Passion du Seigneur est confiée à des confréries, dont les membres assument des obligations particulières de vie chrétienne. Durant les représentations, les acteurs et les spectateurs sont unis dans une même manifestation de foi et de piété authentiques. Il est très souhaitable que les représentations sacrées de la Passion du Seigneur demeurent des manifestations, durant lesquelles s’exprime une piété sincère et gratuite, et qu’elles ne soient donc pas dominées par des éléments folkloriques, qui font moins appel à l’esprit religieux qu’à l’intérêt des touristes.

À l’occasion de ces représentations sacrées, les fidèles doivent être instruits de la différence essentielle qui existe entre, d’une part, la "représentation" qui est une répétition commémorative d’une action passée, et, d’autre part, "l’action liturgique", qui est une anamnèse, c’est-à-dire la présence mystérieuse de l’événement unique de la Passion, durant laquelle s’est accomplie la Rédemption de l’humanité.

De même, il faut rejeter toutes les pratiques pénitentielles consistant à se faire clouer sur une croix.

L’évocation de la Vierge des douleurs

145. À cause de son importance doctrinale et pastorale, il est recommandé de ne pas oublier d’évoquer "la mémoire des douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie". La piété populaire, en se référant au récit évangélique, a mis en valeur l’association de la Mère à la Passion rédemptrice du Fils (cf. Jn 19, 25-27; Lc 2, 34 s), et elle a donc suscité différents pieux exercices, parmi lesquels il convient de citer:

- Le Planctus Mariae, exprimé dans des œuvres litteraires et musicales illustres, traduit d’une manière particulièrement intense la douleur ressentie par la Vierge Martie, qui pleure non seulement à cause de la mort de son Fils, innocent et saint, son bien le plus cher, mais aussi à cause de l’égarement de son peuple et du péché de l’humanité.

- L’Heure de la "Desolata", durant laquelle les fidèles, avec des expressions de dévotion intense, "tiennent compagnie" à la Mère du Seigneur, demeurée seule, immergée dans une profonde douleur, après la mort de son Fils unique; en contemplant la Pietà, c’est-à-dire la Vierge serrant son Fils mort sur sa poitrine, ils comprennent qu’en la personne de Marie se concentre la douleur de l’univers due à la mort du Christ. De plus, Marie personnifie aussi toutes les mères qui, tout au long de l’histoire, ont pleuré la mort d’un fils. Ce pieux exercice qui, en certains endroits de l’Amérique latine, est appelé El pésame, ne devra pas se limiter à exprimer des sentiments humains face à la douleur d’une mère, mais, dans la foi en la résurrection, il aidera à mieux comprendre la grandeur de l’amour rédempteur du Christ, auquel sa Mère est associée.

 

LE SAMEDI SAINT

146. "Le Samedi Saint, l’Église demeure auprès du tombeau de son Seigneur, méditant la Passion et la Mort du Christ, ainsi que sa descente aux enfers, et elle attend sa Résurrection dans la prière et le jeûne."

La piété populaire ne doit pas demeurer extérieure au caractère particulier du Samedi Saint; c’est pourquoi les coutumes et les traditions de nature festive qui caractérisaient cette journée, à une époque où la célébration anticipée de la Résurrection était prescrite, doivent être réservées à la nuit et au jour de Pâques.

"L’Heure de la Mère"

147. La tradition enseigne que Marie réunit en quelque sorte en sa personne le corps de l’Église tout entière: elle est la "credentium collectio universa". Ainsi, la Vierge Marie qui se tient près du sépulcre de son Fils, selon les diverses représentations de la tradition ecclésiale, est l’icône de l’Église Vierge, qui veille près du tombeau de son Époux, dans l’attente de la célébration de la Résurrection.

Cette intuition d’une telle relation étroite entre Marie et l’Église provient du pieux exercice appelé "l’Heure de la Mère": tandis que le corps du Fils repose dans le sépulcre et que son âme est descendue aux enfers pour annoncer aux ancêtres dans la foi, qui vivent encore dans l’ombre de la mort, leur libération imminente, la Vierge, anticipant et personnifiant l’Église, attend la victoire de son Fils sur la mort en faisant preuve d’une foi inaltérable.

 

LE DIMANCHE DE PÂQUES

148. Le dimanche de Pâques, qui est la plus grande solennité de l’année liturgique, est marqué lui aussi par un certain nombre de manifestations de la piété populaire: ce sont toutes des expressions cultuelles, qui exaltent la vie nouvelle et la gloire du Christ ressuscité, ainsi que la toute-puissance de Dieu qui jaillit de sa victoire sur le péché et sur la mort.

La rencontre de Jésus Ressuscité avec sa Mère

147. La piété populaire a eu l’intuition de la communion permanente du Fils avec sa Mère, aussi bien dans la douleur et la mort, que dans la joie, à l’heure de la résurrection.

L’affirmation de la Liturgie, selon laquelle Dieu a comblé de joie la Vierge Marie par la résurrection de son Fils, a été traduite et, en quelque sorte, représentée par la piété populaire dans le pieux exercice de la Rencontre de la Mère avec son Fils ressuscité: le matin de Pâques deux processions, la première se formant autour de l’image de la Mère douloureuse, et la seconde autour de celle du Christ ressuscité, vont à la rencontre l’une de l’autre pour signifier que la Vierge fut la première à participer pleinement au mystère de la résurrection de son Fils.

La remarque déjà faite à propos de la procession, qui évoque "la mort du Christ", vaut aussi pour ce pieux exercice: son déroulement ne doit pas revêtir une solennité équivalente, et encore moins supérieure à celle qui caractérise les célébrations liturgiques du dimanche de Pâques, ni donner lieu à des interférences inappropriées entre cette manifestation de la piété populaire et la Liturgie.

La bénédiction de la table familiale

La liturgie pascale est marquée tout entière par la nouveauté: de fait, nouvelle est alors la nature, puisque, dans l’hémisphère nord, la solennité de Pâques coïncide avec le réveil du printemps; nouveaux sont le feu et l’eau; et nouveaux sont les cœurs des chrétiens, renouvelés par le sacrement de Pénitence, et comme cela est de bonne augure, par les sacrements de l’Initiation chrétienne; nouvelle, en quelque sorte, est aussi l’Eucharistie: tous ces éléments et ces signes sensibles évoquent et transmettent la vie nouvelle inaugurée par le Christ dans sa résurrection.

Parmi les pieux exercices qui sont liés à l’événement pascal, il convient de citer la traditionnelle bénédiction des œufs, qui est un symbole de la vie, et la bénédiction de la table familiale; cette dernière est une coutume traditionnelle et quotidienne dans de nombreuses familles chrétiennes, qu’il convient d’encourager; de plus, le jour de Pâques, elle revêt une signification toute particulière: le chef de famille, ou un autre membre de la communauté domestique, bénit le repas de fête en employant l’eau qui a été bénite durant la Vigile pascale, et que les fidèles ont rapportée dans leurs demeures en louant le Seigneur.

Le salut pascal à la Mère du Ressuscité

151. En certains endroits, la fin de la veillée pascale, ou bien celle des deuxièmes Vêpres de Pâques, sont marquées par un pieux exercice d’une courte durée: des fleurs sont présentées pour être bénites, puis elles sont distribuées aux fidèles comme un signe exprimant la joie pascale, enfin l’image de la Vierge douloureuse est vénérée et couronnée, tandis que les participants chantent le Regina caeli. Les fidèles, qui s’étaient associés aux douleurs de la Vierge Marie durant la Passion, manifestent ainsi, en communion avec elle, la joie de la résurrection.

Ce pieux exercice, qui ne doit pas être intercalé dans la Liturgie, reflète les divers aspects du Mystère pascal, et il constitue une preuve supplémentaire de la manière dont la piété populaire perçoit l’association de la Mère à l’œuvre rédemptrice de son Fils.

 

Le temps pascal

La bénédiction annuelle des familles dans leurs maisons

152. La bénédiction annuelle des familles, qui a lieu à leur domicile, se déroule ordinairement durant le temps pascal, ou à d’autres moments de l’année. Cette visite traditionnelle très appréciée par les fidèles, que les curés et leurs collaborateurs sont vivement invités à accomplir, constitue une occasion très précieuse pour ces derniers de rappeler aux familles chrétiennes la présence constante de la bénédiction de Dieu, et l’invitation à vivre en se conformant au message de l’Évangile; cette démarche a donc pour but d’exhorter les parents et les enfants à conserver et à développer le mystère de la famille en tant qu’ "Église domestique".

La "Via lucis"

153. À une époque récente, un pieux exercice, dénommé Via lucis, s’est répandu dans certaines régions. En prenant modèle sur la Via Crucis, les fidèles, pendant la Via lucis, sont invités à parcourir un itinéraire en considérant successivement les différentes apparitions, qui permirent à Jésus - depuis sa Résurrection jusqu’à son Ascension, et dans la perspective de la Parousie - de manifester sa gloire à ses disciples, en attendant qu’ils reçoivent l’Esprit Saint qu’il leur avait promis (cf. Jn 14, 26; 16, 13-15; Lc 24, 29), de conforter leur foi, de porter à leur accomplissement ses nombreux enseignements sur le Royaume, et, enfin, de définir la structure sacramentelle et hiérarchique de l’Église.

Le pieux exercice de la Via lucis permet aux fidèles d’évoquer l’événement central de la foi - la Résurrection du Christ - et leur condition de disciples, que le sacrement pascal du baptême a fait passer des ténèbres du péché à la lumière de la grâce (cf. Col 1, 13; Ep 5, 8).

Pendant des siècles, la Via Crucis, en permettant aux fidèles de participer à l’événement initial du mystère pascal - la Passion -, a contribué à fixer les divers aspects de son contenu dans la conscience du peuple. À notre époque, d’une manière équivalente, la Via lucis peut permettre de rendre présent auprès des fidèles le second moment si vital de la Pâque du Seigneur, la Résurrection, à condition que ce pieux exercice se déroule dans une grande fidélité par rapport au texte évangélique.

On dit communément: "per crucem ad lucem"; il est vrai que la Via lucis peut en outre devenir une excellente pédagogie de la foi. De fait, la Via lucis, avec la métaphore du chemin à parcourir, permet aux fidèles de mieux comprendre l’itinéraire spirituel, qui part de la constatation de la réalité de la souffrance, qui, selon le dessein de Dieu, ne constitue pas le point d’ancrage définitif de la vie humaine, et aboutit à l’espérance de rejoindre le vrai but poursuivi par chaque homme: la libération, la joie, la paix, qui sont des valeurs essentiellement pascales.

Enfin, dans une société souvent marquée par l’angoisse et le néant, qui caractérisent la "culture de la mort", la Via lucis constitue au contraire un stimulant efficace permettant d’instaurer une "culture de la vie", c’est-à-dire une culture ouverte aux attentes de l’espérance et aux certitudes de la foi.

La dévotion à la divine miséricorde

154. La dévotion à la divine miséricorde, qui est liée à l’octave pascale, s’est propagée à une époque récente, à partir des messages de la religieuse, Sœur Faustine Kowalska, canonisée le 30 avril 2000; elle est centrée sur la personne du Christ, mort et ressuscité, source de l’Esprit Saint, qui pardonne les péchés et transmet la joie du salut. Puisque la Liturgie du "deuxième Dimanche de Pâques ou de la divine miséricorde"- comme il est désormais appelé - constitue le réceptacle naturel où s’exprime l’accueil de la miséricorde du Rédempteur de l’homme, les fidèles doivent donc être éduqués à comprendre une telle dévotion à la lumière des célébrations liturgiques de ces jours de Pâques. En effet, "le Christ de Pâques est l’incarnation définitive de la miséricorde, son signe vivant: signe du salut à la fois historique et eschatologique. Dans le même esprit, la liturgie du temps pascal met sur nos lèvres les paroles du Psaume: "Je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur" (Ps 89 (89), 2).

La neuvaine de la Pentecôte

155. La Sainte Écriture atteste que, durant les neuf jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte, les apôtres "d’un seul cœur participaient fidèlement à la prière, avec quelques femmes, dont Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères" (Ac 1, 14), en attendant d’être "revêtus d’une force venue d’en haut" (Lc 24, 49). Le pieux exercice de la neuvaine de la Pentecôte est donc issu de la réflexion menée dans la prière concernant ce mystère du salut, et il s’est propagé parmi les fidèles.

Toutefois, il est possible de constater qu’une telle "neuvaine" est déjà présente dans le Missel et la Liturgie des Heures, surtout les Vêpres: les textes bibliques et eucologiques font référence, de diverses manières, à l’attente du Paraclet. C’est pourquoi, lorsque cela est possible, la neuvaine de la Pentecôte peut consister dans la célébration solennelle des Vêpres. Dans les lieux où une telle célébration n’est pas possible, il faut faire en sorte que la neuvaine de la Pentecôte respecte les thèmes liturgiques de chacun des jours, qui séparent l’Ascension de la Vigile de la Pentecôte.

Dans certains endroits, ces jours offrent l’occasion de célébrer la semaine de prières pour l’unité des chrétiens.

 

LA PENTECÔTE

Le dimanche de la Pentecôte

156. Le temps pascal se conclut, le cinquantième jour, avec le dimanche de la Pentecôte, qui célèbre la venue de l’Esprit Saint sur les Apôtres (cf. Ac 2, 1-4), les débuts de l’Église et le commencement de sa mission dans toutes les langues auprès des divers peuples et nations. Il convient de noter l’importance de la célébration de la Messe de la Vigile, spécialement dans l’église cathédrale et aussi dans les paroisses; de fait, celle-ci revêt le caractère d’une prière intense et persévérante de la communauté chrétienne tout entière, en s’inspirant de l’exemple des apôtres réunis dans une prière unanime avec la Mère du Seigneur.

En exhortant à la prière et à la mission, le mystère de la Pentecôte concerne aussi la piété populaire, car celle-ci "est une démonstration continuelle de la présence active de l’Esprit Saint dans l’Église. C’est lui qui allume dans les cœurs la foi, l’espérance et l’amour, ces vertus suprêmes qui donnent leur valeur à la piété chrétienne. C’est le même Esprit qui ennoblit les formes si variées et si nombreuses par lesquelles s’exprime le message chrétien, en accord avec la culture et les coutumes propres à chaque lieu, à travers tous les siècles".

En employant des formules bien connues, qui proviennent de la célébration de la Pentecôte (Veni, Creator Spiritus, Veni, Sancte Spiritus) ou à l’aide de supplications brèves (Emitte Spiritum tuum et creabuntur...), les fidèles invoquent volontiers l’Esprit Saint, en particulier lorsqu’ils commencent une activité ou un travail, tout comme dans des situations difficiles à vivre. De même, le troisième mystère glorieux du Rosaire est une invitation à méditer la manifestation de l’Esprit Saint, le jour de la Pentecôte. De plus, les fidèles sont coscients d’avoir reçu ce même Esprit Saint, spécialement le jour de leur Confirmation, Esprit de sagesse et de conseil qui les guide dans leur existence, Esprit de force et de lumière qui les aide à prendre des décisions importantes et à supporter les épreuves de la vie. Ils savent que, le jour de leur baptême, leur corps est devenu le temple de l’Esprit Saint, et qu’il doit donc être respecté et honoré, y compris dans la mort, et que, au dernier jour, il ressuscitera par la puissance de l’Esprit Saint.

L’Esprit Saint, tout en ouvrant nos cœurs à la communion avec Dieu dans la prière, nous incite à nous tourner vers notre prochain avec des sentiments authentiques de rencontre, de réconciliation, de témoignage, de désir de justice et de paix, de renouveau moral, de vrai progrès social et d’élan missionnaire. C’est dans cet esprit que, dans certaines communautés, la Pentecôte est célébrée comme " une journée de la souffrance pour les missions".

 

Le temps ordinaire

La solennité de la Très Sainte Trinité

157. L’Église célèbre la solennité de la Très Sainte Trinité le dimanche après la Pentecôte. À la fin du Moyen Âge, la dévotion croissante des fidèles à l’égard du mystère de Dieu Un et Trine, qui, depuis l’époque carolingienne, avait occupé une place importante dans le domaine de la piété privée et avait donné naissance à diverses expressions de la piété liturgique, incita Jean XXII à étendre, en 1334, la fête de la Trinité à toute l’Église latine. Cette décision eut à son tour une influence déterminante dans l’apparition et le développement de certains pieux exercices.

En ce qui concerne les diverses formes qu’emprunte la piété populaire pour évoquer l’incomparable Trinité, qui est "le mystère central de la foi et de la vie chrétienne", il est sans doute moins important de présenter tel ou tel pieux exercice en particulier, que de souligner à leur propos que toute forme authentique de piété chrétienne doit avoir pour référence incontournable le seul vrai Dieu Un et Trine, c’est-à-dire "le Père tout-puissant et son Fils unique et l’Esprit Saint". Tel est le mystère de Dieu, qui a été révélé dans le Christ et par le Christ. Telle est sa manifestation dans l’histoire du salut. Celle-ci, en effet, n’est autre que "l’histoire de la voie et des moyens par lesquels le Dieu vrai et unique, Père, Fils et Saint-Esprit, se révèle, se réconcilie et s’unit les hommes qui se détournent du péché".

Il existe effectivement un grand nombre de pieux exercices qui ont un aspect et une dimension trinitaire. La plus grande partie d’entre eux débutent avec le signe de la croix, accompagné des paroles: "au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit"; or c’est cette même forme qui est employée lors du baptême des disciples de Jésus (cf. Mt 28, 19), au moment où commence pour chacun d’entre eux une vie de communion intime avec Dieu, en tant que fils du Père, frères du Fils incarné et temples de l’Esprit Saint. D’autres pieux exercices, qui adoptent des formes semblables à celles de l’actuelle Liturgie des Heures, s’ouvrent en rendant "Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit". D’autres encore s’achèvent par la bénédiction donnée au nom des trois Personnes divines. Et il existe aussi de nombreux exercices qui, en s’inspirant du schéma typique de la prière liturgique, sont adressés "au Père par le Christ et dans l’Esprit", et présentent donc des formules doxologiques inspirées des textes liturgiques.

158. Le culte représente le dialogue de Dieu avec l’homme par le Christ et dans l’Esprit Saint; une telle affirmation est déjà présente dans la première partie de ce Directoire. Il est donc nécessaire que l’orientation trinitaire soit aussi un élément constant de la piété populaire. Ainsi, il convient d’aider les fidèles à prendre conscience que les pieux exercices en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, des Anges et des Saints ont comme finalité ultime le Père, de qui tout procède et vers qui tout conduit; de même que le Fils, le Verbe incarné, mort et ressuscité, unique médiateur (cf. 1 Tm 2, 5), sans lequel il est impossible d’accéder au Père (cf. Jn 14, 6), et enfin l’Esprit Saint, seule source de grâce et de sanctification. Il est important d’écarter le risque d’entretenir l’idée d’une "divinité" qui fasse abstraction des Personnes Divines.

159. Parmi les pieux exercices qui s’adressent directement à Dieu Un et Trine, il est important de mentionner, en plus de la brève doxologie (Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit) et de la doxologie développée (Gloire à Dieu au plus haut des cieux...), le Trisagion biblique (Saint, Saint, Saint), et liturgique (Dieu Saint, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous), très répandu en Orient et dans certains pays, ordres et congrégations de l’Occident.

Le Trisagion liturgique, qui s’inspire d’autres chants composés à partir du Trisagion biblique - comme, par exemple, le Sanctus de la célébration eucharistique, de l’hymne du Te Deum, et des Impropères du rite de l’adoration de la Croix du Vendredi Saint, qui proviennent eux-mêmes de Isaïe 6, 3 et de Apocalypse 4, 8 -, est un pieux exercice durant lequel les participants prient, unis aux puissances angéliques, en glorifiant de façon réitérée le Dieu Saint, Fort et Immortel, avec des expressions de louange tirées de la divine Écriture et de la Liturgie.

La solennité du Corps et du Sang du Seigneur (la Fête-Dieu)

160. Le jeudi qui suit la solennité de la Très Sainte Trinité, l’Église célèbre la solennité du Très Saint Corps et Sang du Seigneur. La Fête-Dieu, étendue à toute l’Église par le pape Urbain IV, en 1264, constitua, d’une part, une réponse de la foi et du culte aux doctrines hérétiques concernant le mystère de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie, et, d’autre part, elle représenta le couronnement d’un mouvement de dévotion ardente envers l’incomparable Sacrement de l’autel.

La piété populaire participa donc activement au processus qui aboutit à l’institution de la fête du Corpus Domini; et cette dernière, à son tour, fut la cause et le motif de l’apparition de nouvelles formes de piété eucharistique dans le peuple de Dieu.

Pendant des siècles, la célébration du Corpus Domini fut le principal point de convergence de la piété populaire avec l’Eucharistie. Aux XVI et XVII siècles, la foi, ravivée par la nécessité de réagir contre les négations du mouvement protestant, et la culture - c’est-à-dire les arts, la littérature et le folklore - ont toutes deux concouru à rendre les multiples expressions de la piété populaire envers le mystère de l’Eucharistie à la fois particulièrement vivantes et significatives.

161. La dévotion eucharistique, qui est tellement enracinée dans le peuple de Dieu, doit toutefois être éduquée, afin de mettre en évidence ces deux réalités fondamentales:

- la Pâque du Seigneur est le point de référence suprême de la piété eucharistique; la Pâque chrétienne, est, de fait, selon l’enseignement des Pères, la fête de l’Eucharistie, tout comme, inversement, l’Eucharistie est avant tout la célébration du mystère pascal, constitué par la Passion, la Mort et la Résurrection de Jésus;

- toute forme de dévotion eucharistique a une relation intrinsèque avec le Sacrifice eucharistique, soit parce qu’elle est une préparation à sa célébration, soit parce qu’elle constitue un prolongement des aspects cultuels et existentiels présents dans cette même célébration.

Le Rituel Romain déclare à ce propos: "Lorsque les fidèles adorent le Christ présent dans le Sacrement, ils doivent se rappeler que cette présence dérive du sacrifice et tend à la communion sacramentelle en même temps que spirituelle".

162. La procession de la solennité du Corps et du Sang du Christ est en quelque sorte la "forme typique" des processions eucharistiques. Elle constitue, en effet, un prolongement de la célébration de l’Eucharistie: aussitôt après la Messe, l’Hostie, qui a été consacrée pendant la célébration, est portée en procession en dehors de l’église afin que le peuple chrétien "rende un témoignage public de foi et de piété envers le Saint-Sacrement".

Les fidèles comprennent et manifestent une grande estime pour les valeurs exprimées dans la procession du Corpus Domini: ils prennent conscience qu’ils font partie de ce "peuple de Dieu", qui chemine avec son Seigneur, et qui proclame sa foi en celui qui est vraiment le "Dieu-avec-nous".

Toutefois, il est nécessaire que les normes qui régissent le déroulement des processions eucharistiques soient observées, en particulier celles qui garantissent la dignité et le respect dû au Saint-Sacrement; de même, il est tout aussi nécessaire que les éléments typiques de la piété populaire, comme l’ornementation des rues et des fenêtres, l’hommage floral, les autels où sera déposé le Saint-Sacrement durant les haltes de la procession, les chants et les prières, "visent à ce que tous manifestent leur foi au Christ et ne s’occupent que du Seigneur", en écartant toutes formes de compétition.

163. Les processions eucharistiques se concluent ordinairement avec la bénédiction du Saint-Sacrement. Dans le cas spécifique de la procession du Corpus Domini, la bénédiction constitue la conclusion solennelle de la procession tout entière: la bénédiction habituelle du prêtre est remplacée par la bénédiction du Saint-Sacrement.

Il est important que les fidèles comprennent que la bénédiction du Saint-Sacrement n’est pas une forme de piété eucharistique qui se suffirait à elle-même, mais qu’elle constitue la conclusion d’une célébration cultuelle suffisamment prolongée. La norme liturgique interdit donc "l’exposition faite uniquement pour donner la bénédiction".

L’adoration du Saint-Sacrement

164. L’adoration du Saint-Sacrement est une expression du culte chrétien envers l’Eucharistie, qui est particulièrement répandue, et que l’Église recommande vivement aux Pasteurs et aux fidèles.

Sa forme primitive peut être reliée à l’adoration qui suit la célébration de la Messe in Cena Domini du Jeudi Saint, devant les saintes Espèces déposées au reposoir. Cette adoration constitue une expression très élevée de la relation qui existe entre la célébration du mémorial du sacrifice du Seigneur et sa présence permanente dans les Espèces consacrées. La conservation des saintes Espèces, qui est motivée avant tout par la nécessité de pouvoir en disposer dans le but d’administrer le Viatique aux malades, a fait naître chez les fidèles l’habitude tout à fait louable de se recueillir devant le tabernacle pour adorer le Christ présent dans le Saint-Sacrement.

En effet, "la foi en la présence réelle conduit connaturellement à la manifestation extérieure et publique de cette même foi. (...) Aussi, la piété qui pousse les fidèles à se rendre près de la sainte Eucharistie les entraîne-t-elle à participer plus profondément au mystère pascal et à répondre avec reconnaissance au don de Celui qui, par son humanité, ne cesse de répandre la vie divine dans les membres de son Corps. Demeurant près du Christ Seigneur, ils jouissent de l’intimité de sa familiarité et, près de lui, ils lui ouvrent leur cœur pour eux-mêmes et pour tous les leurs, prient pour la paix et le salut du monde. Offrant leur vie entière au Père avec le Christ dans l’Esprit Saint, ils puisent à cet admirable échange une augmentation de leur foi, de leur espérance et de leur charité. Ils nourrissent donc ainsi les vraies dispositions leur permettant, avec la dévotion convenable, de célébrer le Mémorial du Seigneur et de recevoir fréquemment ce Pain qui nous est donné par le Père".

165. L’adoration du Saint-Sacrement, vers laquelle convergent des formes liturgiques et des expressions de la piété populaire, dont il est difficile de déterminer les limites, peut revêtir diverses modalités:

- la simple visite du Saint-Sacrement présent dans le tabernacle est une rencontre de courte durée avec le Christ, inspirée par la foi dans sa présence, et caractérisée par la prière silencieuse.

- l’adoration du Saint-Sacrement exposé, selon les normes liturgiques, dans l’ostensoir ou la pyxide, pour une durée brève ou prolongée;

- l’adoration désignée sous le nom d’Adoration perpétuelle, ainsi que celle dite des Quarante Heures, qui mobilisent une communauté religieuse tout entière, ou une association eucharistique, ou encore une communauté paroissiale, et qui sont des occasions de mettre en valeur de nombreuses expressions de la piété eucharistique.

Pendant ces moments d’adoration, il conviendra d’aider les fidèles à recourir à la Sainte Écriture, qui est un livre de prières incomparable, à employer des chants et des prières adaptés, à se familiariser avec quelques éléments simples de la Liturgie des Heures, à suivre le rythme de l’Année liturgique, et à demeurer dans la prière silencieuse. Ils comprendront ainsi progressivement qu’ils ne doivent pas insérer des pratiques de dévotion en l’honneur de la Vierge Marie et des Saints durant l’adoration du Saint-Sacrement. Toutefois, à cause du lien étroit qui unit Marie au Christ, la méditation des mystères de l’Incarnation et de la Rédemption du Rosaire peut contribuer à donner à la prière une orientation profondément christologique.

Le Sacré-Cœur de Jésus-Christ

166. Le vendredi qui suit le deuxième dimanche après la Pentecôte, l’Église célèbre la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. De nombreuses expressions de piété, qui s’ajoutent à la célébration liturgique, s’adressent au Cœur du Christ. Il ne fait aucun doute, en effet, que, parmi les expressions de la piété ecclésiale, la dévotion au Cœur du Sauveur a été et demeure l’une des plus répandues et des plus estimées.

L’expression "Cœur de Jésus", entendue dans le sens contenu dans la divine Écriture, désigne le mystère même du Christ, c’est-à-dire la totalité de son être, ou le centre intime et essentiel de sa personne: Fils de Dieu, sagesse incréée; Amour infini, principe du salut et de sanctification pour toute l’humanité. Le "Cœur du Christ" s’identifie au Christ lui-même, Verbe incarné et rédempteur; dans l’Esprit Saint, le Cœur de Jésus est orienté, par nature, avec un amour infini à la fois divin et humain, vers le Père et vers les hommes, ses frères.

167. La dévotion au Cœur du Christ a des fondements solides dans la Sainte Écriture, ainsi que les Pontifes Romains l’ont souvent rappelé.

Jésus, qui ne fait qu’un avec le Père (cf. Jn 10, 30), invite ses disciples à vivre en communion intime avec lui, à accueillir sa personne et ses paroles comme des références normatives qui doivent inspirer leurs propres comportements, et il se révèle comme un maître "doux et humble de cœur" (Mt 11, 29). Il est possible d’affirmer que, en un certain sens, la dévotion au Cœur du Christ est l’expression cultuelle de ce regard que, selon la parole prophétique et évangélique, toutes les générations chrétiennes portent vers Celui qui a été transpercé (cf. Jn 19, 37; Za 12, 10), c’est-à-dire vers le Cœur du Christ, transpercé par la lance, d’où jaillirent le sang et l’eau (cf. Jn 19, 34), qui sont les signes de "l’admirable Sacrement de toute l’Église".

De même, le texte johannique, qui narre la scène où le Christ montre ses mains et son côté à ses disciples (cf. Jn 20, 20), et celle qui présente la demande, que Thomas adresse au Christ, de pouvoir étendre sa main pour la placer dans son côté (cf. Jn 20, 27), a exercé une influence importante sur l’origine et le développement de la piété envers le Sacré-Cœur de la pert des fidèles de l’Église.

168. Ces textes et d’autres encore, qui présentent le Christ comme l’Agneau pascal, certes immolé, mais aussi victorieux (cf. Ap 5, 6), ont fait l’objet d’une méditation assidue de la part des Saints Pères, qui en dévoilèrent les richesses doctrinales, et qui, dès lors, invitèrent les fidèles à approfondir le mystère du Christ en entrant par la porte ouverte de son Cœur. Ainsi, saint Augustin déclare: "l’entrée est accessible grâce au Christ qui en est la porte. Celle-ci s’est ouverte pour toi aussi, quand son Cœur fut ouvert par la lance. Souviens-toi de ce qui en jaillit, et choisis donc par où tu peux entrer. Du côté du Seigneur qui mourait sur la croix, le sang et l’eau jaillirent, au moment où son Cœur fut ouvert par la lance. L’eau te procure la purification et le sang la rédemption".

169. Le Moyen Âge a été une époque particulièrement féconde pour le développement de la dévotion envers le Sacré-Cœur du Sauveur. Des hommes célèbres pour leur sainteté et leur doctrine, comme saint Bernard († 1153) et saint Bonaventure († 1274), et des mystiques comme sainte Lutgarde († 1246), sainte Mathilde de Magdebourg († 1282), les saintes religieuses Mathilde († 1299) et Gertrude († 1302) du monastère de Helfte, Ludolphe de Saxe († 1378), sainte Catherine de Sienne († 1380) approfondirent le mystère du Cœur du Christ, en qui ils virent un "refuge", auprès duquel il est possible de refaire ses forces, le foyer de la miséricorde, le lieu de la rencontre avec Jésus, le Sauveur, la source de l’amour infini du Seigneur, la fontaine d’où surgit l’eau vive du Saint-Esprit, la vraie terre promise et le véritable paradis.

170. À l’époque moderne, le culte rendu au Cœur du Sauveur connut de nouveaux développements. En un temps marqué par le jansénisme, qui insistait sur les rigueurs de la justice divine, la dévotion au Cœur du Christ constitua une antidote efficace, qui contribua à susciter chez les fidèles l’amour du Seigneur et la confiance dans son infinie miséricorde, dont le Cœur est à la fois le gage et le symbole. Parmi les nombreux saints et saintes qui ont été des apôtres insignes de la dévotion du Sacré-Cœur, il convient de citer: saint François de Sales († 1622), qui adopta comme norme de vie et d’apostolat l’attitude fondamentale, qui est celle du Cœur du Christ, caractérisée par l’humilité, la mansuétude (cf. Mt 11, 29), l’amour tendre et miséricordieux; sainte Marguerite-Marie Alacoque († 1690), à qui le Seigneur dévoila à plusieurs reprises les richesses de son Cœur; saint Jean Eudes († 1680), qui promut le culte liturgique du Sacré-Cœur; saint Claude la Colombière († 1682) et saint Jean Bosco († 1888).

171. Les formes de dévotions au Cœur du Sauveur sont très nombreuses; certaines ont été explicitement approuvées et fréquemment recommandées par le Siège Apostolique. Parmi ces dernières, on peut citer:

- la consécration personnelle, qui, selon Pie XI, "parmi toutes les pratiques se référant au culte du Sacré-Cœur, est sans conteste la principale d’entre elles";

- la consécration de la famille, qui permet au foyer familial, tout en étant déjà associé au mystère d’unité et d’amour entre le Christ et l’Église en vertu du sacrement de mariage, de s’offrir sans partage au Seigneur afin qu’il puisse régner dans le cœur de chacun de ses membres;

- les Litanies du Cœur de Jésus, approuvées en 1891 pour toute l’Église, dont l’inspiration est éminemment biblique, et qui ont été enrichies par l’octroi d’indulgences.

- l’acte de réparation est une prière formulée par le fidèle, qui, en se souvenant de la bonté infinie du Christ, désire implorer sa miséricorde et réparer les nombreuses et diverses offenses qui blessent son Cœur rempli de douceur.

- La pratique des neuf premiers vendredis du mois, qui a pour origine la "grande promesse" faite par Jésus à sainte Marguerite-Marie Alacoque. À une époque où la communion sacramentelle des fidèles était très rare, la pratique des neuf premiers vendredis du mois contribua d’une manière significative à la reprise de la pratique plus fréquente des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie. À notre époque, la dévotion des neuf premiers vendredis du mois, si elle est pratiquée d’une manière adéquate sur le plan pastoral, peut encore apporter des fruits spirituels indéniables. Il reste qu’il est nécessaire que les fidèles soient convenablement instruits sur les points suivants: tout d’abord, il convient de ne pas pratiquer cette dévotion avec une confiance qui ressemblerait plutôt à de la vaine crédulité, car, dans l’ordre du salut, une telle attitude a pour effet de supprimer les exigences incontournables, qui dérivent d’une foi vivante, et de détourner l’attention du fidèle de l’obligation de mener une vie conforme à l’Évangile; ensuite, il faut réaffirmer la place absolument prédominante du dimanche, le "jour de fête primordial", qui doit être marqué par la pleine participation des fidèles à la célébration eucharistique.

172. La dévotion à l’égard du Sacré-Cœur constitue, dans l’histoire, une expression majeure de la piété de l’Église envers le Christ Jésus, son Époux et son Seigneur; elle comporte une attitude fondamentale constituée par la conversion et la réparation, l’amour et la gratitude, l’engagement apostolique et la consécration au Christ et à son œuvre de salut. C’est pourquoi le Siège Apostolique et les Évêques la recommandent et en promeuvent le renouveau dans ses expressions linguistiques et iconographiques, dans la prise de conscience de ses racines bibliques et de sa relation avec les principales vérités de la foi, et dans l’affirmation du primat de l’amour envers Dieu et le prochain, en tant que contenu essentiel de la dévotion elle-même.

173. La piété populaire tend à identifier une dévotion avec sa représentation iconographique. Ce phénomène, qui est normal, a sans doute des aspects positifs, mais il peut aussi donner lieu à quelques inconvénients: un modèle iconographique, qui ne correspond plus au goût des fidèles, peut conduire à une dépréciation de l’objet même de la dévotion, indépendamment de son fondement théologique et des éléments qui constituent son contenu historico-salvifique.

Ce fait a pu être vérifié dans le domaine de la dévotion à l’égard du Sacré-Cœur: certaines images picturales, parfois mièvres, s’avèrent inadaptées pour exprimer la solidité du contenu théologique de cette dévotion, et elles n’encouragent donc pas les fidèles à s’approcher du mystère du Cœur du Sauveur.

À notre époque, la tendance à représenter le Sacré-Cœur au moment de la Crucifixion est bien accueillie, parce que cette image exprime au plus haut degré l’amour du Christ. Le Sacré-Cœur s’identifie au Christ crucifié, dont le côté, ouvert par la lance, laisse jaillir le sang et l’eau (cf. Jn 19, 34).

Le Cœur Immaculé de Marie

174. Le lendemain de la solennité du Sacré-Cœur, l’Église célèbre la mémoire du Cœur Immaculé de Marie. La proximité de ces deux célébrations est déjà en elle-même, au niveau liturgique, un signe de leur connexion étroite: le mysterium du Cœur du Sauveur s’imprime et se reflète dans le Cœur de sa Mère, qui est donc associée à ce mystère tout en demeurant dans sa condition de disciple. De même que la solennité du Sacré-Cœur célèbre l’ensemble des mystères du salut accomplis par le Christ, en les synthétisant et en les ramenant à leur source - qui, de fait, est le Cœur -, ainsi la mémoire du Cœur Immaculé de Marie est la célébration complète de l’union du Cœur de la Mère à l’œuvre de salut de son Fils: depuis l’incarnation jusqu’à la mort et à la résurrection, et au don de l’Esprit Saint.

La dévotion au Cœur Immaculé de Marie s’est beaucoup répandue à la suite des apparitions de la Vierge Marie à Fatima, en 1917. À l’occasion de leur 25ème anniversaire, en 1942, Pie XII consacra l’Église et l’humanité au Cœur Immaculé de Marie, et, en 1944, la fête du Cœur Immaculé de Marie fut étendue à toute l’Église.

Les expressions de la piété populaire envers le Cœur Immaculé de Marie se calquent sur celles qui s’adressent au Sacré-Cœur du Christ, tout en maintenant la distance infranchissable entre le Fils, vrai Dieu, et la Mère, dans sa condition de créature: il convient de citer, en particulier, la consécration personnelle des fidèles, de même que celle des familles, des communautés religieuses et des nations; la réparation, accomplie au moyen de la prière, la mortification et les œuvres de miséricorde; la pratique des Cinq premiers samedis du mois.

Il faut noter que les observations faites à propos des Neuf premiers vendredis s’appliquent à la communion sacramentelle des Cinq premiers samedis consécutifs: il s’agit, en particulier, de la nécessité d’évaluer à sa juste mesure le signe de ces cinq premiers samedis, et de la manière adéquate de s’approcher de la communion dans le contexte de la célébration de l’Eucharistie; ainsi, cette dévotion doit être considérée comme une occasion propice pour vivre intensément, avec une attitude inspirée de celle de la Vierge Marie, le Mystère pascal qui se célèbre dans l’Eucharistie.

Le Très Précieux Sang de Jésus-Christ

175. Dans le contexte de la révélation biblique, c’est-à-dire aussi bien dans les figures de l’Ancien Testament que dans la phase d’accomplissement et de perfectionnement apportés par le Nouveau Testament, le sang est intimement lié à la vie et donc, par antithèse, à la mort, avec les thèmes de l’exode et de la Pâque, du sacerdoce et des sacrifices cultuels, de la rédemption et de l’alliance.

Les figures vétérotestamentaires relatives au sang et à sa valeur dans l’ordre du salut trouvent leur parfait accomplissement dans le Christ, surtout dans sa Pâque, c’est-à-dire dans sa mort et sa résurrection. Le mystère du sang du Christ se situe donc au cœur même de la foi et du salut.

Les principaux passages de la Bible, qui illustrent le mystère du salut exprimé par le sang, sont les suivants:

- l’événement de l’incarnation du Verbe (cf. Jn 1, 14), et le rite de l’insertion du nouveau-né Jésus dans le peuple de l’Ancienne Alliance, au moyen de la circoncision (cf. Lc 2, 21);

- la figure biblique de l’Agneau, particulièrement riche tant du point de vue du contenu que des diverses implications qu’elle comporte: ainsi, la figure de cet "Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde" (Jn 1, 29. 36), sur laquelle se fixe l’image du "Serviteur souffrant" d’Isaïe 53, qui porte sur lui les souffrances et le péché de l’humanité (cf. Is 53, 4-5); c’est aussi la figure de "l’Agneau pascal" (cf. Ex 12, 1; Jn 12, 36), symbole de la rédemption d’Israël (cf. Ac 8, 31-35; 1 Co 5, 7; 1 P 1, 18-20);

- le "calice de la passion", dont parle Jésus, en faisant allusion à l’imminence de sa mort rédemptrice, en particulier lorsqu’il pose la question suivante aux fils de Zébédée: "pouvez-vous boire au calice que je vais boire ?" (Mt 20, 22; cf. Mc 10, 38), et le calice de l’agonie, celui du jardin des oliviers (cf. Lc 22, 42-43), qui est marqué par la sueur de sang (cf. Lc 22, 44);

- le calice de l’Eucharistie qui, sous le signe du vin, contient le sang de la nouvelle et éternelle Alliance, versé pour la rémission des péchés, et qui est à la fois le mémorial de la Pâque du Seigneur (cf. 1 Co 11, 25), et la boisson du salut selon les paroles du Maître: "celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour" (Jn 6, 54);

- l’événement de la mort du Christ, car par son sang versé sur la croix, Jésus donne la paix au ciel et sur la terre (cf. 1 Col 1, 20);

- le coup de lance qui transperce l’Agneau immolé, dont le côté ouvert laisse jaillir le sang et l’eau (cf. Jn 19, 34), signe tangible de l’accomplissement de la Rédemption, et expression de la vie sacramentelle de l’Église - l’eau et le sang s’appliquant respectivement au Baptême et à l’Eucharistie -, symbole aussi de l’Église, née du Cœur transpercé du Christ endormi sur la croix.

176. Le mystère du sang versé par Jésus se relie aux titres christologiques suivants: tout d’abord celui de Rédempteur: le Christ, en effet, nous a rachetés de l’esclavage antique avec son sang innocent et précieux (cf. 1 P 1, 19) et "nous purifie de tout péché" (1 Jn 1, 7); puis celui de souverain Prêtre "des biens à venir", parce que le Christ "entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle" (He 9, 11-12); celui de Témoin fidèle (cf. Ap. 1, 5), vengeur du sang des martyrs (cf, Ap 6, 10) qui "furent immolés pour la Parole de Dieu et le témoignage qu’ils avaient rendu" (Ap 6, 9); celui de Roi, qui, étant Dieu, "règne par le bois de la croix", orné de la pourpre de son propre sang; enfin, celui d’Époux et d’Agneau de Dieu, dans le sang duquel les membres de la communauté ecclésiale - c’est-à-dire son Épouse - ont lavé leurs vêtements (cf. Ap 7, 14; Ep 5, 25-27).

177. Du fait de l’importance particulière du sang rédempteur, son évocation occupe une place centrale et essentielle dans la célébration du culte: avant tout, au cœur même de l’assemblée eucharistique, où l’Église adresse à Dieu le Père, en action de grâces, le "calice de bénédiction" (1 Co 10, 16; cf. 115-116, 13) et le présente aux fidèles comme le sacrement de la vraie "communion au sang du Christ" (cf. 1 Co 10, 16), puis,tout au long de l’Année liturgique. En effet, l’Église évoque le mystère du Sang du Christ, non seulement au cours de la solennité du Corps et du Sang du Seigneur (le Jeudi qui suit la solennité de la Très Sainte Trinité), mais aussi à l’occasion de nombreuses autres célébrations, si bien que la célébration cultuelle du Sang versé pour notre rachat (cf. 1 P 1, 18) est présente durant toute l’Année liturgique. Ainsi, par exemple, durant le temps de Noël, durant l’office des Vêpres, l’Église, en se tournant vers le Christ, chante: "Nos quoque, qui sancto tuo / redempti sumus sanguine, / ob diem natalis tui/ hymnum novum concinimus". Toutefois, surtout durant le Triduum pascal, la valeur et l’efficacité rédemptrices du Sang du Christ sont des motifs de célébration et d’adoration constantes de la part des fidèles. Le Vendredi Saint, durant l’adoration de la Croix, l’Église chante: "Mite corpus perforatur, sanguis unde profluit; / terra, pontus, astra, mundus quo lavantur flumine !"; et elle chante le jour même de Pâques: "Cuius corpus sanctissimum/ in ara crucis torridum,/ sed et cruorem roseum/ gustando, deo vivimus".

Dans certains lieux et Calendriers particuliers, la fête du Très Précieux Sang du Christ est encore célébrée le 1 juillet: elle évoque les différents titres du Rédempteur.

178. La dévotion à l’égard du Sang du Christ, présente dans le culte liturgique, est passée dans la piété populaire, où elle a trouvé un large espace et de nombreuses expressions. Parmi ces dernières, on peut citer:

- la Couronne du Précieux Sang du Christ, constituée de lectures bibliques et de prières, permet aux fidèles de méditer sur les "sept effusions du sang" du Christ, qui sont explicitement ou implicitement évoquées dans les Évangiles: le sang versé lors de la circoncision, dans le jardin des oliviers, lors de la flagellation, du couronnement d’épines, de la montée au Calvaire, au moment de la crucifixion, et du coup de lance qui transperça le côté du Christ;

- les Litanies du Sang du Christ: le formulaire actuel a été approuvé par le pape Jean XXIII le 24 février 1960; il contient des éléments historiques se rapportant au mystère du salut, et il est émaillé de nombreuses références bibliques;

- l’Heure d’adoration du précieux Sang du Christ, qui revêt des formes très variées, tout en poursuivant un but unique: la louange et l’adoration du Sang du Christ présent dans l’Eucharistie, l’action de grâces pour les bienfaits de la Rédemption, la prière d’intercession pour obtenir la miséricorde et le pardon, et l’offrande du précieux Sang pour le bien de l’Église;

- La Via Sanguinis: ce pieux exercice, institué récemment, a pour lieu d’origine, pour des raisons d’ordre anthropologique et culturel, l’Afrique, où il est aujourd’hui très répandu dans les communautés chrétiennes. Durant la Via Sanguinis, les fidèles, en se rendant d’un endroit à un autre comme dans la Via Crucis, revivent les différents épisodes de la vie du Seigneur Jésus, durant lesquels ce dernier versa son Sang pour notre rédemption.

179. La dévotion envers le Sang du Seigneur, versé pour notre salut, et la prise de conscience de sa valeur immense, ont favorisé la diffusion de représentations iconographiques, qui ont été bien accueillies par l’Église. Celles-ci sont essentiellement de deux sortes: d’une part, celles qui se réfèrent à la coupe eucharistique contenant le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, et, d’autre part, celles qui montrent le sang rédempteur jaillissant des mains, des pieds et du côté du Christ crucifié. Parfois, le sang inonde abondamment la terre, comme un torrent de grâces qui lave les péchés; parfois, cinq anges, se tenant près de la croix, tendent un calice dans lequel ils recueillent le sang, qui jaillit de chacune des cinq plaies; il arrive que ce même rôle soit rempli par un personnage féminin, qui représente alors l’Église, l’Épouse de l’Agneau.

L’Assomption de la bienheureuse Vierge Marie

180. Durant le Temps ordinaire, la solennité de l’Assomption de la bienheureuse Vierge Marie (15 août) se détache en raison de ses multiples significations d’ordre théologique. Cette célébration de la Mère du Seigneur, qui remonte aux premiers siècles de l’Église, rassemble et unit de nombreuses vérités de la foi. En effet, l’Assomption de la Vierge Marie dans le ciel rappelle que:

- la Vierge Marie apparaît comme "le fruit le plus excellent de la Rédemption", le témoignage suprême de l’amplitude et de l’efficacité de l’œuvre de salut opérée par le Christ (signification sotériologique);

- l’Assomption constitue le gage de la participation future de tous les membres du Corps mystique à la gloire pascale du Ressuscité (aspect christologique);

- l’Assomption est pour tous les hommes "la confirmation consolante que se réalisera l’espérance finale: cette glorification totale est en effet le destin de tous ceux que le Christ a fait frères, ayant avec eux "en commun le sang et la chair" (He 2, 14; cf. Ga 4, 4)" (aspect anthropologique);

- la Vierge Marie est l’icône eschatologique de tout ce que l’Église "désire et espère être tout entière" (aspect ecclésiologique);

- Elle est enfin la preuve vivante de la fidélité du Seigneur à sa promesse: en effet, celui-ci a préparé à son humble Servante une récompense magnifique en réponse à son adhésion fidèle au projet divin, c’est-à-dire une destinée de plénitude et de bonheur éternel, de glorification de son âme immaculée et de son corps virginal, et de parfaite configuration à son Fils ressuscité (aspect mariologique).

181. La piété populaire est très sensible à la fête mariale du 15 août. De fait, en de nombreux endroits, elle est considérée comme la fête par antonomase de la Vierge, car elle est connue sous le nom de "jour de sainte Marie", ou comme l’Immaculée pour l’Espagne ou pour l’Amérique latine.

Dans les pays de culture germanique, la coutume s’est répandue de bénir des herbes aromatiques, le 15 août. Cette bénédiction, qui fut accueillie à une certaine époque dans le Rituale Romanum, constitue un exemple incontestable d’une évangélisation adéquate des rites et des croyances pré-chrétiennes: pour obtenir ce que les païens désiraient en recourant aux rites magiques, en particulier atténuer les dommages dus aux plantes nuisibles et accroître l’efficacité des herbes curatives, il est indispensable de se tourner vers Dieu, puisque, c’est par sa Parole que "la terre produisit l’herbe, les plantes qui portent leurs semences [...] et les arbres qui donnent, selon leur espèce, le fruit qui porte sa semence" (Gn 1, 12).

De même, il est possible de rattacher, pour une part, à cette même démarche d’inculturation, l’usage antique d’attribuer à la Sainte Vierge, en s’inspirant de la Sainte Écriture, des symboles et des titres empruntés au monde végétal, comme ceux de la vigne, de l’épi, du cèdre et du lys, et de voir en elle une fleur odoriférante pour ses vertus et plus encore le "rameau sorti de la souche de Jessé" (Is 11, 1), qui a généré le fruit béni, Jésus.

La Semaine de prières pour l’unité des chrétiens

182. En se conformant à la prière suivante de Jésus: "Que tous ils soient un, comme toi, Père tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé" (Jn 17, 21), l’Église invoque, à chaque Eucharistie, le don de l’unité et de la paix. De plus, dans la partie concernant les Messes célébrées à des intentions et pour des circonstances diverses, le même Missel Romain contient trois formulaires de Messes "pour l’unité des chrétiens". Cette intention particulière est aussi présente dans les intercessions de la Liturgie des Heures.

Afin de respecter les diverses sensibilités de "nos frères séparés", les expressions de la piété populaire doivent elles aussi tenir compte des exigences de l’œcuménisme. En effet, "la conversion des cœurs et la sainteté de vie, unies aux prières publiques et privées pour l’unité des chrétiens, doivent être regardées comme l’âme de tout l’œcuménisme et peuvent à bon droit être appelées œcuménisme spirituel". Ainsi, un autre moment privilégié de rencontre entre les catholiques et les chrétiens appartenant à d’autres Églises ou Communautés ecclésiales, peut être constitué par la prière commune des chrétiens, afin d’obtenir la grâce de l’unité, pour présenter à Dieu les nécessités et les préoccupations communes, ou bien encore pour rendre grâces à Dieu et implorer son aide. "La prière commune est particulièrement recommandée pendant la "Semaine de prières pour l’unité des chrétiens", ou pendant la période qui s’écoule entre l’Ascension et la Pentecôte". La prière pour l’unité des chrétiens est aussi enrichie par des indulgences.

 

Chapitre V

LA VÉNÉRATION ENVERS LA SAINTE MÈRE DU SEIGNEUR

Quelques principes

183. La piété populaire, à la fois variée dans ses expressions et profonde dans ses motivations, qui s’adresse à la Vierge Marie, est un fait ecclésial remarquable et universel. Elle jaillit de la foi et de l’amour du peuple de Dieu envers le Christ, Rédempteur du genre humain, et de la compréhension de la mission que, dans l’ordre du salut, Dieu a confiée à Marie de Nazareth; la Vierge Marie n’est donc pas seulement la Mère du Seigneur et du Sauveur, mais elle est aussi, sur le plan de la grâce, la Mère de tous les hommes.

De fait, "les fidèles comprennent facilement le lien vital qui unit le Fils à la Mère. Ils savent que le Fils est Dieu, et que elle, la Mère, est aussi leur mère. Ils en déduisent la sainteté immaculée de la Vierge et, tout en la vénérant comme une reine glorieuse dans le ciel, ils sont certains que Marie, très miséricordieuse, intercède en leur faveur; ils invoquent donc sa protection avec une grande confiance. Les plus pauvres sentent particulièrement sa proximité. Ils savent qu’elle connut comme eux la pauvreté, qu’elle souffrit beaucoup, et qu’elle fit preuve de patience et de douceur. Ils ressentent à son égard de la compassion pour la douleur qu’elle éprouva au moment de la crucifixion et de la mort de son Fils, et ils se réjouissent avec elle pour la résurrection de Jésus. Ils célèbrent avec joie ses fêtes, ils participent volontiers aux processions organisées en son honneur et ils se rendent en pèlerinage dans les sanctuaires qui lui sont consacrés, ils aiment chanter ses louanges et ils lui offrent leurs hommages en formulant des vœux. Enfin, ils ne tolèrent pas qu’on l’offense et ils prennent spontanément sa défense contre ceux qui refusent de l’honorer".

L’Église elle-même exhorte tous ses fils - les ministres sacrés, les religieux et les fidèles laïcs - à développer leur piété personnelle et communautaire à l’aide des pieux exercices, qu’elle approuve et recommande. En effet, le culte liturgique, nonobstant son importance objective et sa valeur irremplaçable, son efficacité exemplaire et son aspect normatif, n’épuise pas toutes les possibilités mises en œuvre par le peuple de Dieu pour exprimer sa vénération envers la sainte Mère du Seigneur.

184. Les relations entre la Liturgie et la piété populaire mariale doivent être établies à la lumière des principes et des normes, qui ont été énoncés à plusieurs reprises dans le présent document. Il reste que, par rapport à la piété mariale du peuple de Dieu, la liturgie doit toujours apparaître comme une "forme exemplaire", une source d’inspiration, un point de référence constant et un but ultime.

185. Toutefois, il convient de rappeler brièvement quelques dispositions que le Magistère de l’Église a promulguées au sujet des pieux exercices relatifs à la Vierge Marie. Il faut en tenir compte dans le travail de composition de nouveaux pieux exercices, ou lorsqu’il est nécessaire de procéder à la révision de ceux qui existent déjà, ou, simplement, dans le cadre de leur application dans les célébrations cultuelles. L’attention des Pasteurs à l’égard de cette catégorie de pieux exercices doit être proportionnelle à leur importance; de fait, ces derniers sont, d’une part, le fruit et l’expression de la piété mariale d’un peuple ou d’une communauté de fidèles, et, d’autre part, ils constituent à leur tour la cause et un facteur non négligeable dans l’élaboration de la "physionomie mariale" des fidèles, c’est-à-dire de ce "style" particulier qui caractérise la piété des fidèles envers la bienheureuse Vierge Marie.

186. La disposition fondamentale du Magistère au sujet de ces pieux exercices est qu’ils doivent être orientés vers "ce centre du culte unique appelé à bon droit chrétien, car c’est du Christ qu’il trouve son origine et son efficacité, c’est dans le Christ qu’il trouve sa pleine expression et c’est par le Christ que, dans l’Esprit, il conduit au Père". Ainsi, les pieux exercices célébrés en l’honneur de la Vierge Marie doivent comporter les caractéristiques communes suivantes, même si celles-ci peuvent varier en fonction des particularités propres de chacun d’entre eux:

- ils expriment la note trinitaire qui distingue et qualifie le culte rendu à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, révélé dans le Nouveau Testament, de même que l’élément christologique, qui est une composante essentielle de ce culte et met en lumière la médiation unique et nécessaire du Christ, ainsi que sa dimension pneumatologique, puisque toute forme authentique de piété provient de l’Esprit et qu’elle est accomplie dans l’Esprit; enfin, ils soulignent le caractère ecclésial du culte chrétien: en effet, les baptisés, qui forment le peuple de Dieu, prient ensemble au nom du Seigneur (cf. Mt 18, 20) et ils sont unis dans la Communion des Saints;

- ils se réfèrent constamment à la Sainte Écriture, interprétée dans le cadre de la sainte Tradition; tout en se conformant à la profession de la foi catholique dans son intégralité, ils respectent les exigences du mouvement œcuménique; ils considèrent avec attention les aspects anthropologiques des expressions cultuelles, de telle sorte que ces dernières soient bien le reflet d’une conception juste et vraie de la personne humaine, et qu’elles correspondent à ses exigences; ils mettent en évidence la dimension eschatologique de l’existence, qui est essentielle dans le message de l’Évangile; enfin, ils illustrent le caractère missionnaire de l’Église, et donc l’obligation de témoigner qui incombe aux disciples du Seigneur.

 

Les temps des pieux exercices mariaux

La célébration de la fête

187. Les pieux exercices célébrés en l’honneur de la Vierge Marie sont presque tous liés à une fête liturgique inscrite dans le Calendrier général du Rite Romain, ou dans les Calendriers particuliers des diocèses ou des familles religieuses.

Il arrive que, parfois, le pieux exercice précède l’institution de la fête (c’est le cas du saint Rosaire), parfois aussi la fête est de loin antérieure au pieux exercice (comme pour l’Angelus Domini). Une telle constatation permet de mettre en évidence le rapport existant entre la Liturgie et les pieux exercices, et aussi le fait que ces derniers atteignent leur point culminant dans la célébration de la fête. La fête, parce qu’elle fait partie de la Liturgie, se rapporte à l’histoire du salut, et elle célèbre un aspect de l’association de la Vierge Marie au mystère du Christ. Elle doit donc être célébrée en observant les normes liturgiques, et en respectant la hiérarchie existant entre les "actes liturgiques" et les "pieux exercices", qui leur sont associés.

De surcroît, une fête de la bienheureuse Vierge Marie, en tant que manifestation populaire, comporte des valeurs de nature anthropologique qui ne doivent pas être négligées.

Le samedi

188. Parmi les jours plus particulièrement dédiés à la Vierge Marie, le samedi occupe une place particulière, puisqu’il a été élevé au rang de mémoire de sainte Marie. Cette mémoire remonte certainement à l’époque carolingienne (IX siècle), mais on ignore les motifs pour lesquels le samedi fut choisi, à cette époque, comme un jour dédié à la Vierge Marie. Il est vrai que de nombreuses explications furent données par la suite, même si ces dernières ne satisfont pas entièrement les spécialistes de l’histoire de la piété populaire.

De nos jours, tout en faisant abstraction de ses origines historiques incertaines, certaines valeurs propres à cette mémoire sont fréquemment mises en évidence avec juste raison: "la spiritualité contemporaine est plus sensible aux différents aspects qui appartiennent à l’être même de cette célébration: la mémoire de la fidélité inébranlable de la "bienheureuse Vierge Marie qui, en tant que mère et disciple, durant le "grand samedi", au moment où le Christ gisait dans le tombeau, demeurait forte uniquement grâce à sa foi et son espérance, seule au milieu des disciples, dans l’attente confiante de la Résurrection du Seigneur"; le prélude et l’introduction à la célébration du dimanche, en tant que fête primordiale et mémoire hebdomadaire de la Résurrection du Christ; le signe, avec son rythme hebdomadaire, que la "Vierge Marie est constamment présente et active dans la vie de l’Église".

De même, la piété populaire est sensible à la valorisation du samedi, ce jour dédié à la sainte Vierge Marie. Il n’est pas rare que les statuts de certaines communautés religieuses et associations de fidèles prévoient de rendre un hommage particulier à la Mère du Seigneur, chaque samedi, en prescrivant quelques pieux exercices composés spécialement pour ce jour précis.

Triduums, septénaires, neuvaines

189. Il est fréquent de préparer et de faire précéder une fête, dont la célébration est un moment culminant, par un triduum, un septénaire ou une neuvaine. Ces "temps et ces modes d’expression propres à la piété populaire" doivent être accomplis en harmonie avec les "temps et les modes d’expression propres à la Liturgie".

Les triduums, les septénaires et les neuvaines peuvent non seulement favoriser l’élaboration de nouveaux pieux exercices en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie, mais ils peuvent aussi aider les fidèles à mieux comprendre la place et le rôle que celle-ci occupe dans le mystère du Christ et de l’Église.

En effet, les pieux exercices, loin de demeurer étrangers aux acquis progressifs, qui proviennent de la recherche biblique et théologique au sujet de la Mère du Sauveur, doivent devenir, sans modifier leur nature propre, des moyens catéchétiques en vue de la présentation et de la diffusion de ces divers éléments doctrinaux.

Les triduums, les septénaires et les neuvaines peuvent être considérés comme une vraie préparation à la fête mariale, s’ils contribuent à stimuler les fidèles dans leur résolution de s’approcher des sacrements de la Pénitence et de l’Eucharistie, et d’approfondir leur vie chrétienne, en suivant l’exemple de la Vierge Marie, qui fut le premier et le plus parfait disciple du Christ.

Dans certaines régions, les apparitions de La Vierge Marie à Fatima inspirent aux fidèles des rencontres de prières mariales, qui ont lieu le 13 de chaque mois.

Les "mois de Marie"

190. Au sujet de la pratique du mois particulièrement dédié à la Vierge Marie, qui est répandue dans de nombreuses Églises, tant de l’Orient que de l’Occident, il est opportun de rappeler des orientations essentielles.

En Occident, les mois dédiés à la Vierge Marie, surgis à une époque, où les références à la Liturgie en tant que forme normative du culte chrétien étaient peu abondantes, se sont développés parallélement au culte liturgique. Cette situation a engendré des problèmes de caractère liturgico-pastoral, qui demeurent encore et qui, du fait de leur importance, méritent d’être évalués très soigneusement.

191. En se limitant à l’évocation de la coutume occidentale de célébrer un "mois marial" en mai (en novembre, dans certains pays de l’hémisphère sud), il est opportun de tenir compte à la fois des exigences de la Liturgie, des diverses attentes des fidèles, et de leur maturation dans la foi, et il convient aussi d’étudier l’ensemble des problèmes, que pose cette pratique des "mois de Marie", dans le cadre de la "pastorale d’ensemble" de l’Église locale; ainsi, il est nécessaire de remédier aux situations, qui sont marquées par des orientations contradictoires au niveau pastoral, et qui ont pour effet de désorienter les fidèles, comme cela pourrait advenir, par exemple, en présence d’initiatives visant à la suppression du "mois de Marie".

Dans la plupart des cas, la solution la plus opportune vise à harmoniser les éléments du "mois marial" avec le temps de l’Année liturgique, dans lequel il se situe. Ainsi, par exemple, durant le mois de mai, qui coïncide en grande partie avec les cinquante jours du temps liturgique de Pâques, les pieux exercices doivent mettre en évidence la participation de la Vierge Marie au mystère pascal (cf. Jn, 19, 25-27) et à l’événement de la Pentecôte (cf. Ac 1, 14), qui inaugure le chemin de l’Église, c’est-à-dire un itinéraire qu’elle-même, en participant à la nouveauté inaugurée par le Ressuscité, parcourt sous la conduite de l’Esprit Saint. Et puisque cette période des "cinquante jours" est le temps liturgique particulièrement consacré à la célébration et à la mystagogie des sacrements de l’initiation chrétienne, les pieux exercices du mois de mai peuvent utilement mettre en évidence la place éminente que la Vierge Marie, glorifiée dans le ciel, occupe sur la terre, "ici et maintenant", dans la célébration des sacrements du Baptême, de la Confirmation et de l’Eucharistie.

Il est nécessaire, dans tous les cas, de se conformer très soigneusement à la directive de la Constitution Sacrosanctum Concilium, selon laquelle "on orientera les esprits des fidèles avant tout vers les fêtes du Seigneur, par lesquelles se célèbrent pendant l’année les mystères du salut", auxquels il est certain que la bienheureuse Vierge Marie a été associée.

Il est sans doute opportun de dispenser un enseignement catéchétique aux fidèles, dans le but de les convaincre que le dimanche, mémoire hebdomadaire de la Pâque, est vraiment "le jour de fête primordial". Enfin, en tenant compte du fait que, dans la Liturgie Romaine, les quatre semaines de l’Avent constituent un temps marial, qui est inséré d’une manière harmonieuse dans l’Année liturgique, il faut aider les fidèles à découvrir et à mettre en évidence, d’une manière convenable, les nombreuses références à la Mère du Seigneur, qui sont proposées durant toute cette période.

 

Quelques pieux exercices recommandés par le Magistère

192. Le présent document n’a pas pour objet d’énoncer la liste exhaustive des pieux exercices recommandés par le Magistère. Il convient néanmoins de mentionner ceux qui méritent une attention particulière, afin de proposer quelques indications relatives à leur déroulement, et suggérer éventuellement quelques améliorations.

La méditation de la Parole de Dieu

193. La directive conciliaire, selon laquelle il convient de favoriser la "célébration sacrée de la parole de Dieu" à certains moments particulièrement significatifs de l’Année liturgique, peut trouver une application appropriée dans les célébrations cultuelles destinées à honorer la Mère du Verbe incarné. Des initiatives de ce genre correspondent parfaitement à la ligne générale de la piété chrétienne; de plus, elles illustrent la conviction, selon laquelle le fait de se comporter vis-à-vis de la Parole de Dieu, en prenant modèle sur la Vierge Marie, est déjà un excellent hommage qui peut lui est être rendu (cf. Lc 2, 19. 51). Dans le cadre des pieux exercices, comme durant les célébrations liturgiques, les fidèles doivent écouter avec foi la Parole, l’accueillir avec ferveur et la conserver dans leur cœur; ils doivent aussi la méditer et savoir la défendre par leur propre parole; ils sont tenus de la mettre fidèlement en pratique et de lui conformer toute leur vie.

194. "Les célébrations de la Parole, à cause des nombreuses possibilités qui sont offertes sur les plans thématique et structurel, contiennent des éléments multiples qui favorisent l’organisation de ce genre de rencontres; celles-ci constituent à la fois une illustration de la piété authentique des fidèles et un moment approprié en vue de développer une catéchèse systématique sur la Vierge Marie. Toutefois, l’expérience déjà acquise dans ce domaine permet de constater qu’il faut veiller à ne pas considérer les célébrations de la Parole, sous un aspect principalement intellectuel ou exclusivement didactique; elles doivent, en revanche, - par les cantiques, les prières et les autres modes de participation des fidèles - réserver une juste place aux moyens d’expressions, simples et familiers, de la piété populaire, qui s’adressent immédiatement au cœur de l’homme". 

L’Angelus

195. En méditant la traditionnelle prière de l’Angelus Domini trois fois par jour, à l’aube, le midi et au crépuscule, les fidèles font mémoire du message de Dieu, transmis à la Vierge Marie par l’archange saint Gabriel. L’Angelus se réfère donc à l’événement central du salut: selon le dessein du Père, le Verbe de Dieu, par l’action de l’Esprit Saint, s’est fait homme dans le sein de la Vierge Marie.

La prière de l’Angelus est profondément enracinée dans la piété du peuple chrétien, et son usage est encouragé par l’exemple que donnent les Pontifes Romains eux-mêmes. Si dans certains endroits, les transformations des conditions de vie ne favorisent pas le maintien ou la diffusion de la prière de l’Angelus, en de nombreux autres lieux, les empêchements sont de mineure importance; ainsi, aucun moyen ne doit être négligé pour maintenir bien vivante cette pieuse coutume, et pour encourager sa diffusion; on peut donc au moins suggérer la prière de trois Ave Maria. La prière de l’Angelus par "sa structure simple, son caractère biblique [...], son rythme quasi liturgique, qui sanctifie divers moments de la journée, son ouverture au mystère pascal [...], font que, à des siècles de distance, elle conserve inaltérée sa valeur et intacte sa fraîcheur".

"Il est donc souhaitable que, en quelques occasions, surtout dans les communautés religieuses, dans les sanctuaires dédiés à la bienheureuse Vierge Marie, au cours de certaines rencontres, l’Angelus Domini [...] soit solennisé, par exemple, par le chant des Ave Maria, et par la proclamation de l’évangile de l’Annonciation", ainsi que la sonnerie des cloches.

Le "Regina cæli"

196. Durant le temps pascal, en se conformant à la disposition du pape Benoît XIV (20 avril 1742), la célèbre antienne du Regina cæli remplace la prière de l’Angelus Domini. Le Regina cæli, dont l’origine date probablement des X-XI siècles, réussit à unir le mystère de l’incarnation du Verbe (le Christ, que tu as porté dans ton sein) et l’événement pascal (il est ressuscité, comme il l’avait promis), tandis que "l’invitation à la joie" (Réjouissez-vous), que la communauté ecclésiale adresse à la Mère de Jésus pour la Résurrection de son Fils, se rattache à "l’invitation à la joie" ("Réjouis-toi, comblée de grâce", Lc 1, 28), que Gabriel adresse à l’humble Servante du Seigneur, appelée à devenir la mère du Messie sauveur.

En se référant aux suggestions énoncées ci-dessus à propos de l’Angelus, il convient parfois de solenniser le Regina cæli, non seulement en chantant l’antienne, mais encore en proclamant l’évangile de la Résurrection.

Le Rosaire

197. Le Rosaire ou Psautier de la Vierge est l’une des plus belles prières qui s’adressent à la Mère du Seigneur. Ainsi, "les Souverains Pontifes ont à maintes reprises exhorté les fidèles à la prière fréquente du Rosaire, qui s’inspire de l’Écriture Sainte et qui est centrée sur la contemplation des événements du salut manifestés dans la vie du Christ, auxquels la Vierge Marie fut étroitement associée. De plus, la valeur et l’efficacité de cette prière sont attestées par les témoignages de nombreux Pasteurs et d’hommes réputés pour la sainteté de leur vie".

Le Rosaire est une prière essentiellement contemplative, car sa méditation "exige que le rythme soit calme et que l’on prenne son temps, afin que la personne qui s’y livre puisse mieux méditer les mystères de la vie du Seigneur". Le Rosaire est expressément recommandé dans la formation et dans la vie spirituelle des clercs et des religieux.

198. L’Église manifeste son estime à l’égard de la prière du saint Rosaire en proposant un rite de la Bénédiction des chapelets. Ce rite met en relief le caractère communautaire de la prière du Rosaire; de fait, à la bénédiction des chapelets est jointe celle des personnes qui méditent les mystères de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur, afin qu’elles "réussissent à établir une harmonie parfaite entre la prière et leur vie".

De plus, comme le suggère le Livre des Bénédictions, la bénédiction des chapelets peut être accomplie d’une manière avantageuse "en présence du peuple", spécialement à l’occasion des pélerinages dans les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, ou au cours des célébrations des fêtes de la bienheureuse Vierge Marie, en particulier de celle du Rosaire, et au moment de la clôture du mois du Rosaire, à la fin du mois d’octobre.

199. Les suggestions qui sont présentées dans le présent document visent à rendre la prière du Rosaire plus profitable pour les fidèles, tout en respectant ses caractéristiques particulières.

Dans certaines occasions, la prière du Rosaire peut prendre la forme d’une célébration composée de divers éléments: "la proclamation des passages de la Bible relatifs à chacun des mystères, le chant de certaines parties de la prière, une sage répartition des rôles entre les différents participants, la solennisation de l’introduction et de la conclusion de la prière".

200. La méditation du Rosaire peut consister en la récitation d’un chapelet quotidien, qui correspond à l’une des trois séries de mystères. Dans ce cas, et selon une coutume bien établie, des jours de la semaine déterminés sont assignés aux différents mystères: ainsi, les mystères joyeux sont médités le lundi et le jeudi, les mystères douloureux le mardi et le vendredi, et les mystères glorieux le mercredi, le samedi et le dimanche.

Si cette distribution des mystères est observée d’une manière trop rigide, elle peut parfois créer un contraste regrettable entre le contenu des mystères, qui sont médités, et ce que propose la liturgie du jour: c’est le cas, par exemple, lorsque la méditation des mystères douloureux a lieu un vendredi, qui est en même temps le jour de Noël. En présence de tels cas, il semble opportun de rappeler que "la caractérisation liturgique d’un jour déterminé prévaut sur son rang dans la semaine; de même, à certains jours de l’Année liturgique, il est possible de prier le Rosaire en substituant certains mystères par d’autres qui s’harmonisent mieux avec le temps liturgique du moment". Par exemple, le 6 janvier, solennité de l’Épiphanie, les fidèles prennent une bonne initiative en décidant de méditer les mystères joyeux, et de consacrer ainsi le cinquième mystère à l’adoration des Mages plutôt qu’au recouvrement de Jésus, âgé de 12 ans, dans le Temple de Jérusalem. Il reste que de telles substitutions doivent être effectuées avec pondération, et dans un esprit de fidélité à la Sainte Écriture et à la Liturgie.

201. Dans le but de favoriser la contemplation, et afin d’harmoniser l’âme avec la voix de celui qui médite le saint Rosaire, un certain nombre de Pasteurs et d’experts ont maintes fois suggéré de reprendre l’usage de la "clausule", cet élément ancien qui n’a jamais complétement disparu.

La clausule, qui s’harmonise bien avec le caractère répétitif et méditatif du Rosaire, est constituée de quelques mots qui suivent le nom de Jésus, et ont un rapport avec le mystère énoncé. Une clausule appropriée, permanente pour chaque dizaine, brève dans son énoncé et fidèle à la Sainte Écriture et à la Liturgie, peut constituer une aide de qualité en vue de la prière méditée du saint Rosaire.

202. "En présentant aux fidèles la valeur et la beauté de la prière du chapelet, il convient d’éviter d’employer des expressions qui, d’une part, rejetteraient dans l’ombre d’autres formes excellentes de prières et qui, d’autre part, ne tiendraient pas suffisamment compte de l’existence d’autres formes de prières mariales de ce genre, pourtant approuvées elles aussi par l’Église"., ou qui pourraient provoquer un sentiment de culpabilité chez celui qui ne le médite pas habituellement: "Le Rosaire est une prière excellente, au regard de laquelle le fidèle doit pourtant se sentir sereinement libre, invité à le réciter, en toute quiétude, par sa beauté intrinsèque".

Les Litanies de la Sainte Vierge

203. Les Litanies constituent l’une des formes de prières adressées à la Vierge Marie recommandées par le Magistère. Elles sont essentiellement composées d’une série d’invocations adressées à la Vierge Marie, qui se succèdent selon un rythme uniforme, créant ainsi un climat de prière caractérisé par une louange constante et une supplication insistante. De fait, les invocations, qui sont généralement très brèves, comprennent deux parties: la première est une louange ("Virgo clemens"), la seconde est une supplication ("ora pro nobis").

Deux formulaires de litanies sont insérés dans les livres liturgiques du Rite Romain: les litanies de Lorette, à l’égard desquelles les Pontifes Romains ont constamment exprimé leur attachement; les litanies pour le rite du couronnement d’une image de la bienheureuse Vierge Marie, qui, dans certaines occasions, peuvent constituer une alternative appropriée au formulaire des Litanies de Lorette.

Il s’avère qu’une prolifération de formulaires de litanies n’est pas utile du point de vue pastoral; toutefois, dans le même temps, il faut prendre en considération le fait qu’une limitation imposée trop rigoureusement aurait pour effet de ne pas tenir suffisamment compte de la richesse de certaines Églises locales ou familles religieuses. La Congrégation pour le Culte Divin a donc demandé instamment de "retenir certains formulaires anciens ou nouveaux, réputés pour leur rigueur doctrinale et la beauté de leurs invocations, qui sont en usage dans des Églises locales ou des Instituts religieux". Il est évident que cette exhortation concerne surtout des lieux déterminés ou des communautés bien précises.

À la suite de la prescription du pape Léon XIII, demandant que, durant le mois d’octobre, la méditation du Rosaire s’achève avec le chant des Litanies, beaucoup de fidèles ont commis l’erreur de penser que les Litanies constituaient une sorte d’appendice du Rosaire. En réalité, les Litanies sont avant tout un acte cultuel qui se suffit à lui-même: de fait, elles peuvent être employées en guise d’hommage adressé à la Vierge Marie, ou comme chant de procession, ou encore être intégrées dans une célébration de la Parole de Dieu ou bien dans d’autres célébrations.

La consécration à la Vierge Marie

204. En parcourant l’histoire de la piété chrétienne, on note l’existence d’expériences diverses, personnelles et communautaires, de "consécration à la Vierge Marie" (oblatio, servitus, commendatio, dedicatio). Elles apparaissent dans les livres de prières et dans les statuts des associations mariales sous la forme de formules de "consécration", ainsi que de prières composées en vue ou dans le but de renouveler cette consécration.

Les Pontifes Romains ont exprimé à maintes reprises leur attachement à l’égard de cette pieuse pratique de la "consécration à Marie", spécialement en prononçant publiquement eux-mêmes des formules qui sont demeurées célèbres.

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort demeure un maître incontesté et renommé de la spiritualité caractérisée par la pratique de la consécration; en effet, "il proposait aux chrétiens la consécration au Christ par les mains de Marie comme moyen efficace de vivre fidèlement les promesses du baptême".

À la lumière de la dernière volonté exprimée par le Christ sur la croix (cf. Jn 19, 25-27), l’acte de "consécration" est une reconnaissance de la place unique occupée par Marie de Nazareth dans le mystère du Christ et de l’Église, en particulier de la valeur exemplaire et universelle de son témoignage évangélique, de la confiance en son intercession et dans l’efficacité de sa protection, et il permet de mieux prendre conscience des multiples aspects du rôle unique exercé par la Vierge Marie, en tant que vraie Mère dans l’ordre de la grâce, à l’égard de tous et de chacun de ses fils.

Il convient de noter, toutefois, que le mot "consécration" est employé dans un sens large et impropre: "on dit, par exemple, "consacrer les enfants à la Vierge Marie", alors qu’en réalité on entend plutôt les placer sous la protection de la Vierge et solliciter sa protection maternelle". On peut donc mieux comprendre pourquoi un certain nombre de personnes suggèrent d’employer le terme d’ "acte de confiance" plutôt que celui de "consécration". De fait, à notre époque, à la lumière des progrès accomplis par la théologie liturgique, qui requiert l’emploi rigoureux des mots, on aurait tendance à réserver le mot consécration à l’offrande totale et perpétuelle d’une personne à Dieu, elle-même fondée sur les sacrements du Baptême et de la Confirmation, et dont l’Église, par une intervention spécifique, se porte garante.

Il est donc nécessaire d’instruire les fidèles sur la nature d’une telle pratique. Si cette dernière comporte, il est vrai, les caractères d’un don total et perpétuel, il s’agit néanmoins d’une analogie par rapport à la "consécration à Dieu"; de même, elle ne doit pas être le fruit d’une émotion passagère, mais être le résultat d’une décision personnelle, libre et mûrie dans le contexte d’une conception authentique du dynamisme de la grâce; la consécration doit être réalisée d’une manière appropriée, en s’inspirant des formes liturgiques: il s’agira donc d’un acte de consécration au Père par le Christ dans l’Esprit Saint, en implorant l’intercession glorieuse de la Vierge Marie, à laquelle la personne s’offre totalement, afin de demeurer fidèle aux promesses de son Baptême, et en adoptant à son égard une attitude filiale; enfin, la consécration doit être accomplie en dehors de la célébration du Sacrifice eucharistique, car il s’agit d’un geste de dévotion qui ne peut être assimilé à la Liturgie: la consécration à Marie, en effet, se distingue substantiellement des autres formes de consécration liturgique.

Le scapulaire du Carmel et les autres scapulaires

205. L’histoire de la piété mariale comporte la "dévotion" envers divers scapulaires, dont le plus célèbre est celui de la bienheureuse Vierge du Mont Carmel. La diffusion de cette pratique est vraiment universelle, et il n’y a donc aucun doute que les directives conciliaires concernant les pratiques et les pieux exercices "recommandés tout au long des siècles par le Magistère", s’appliquent aussi à elle.

Le scapulaire du Carmel est une forme réduite de l’habit religieux des frères de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel: bien que cette dévotion se soit répandue au-delà du cercle des fidèles, qui sont en relation avec la vie et la spiritualité de la famille carmélitaine, le scapulaire conserve néanmoins de nombreux liens avec cette dernière.

Le scapulaire est le signe extérieur d’une relation spéciale, filiale et confiante entre la Vierge, Mère et Reine du Carmel, et les personnes qui se confient à elle en lui consacrant tout leur être, et qui recourent avec une entière confiance à son intercession maternelle; il est aussi un rappel tangible de la primauté de la vie spirituelle et de la nécessité de la prière d’oraison.

Le scapulaire, qui est imposé au cours de la célébration d’un rite particulier, déterminé par l’Église, "renouvelle le choix fait au baptême de revêtir le Christ, avec le secours de la Vierge Marie qui veut avant tout que nous devenions conformes au Christ, à la louange de la sainte Trinité, jusqu’à ce que nous entrions avec l’habit des noces dans la patrie du ciel".

L’imposition du scapulaire du Carmel, tout comme la remise des autres scapulaires, "doit retrouver l’authenticité de ses origines: il ne doit pas se réduire à un geste plus ou moins improvisé, mais il doit plutôt être le fruit d’une préparation particulièrement soignée, au cours de laquelle le fidèle apprend à connaître la nature et les buts de l’association, à laquelle il adhère, ainsi que les obligations auxquelles il s’engage pour toute sa vie".

Les médailles de la Vierge Marie

206. Les fidèles aiment beaucoup porter sur eux, presque toujours attachées au cou, des médailles portant l’image de la Bienheureuse Vierge Marie. Ce geste de dévotion constitue de leur part un témoignage de foi, un signe de vénération à l’égard de la sainte Mère du Seigneur, et l’expression de leur confiance envers la protection maternelle de la Vierge Marie.

L’Église bénit ces objets de piété, en rappelant qu’ils "ont pour rôle de rappeler aux fidèles l’amour de notre Seigneur et d’augmenter leur confiance dans l’aide de la Vierge Marie", mais elle exhorte aussi les fidèles à ne pas oublier que la dévotion envers la Mère de Jésus exige avant tout "le témoignage d’une vie chrétienne qu’on est en droit d’attendre de leur part".

Parmi les médailles, la plus répandue est celle qui est connue sous le nom de "médaille miraculeuse", qui a bénéficié dans le passé, et bénéficie encore de nos jours d’une diffusion vraiment exceptionnelle. Elle a pour origine les apparitions de la Vierge Marie, en 1830, à une humble novice des Filles de la Charité, la future sainte Catherine Labouré. La médaille, qui a été réalisée en suivant les indications fournies par la Vierge à sainte Catherine, récapitule les mystères de la foi concernant la personne de Marie: en effet, son symbolisme particulièrement riche évoque à la fois le mystère de la Rédemption, l’amour du Cœur du Christ et du Cœur douloureux de Marie, la vocation de la Vierge Marie en tant que médiatrice de toutes grâces, le mystère de l’Église, les relations entre la terre et le ciel, et entre la vie temporelle et la vie éternelle.

La diffusion de la "médaille miraculeuse" a connu une nouvelle impulsion grâce à saint Maximilien-Marie Kolbe (+ 1941) et aux mouvements qu’il a suscités, ou qui se sont inspirés de son apostolat marial. De fait, ce jeune religieux des Tiers Mineurs Conventuels choisit la "médaille miraculeuse" comme le signe distinctif de la Pieuse Union de la Milice de l’Immaculée qu’il fonda, à Rome, en 1917.

La "médaille miraculeuse", comme les autres médailles de la Vierge ou les autres objets de culte, ne doit pas être considérée comme un talisman, ce qui conduirait les fidèles à une vaine crédulité. La promesse de la Vierge Marie, selon laquelle "les personnes qui porteront la médaille recevront de grandes grâces", exige de la part des fidèles une adhésion humble et fidèle au message chrétien, une prière persévérante et confiante, et une conduite morale cohérente.

L’hymne "Akathistos"

207. L’hymne vénérable adressée à la Mère de Dieu, appelée "hymne Akathistos" - dénommée ainsi parce qu’elle se chante debout - est l’une des expressions les plus hautes et les plus célèbres de la piété mariale de la tradition byzantine. Ce chef d’œuvre littéraire et théologique présente, sous la forme d’une prière, la foi commune et universelle de l’Église des premiers siècles au sujet de la Vierge Marie. Les sources qui ont inspiré cette hymne sont les Saintes Écritures, la doctrine définie par les Conciles œcuméniques de Nicée (325), d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), ainsi que la réflexion des Pères orientaux des IV et V siècles. Durant l’année liturgique, l’hymne acathiste est chantée solennellement le cinquième samedi de Carême, et elle est reprise en de nombreuses autres occasions; son usage est recommandé à la piété du clergé, des moines et des fidèles.

Dans les années récentes, cette hymne s’est répandue aussi dans les communautés de fidèles de rite latin. Certaines célébrations solennelles mariales, qui ont eu lieu à Rome en présence du Saint-Père, ont contribué à la diffusion de l’hymne acathiste, qui a ainsi bénéficié d’un retentissement très important dans toute l’Église. Cette hymne très ancienne, qui est considérée comme un exemple magnifique de la tradition mariale la plus antique de l’Église indivise, est à la fois un appel et une prière d’intercession en faveur de l’unité des chrétiens, qui est appelée à se réaliser sous la conduite de la Mère du Seigneur: une telle richesse de louanges, rassemblée dans les différentes formes de la grande tradition de l’Église, pourrait nous aider à faire en sorte que celle-ci se remette à respirer pleinement de ses "deux poumons", oriental et occidental".

 

Chapitre VI

LA VÉNÉRATION DES SAINTS ET DES BIENHEUREUX

Quelques principes

208. Le culte des saints, et spécialement des martyrs, qui s’enracine dans la Sainte Écriture (cf. Ac 7, 54-60; Ap 6, 9-11; 7, 9-17) est un fait très ancien, qui est attesté avec certitude dans l’Église, depuis la première moitié du II siècle. L’Église, tant d’Occident que d’Orient, a toujours vénéré les Saints, et elle n’a pas hésité à défendre vigoureusement ce culte, en particulier à l’époque du protestantisme, face aux objections qui étaient présentées contre certains aspects traditionnels de cette dévotion; elle a aussi mis en évidence les fondements théologiques de cette vénération, de même que son étroite connexion avec la doctrine de la foi; enfin, elle a édicté des normes dans le but de réglementer le culte des saints, autant dans ses expressions liturgiques que populaires, et elle a souligné la valeur exemplaire du témoignage de ces remarquables disciples du Seigneur, hommes et femmes, dans le but d’inciter les fidèles à mener comme eux une vie chrétienne authentique.

209. La Constitution Sacrosanctum Concilium, dans le chapitre consacré à l’Année liturgique, met bien en évidence l’existence ainsi que la signification ecclésiale de la vénération des Saints et des Bienheureux: "L’Église a introduit dans le cycle annuel les mémoires des martyrs et des autres saints qui, élevés à la perfection par la grâce multiforme de Dieu et ayant déjà obtenu possession du salut éternel, chantent à Dieu dans le ciel une louange parfaite et intercèdent pour nous. Dans les anniversaires des saints, l’Église proclame le mystère pascal en ces saints qui ont souffert avec le Christ et sont glorifiés avec lui, et elle propose aux fidèles leurs exemples qui les attirent tous au Père par le Christ, et par leurs mérites elle obtient les bienfaits de Dieu".

210. Une connaissance complète et adéquate de la doctrine de l’Église concernant les Saints n’est possible que dans le cadre plus vaste des articles de foi suivants:

- "l’Église est une, sainte, catholique et apostolique". L’Église est "sainte", par la présence en elle de "Jésus-Christ qui, avec le Père et l’Esprit saint, est célébré comme le "seul saint"", grâce à l’action de l’Esprit de sainteté, et parce qu’elle est dotée des moyens de sanctification. Ainsi, l’Église, bien qu’elle soit composée d’hommes pécheurs, est "parée, déjà sur la terre, d’une sainteté encore imparfaite mais véritable"; elle est "le peuple saint de Dieu", dont les membres, selon le témoignage des Écritures, sont appelés des "saints" (cf. Ap 9, 13; 1 Co 6, 1; 16, 1).

- La "communion des saints": l’Église du ciel, l’Église qui vit dans l’état dit du "Purgatoire", c’est-à-dire dans l’attente de la purification finale, et l’Église qui chemine sur la terre communient "dans la même charité envers Dieu et envers le prochain"; de fait, tous ceux qui appartiennent au Christ, et qui ont reçu le même Esprit Saint, forment une seule Église, et sont tous unis dans le Christ.

- La doctrine de l’unique médiation du Christ (cf. 1 Tm 2, 5): celle-ci n’exclut pas d’autres médiations subordonnées, mais ces dernières s’exercent toutefois à l’intérieur et en référence à la médiation du Christ.

211. La doctrine de l’Église et sa Liturgie présentent les Saints et les Bienheureux qui contemplent déjà "dans la lumière le Dieu Un et Trine". Ils sont donc:

- des témoins historiques de la vocation universelle à la sainteté. La sainteté étant le fruit de la Rédemption accomplie par le Christ, les Saints et les Bienheureux sont donc la preuve vivante que Dieu appelle ses enfants à atteindre la plénitude de la stature du Christ, quels que soient leur époque, le peuple auquel ils appartiennent, les conditions socio-culturelles les plus variées, dans lesquelles ils vivent, et leurs divers états de vie (cf. Ep 4, 13; Col 1, 28);

- des disciples exemplaires du Seigneur et donc des modèles de vie évangélique; ainsi, dans les procès de canonisation, l’Église reconnaît l’héroïcité de leur vertu et elle les propose donc à l’imitation des fidèles;

- des citoyens de la Jérusalem céleste, qui chantent sans fin la gloire et la miséricorde de Dieu. En effet, ils sont déjà passés de ce monde au Père, en suivant le Christ dans sa Pâque;

- des intercesseurs et des amis des fidèles durant leur pélerinage sur la terre: les Saints, tout en connaissant le bonheur éternel auprès de Dieu, ne sont pas indifférents aux peines de leurs frères et sœurs, et ils les accompagnent sur leur chemin par leur prière et leur protection;

- des patrons des Églises locales, dont ils furent souvent les fondateurs (saint Eusèbe de Verceil) ou les Pasteurs illustres (saint Ambroise de Milan); des patrons des différentes nations: c’est-à-dire des apôtres de leur conversion à la foi chrétienne (saint Thomas, saint Barthélemy, pour l’Inde), ou des figures privilégiées de leur identité nationale (saint Patrick, pour l’Irlande); des patrons des corporations et des professions (saint Omobono, pour les tailleurs); des patrons et des protecteurs dans des circonstances particulières, comme au moment de l’enfantement (sainte Anne, saint Raymond Nonat), ou à l’heure de la mort (saint Joseph), et pour obtenir des grâces particulières (ainsi, sainte Lucie pour conserver la vue), etc.

Ce que l’Église confesse, elle en rend grâce à Dieu le Père, en proclamant: "dans la vie des Saints, tu nous procures un modèle, dans leur intercession un appui, et dans la communion avec eux une famille".

212. Enfin, il convient de rappeler que le but ultime de la vénération des Saints est la gloire de Dieu et la sanctification de l’homme, grâce au témoignage de ces vies totalement conformes à la volonté divine, et par l’imitation des vertus de ceux qui furent d’éminents disciples du Seigneur.

De même, tant dans la catéchèse que dans les différentes rencontres organisées en vue de la transmission de la foi, il convient de montrer aux fidèles que la relation avec les Saints, si elle est conçue à la lumière de la foi, bien loin de diminuer "le culte d’adoration rendu à Dieu le Père par le Christ dans l’Esprit, l’enrichit au contraire plus glorieusement", et que "le culte authentique des saints ne consiste pas tant à multiplier les actes extérieurs, mais plutôt à pratiquer un amour fervent et effectif", qui se traduit dans le témoignage d’une vie chrétienne exemplaire.

 

Les Saints Anges

213. L’Église, dans son enseignement, présente, dans un langage clair et sobre, "l’existence des êtres spirituels et incorporels, que la Sainte Écriture appelle les Anges, comme une vérité de foi. À ce témoignage explicite de l’Écriture correspond l’unanimité de la Tradition".

Selon l’Écriture Sainte, les Anges sont les messagers de Dieu, "invincibles porteurs de ses ordres, attentifs au son de sa parole" (Ps 103, 20), placés au service de son dessein de salut, "envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut" (He 1, 14).

214. Les fidèles n’ignorent pas généralement les nombreux épisodes de l’Ancienne et de la Nouvelle alliance, dans lesquels les saints Anges manifestent leur présence. Ainsi, ils savent notamment que les Anges gardent les portes du paradis terrestre (cf Gn 3, 24), qu’ils sauvent Agar et son enfant Ismaël (cf. Gn 21, 17), qu’ils retiennent la main d’Abraham qui s’apprête à sacrifier Isaac (cf Gn 22, 11), qu’ils annoncent des naissances prodigieuses (cf. Jg 13, 3-7), qu’ils gardent les pas du juste (cf. Ps 91, 11), qu’ils louent sans cesse le Seigneur (cf. Is 6, 1-4), et qu’ils présentent à Dieu les prières des Saints (cf. Ap 8, 3-4). Ils se souviennent aussi de l’Ange qui intervint en faveur du prophète Elie, en fuite et à bout de forces (cf. 1 R 19, 4-8), d’Azarias et de ses compagnons jetés dans la fournaise (cf. Dn 3, 49-50), de Daniel enfermé dans la fosse aux lions (cf. Dn 6, 23). Enfin, l’histoire de Tobie leur est familière: Raphaël "l’un des sept Anges qui se tiennent devant le Seigneur" (Tb 12, 15), rendit de nombreux services à Tobie, au jeune Tobie, son fils, et à Sara, la femme de ce dernier.

Les fidèles savent aussi que les anges sont présents dans un certain nombre d’épisodes de la vie de Jésus, où ils exercent une fonction particulière: ainsi, l’Ange Gabriel annonce à Marie qu’elle concevra et donnera naissance au Fils du Très-Haut (cf. Lc 1, 26-38), et, de même, un Ange révèle à Joseph l’origine surnaturelle de la maternité de la Vierge (cf. Mt 1, 18-25); les Anges annoncent aux bergers de Béthléem la joyeuse nouvelle de la naissance du Sauveur (cf. Lc 2, 8-14); "l’Ange du Seigneur" protège la vie de l’enfant Jésus menacée par Hérode (cf. Mt 2, 13-20); les Anges assistent Jésus pendant son séjour dans le désert (cf. Mt 4, 11) et ils le réconfortent durant son agonie (cf. Lc 22, 43); enfin, ils annoncent aux femmes, qui se rendent au tombeau du Christ, que celui-ci est "ressuscité" (cf. Mc 16, 1-8), et ils interviennent encore au moment de l’Ascension pour révéler aux disciples le sens de cet événement et pour annoncer que "Jésus... reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel" (Ac 1, 11).

Les fidèles comprennent l’importance de l’avertissement de Jésus de ne pas mépriser un seul des petits qui croient en lui, "parce que leurs Anges dans les cieux contemplent sans cesse la face de mon Père" (Mt 18, 10), ainsi que la parole réconfortante selon laquelle "il y a de la joie chez les Anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit" (lc 15, 10). Enfin, les fidèles savent que "le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les Anges avec lui" (Mt 25, 31) pour juger les vivants et les morts, et mettre un point final à l’histoire.

215. L’Église qui, à ses débuts, fut gardée et défendue par le ministère des Anges (Ac 5, 17-20; 12, 6-11) expérimente constamment la"protection mystérieuse et puissante" de ces esprits célestes, qu’elle vénère et dont elle sollicite l’intercession.

Au cours de l’Année liturgique, l’Église célèbre la participation des Anges aux événements du salut; elle consacre aussi à leur mémoire certains jours particuliers: le 29 septembre (fête des Archanges Michel, Gabriel et Raphaël) et le 2 octobre (mémoire des Anges Gardiens). L’Église célèbre encore en leur honneur une Messe votive, dont la préface proclame que "la gloire de Dieu resplendit dans les Anges"; dans la célébration des mystères divins, elle s’associe au chant des Anges pour proclamer la gloire du Dieu trois fois saint (cf. Is. 6, 3) et elle sollicite leur aide pour porter l’offrande eucharistique "sur l’autel céleste, en présence de la gloire de Dieu"; elle célèbre l’office de louange en leur présence (cf. Ps. 137, 1); elle confie les prières des fidèles au ministère des Anges (cf. ap. 5, 8; 8, 3), ainsi que la douleur des pénitents, et la défense des innocents contre les attaques du Malin; à la fin de chaque journée, elle implore Dieu d’envoyer ses anges pour garder ceux qui prient dans la paix; elle prie les esprits célestes de venir en aide aux agonisants; et, au cours du rite des obsèques, elle supplie les Anges d’accompagner l’âme du défunt jusqu’au paradis et de garder son tombeau.

216. Tout au long des siècles, les fidèles ont exprimé leur foi dans le ministère des Anges en recourant à de nombreuses formes de piété: ainsi, ils ont choisi les Anges comme patrons des villes et protecteurs des corporations; ils ont érigé en leur honneur des sanctuaires célèbres (le Mont-Saint-Michel en Normandie, Saint-Michel de Cluse dans le Piémont, et Saint-Michel du Mont-Gargan dans les Pouilles), et fixé des jours de fête; enfin, ils ont composé des hymnes et des pieux exercices.

La piété populaire a contribué, d’une manière particulière, au développement de la dévotion envers l’Ange Gardien. Saint Basile le Grand (+379) enseignait déjà que "chaque fidèle a, près de lui, un Ange qui le protège et le conduit sur le chemin qui mène à la vie éternelle". Cette doctrine vénérable s’est peu à peu consolidée tout au long des siècles en se rattachant à des fondements bibliques et patristiques, et elle a donné naissance à des expressions variées de la piété populaire, jusqu’à l’œuvre de saint Bernard de Clairvaux (+ 1153), qui est considéré comme le grand docteur et l’apôtre éminent de la dévotion envers les Anges Gardiens. Pour saint Bernard, les Anges Gardiens sont la preuve que "le ciel ne néglige rien de ce qui peut nous être utile", c’est pourquoi il place "à nos côtés ces esprits célestes qui ont pour mission de nous protéger, de nous instruire et de nous guider".

La dévotion envers les Anges Gardiens suscite aussi un style de vie qui est caractérisé par:

- l’action de grâces adressée à Dieu qui accepte de placer des esprits d’une si grande sainteté et dignité au service des hommes;

- une attitude de droiture et de piété, suscitée par la conscience de vivre constamment en présence des saints Anges;

- une confiance sereine dans les situations difficiles, inspirée par la conviction que le Seigneur guide et assiste le fidèle sur le chemin de la justice, en recourant en particulier au ministère des Anges.

Parmi les prières adressées à l’Ange Gardien, celle de l’Angele Dei est particulièrement répandue; dans de nombreuses familles, elle fait partie de la prière du matin et du soir, et, en de nombreux endroits, elle accompagne aussi la prière de l’Angelus Domini.

217. Les expressions de la piété populaire envers les saints Anges sont légitimes et bienfaisantes, mais elles peuvent donner lieu à des déviations, parmi lesquelles il convient de citer:

- l’erreur suivante peut progressivement s’immiscer dans l’âme de certains fidèles: le monde et la vie seraient soumis à des tensions démiurgiques, c’est-à-dire à la lutte incessante entre les bons esprits et les esprits mauvais, ou entre les Anges et les démons; l’homme serait alors terrassé par des puissances supérieures contre lesquelles il ne pourrait rien faire. Une telle conception a pour effet d’affaiblir le sens de la responsabilité personnelle; de plus, elle ne concorde pas avec l’enseignement authentique de l’Évangile à propos de la lutte contre le Malin; l’Évangile exige, en effet, du disciple du Christ la droiture morale, l’engagement pour l’Évangile, l’humilité et la prière;

- certains fidèles peuvent être tentés de considérer les événements de la vie quotidienne d’une manière schématique et simpliste, voire infantile, en rendant le Malin responsable de leurs difficultés, y compris les plus minimes, et, au contraire, en attribuant à l’Ange Gardien leurs succès et leurs réalisations positives; or, de telles interprétations n’ont aucun rapport, ou si peu, avec le véritable progrès spirituel de la personne qui consiste à rejoindre le Christ. Il faut aussi réprouver l’usage de donner aux Anges des noms particuliers, que la Sainte Écriture ignore, hormis ceux de Michel, Gabriel et Raphaël.

 

Saint Joseph

218. Dans sa sagesse providentielle, Dieu réalisa son plan de salut en assignant à Joseph de Nazareth, "homme juste" (cf. Mt 1, 19), et époux de la Vierge Marie (cf. Ibid.; Lc 1, 27), une mission particulièrement importante: d’une part, introduire légalement Jésus dans la lignée de David de laquelle, selon la promesse des Écritures (cf. 2 S 7, 5-16; 1 Ch 17, 11-14), devait naître le Messie Sauveur, et, d’autre part, assumer la fonction de père et de gardien à l’égard de cet enfant.

En vertu de cette mission, saint Joseph est très présent dans les mystères de l’enfance du Sauveur: il reçut de Dieu la révélation de l’origine divine de la maternité de Marie (cf. Mt 1, 20-21), et il fut le témoin privilégié de la naissance de Jésus à Bethléem (cf. Lc 2, 6-7), de l’adoration des bergers (cf. Lc 2, 15-16) et de celle des Mages venus de l’Orient (cf. Mt 2, 11); il accomplit son devoir religieux à l’égard de l’Enfant en l’introduisant dans l’Alliance d’Abraham, lors de la circoncision (cf. Lc 2, 21), et en lui donnant le nom de Jésus (cf, Mt 1, 21); selon de la Loi, il présenta l’Enfant au Temple et le racheta en offrant le don des pauvres (cf. Lc 2, 22-24; Esd 13, 2.12-13) et, rempli d’étonnement, il entendit le cantique prophétique de Siméon (cf. Lc 2, 25-33); il protégea la Mère et le Fils durant la persécution d’Hérode en fuyant en Égypte (cf. Mt 2, 13-23); il se rendait chaque année à Jérusalem avec la Mère et l’Enfant pour la fête de la Pâque et il assista, avec effroi, à l’événement de la disparition de Jésus, âgé de 12 ans, qui était demeuré dans le Temple (cf. Lc 2, 43-50); il vécut dans la maison familiale de Nazareth, exerçant son autorité paternelle à l’égard de Jésus, qui lui était soumis (cf. Lc 2, 51), et il lui enseigna la Loi et son métier de charpentier.

219. Tout au long des siècles, et surtout à l’époque récente, la réflexion de l’Église a mis en évidence les vertus de saint Joseph, parmi lesquelles: la foi, qui, chez lui, se traduisait par une adhésion entière et courageuse au projet de salut de Dieu; l’obéissance inconditionnelle et silencieuse à la volonté de Dieu; l’amour et le respect fidèle de la Loi, la piété sincère et la force dans les épreuves; l’amour virginal dont il fit preuve à l’égard de la Vierge Marie, l’exercice assidu de ses devoirs de père de famille, et l’attrait pour une vie cachée et laborieuse.

220. La piété populaire met en valeur l’importance et l’universalité du patronage de saint Joseph, "à la vigilance duquel Dieu a voulu confier les débuts de notre rédemption" et "ses trésors les plus précieux". Saint Joseph assume les patronages suivants: l’Église tout entière, que le bienheureux Pie IX a voulu placer sous la protection spéciale du saint Patriarche; les personnes qui se consacrent à Dieu en choisissant le célibat pour le Royaume des cieux (cf. Mt 19, 12): "ils ont en saint Joseph un exemple et un défenseur de leur virginité"; les travailleurs et les artisans, dont le charpentier de Nazareth est le modèle exemplaire; les agonisants, puisque, selon une pieuse tradition, saint Joseph fut assisté, au moment de sa mort, de Jésus et de Marie.

221. La Liturgie fait souvent référence à la figure et au rôle de saint Joseph dans les célébrations des mystères de la vie du Sauveur, en particulier celles qui concernent sa naissance et son enfance, c’est-à-dire durant le temps de l’Avent, celui de Noël, spécialement à l’occasion de la fête de la Sainte Famille, lors de la solennité du 19 mars et à l’occasion de la mémoire du 1 mai.

Le nom de saint Joseph est mentionné dans le Communicantes du Canon Romain et dans les Litanies des Saints. Les Prières pour les mourants suggèrent d’invoquer le saint Patriarche; de même, la communauté prie pour que l’âme du mourant, en quittant ce monde, soit introduite "dans la paix de la Jérusalem céleste avec la Vierge Marie, Mère de Dieu, saint Joseph, tous les Anges et les Saints".

222. La vénération de saint Joseph occupe aussi une place importante dans la piété populaire: par exemple, dans des expressions diverses et nombreuses du folklore de certains peuples; dans la coutume, datant de la fin du XVII siècle, de considérer le mercredi comme un jour dédié à saint Joseph; à ce propos, il convient de noter que certains pieux exercices, comme les Sept mercredis, se rattachent à cette pieuse tradition. La dévotion des fidèles à l’égard de saint Joseph inspire aussi les pieuses invocations, que de nombreuses personnes aiment prononcer spontanément, de même que certaines formules de prières, comme celle qui fut composée par le pape Léon XIII: Ad te, beate Joseph, et qui est dite chaque jour par de nombreux fidèles, et aussi les Litanies de saint Joseph, approuvées par saint Pie X, et, enfin, le pieux exercice du chapelet des Sept angoisses et des sept joies de saint Joseph.

223. Des difficultés d’harmonisation entre la Liturgie et les expressions de la piété populaire peuvent surgir du fait que la solennité de saint Joseph (19 mars) est célébrée durant le Carême, qui est un temps liturgique tout entier consacré à la préparation des baptêmes et à la célébration de la Passion du Seigneur. Il est donc indispensable que les pratiques traditionnelles du "mois de saint Joseph" soient en syntonie avec le temps liturgique qui est célébré. De fait, le renouveau de la Liturgie a permis aux fidèles d’approfondir le véritable sens du temps liturgique du Carême. En adaptant les expressions de la piété populaire à cette exigence, il demeure néanmoins nécessaire de favoriser et de répandre la dévotion à l’égard de saint Joseph, en ayant constamment à l’esprit "l’exemple éminent [...], qui surpasse les états de vie particuliers et qui est proposé à la communauté chrétienne tout entière, quelles que soient les conditions de vie et les obligations des fidèles".

 

Saint Jean Baptiste

224. À la jonction entre l’Ancien et le Nouveau Testament, se dresse la figure imposante de Jean, fils de Zacharie et d’Elisabeth, qui étaient tous les deux des "justes devant Dieu" (Lc 1, 6); il est l’un des plus grands personnages de l’histoire du salut. Alors qu’il était encore dans le sein de sa mère, Jean reconnut le Sauveur, lui aussi caché dans le sein de la Vierge Marie (cf. Lc 1, 39-45); sa naissance fut marquée par de grands prodiges (cf. Lc 1, 57-66); il grandit dans le désert en menant une vie austère et pénitente (cf. Lc 1, 80; Mt 3, 4); "prophète du Très-Haut" (Lc 1, 76), la parole de Dieu lui fut adressée (cf. Lc 3, 2); "il parcourut toute la région du Jourdain en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés" (Lc 3, 3); tel un nouvel Élie, humble et fort, il prépara le peuple à recevoir le Seigneur (cf. Lc 1, 17); conformément au dessein de Dieu, il baptisa, dans les eaux du Jourdain, le Sauveur du monde lui-même (cf. Mt 3, 13-16); il présenta Jésus à ses disciples en le désignant comme "l’Agneau de Dieu" (Jn 1, 29), le "Fils de Dieu" (Jn 1, 34) et l’Époux de la nouvelle communauté messianique (cf. Jn 3, 28-30); le témoignage courageux qu’il rendit à la vérité lui valut d’être emprisonné par Hérode, qui le fit décapiter (cf. Mc 6, 14-29); sa mort violente, tout comme auparavant sa naissance miraculeuse et sa prédication prophétique, firent de lui le précurseur du Seigneur. Jésus lui rendit un hommage incomparable en proclamant que "parmi les hommes, aucun n’est plus grand que Jean" (Lc, 7, 28).

225. Depuis les premiers siècles de l’Église, les fidèles célèbrent avec ferveur le culte de saint Jean Baptiste; il s’est même enrichi d’éléments provenant de la culture populaire. Outre la célébration de sa mort (le 29 août), au même titre que tous les autres saints, saint Jean Baptiste est le seul dont on célèbre aussi solennellement la naissance (24 juin), comme pour le Christ et la sainte Vierge Marie.

On peut constater que beaucoup de baptistères sont dédiés à saint Jean Baptiste, ce qui permet de souligner son rôle essentiel lors du baptême de Jésus; de même, de nombreuses fontaines baptismales évoquent sa figure en le représentant en train de baptiser. Son emprisonnement éprouvant et sa mort violente font aussi de lui le patron de ceux qui sont en prison, ainsi que des condamnés à mort, ou de ceux qui subissent de lourdes peines à cause de leur foi.

Il est très probable que la date de naissance de saint Jean Baptiste (24 juin) fut fixée en fonction de celle de la conception du Christ (25 mars), et de sa naissance (25 décembre): selon le signe donné par l’ange Gabriel au moment où Marie conçut le Sauveur, la mère du Précurseur était déjà enceinte depuis six mois (cf. Lc 1, 26. 36). Dans l’hémisphère nord, la solennité du 24 juin est aussi liée au cycle solaire. Elle se célèbre, en effet, au moment où le soleil, en se dirigeant vers le sud du zodiaque, commence à descendre à l’horizon: ce phénomène céleste est devenu le symbole de la figure de Jean Baptiste, qui, à propos du Christ et de lui-même, déclara: "Lui, il faut qu’il grandisse; et moi, que je diminue" (Jn 3, 30)

La mission de Jean, qui était venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité (cf. Jn 1, 7), a donné naissance à la coutume d’allumer des feux dans la nuit du 23 au 24 juin, et, là où cette tradition existait déjà, elle a permis de lui donner une signification chrétienne: de fait, l’Église bénit ces feux en priant pour que les fidèles passent des ténèbres du monde à la Lumière de Dieu qui ne s’éteindra jamais.

 

Le culte des Saints et des Bienheureux

226. Les rapports mutuels entre la Liturgie et la piété populaire, et leur influence réciproque, sont particulièrement importants dans le domaine spécifique du culte des Saints et des Bienheureux. Il paraît opportun de rappeler brièvement les principales formes de vénération prévues dans la Liturgie de l’Église: ces diverses dispositions sont destinées à éclairer et à guider les expressions de la piété populaire.

La célébration des Saints

227. La célébration d’une fête en l’honneur d’un Saint - et cela vaut aussi à leur propre niveau pour les Bienheureux - est sans aucun doute une expression éminente du culte de la communauté ecclésiale: elle inclut très souvent la célébration de l’Eucharistie. La détermination du "jour de fête" du Saint est une décision très importante sur le plan cultuel, mais elle est souvent complexe, parce qu’elle dépend de nombreux facteurs d’ordre historique, liturgique et culturel, qui ne sont pas faciles à harmoniser.

Dans l’Église de Rome et dans d’autres Églises locales, la célébration la plus ancienne fut celle de la mémoire des martyrs, le jour anniversaire de leur passion, qui marquait à la fois leur suprême identification au Christ et leur naissance au ciel; elle fut suivie par la célébration du conditor Ecclesiae, c’est-à-dire les évêques qui avaient dirigé ces Églises et les autres confesseurs de la foi, ainsi que de la commémoration annuelle de la dédicace de l’église cathédrale. La multiplication de ces diverses célébrations rendirent nécessaire la constitution progressive des calendriers liturgiques locaux, où furent mentionnés la date et le lieu de la mort de chacun des Saints ou groupe de Saints.

Ces calendriers particuliers permirent d’élaborer des calendriers généraux, dont les plus célèbres sont le Martyrologe syriaque (V siècle), le Martyrologium Hieronimianum (VI siècle), celui de saint Bède (VIII siècle), de Lyon (IX siècle), de Usardo (IX siècle) et d’Adone (IX siècle).

Le 14 janvier 1584, Grégoire XIII promulgua l’édition typique du Martyrologium Romanum, destiné à l’usage liturgique. Jean-Paul II a promulgué la première édition typique du Martyrologe Romain, qui a été révisé à la suite du Concile Vatican II; tout en se référant à la tradition romaine et en incorporant les données des différents martyrologes anciens les plus importants, cette édition typique rassemble les noms de très nombreux Saints et Bienheureux, et il constitue un témoignage extrêmement riche des multiples formes de sainteté que l’Esprit du Seigneur suscite dans l’Église à toutes les époques et en tous lieux.

228. Le Calendrier Romain est intimement lié à l’histoire du Martyrologe; il a pour objet de mentionner le jour et le degré des célébrations en l’honneur des Saints. Conformément à la disposition du Concile Vatican II, le Calendrier Romain Général comprend seulement les mémoires des "saints qui présentent véritablement une importance universelle", en laissant aux calendriers particuliers, qu’ils soient nationaux, régionaux, diocésains ou des familles religieuses, le soin d’indiquer les mémoires des autres Saints.

Il est opportun de rappeler la raison pour laquelle le nombre des célébrations des Saints a été réduit, ainsi que la nécessité d’en tenir compte sur le plan pastoral: cette décision a été prise pour que "les fêtes des saints ne l’emportent pas sur les fêtes qui célèbrent les mystères du salut eux-mêmes". Au cours des siècles, en effet, "la multiplication des fêtes, des vigiles et des octaves, ainsi que la complication progressive des diverses parties de l’année liturgique" avaient "souvent poussé les fidèles aux dévotions particulières, de telle sorte que leurs esprits ont été quelque peu détournés des mystères fondamentaux de notre rédemption".

229. À partir de la réflexion sur les faits qui ont marqué l’origine, le développement et les différentes révisions du Calendrier Romain Général, il est possible de présenter les quelques orientations pastorales suivantes:

- il est nécessaire d’instruire les fidèles sur le lien existant entre les fêtes des Saints et la célébration du mystère du Christ. En effet, la raison d’être des fêtes des Saints est de mettre en lumière les réalisations concrètes du dessein de salut de Dieu, et de "proclamer les merveilles du Christ chez ses serviteurs"; les fêtes des membres de l’Église, que sont les Saints, sont en réalité aussi des fêtes de la Tête de cette même Église, c’est-à-dire des fêtes du Christ;

- il convient d’habituer les fidèles à discerner la valeur et la signification véritable des fêtes de ces Saints et de ces Saintes, dont la mission particulière a marqué l’histoire du salut, et qui ont vécu dans une relation étroite avec le Seigneur Jésus: on peut citer, en particulier, saint Jean Baptiste (24 juin), saint Joseph (19 mars), les saints Pierre et Paul (29 juin), les autres Apôtres et saint Évangélistes, sainte Marie Madeleine (22 juillet) et sainte Marthe de Béthanie (29 juillet), enfin saint Étienne (26 décembre);

- il convient d’encourager les fidèles à célébrer en priorité les Saints qui, dans l’Église particulière, sont considérés comme les plus importants: par exemple, les Patrons ou ceux qui, les premiers, ont annoncé la Bonne Nouvelle à la communauté des origines;

- enfin, il est utile d’enseigner aux fidèles le critère d’ "universalité", qui caractérise les Saints inscrits dans le Calendrier Général, ainsi que le sens du degré de leur célébration liturgique: solennité, fête et mémoire (obligatoire ou facultative).

Le jour de la fête

230. Le jour de la fête du saint revêt une grande importance tant du point de vue de la Liturgie que de la piété populaire. Dans un laps de temps très bref, de nombreuses expressions cultuelles de nature liturgique ou populaire concourent à donner une physionomie propre à ce "jour du Saint", ce qui ne va pas sans poser des difficultés, voire des risques de conflits.

Les divergences éventuelles doivent être résolues à la lumière des normes du Missel Romain et du Calendrier Romain Général concernant les degrés de célébrations des Saints et des Bienheureux, qui sont fixées en fonction de leur relation avec la communauté chrétienne (Patron principal du lieu, Titulaire de l’Église, Fondateur ou Patron principal d’une famille religieuse). Il faut aussi tenir compte du transfert éventuel de la fête du Saint au dimanche suivant, et des dispositions concernant la célébration des fêtes des Saints durant certains temps particuliers de l’Année liturgique.

Ces normes doivent être observées, non seulement à cause de l’obéissance due à l’autorité liturgique du Saint-Siège, mais aussi et surtout pour les raisons qui justifient l’existence même de ces dispositions: le respect envers le mystère du Christ et la cohérence avec l’esprit de la Liturgie.

En particulier, il est nécessaire d’éviter que les raisons qui ont justifié le déplacement de dates de certaines fêtes de Saints ou de Bienheureux - par exemple, du Carême au Temps ordinaire - ne soient pas suivies d’effet dans la pratique pastorale: ainsi, le fait de célébrer la fête liturgique d’un Saint en se conformant à la nouvelle date, tout en continuant de la célébrer à l’ancienne date dans le cadre de la piété populaire, a pour conséquence de rompre gravement l’harmonie entre la Liturgie et la piété populaire, et, surtout, elle donne lieu à une répétition inutile de la même célébration, tout en générant chez les fidèles la confusion et le désarroi.

231. Il est nécessaire que la fête du Saint soit préparée, puis célébrée avec beaucoup de soin, tant du point de vue liturgique que pastoral.

Cette exigence comporte avant tout une présentation adéquate de la finalité pastorale du culte des Saints, qui est totalement destiné à célébrer la gloire de Dieu, "admirable dans ses Saints", et aussi à encourager les fidèles à conformer leur vie à l’enseignement et à l’exemple du Christ, en imitant les Saints, qui sont les membres éminents de son Corps mystique.

De plus, il est nécessaire que la figure du Saint soit présentée d’une manière appropriée. De fait, en se plaçant dans la perspective de la conception très juste qui prévaut à notre époque, il convient qu’une telle présentation ne se base pas tant sur des faits légendaires, qui entourent parfois la vie du Saint, ni sur ses qualités de thaumaturge, que sur la valeur de sa personnalité chrétienne, la grandeur de sa sainteté et l’efficacité de son témoignage évangélique, ainsi que sur le charisme personnel grâce auquel il a enrichi la vie de l’Église.

232. Le "jour du Saint" a aussi une grande valeur anthropologique: c’est un jour de fête. Et il est notoire que la fête répond à une nécessité vitale de l’homme, et qu’elle se fonde ultimement sur son aspiration à la transcendance. Par ses manifestations empreintes de joie et de gaieté, la fête affirme la valeur de la vie et de la création. En rompant avec la monotonie de la vie quotidienne et avec certaines formes de vie trop conventionnelles, en libérant aussi momentanément les fidèles de leur asservissement à l’égard de trop nombreuses contraintes matérielles, la fête exprime à la fois la recherche d’une liberté sans entraves, l’aspiration à un bonheur parfait et l’exaltation de la pure gratuité. Sur le plan culturel, la fête met en évidence le génie particulier d’un peuple, c’est-à-dire les valeurs qui le caractérisent et le distinguent des autres peuples, et les expressions les plus réussies de sa propre culture, y compris de son folklore. La fête est aussi un moyen de socialisation qui permet d’étendre le cercle de ses amis, et d’ouvrir ses relations de voisinage à de nouveaux membres de la communauté.

233. Divers facteurs menacent la qualité de la "fête du Saint" tant du point de vue religieux qu’anthropologique:

Du point de vue religieux, il peut arriver que la "fête du Saint", appelée "fête patronale" dans le cadre de la paroisse, soit progressivement vidée du contenu spécifiquement chrétien qui était le sien à l’origine - et qui consistait à honorer le Christ dans l’un de ses membres -, et qu’elle devienne surtout une manifestation sociale ou folklorique, et, dans le meilleur des cas, une occasion privilégiée de rencontre et de dialogue entre les membres d’une même communauté.

Du point de vue anthropologique, il convient de noter qu’il n’est pas rare que des groupes ou des personnes, en croyant "faire la fête", se détachent en réalité du véritable sens de cette expression en raison de leurs comportements. En effet, la fête est la participation de l’homme à la domination de Dieu sur la création et à son "repos" actif, qui est toute autre chose qu’une oisiveté stérile; elle est aussi la manifestation d’une joie simple et communicative, et non la la soif démesurée d’un plaisir égoïste; enfin, elle est l’expression d’une vraie liberté, et non la recherche de formes de divertissement ambiguës, qui génèrent elles-mêmes sournoisement de nouvelles formes d’esclavage. On peut donc affirmer avec certitude que la transgression des normes éthiques, non seulement contredit la loi du Seigneur, mais encore constitue une blessure à la signification anthropologique de la fête.

Au cours de la célébration de l’Eucharistie

234. Le jour de la fête d’un Saint ou d’un Bienheureux n’est pas l’unique forme de présence de ces derniers dans le cadre de la Liturgie. De fait, la célébration de l’Eucharistie constitue un moment privilégié de communion avec les Saints du ciel.

Dans le cadre de la Liturgie de la Parole, les lectures de l’Ancien Testament présentent souvent les figures des grands patriarches, des prophètes et d’autres personnes réputées pour leur vertu et pour leur attachement à la Loi du Seigneur. De leur côté, les lectures du Nouveau Testament évoquent souvent les Apôtres et les autres Saints et Saintes qui vécurent dans une relation de proximité et d’amitié avec le Seigneur. En outre, les vies de certains Saints constituent des illustrations tellement lumineuses des pages de l’Évangile, qu’il suffit de proclamer ces quelques passages pour évoquer leurs figures.

Les rapports constants entre la Sainte Écriture et l’hagiographie chrétienne ont donné lieu, dans le contexte de la célébration eucharistique, à la formation d’un ensemble de Communs, dans lesquels sont proposés des passages de la Bible qui illustrent les divers aspects de la vie des Saints. À propos de la relation étroite entre la Sainte Écriture et la vie des Saints, on peut observer encore que la Sainte Écriture oriente et jalonne le chemin des Saints vers la plénitude de la charité, et qu’ils sont donc, chacun pour leur part, des commentateurs vivants de la Parole de Dieu.

Les Saints sont mentionnés à divers moments de la Liturgie eucharistique. Durant l’offrande du Sacrifice, il est fait mémoire des "présents d’Abel le Juste, du sacrifice de notre père dans la foi, Abraham, et de l’oblation pure et sainte que t’offrit Melchisédech, ton grand prêtre". De fait, la Prière eucharistique constitue un moment privilégié et unique pour exprimer notre communion avec les Saints; elle permet, en effet, de vénérer leur mémoire et de solliciter leur intercession, puisque "dans la communion de toute l’Église, nous voulons nommer et honorer en premier lieu la bienheureuse Marie toujours Vierge, Mère de notre Dieu et Seigneur Jésus Christ, saint Joseph, son époux, les saints Apôtres et martyrs: Pierre et Paul, André [...] et tous les saints; accorde-nous, par leur prière et leurs mérites, d’être toujours et partout, forts de ton secours et de ta protection".

Dans les Litanies des Saints

235. Au cours de certaines grandes célébrations des sacrements, et à d’autres moments où la prière de l’Église se fait plus instante, celle-ci invoque les Saints par le chant simple et populaire des Litanies des Saints, dont l’existence est attestée depuis le début du VII siècle. La prière des Litanies est prévue, en particulier, lors de la Vigile pascale, avant la bénédiction de l’eau baptismale, et aussi au cours de la célébration du baptême et des ordinations à l’ordre sacré de l’épiscopat, du presbytérat et du diaconat, de même que dans le rite de la consécration des vierges et de la profession religieuse, dans le rite de la dédicace d’une église et d’un autel, au cours des rogations, durant les messes comportant des stations et durant les processions pénitentielles, pour ordonner au Malin de s’éloigner dans le cadre des exorcismes, et enfin pour recommander les agonisants à la miséricorde de Dieu.

Les Litanies des Saints, qui contiennent des éléments provenant à la fois de la tradition liturgique et de la piété populaire, illustrent la confiance de l’Église dans l’intercession des Saints, et elles mettent en valeur son expérience de la communion qui unit l’Église de la Jérusalem céleste et l’Église qui est encore en pèlerinage sur la terre. Il est permis d’invoquer, dans les Litanies des Saints, les noms de ceux qui sont inscrits dans les Calendriers liturgiques des diocèses et des Instituts religieux. Il est évident qu’il est interdit d’insérer dans les Litanies les noms de personnes, dont le culte n’est pas reconnu.

Les reliques des Saints

236. Le Concile Vatican II rappelle que "selon la Tradition, les saints sont l’objet d’un culte dans l’Église, et l’on y vénère leurs reliques authentiques et leurs images". L’expression "reliques des Saints" indique surtout les corps - ou des éléments significatifs de ces corps - de tous ceux qui, par la sainteté héroïque de leur vie, se révélèrent sur cette terre des membres éminents du Corps mystique du Christ et des temples vivants de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 3, 16; 6, 19; 2 Co 6, 16). De plus, les objets qui ont appartenu aux Saints sont aussi considérés comme des reliques: il s’agit des objets personnels, des vêtements, des lettres, et des objets qui ont été mis en contact avec leurs corps ou leurs tombeaux (huiles, morceaux d’étoffe (brandea)), et aussi des objets qui ont touché les images vénérées du Saint.

237. Le Missel Romain renové recommande de "garder l’usage de déposer sous l’autel à consacrer des reliques de saints, même non martyrs". Cette place des reliques, par rapport à l’autel, indique donc que le sacrifice des membres de l’Église a pour origine et prend tout son sens, à partir de l’unique sacrifice de la Tête de cette même Église; de plus, les reliques expriment symboliquement la communion de toute l’Église à l’unique sacrifice du Christ, et donc la mission qui est confiée à cette Église de témoigner, même au prix du sang, de sa fidélité à son Époux et Seigneur.

Cette expression éminemment liturgique du culte des reliques n’est pas la seule; en effet, la piété populaire en comprend bien d’autres. Il est vrai néanmoins que les fidèles aiment vénérer les reliques. Il est donc nécessaire de mettre en place une pastorale, qui soit capable de promouvoir le véritable sens du culte des reliques; il s’agit, en effet:

- de s’assurer de leur authenticité; lorsqu’un doute subsiste, il convient de soustraire les reliques à la vénération des fidèles, en agissant avec la prudence pastorale requise dans ce genre de situation.

- d’empêcher la division excessive des reliques, qui ne respecte pas la dignité du corps humain; les normes liturgiques prévoient, en effet, que les reliques doivent être "assez grandes pour qu’on puisse comprendre qu’elles sont les restes de corps humains";

- d’exhorter les fidèles de ne pas se laisser gagner par la manie de collectionner des reliques; il est arrivé que, dans le passé, on ait à déplorer les conséquences déplorables de ce genre d’habitudes.

- de veiller au bon usage des reliques, afin d’éviter tout risque de fraudes, toute forme de trafic, et toute autre avilissement du culte en superstition.

Les différent actes de la dévotion populaire envers les reliques des Saints doivent être accomplis avec une grande dignité, et dans un climat de foi authentique. Parmi les principales expressions de la piété populaire, on peut citer le fait d’embrasser les reliques, de les illuminer et de les orner de fleurs, de les employer pour bénir ou de les porter en procession, et aussi de les apporter aux malades pour les réconforter et mettre ainsi en valeur leur demande de guérison. Il faut éviter dans les tous les cas d’exposer des reliques sur la table de l’autel, car celle-ci est réservée au Corps et au Sang du roi des martyrs.

Les saintes images

238. Le Concile de Nicée II a défendu avec vigueur la vénération envers les saintes images en déclarant: "conformément à la doctrine divinement inspirée de nos Saints Pères et à la tradition de l’Église catholique... nous définissons avec certitude que comme les représentations de la Croix précieuse et vivifiante, aussi les vénérables et saintes images, qu’elles soient peintes, en mosaïque ou de quelque autre matière appropriée, doivent être placées dans les saintes églises de Dieu, sur les saints ustensiles et les vêtements, sur les murs et les tableaux, dans les maisons et les chemins, aussi bien l’image de Dieu notre Seigneur et sauveur Jésus-Christ que celle de notre Dame immaculée, la sainte Mère de Dieu, des saints anges, de tous les saints et des justes".

Les Saints Pères reconnaissaient dans le mystère du Christ, le Verbe incarné, "l’image du Dieu invisible" (col 1, 15) et aussi le fondement du culte adressé aux saintes images: "l’incarnation du Fils de Dieu a inauguré une nouvelle "économie" des images".

239. La vénération des images, qu’elles soient peintes, ou réalisées sous la forme de statues, de bas-reliefs ou d’autres représentations, est importante aussi bien dans le cadre de la Liturgie que dans le domaine de la piété populaire: les fidèles prient devant elles, tant dans les églises que dans leurs propres maisons. Ils les ornent de fleurs, de lumières et de pierres précieuses; ils emploient des formes diverses pour leur rendre un hommage religieux, ils les portent en procession, ils accrochent auprès d’elles des ex-voto en signe de reconnaissance; ils les déposent dans des cavités ou des petits monuments érigés dans les champs ou le long des routes.

Toutefois, afin d’éviter certaines déviations, la vénération des images doit être fondée sur une conception théologique appropriée. Il est donc nécessaire que les fidèles connaissent la doctrine de l’Église concernant le culte des saintes images, qui est contenue dans les décrets des conciles œcuméniques et dans le Catéchisme de l’Église Catholique.

240. Selon l’enseignement de l’Église, les images sacrées sont:

- la traduction iconographique du message évangélique, dans la mesure où l’image et la parole révélée s’éclairent mutuellement; la tradition ecclésiale exige, en effet, que la sainte image "s’accorde avec la lettre du message évangélique";

- des signes saints, qui, comme tous les signes liturgiques, ont comme référence ultime le Christ; de fait, les images des Saints "renvoient à la figure du Christ qui est glorifié en eux";

- une évocation de nos Frères les Saints, "qui continuent à participer à l’histoire du salut du monde et auxquels nous sommes unis, spécialement dans la célébration des sacrements";

- une aide pour la prière: la contemplation des saintes images facilite la supplication et stimule la prière de reconnaissance pour les grâces insignes que Dieu a accomplies dans la vie des Saints;

- une exhortation à imiter les Saints, car "plus les yeux se posent sur ces images, plus le souvenir et le désir d’imiter ceux qui y sont représentés sont vifs et augmentent chez celui qui les contemple"; le fidèle est appelé à imprimer dans son cœur ce qu’il contemple avec les yeux: le Saint est une "vraie image de l’homme nouveau", transformé dans le Christ par l’action de l’Esprit Saint, qui est demeuré fidèle à sa propre vocation;

- une forme de catéchèse: "le peuple est instruit et confirmé dans la foi à travers l’histoire des mystères de notre Rédemption, qui sont exprimés au moyen des images peintes ou d’autres formes de représentation, et il dispose ainsi des moyens qui lui permettent de se rappeler et de méditer assidument les articles de la foi".

241. Il est nécessaire avant tout d’enseigner aux fidèles le caractère relatif du culte chrétien des images. En effet, les images ne sont pas vénérées pour elles-mêmes, mais pour ceux qu’elles représentent. C’est pourquoi "on doit leur rendre l’honneur et la vénération qui leur sont dus, non qu’on croie qu’il y a en elles du divin ou quelque vertu qui justifieraient leur culte, ou qu’on doive leur demander quelque chose, ou qu’on doive mettre fermement sa confiance dans les images, comme il arrivait autrefois aux païens qui mettaient leur espérance dans les idoles, mais parce que l’honneur qu’on leur rend remonte aux modèles originaux qu’elles représentent".

242. À la lumière de ces enseignements, les fidèles doivent éviter de commettre l’erreur d’établir des comparaisons entre les saintes images. Le fait que certaines images soient l’objet d’une vénération particulière, jusqu’à devenir le symbole de l’identité religieuse et culturelle d’un peuple, d’une ville ou d’un groupe, doit être expliqué à la lumière de la grâce particulière qui est à l’origine du culte rendu à ces images, et à partir des événements historiques et des éléments culturels qui ont concouru à les établir dans cette fonction de représentation: il est compréhensible que le peuple veuille commémorer fréquemment un événement de ce genre; une telle célébration renforce sa foi, glorifie Dieu, sauvegarde sa propre identité culturelle, et lui permet d’adresser avec confiance des prières incessantes, que le Seigneur, selon sa parole (cf. Mt 7, 7; Lc 11, 9; Mc 11, 24) est prompt à exaucer; ainsi, par ce moyen, l’amour de Dieu et du prochain augmente, l’espérance se dilate et la vie spirituelle du peuple chrétien ne cesse de croître.

243. Les saintes images sont, par nature, autant des signes sacrés que des œuvres d’art. De fait, "surtout quand elles sont remarquables de beauté artistique et de noblesse religieuse, elles sont comme un écho de cette beauté qui vient de Dieu et conduit à Dieu". Toutefois, l’image sacrée n’a pas d’abord pour fonction de procurer une satisfaction esthétique, mais d’introduire au Mystère. Lorsque l’aspect esthétique prend le dessus, ce qui arrive parfois, l’image est considérée plus comme un "thème" artistique que comme un moyen de transmettre un message spirituel.

En Occident, la production iconographique, dont les thèmes sont très variés, n’est pas soumise, à la différence de l’Orient, à des normes strictes contenues dans des canons vénérables, qui sont en vigueur depuis des siècles. Cela ne signifie pas pour autant que l’Église latine ait négligé d’exercer une certaine vigilance sur la production iconographique: ainsi, elle a interdit à de nombreuses reprises d’exposer dans les églises des images, qui seraient contraires à la foi, de même que celles qui ne seraient pas dignes ou qui pourraient induire les fidèles en erreur, ou encore qui seraient l’expression d’une abstraction désincarnée ou déshumanisante; de fait, certaines images sont plus le reflet d’un humanisme clos sur lui-même que les exemples d’une spiritualité authentique. Il faut réprouver aussi la tendance qui consiste à retirer systématiquement les images des lieux sacrés, ce qui a pour effet de nuire gravement à la piété des fidèles.

La piété populaire est attachée aux saintes images, en qui les fidèles reconnaissent des éléments de leur propre culture: ils sont donc sensibles aux représentations réalistes, aux personnages, qu’ils peuvent facilement identifier, et aux évocations des différents aspects de la vie de l’homme: la naissance, la souffrance, le mariage, le travail et la mort. Il convient, toutefois, d’éviter que l’art religieux populaire ne dégénère en des représentations superficielles ou mièvres, qui seraient privés de contenu véritable: c’est pourquoi les œuvres d’art destinées à l’usage liturgique ne doivent pas s’affranchir des règles de l’iconographie, et elles sont appelées à former un art chrétien véritable, dont les expressions diffèrent en fonction des époques et des divers courants culturels.

244. L’usage cultuel des images des Saints incite l’Église à les bénir, surtout celles qui sont destinées à la vénération publique des fidèles. l’Église demande donc que, en suivant l’exemple des Saints, "nous imitions leur exemple pour suivre le Seigneur et parvenir à la plénitude de l’homme parfait, qu’est le Christ". De même, l’Église a promulgué des normes concernant l’accueil et la disposition des images dans les édifices du culte; celles-ci doivent être strictement suivies. Ainsi, il est interdit de poser sur l’autel des statues et des images de Saints, ainsi que des reliques pour les proposer à la vénération des fidèles. L’Ordinaire a le devoir de veiller à ce que ne soient pas vénérées des images indignes, ou qui induiraient les fidèles en erreur, ou encore qui les inciteraient à s’adonner à des pratiques superstitieuses.

Les processions

245. Les relations entre la Liturgie et la piété populaire sont particulièrement importantes dans le domaine des processions; cette forme de culte, répandue dans le monde entier, a une valeur à la fois religieuse et sociale extrêmement riche et variée. En s’inspirant des modèles contenus dans la Sainte Écriture (cf. Esd. 14, 8-31; 2 S 6, 12-19; 1 Co 15, 25-16, 3), l’Église a institué un certain nombre de processions liturgiques, qui appartiennent à des catégories différentes:

- certaines processions ont pour but d’évoquer des événements du salut qui concernent le Christ lui-même: ainsi, la procession du 2 février qui commémore la présentation du Seigneur au Temple (cf. Lc 2, 22-38), celle du Dimanche des Rameaux, qui évoque l’entrée messianique de Jésus dans la ville de Jérusalem (cf. Mt 21, 1-10; Mc 11, 1-11; Lc 19, 28-38; Jn 12, 12-16). Il convient aussi de mentionner la procession de la Vigile pascale, qui fait mémoire du "passage", accompli par le Christ, des ténèbres du tombeau à la gloire de la Résurrection; cette procession constitue aussi une synthèse et un accomplissement de tous les exodes de l’ancien Israël, et elle est le prélude des différents "passages" que le disciple du Christ est appelé à effectuer dans la célébration des divers sacrements, surtout dans le rite du baptême, de même que dans la célébration des obsèques;

- d’autres processions correspondent à une dévotion particulière: il s’agit, en particulier, de la procession de la solennité du Corps et du Sang du Seigneur: les fidèles expriment leur action de grâces envers le Saint-Sacrement, qui traverse la cité des hommes, et ils proclament leur foi en l’adorant; le Saint-Sacrement, porté en procession, est aussi une source de bénédictions et de nombreuses grâces (cf. Ac 10, 38). On peut citer aussi la procession des rogations, dont la date est fixée actuellement dans chaque pays par la Conférence des Évêques: elle a pour objet de demander publiquement la bénédiction de Dieu sur les champs et sur le travail de l’homme, et elle a aussi un caractère pénitentiel. Enfin, il convient de mentionner la procession au cimetière du 2 novembre, le jour de la Commémoration de tous les fidèles défunts;

- diverses autres processions sont encore prévues dans le cadre de certaines célébrations liturgiques: ainsi, les processions des stations de Carême, durant lesquelles la communauté se rend du lieu fixé pour la collecta à l’église de la statio; la procession organisée pour recevoir, dans l’église paroissiale, le saint chrême et les autres saintes huiles, qui ont été bénits durant la Messe chrismale du Jeudi Saint; la procession de l’adoration de la Croix, prévue dans la célébration liturgique du Vendredi Saint; la procession qui a lieu durant les Vêpres du jour de Pâques, pendant laquelle "en chantant des psaumes, on va en procession aux fonts baptismaux"; les "processions" qui sont prévues à certains moments de la célébration eucharistique: à l’entrée du célébrant et des ministres, au moment de la proclamation de l’Évangile, lors de la présentation des dons, au moment de la communion au Corps et au Sang du Seigneur; la procession organisée pour porter le Viatique aux malades, dans les endroits où elle est encore en vigueur; le cortège funèbre qui accompagne le corps du défunt de sa maison à l’église, et de l’église au cimetière; enfin, la procession organisée à l’occasion de la translation des reliques.

246. La piété populaire a réservé une place très importante aux processions, surtout à partir du Moyen Âge, et ce mouvement a atteint son apogée à l’époque baroque: pour honorer les Saints patrons d’une cité, d’une contrée ou d’une corporation, les fidèles prirent alors l’habitude de porter en procession les reliques ou une statue, ou encore une image du Saint à travers les rues de la ville.

Les processions, dans ses formes les plus authentiques, permettent au peuple d’exprimer sa foi; de plus, leur enracinement dans la culture locale contribue à réveiller le sentiment religieux des fidèles. Il reste que, au même titre que les autres pieux exercices, les "processions de dévotion en l’honneur des Saints" sont susceptibles d’engendrer quelques erreurs préjudiciables à la foi chrétienne: ainsi, il peut arriver que ces dévotions l’emportent sur les sacrements, qui sont alors relégués au second plan, et que ces manifestations externes prévalent sur les dispositions intérieures des fidèles; de même, la procession peut être considérée à tort comme le moment le plus important de la fête du Saint. On peut citer aussi la tendance, qui prévaut chez certains fidèles insuffisamment instruits, de considérer le christianisme uniquement comme la "religion des Saints". Enfin, il faut prendre garde à ne pas transformer la procession, qui doit constituer avant tout un témoignage de foi, en un simple spectacle ou une parade de type folklorique.

247. Afin que la procession conserve dans chaque cas son caractère authentique de manifestation de la foi, il est nécessaire que les fidèles soient instruits de sa nature particulière du point de vue théologique, liturgique et anthropologique.

Sur le plan théologique, il faut mettre en évidence le fait que la procession est un signe de la nature profonde de l’Église: celle-ci est le peuple de Dieu qui chemine avec le Christ, et derrière lui, tout en étant conscient de ne pas avoir de demeure définitive dans ce monde (cf. He 13, 14), ou encore un peuple qui marche sur les routes de la cité terrestre vers la Jérusalem céleste. La procession est aussi le signe du témoignage de foi que la communauté chrétienne doit rendre à son Seigneur à l’intérieur des structures de la société civile. Elle est, enfin, le signe de l’engagement missionnaire de l’Église, qui, depuis ses débuts, et selon le commandement du Seigneur (cf. Mt 28, 19-20), s’est lancée sur toutes les routes et les chemins du monde entier pour annoncer l’Évangile du salut.

Du point de vue liturgique, les processions, y compris celles qui ont un caractère plus populaire, doivent être orientées vers la célébration de la Liturgie: ainsi, il convient de présenter une procession organisée d’une église jusqu’à une autre église, comme le signe du chemin que doit accomplir la communauté vivant dans le monde pour rejoindre la communauté, qui demeure dans les cieux. De même, il est important que la procession soit organisée par l’Église, et que ce soit elle qui la préside, afin d’éviter des manifestations irrespectueuses et dégradantes. Il faut faire en sorte de prévoir, au début de la procession, un moment de prière, qui doit nécessairement inclure la proclamation de la Parole de Dieu. Le chant doit être mis en valeur, de préférence celui des psaumes, avec l’apport éventuel des instruments de musique. Durant la procession, il est opportun de munir les fidèles de cierges ou de flambeaux allumés, et de prévoir des haltes, qui doivent alterner avec la marche, donnant ainsi l’image de toute vie humaine, qui comporte elle aussi des moments de marche, ponctués par des arrêts. La procession doit se conclure par une prière doxologique, adressée à Dieu, source de toute sainteté, et par la bénédiction de celui qui la préside, l’Évêque, le prêtre ou le diacre.

Enfin, du point de vue anthropologique, il faut insister sur le sens de la procession en tant que "chemin accompli ensemble"; en effet, unis par la prière et par les chants, et tendus vers le même but, les fidèles découvrent qu’ils sont solidaires les uns des autres; cette expérience les incite à mettre en pratique, dans leur propre vie, les résolutions chrétiennes qu’ils ont formulées dans leur cœur au cours de la procession.

 

Chapitre VII

LES SUFFRAGES POUR LES DÉFUNTS

La foi dans la résurrection des morts

248. "C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet". Toutefois, la foi dans le Christ transforme cette énigme en la certitude d’une vie sans fin. De fait, Jésus a déclaré qu’il a été envoyé par le Père "pour que tout homme qui croit en lui ne meure pas, mais obtienne la vie éternelle" (Jn 3, 16), et aussi: "la volonté de mon Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour". (Jn 6, 40). En référence à l’Écriture Sainte, l’Église professe donc sa foi dans la vie éternelle, par ces mots contenus dans le Symbole de Nicée-Constantinople: "j’attends la résurrection des morts et la vie du monde à venir".

En se fondant sur la Parole de Dieu, l’Église croit et espère fermement que "tout comme le Christ est vraiment ressuscité d’entre les morts et vit pour l’éternité, les justes, eux aussi, après leur mort, sont appelés à vivre pour toujours avec le Christ ressuscité".

249. La foi dans la résurrection des morts, qui est un élément essentiel de la révélation chrétienne, implique une vision spécifique de l’événement inéluctable et mystérieux de la mort.

La mort est la conclusion de la phase terrestre de la vie humaine, mais "pas de notre être", puisque l’âme est immortelle. "Nos vies sont inscrites dans un laps de temps déterminé, durant lequel nous nous transformons et nous vieillissons; ainsi, comme pour toutes les créatures, qui peuplent cette terre, la mort apparaît comme la fin naturelle de la vie"; du point de vue de la foi, la mort est aussi "la fin du pèlerinage de l’homme sur cette terre; elle est aussi la fin de ce temps de grâce et de miséricorde que Dieu offre à chaque homme pour mener à bonne fin sa vie terrestre selon son projet divin, et pour décider de son destin éternel".

S’il est vrai que la mort est un phénomène naturel, il apparaît aussi qu’elle correspond au "salaire du péché" (Rm 6, 23). De fait, selon une interprétation authentique des affirmations contenues dans la Sainte Écriture (cf. Gn 2, 17; 3, 3; 3, 19; Sg 1, 13; Rm 5, 12; 6, 23), le Magistère de l’Église "enseigne que la mort est entrée dans le monde à cause du péché de l’homme".

Jésus, le Fils de Dieu, "né d’une femme, sujet de la loi juive" (Ga 4, 4), a lui aussi subi la mort, qui est propre à la condition humaine; et tout en éprouvant de l’angoisse face à elle (cf. Mc 14, 33-34; He 5, 7-8), "il l’accepta en se soumettant sans réserve et librement à la volonté de son Père. L’obéissance de Jésus a transformé la malédiction de la mort en bénédiction".

La mort est devenue le passage à la plénitude de la vraie vie; l’Église renverse donc la logique et la prospective de ce monde en appelant le jour de la mort du chrétien son dies natalis, ou le jour de sa naissance au ciel, où "la mort n’existera plus, et il n’y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse, car la première création aura disparu" (Ap 21, 4). Comme l’exprime si bien la Liturgie, la mort est donc le prolongement de la vie d’ici-bas, selon un mode complètement nouveau: "car pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée; et lorsque prend fin leur séjour sur la terre, ils ont déjà une demeure éternelle dans les cieux".

Enfin, la mort du chrétien est un événement de grâce, dans la mesure où, dans le Christ et par le Christ, elle acquiert un sens positif. Cette certitude est fondée sur l’enseignement des Écritures: "en effet, pour moi vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage" (Ph 1, 21); "voici une parole sûre: si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons" (2 Tm 2, 11).

250. Selon la foi de l’Église, le fait de "mourir avec le Christ" commence avec le Baptême: en le recevant, le disciple du Seigneur est déjà sacramentellement "mort avec le Christ" et ressuscité à une vie nouvelle; s’il meurt dans la grâce du Christ, la mort physique est le sceau de cette "mort avec le Christ", et elle le porte ainsi à son propre achèvement en l’incorporant pleinement et pour toujours au Christ Rédempteur.

Ainsi, l’Église, en priant pour les âmes des défunts, implore Dieu en leur faveur pour qu’ils obtiennent de Lui la vie éternelle; cette prière n’est pas uniquement destinée aux disciples du Christ, mais aussi à tous les défunts, dont Dieu seul connaît la foi.

La signification des suffrages

251. Au moment de sa mort, le juste rencontre Dieu, qui l’appelle à lui pour le rendre participant de sa vie divine. Toutefois, personne ne peut être accueilli dans l’amitié et l’intimité de Dieu, s’il n’a pas d’abord été purifié des conséquences personnelles de toutes ses fautes par Dieu lui-même. "L’Église appelle Purgatoire cette purification finale des élus, qui est tout autre chose que le châtiment des damnés. L’Église a formulé la doctrine de la foi relative au Purgatoire en particulier dans les décrets des Conciles de Florence et de Trente".

Cette doctrine a suscité la pieuse habitude des prières de suffrages pour les âmes du Purgatoire. Elles sont une supplication pressante adressée à Dieu pour qu’il accorde sa miséricorde aux fidèles défunts, qu’il les purifie du feu de sa charité et les introduise dans son Royaume de lumière et de vie.

Les suffrages sont une expression cultuelle de la foi dans la communion des Saints. De fait, "l’Église en ses membres qui cheminent sur la terre a entouré de beaucoup de piété la mémoire des défunts dès les premiers temps du christianisme en offrant aussi pour eux ses suffrages, car "la pensée de prier pour les morts, afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés, est une pensée sainte et pieuse" (2 M 12, 46)". Parmi ces prières, viennent en premier lieu la célébration du sacrifice eucharistique, puis d’autres expressions de piété, comme les prières, les aumônes, les œuvres de miséricorde, les indulgences en faveur des âmes des défunts.

Les obsèques chrétiennes

252. Dans la liturgie romaine, comme dans les autres liturgies latines et orientales, les prières de suffrages pour les défunts sont fréquentes et variées.

Les obsèques chrétiennes comprennent, selon les différentes traditions, trois moments essentiels, même si les conditions de vie dans les villes imposent souvent de réduire leur nombre à deux, voire à un seul:

- La veillée de prière dans la maison du défunt, ou, selon les circonstances, dans un autre lieu adapté, durant laquelle les parents, les amis et les fidèles élèvent vers Dieu des prières en faveur du défunt, écoutent "les paroles de la vie éternelle" et, à la lumière de ces dernières, dépassent les seules prospectives offertes par le monde d’ici-bas, pour se tourner vers les promesses authentiques fondées sur la foi dans le Christ ressuscité. La veillée de prières a aussi pour but d’apporter du réconfort aux proches du défunts, et d’exprimer la proximité des chrétiens à leur égard, selon les paroles de l’Apôtre: "pleurez avec ceux qui pleurent" (Rm 12, 15).

- la célébration de l’Eucharistie, qui est très souhaitable quand elle est possible. Durant cette sainte messe, la communauté ecclésiale écoute "la parole de Dieu qui proclame le mystère pascal, donne l’espérance de se revoir dans le Royaume de Dieu, ravive la piété envers les défunts et exhorte au témoignage d’une vie vraiment chrétienne". Celui qui préside commente la Parole durant une homélie "qui doit éviter la forme et le style d’un éloge funèbre". Dans l’Eucharistie, "l’Église, telle une Mère, exprime sa communion effective avec le défunt: en offrant au Père et dans l’Esprit Saint, le sacrifice de la Mort et de la Résurrection du Christ, elle demande que son enfant soit purifié de ses péchés et de leurs conséquences, et qu’il soit admis à la plénitude pascale des noces éternelles dans le Royaume". Une lecture attentive de la Messe des obsèques permet de comprendre à quel point la Liturgie exprime que l’Eucharistie est le banquet eschatologique, le vrai refrigerium chrétien du défunt.

- le rite de l’adieu, le cortège funèbre et la sépulture: le rite de l’adieu (ad Deum) au défunt est la "recommandation" de son âme à Dieu de la part de l’Église, "l’ultime salutation adressée par la communauté chrétienne à l’un de ses membres avant la sépulture de son corps". Le cortège funèbre manifeste que la Mère Église, qui, sacramentellement, a porté le chrétien dans son sein tout au long de son pèlerinage sur la terre, désire accompagner son corps durant son repos dans l’attente du jour de la résurrection (cf. 1 Co 15, 42-44).

253. Chacun des rites des obsèques chrétiennes doit être accompli avec une grande dignité et le sens religieux qui convient. Il est donc nécessaire que le corps du défunt, qui a été le temple de l’Esprit Saint, soit traité avec un grand respect, que l’ornementation funéraire soit digne, et exempte de toute ostentation et de toute pompe inutile, et que les signes liturgiques, comme la croix, le cierge pascal, l’eau bénite et l’encens, soient employés d’une manière appropriée.

254. La piété populaire s’est éloignée des pratiques de momification, d’embaumement ou d’incinération du corps, car elles induisent l’idée que la mort provoque la destruction totale de l’être humain; elle a donc retenu l’inhumation comme modèle de sépulture pour le fidèle. En effet, celle-ci évoque, d’une part, la terre d’où l’homme est tiré (cf. Gn 2, 6), et à laquelle il doit retourner (cf. Gn 3, 19; Si 17, 1) et, d’autre part, elle se réfère à la sépulture de Jésus, grain de blé tombé en terre, qui a porté beaucoup de fruits (cf. Jn 12, 24).

Toutefois, à notre époque, la pratique de l’incinération se répand pour des raisons liées aux transformations des conditions de vie et d’environnement. À ce propos la législation ecclésiastique dispose que "à ceux qui ont choisi l’incinération de leur corps, on accordera les funérailles chrétiennes, sauf s’il est évident qu’ils ont fait ce choix pour des motifs contraires à la foi chrétienne". Les fidèles qui ont fait ce choix sont expressément invités à ne pas conserver les urnes des défunts de leurs familles dans leur maisons, mais à leur donner une sépulture décente, jusqu’à ce que Dieu fasse resurgir ceux qui reposent dans la terre et que la mer rende les morts qu’elle contient (cf. Ap 20, 13).

Les autres suffrages

255. l’Église offre le sacrifice eucharistique pour les défunts, non seulement au moment des funérailles, mais aussi le jour anniversaire de leur mort, spécialement le troisième, ou le septième ou encore le trentième jour après leur décès. La célébration de la Messe pour le repos de l’âme d’un défunt, que l’on a connu sur cette terre, est la manière chrétienne de se souvenir et de prolonger, dans le Seigneur, la communion avec ceux qui ont franchi le seuil de la mort. De plus, le 2 novembre, l’Église réitère l’offrande du saint sacrifice pour tous les fidèles défunts, pour lesquels elle célèbre aussi la Liturgie des Heures.

Au cours de la célébration de l’Eucharistie et de celle des Vêpres, l’Église ne manque jamais d’élever une prière de supplication quotidienne vers le Seigneur, pour qu’il accorde "aux fidèles qui nous ont précédés, marqués du signe de la foi, et [...] à tous ceux qui reposent dans le Christ, la joie, la lumière et la paix."

Il est donc important d’éduquer les sentiments des fidèles sur le sens qu’il convient d’attribuer à la mort de leurs propres défunts, à partir de la célébration eucharistique, et, ainsi, leur expliquer le véritable sens de la prière de l’Église, qui vise à obtenir que les défunts de tous les temps et en tous lieux, soient associés à la gloire du Christ ressuscité; les fidèles doivent donc éviter de tomber dans une vision trop possessive ou particulariste de la Messe pour leur "propre" défunt. La célébration de la Messe pour les défunts est aussi une occasion pour faire une catéchèse sur les fins dernières.

La mémoire des défunts dans la piété populaire

256. La piété populaire, au même titre que la liturgie, est très attentive à mettre en valeur la mémoire des défunts, et elle exhorte notamment les fidèles à se tourner vers Dieu pour lui adresser des prières de suffrages en faveur de ceux qui sont décédés

Dans le cadre de la "commémoration des fidèles défunts", la question des relations entre la Liturgie et la piété populaire doit être abordée avec beaucoup de prudence et de délicatesse sur le plan pastoral, tant du point de vue doctrinal que de celui de l’harmonisation nécessaire entre les célébrations liturgiques et les pieux exercices.

257. Il est avant tout nécessaire que les diverses expressions de la piété populaire soient bien enracinées dans les éléments essentiels qui constituent la foi chrétienne, c’est-à-dire, en l’occurrence, la signification pascale de la mort de ceux qui, par le Baptême, ont été incorporés au mystère de la mort et de la résurrection du Christ (cf. Rm 6, 3-10), l’immortalité de l’âme (cf. Lc 23, 43), la communion des saints, car "l’union de ceux qui sont encore en chemin, avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ, n’est nullement interrompue; au contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union est renforcée par l’échange des biens spirituels": "notre prière pour eux peut non seulement les aider mais aussi rendre efficace leur intercession", de même que la résurrection de la chair, la manifestation glorieuse du Christ, "qui viendra juger les vivants et les morts", la récompense ou, au contraire, le châtiment en fonction des œuvres accomplies par chacun, et, enfin, la vie éternelle.

Les usages et les traditions de certains peuples dans le domaine spécifique du "culte des morts" sont profondément marqués par des éléments particuliers, qui font partie de leur culture locale: il s’agit notamment de conceptions anthropologiques qui sont liées au désir de prolonger les liens familiaux, et plus généralement, les relations sociales et amicales, avec les défunts. L’examen et l’évaluation de ces coutumes doivent être effectués avec la prudence requise, afin d’éviter de les considérer trop rapidement comme des relents de paganisme, à moins que ces usages ne soient manifestement contraires à l’Évangile.

258. Du point de vue doctrinal, il faut éviter:

- le danger de maintenir dans les expressions de la piété populaire envers les défunts, des éléments ou des aspects inacceptables du culte païen des ancêtres;

- l’invocation des morts au moyen de pratiques divinatoires;

- le fait d’attribuer à des personnes défuntes la signification de certains événements, souvent imaginaires, dont la peur conditionne souvent le mode d’agir des fidèles;

- le risque que s’insinuent des formes de croyance en la réincarnation;

- le danger de nier l’immortalité de l’âme et de dissocier la mort de la réalité future de la résurrection, ce qui a pour effet de présenter la religion chrétienne comme une religion des morts;

- l’application des catégories spatio-temporelles à la condition des défunts.

259. L’erreur doctrinale et pastorale, qui consiste à "occulter la mort et les divers éléments qui l’entourent", est très répandue dans la société moderne, ce qui entraîne souvent des conséquences dommageables.

Les médecins, le personnel médical et les proches parents estiment souvent qu’il est de leur devoir de cacher au malade le caractère imminent de sa mort, et il est vrai aussi que ce dernier meurt presque toujours hors de sa maison du fait des progrès de l’hospitalisation.

Il est habituel de constater qu’aucune place n’est prévue pour accueillir la réalité incontournable de la mort dans la civilisation urbaine de ce temps, qui est uniquement celle des vivants: ainsi, dans les immeubles situés dans les villes, l’exiguïté des appartements rend impossible l’organisation d’une veillée funèbre dans l’une des pièces de l’habitation; de même, dans les rues, l’intensité de la circulation provoque l’interdiction des cortèges funèbres, car leur lenteur constituerait une gêne pour le trafic automobile. De plus, on peut facilement observer que, dans les aires urbaines, le cimetière a changé de place: alors qu’autrefois, il était autour de l’église, ou non loin d’elle, en particulier dans les villages - il était donc à la fois une composante et un signe de la communion entre les vivants et les défunts dans le Christ -, le cimetière est maintenant situé dans la périphérie, et on l’installe toujours plus loin des habitations, pour éviter qu’il ne soit englobé au fur et à mesure de l’expansion de la ville.

La civilisation moderne refuse "la visibilité de la mort", et elle s’efforce donc d’en éliminer les signes. Dans un certain nombre de pays, ce rejet a pour conséquence le développement de l’embaumement du cadavre: il s’agit, par un procédé chimique, de conserver le corps du défunt afin qu’il ait encore toutes les apparences de la vie.

Le chrétien doit, au contraire, se familiariser avec la pensée de la mort et accepter cette réalité dans la paix et la sérénité; il ne peut donc pas adhérer intérieurement à ce phénomène d’ "intolérance à l’égard des défunts", qui prive ces derniers de tout espace dans la vie des cités contemporaines; il ne peut pas non plus accepter le refus de la "visibilité de la mort": en effet, cette intolérance et ce rejet sont les signes d’une fuite irresponsable par rapport à la réalité, ou encore ils correspondent à une vision matérialiste de l’existence, privée d’espérance et étrangère à la foi dans le Christ mort et ressuscité.

Le chrétien doit aussi s’opposer fermement aux nombreuses formes du "commerce de la mort", dont les adeptes cherchent seulement à réaliser des gains démesurés et honteux, en profitant de la crédulité des fidèles.

260. La piété populaire envers les défunts s’exprime de multiples manières, selon les lieux et en fonction de traditions très diverses. On peut citer notamment:

- la neuvaine de prières pour les défunts, en guise de préparation à la Commémoration du 2 novembre, et l’octave, comme prolongement de cette célébration; ces deux pieux exercices doivent être célébrés en respectant le déroulement de la Liturgie;

- la visite au cimetière: il arrive qu’elle soit accomplie d’une manière communautaire, comme le jour de la Commémoration de tous les fidèles défunts, ou à la fin d’une mission populaire, ou encore à l’occasion de la prise de possession d’une paroisse par un nouveau curé. Il peut s’agir aussi d’une visite privée: les fidèles se rendent alors près des tombes de leurs proches, avec le désir de les entourer de respect et d’honneur, en les ornant de fleurs et de lumières; une telle visite doit avoir pour but de manifester les liens qui existent entre le défunt et ses proches, et non pas se réduire à une simple obligation, fondée sur une peur relevant de la superstition;

- l’adhésion à des confréries et des associations pieuses qui ont pour but d’ "ensevelir les morts", en offrant des suffrages pour les défunts et en manifestant la solidarité concrète des chrétiens avec les proches parents du disparu, conformément à la conception chrétienne de la mort.

- les suffrages fréquents pour les défunts: ils peuvent revêtir différentes formes, qui ont déjà été mentionnées: les aumônes, les diverses autres œuvres de miséricorde, les indulgences, et, surtout, les prières, notamment le psaume De profundis, ou la brève formule du Requiem aeternam, qui accompagne souvent la prière de l’Angelus, la méditation du chapelet, et la bénédiction de la table familiale.

 

Chapitre VIII

LES SANCTUAIRES ET LES PÈLERINAGES

261. Le sanctuaire, qu’il soit dédié à la Très Sainte Trinité, au Christ Seigneur, à la binheureuse Vierge Marie, aux Anges, aux Saints ou aux Bienheureux, est sans doute l’un des lieux où les rapports entre la Liturgie et la piété populaire sont les plus fréquents et concrets. "Dans les sanctuaires seront plus abondamment offerts aux fidèles les moyens de salut en annonçant avec zèle la parole de Dieu, en favorisant convenablement la vie liturgique surtout pour la célébration de l’Eucharistie et de la pénitence, ainsi qu’en entretenant les pratiques éprouvées de piété populaire".

En relation étroite avec le sanctuaire, on trouve le pèlerinage, qui est lui aussi une forme très répandue et caractéristique de la piété populaire.

À notre époque, l’intérêt pour les sanctuaires et la participation aux pèlerinages, loin de s’affaiblir du fait de la sécularisation, fait preuve au contraire une grande vigueur parmi les fidèles.

Il paraît néanmoins nécessaire, conformément à la finalité de ce Document, de présenter quelques orientations dans le but d’instaurer et de favoriser des relations harmonieuses entre les célébrations liturgiques et les pieux exercices, dans le cadre de l’activité pastorale des sanctuaires et pour le bon déroulement des pèlerinages.

 

Le Sanctuaire

Quelques principes

262. Selon la révélation chrétienne, le sanctuaire suprême et définitif est le Christ ressuscité (cf. Jn 2, 18-21; Ap 21, 22), autour duquel se rassemble et s’organise la communauté des disciples, qui est elle-même la nouvelle demeure du Seigneur (cf. 1 P 2, 5; Ep 2, 19-22).

Du point de vue théologique, le sanctuaire, dont l’origine provient assez souvent de la piété populaire, est un signe de la présence active et rédemptrice du Seigneur dans l’histoire; il est aussi un lieu où le peuple de Dieu, qui chemine sur les routes du monde vers la Cité future (cf. He 13, 14), fait une halte et reprend des forces avant de poursuivre son pèlerinage.

263. Le sanctuaire, comme les églises, a une grande valeur symbolique: il est l’icône de la "demeure de Dieu parmi les hommes" (Ap 21, 3), et il évoque "le mystère du Temple", qui s’accomplit dans le corps du Christ (cf. Jn 1, 14; 2, 21), dans la communauté ecclésiale (cf. 1 P 2, 5), et dans la personne de chaque fidèle baptisé (cf. 1 Co 3, 16-17; 6, 19; 2 Co 6, 16).

Pour les fidèles, les sanctuaires sont souvent, à cause de leur origine, la mémoire d’un événement considéré par eux comme extraordinaire, et qui a provoqué l’émergence de manifestations de dévotion durable, ou des témoignages de piété et de reconnaissance de tout un peuple pour les grâces reçues en ce lieu. À cause des nombreux signes de miséricorde qui se manifestent dans les sanctuaires, ces derniers sont aussi des lieux privilégiés où Dieu vient en aide aux hommes, et où se manifeste l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie, des Saints ou des Bienheureux. De même, leur emplacement, souvent élevé ou solitaire, leur beauté austère ou, au contraire, agréable, font des sanctuaires des témoins privilégiés de l’harmonie du cosmos, et des lieux où se reflète la beauté de Dieu. La prédication, qui résonne constamment dans les sanctuaires est, pour les fidèles à la fois un appel efficace à la conversion, une invitation à vivre dans la charité et à multiplier les œuvres de miséricorde, enfin, une exhortation à vivre en suivant fidèlement le Christ. Les sacrements, qui peuvent être reçus dans ces lieux, permettent de consolider la foi des fidèles; ils leur permettent aussi de croître dans la grâce, et ils leur procurent le secours et l’espérance dans les épreuves qu’ils peuvent rencontrer. Les sanctuaires, en mettant en valeur un aspect particulier du message évangélique, peuvent être considérés comme une illustration et même un prolongement de la Parole de Dieu. Enfin, l’orientation eschatologique des sanctuaires contribue à transmettre aux fidèles le sens de la transcendance; leur présence dans ces lieux les incitent à diriger leurs pas, à travers les chemins de la vie d’ici-bas, vers le sanctuaire du ciel (cf. He 9, 11; Ap 21, 3).

"Toujours et partout, les sanctuaires chrétiens ont été ou ont voulu être des signes de Dieu, de son irruption dans l’histoire humaine. Chacun d’eux est un mémorial du mystère de l’Incarnation et de la Rédemption".

La reconnaissance canonique

264. "Par sanctuaire on entend une église ou un autre lieu sacré où les fidèles se rendent nombreux en pèlerinage pour un motif particulier de piété avec l’approbation de l’Ordinaire du lieu".

La reconnaissance canonique d’un lieu sacré comme sanctuaire diocésain, national ou international dépend respectivement de l’Évêque diocésain, de la Conférence des Évêques ou du Saint-Siège. L’approbation canonique équivaut à une reconnaissance officielle du lieu sacré et de sa finalité spécifique; cette dernière consiste à accueillir les pèlerinages du peuple de Dieu organisés en ce lieu pour adorer le Père, professer la foi, se réconcilier avec Dieu, avec l’Église et avec ses frères, et implorer l’intercession de la Mère du Seigneur ou d’un Saint.

Toutefois, il ne faut pas oublier que, localement, de nombreux autres lieux de culte, souvent humbles - comme certaines petites églises situées dans les villes ou à la campagne - assument un rôle similaire à celui des sanctuaires, tout en ne bénéficiant pas d’une reconnaissance canonique. Ils font eux aussi partie de la "géographie" de la foi et de la piété du peuple de Dieu, puisqu’ils marquent l’emplacement d’une communauté qui demeure sur un territoire déterminé et qui, dans la foi, chemine vers la Jérusalem céleste (cf. Ap 21).

Le sanctuaire, lieu des célébrations cultuelles

265. Le sanctuaire a une fonction principalement cultuelle. Les fidèles se rendent, en effet, dans ce lieu pour participer aux célébrations liturgiques et aux pieux exercices. Toutefois, cette fonction cultuelle reconnue du sanctuaire ne doit pas obscurcir, dans la conscience des fidèles, l’enseignement évangélique selon lequel le lieu n’est pas un élément déterminant pour rendre un culte authentique au Seigneur (cf. Jn 4, 20-24).

La valeur exemplaire du sanctuaire

266. Les responsables des sanctuaires ont le devoir de veiller à la qualité exemplaire des cérémonies: "La promotion d’une Liturgie de qualité fait partie des fonctions, qui sont dévolues aux sanctuaires; il s’agit même d’une obligation inscrite dans le Code de droit canonique. Cette promotion concerne moins l’obligation d’augmenter le nombre des célébrations que celle d’améliorer la qualité de celles qui existent déjà. Les recteurs des sanctuaires doivent être bien conscients de leur responsabilité dans ce domaine. Ils doivent comprendre, en effet, que les fidèles, qui se rendent dans les différents sanctuaires, doivent en repartir réconfortés sur le plan spirituel et édifiés par les célébrations liturgiques auxquelles ils ont participé: celles-ci auront su leur transmettre le message du salut par la noble simplicité de leurs rites et le respect fidèle des normes liturgiques. Ces mêmes recteurs doivent savoir aussi que les effets d’une célébration liturgique exemplaire ne se limitent pas à ladite célébration accomplie dans le sanctuaire: en effet, les prêtres et les fidèles, qui participent à des cérémonies de qualité, sont portés à les faire connaître dans leurs propres lieux de culte d’origine".

La célébration de la Pénitence

267. Pour de nombreux fidèles, la visite du sanctuaire est une occasion particulièrement favorable, et qui équivaut souvent à une recherche très ardente, de s’approcher du sacrement de Pénitence. Il est donc nécessaire de préparer avec soin les différents éléments qui font partie de ce sacrement. Parmi ces derniers, on peut citer, en particulier:

- le lieu de la célébration: en plus des confessionnaux traditionnels disposés dans l’église, il est souhaitable que, dans les sanctuaires les plus fréquentés, un lieu soit réservé à la célébration du sacrement de Pénitence, qui puisse convenir à des moments de préparation communautaire et à des célébrations pénitentielles, dans le respect des normes canoniques et tout en garantissant la discrétion requise pour la confession; de plus, un tel lieu doit offrir un espace adapté pour le dialogue du pénitent avec le confesseur.

- La préparation au sacrement: les fidèles ont souvent besoin d’être aidés dans l’accomplissement de certains actes qui font partie du sacrement: ce soutien a surtout pour but d’orienter leur cœur vers Dieu, "parce que la vérité de la Pénitence dépend d’une sincère conversion". Il est donc utile d’organiser des rencontres de préparation, qui sont proposées dans l’Ordo Paenitentiae, grâce auxquelles, par l’écoute et la méditation de la Parole de Dieu, les fidèles sont conduits à célébrer fructueusement le sacrement. Il convient du moins de mettre à la disposition des fidèles, des personnes idoines qui puissent les aider, non seulement à préparer la confession de leurs péchés, mais encore et surtout à éprouver un sincère repentir pour les fautes commises.

- Le choix du rite, afin de permettre aux fidèles de mieux prendre conscience de la dimension ecclésiale du sacrement de Pénitence. Dans cette optique, la célébration du Rite pour la réconciliation de plusieurs pénitents avec la confession et l’absolution individuelle (seconde forme), à condition qu’elle soit préparée avec soin, ne devrait pas constituer une exception, mais un fait normal; de telles célébrations devraient notamment être organisées à des périodes déterminées ou à l’occasion de célébrations particulièrement importantes de l’Année liturgique. En effet, "la célébration communautaire manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la Pénitence". La réconciliation avec absolution générale, qui, par définition, ne comporte pas la confession individuelle et intégrale des péchés, est une forme tout à fait exceptionnelle et extraordinaire du sacrement de Pénitence, qui ne peut être considérée sur le même plan que les deux autres formes ordinaires, comme s’il s’agissait d’une simple alternative; de plus, la grande affluence des pénitents, à l’occasion de certaines fêtes et de pèlerinages, n’est pas une condition suffisante pour justifier le recours à cette forme extraordinaire du sacrement.

La célébration de l’Eucharistie

268. "La célébration de l’Eucharistie est le sommet et comme le foyer de toute l’action pastorale des sanctuaires"; c’est pourquoi, il convient de lui prêter la plus grande attention afin que son déroulement soit exemplaire, et qu’elle puisse conduire les fidèles à une rencontre profonde avec le Christ.

Il arrive souvent que plusieurs groupes manifestent le désir de célébrer l’Eucharistie en même temps, et séparément. Un tel choix a pour conséquence de contredire la dimension ecclésiale du mystère eucharistique, puisque, dans ce cas, la célébration de la Messe, au lieu d’être un moment d’unité et de fraternité, est plutôt l’expression d’un particularisme qui ne reflète pas les valeurs de communion et d’universalité, qui sont propres à l’Église.

Une simple réflexion sur la nature de la célébration de l’Eucharistie, "sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité", devrait convaincre les prêtres, qui guident les pèlerinages, de faire tout pour favoriser la réunion des différents groupes dans une même concélébration, à condition qu’elle soit bien organisée et attentive - si un tel cas se présente - à la diversité des langues. De même, à l’occasion des rassemblements de fidèles appartenant à diverses nationalités, il est vivement recommandé de chanter en langue latine et en recourant à des mélodies faciles, au moins les parties de l’Ordinaire de la Messe, spécialement le symbole de la foi et la prière du Seigneur. Une telle célébration contribue à donner une vraie image de la nature de l’Église et de l’Eucharistie; elle est aussi une occasion pour les pèlerins de s’accueillir mutuellement, tout en leur permettant de s’enrichir réciproquement.

La célébration de l’Onction des malades

269. L’Ordo unctionis infirmorum eorumque pastoralis curae prévoit la célébration communautaire du sacrement de l’Onction des malades dans les sanctuaires, surtout à l’occasion des pèlerinages auxquels les malades sont invités à participer. Cette disposition correspond parfaitement à la nature du sacrement et à la fonction du sanctuaire: il est juste que dans un lieu où l’invocation de la miséricorde du Seigneur est plus intense, les fidèles puissent faire l’expérience de la présence maternelle de l’Église en faveur de ses enfants, qui sont atteints par l’épreuve de la maladie ou de la vieillesse.

Le rite doit se dérouler selon les indications de l’Ordo, en particulier "s’il y a là plusieurs prêtres, chacun d’eux impose les mains sur quelques malades et fait l’Onction, en disant la formule qui l’accompagne. Les prières sont dites par le seul célébrant principal".

La célébration des autres sacrements

270. Dans les sanctuaires, outre l’Eucharistie, la Pénitence et la célébration communautaire de l’Onction des malades, il arrive que les autres sacrements soient célébrés plus moins fréquemment. Cela exige de la part des responsables des sanctuaires, outre le respect des dispositions émises par l’Évêque diocésain:

- la recherche d’une entente sincère et d’une collaboration fructueuse entre le sanctuaire et la communauté paroissiale;

- l’attention à la nature de chacun des sacrements; ainsi, par exemple, les sacrements de l’initiation chrétienne, qui requièrent une longue préparation et ont pour effet d’enraciner le baptisé dans la communauté ecclésiale, devraient être normalement célébrés dans le cadre de la paroisse;

- l’assurance que la célébration de chacun des sacrements a bien fait l’objet d’une préparation adéquate; les responsables d’un sanctuaire ne doivent pas notamment s’engager à célébrer le sacrement de mariage sans avoir reçu auparavant l’autorisation de l’Ordinaire ou du curé;

- l’évaluation sereine des multiples situations concrètes, qui sont souvent imprévisibles, et pour lesquelles il n’est pas possible d’établir des normes rigides.

La célébration de la Liturgie des Heures

271. Le séjour dans un sanctuaire offre un temps et un lieu favorables pour la prière personnelle et communautaire, et il est aussi une occasion privilégiée pour aider les fidèles à apprécier la beauté de la Liturgie des Heures, et à s’associer à la louange quotidienne que, au cours de son pèlerinage sur la terre, l’Église élève vers le Père, par le Christ, et dans l’Esprit Saint.

Les recteurs des sanctuaires sont donc invités à prévoir des célébrations dignes et festives de la Liturgie des Heures, spécialement celles des Laudes et des Vêpres, qu’ils introduiront d’une manière opportune dans les programmes destinés aux pèlerins, en leur suggérant de prier une partie ou la totalité d’un Office votif particulièrement lié au sanctuaire.

Durant le pèlerinage, et spécialement au cours des diverses étapes prévues durant le trajet qui mène au sanctuaire, les prêtres qui accompagnent les fidèles ne doivent pas omettre de leur proposer de prier au moins quelques Heures de l’Office Divin.

La célébration des sacramentaux

272. Depuis les premiers siècles, l’Église a coutume de bénir les personnes, les lieux, la nourriture et les objets. Toutefois, à notre époque, cette pratique se heurte à quelques difficultés, à cause d’habitudes et de conceptions erronées profondément enracinées dans la mentalité de certains groupes de fidèles. Les bénédictions constituent néanmoins, dans le cadre des sanctuaires, une question d’ordre pastoral assez importante; en effet, les nombreux fidèles, qui se rendent dans ces lieux pour implorer la grâce et l’aide du Seigneur, ainsi que l’intercession de la Mère de la miséricorde et des Saints, demandent souvent aux prêtres de leur accorder les bénédictions les plus variées. Dans le but de guider les recteurs des sanctuaires dans la pastorale des bénédictions, les orientations suivantes leur sont donc adressées:

- ils sont tenus d’appliquer progressivement et patiemment les principes contenus dans le Rituale Romanum, qui concourent tous à faire en sorte que les bénédictions soient perçues avant tout par les fidèles comme des expressions authentiques de la foi en Dieu, dispensateur de tous biens;

- ils doivent mettre en évidence d’une manière adéquate - quand cela s’avère possible - les deux moments qui constituent "la structure typologique" de toute bénédiction: d’une part, la proclamation de la Parole de Dieu, qui donne un sens au signe sacré, et, d’autre part, la prière, par laquelle l’Église loue Dieu et l’implore de lui accorder ses bienfaits, comme le rappelle aussi le signe de la croix tracé par le ministre ordonné.

- ils doivent opter pour une célébration communautaire de préférence à une célébration individuelle ou privée, et encourager les fidèles à participer activement et consciemment à cette bénédiction.

273. Il est souhaitable que, durant les périodes de grande affluence de pèlerins, les recteurs des sanctuaires prévoient, durant la journée, des moments particuliers réservés aux célébrations des bénédictions; ils les organiseront de telle manière que les fidèles puissent comprendre la vraie signification des bénédictions, et qu’ils prennent l’engagement d’observer les commandements de Dieu, afin que leur vie corresponde aux exigences qui résultent d’une demande de bénédiction.

Le sanctuaire, lieu d’évangélisation

274. D’innombrables moyens de communication sociale propagent quotidiennement des nouvelles et des messages en tous genres; le sanctuaire est pour sa part le lieu où est constamment proclamé un message de vie: l’ "Évangile de Dieu" (Mc 1, 14; Rm 1, 1) ou "l’Évangile de Jésus-Christ" (Mc 1, 1), c’est-à-dire la bonne nouvelle qui vient de Dieu lui-même, et qui concerne Jésus-Christ: celui-ci est le Sauveur de tous les peuples; c’est en lui seul que la mort et la résurrection, le ciel et la terre se sont réconciliés pour l’éternité.

Les éléments essentiels du message évangélique doivent être proposés, d’une manière directe ou indirecte, au fidèle qui se rend dans un sanctuaire: on peut citer, en particulier, le contenu du discours sur la Montagne, qui est un programme de vie, l’annonce joyeuse de la bonté et de la paternité de Dieu et de sa providence miséricordieuse, le commandement de la charité, la signification rédemptrice de la croix, et le destin transcendant de toute vie humaine.

Beaucoup de sanctuaires sont de véritables lieux d’évangélisation: le message du Christ est transmis aux fidèles sous les formes les plus variées, afin de les inciter, et aussi de les exhorter à la conversion et à la persévérance, à suivre le Christ, et à conformer leur vie aux exigences de la justice; enfin, le message du Christ leur apporte aussi une parole de consolation et de paix.

Il ne faut pas non plus oublier la coopération de beaucoup de sanctuaires à l’œuvre évangélisatrice de l’Église, qui se présente sous les diverses formes d’un soutien généreux aux missions "ad gentes".

Le sanctuaire, lieu de la charité

275. La fonction exemplaire du sanctuaire se déploie aussi dans le domaine de la charité. Chaque sanctuaire est, en effet, par nature "un foyer qui irradie la lumière et l’ardeur de la charité", du fait qu’on y célèbre la présence miséricordieuse du Seigneur, ainsi que l’exemplarité et l’intercession de la Vierge Marie et des Saints. Le langage commun et celui des humbles définissent la charité comme "l’amour qui s’exprime au nom de Dieu". Elle se manifeste concrètement dans l’accueil et la miséricorde, dans la solidarité et le partage, dans l’aide et dans le don de soi.

Grâce à la générosité des fidèles et au zèle de leurs responsables, de nombreux sanctuaires sont des lieux privilégiés, où il est possible de mettre en relation l’amour de Dieu et la charité fraternelle avec les divers besoins de la personne humaine. De fait, la charité du Christ se répand largement dans ces endroits, de même que se manifestent la sollicitude maternelle de la Vierge Marie et la proximité fraternelle des Saints; cette attention bienveillante s’exprime notamment:

- dans la fondation et le soutien permanent d’un grand nombre de centres d’assistance sociale, comme des établissements hospitaliers, des instituts d’éducation destinés aux enfants pauvres et des hospices ou des maisons de retraite pour les personnes âgées.

- "dans l’accueil et l’hospitalité réservés aux pèlerins, surtout les plus pauvres, à qui sont offerts, dans la mesure du possible, des lieux et des structures pour se reposer;

- dans la sollicitude et le dévouement, qui se manifestent à l’égard des personnes âgées, des malades et des handicapés, à qui sont destinées les attentions les plus délicates, et, en particulier, les meilleures places dans les sanctuaires; de fait, les célébrations sont organisées en tenant compte de leur présence, et donc de leur condition particulière, sans pour autant les isoler des autres fidèles: cela est vrai notamment en ce qui concerne la fixation des horaires. Enfin, il n’est pas rare que s’instaure et se développe une collaboration effective du sanctuaire avec les associations qui assurent généralement le transport de ces personnes.

- dans la disponibilité et le service de tous ceux qui se rendent dans le sanctuaire: fidèles érudits et peu instruits, pauvres et riches, compatriotes et étrangers".

Le sanctuaire, lieu culturel

276. Tout en étant un lieu de culte, il n’est pas rare que le sanctuaire soit aussi par nature un "bien culturel": en effet, dans ses différents éléments, il constitue comme la synthèse des nombreuses manifestations de la culture locale: témoignages historiques, œuvres d’art, documents littéraires, expressions musicales typiques.

Le sanctuaire est donc souvent un point de référence sûr qui permet de définir l’identité culturelle d’un peuple. Et puisque le sanctuaire réalise une synthèse harmonieuse entre la nature et la grâce, la piété et l’art, il peut se présenter aussi comme une expression privilégiée de la via pulchritudinis par la contemplation de la beauté de Dieu, du mystère de la Tota pulchra, et de la merveilleuse proximité des Saints.

De même, il faut noter la tendance, toujours plus forte, de faire du sanctuaire un "centre culturel" spécifique, c’est-à-dire un lieu où se tiennent des cours et des conférences, et dans lequel sont promues des initiatives intéressantes dans le domaine de l’édition; il est aussi un endroit où sont organisées des représentations sacrées, des concerts, des expositions et d’autres manifestations artistiques et littéraires.

L’activité culturelle du sanctuaire se présente donc comme un ensemble d’initiatives qui contribuent à la promotion de la personne humaine; ce rôle supplémentaire, qui est assumé grâce à l’œuvre d’évangélisation et à l’exercice de la charité, s’ajoute utilement à la fonction primordiale du sanctuaire, en tant que lieu destiné à la célébration du culte divin. Dans ce contexte, les responsables des sanctuaires ont l’obligation de veiller à ce que cette dimension culturelle du sanctuaire n’occulte pas sa fonction cultuelle.

Le sanctuaire, lieu de l’engagement œcuménique

277. En tant que lieu d’annonce de la Parole de Dieu et d’exhortation à la conversion, et aussi lieu d’intercession, de vie liturgique intense et d’exercice de la charité, le sanctuaire peut être défini, dans une certaine mesure et selon les indications du Directoire œcuménique, comme un "bien spirituel" commun à tous les chrétiens, c’est-à-dire ouvert aux frères et sœurs qui ne sont pas en pleine communion avec l’Église catholique.

Le sanctuaire est donc appelé à être un lieu où doit se manifester l’engagement œcuménique, et où l’on témoigne d’une attention particulière à la nécessité, à la fois grave et urgente, de réaliser l’unité de tous les disciples du Christ, unique Seigneur et Sauveur.

Les recteurs des sanctuaires sont donc appelés à aider les pèlerins à mieux prendre conscience de cet "œcuménisme spirituel", dont parlent le décret conciliaire Unitatis redintegratio et le Directoire œcuménique; en effet, les chrétiens doivent toujours avoir présent à l’esprit le but ultime de réaliser l’unité, en manifestant ce désir dans la prière, la célébration eucharistique et la vie quotidienne. Il convient donc que, dans les sanctuaires, la prière pour l’unité des chrétiens soit intensifiée pendant certaines périodes de l’Année liturgique, en profitant, en particulier, de l’occasion donnée par la semaine de prières pour l’unité des chrétiens, et aussi durant les jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte, pendant lesquels les chrétiens évoquent la communauté de Jérusalem réunie dans la prière et dans l’attente de la venue de l’Esprit Saint, qui est destinée à la confirmer dans l’unité et dans sa mission universelle.

De plus, les recteurs des sanctuaires sont incités à saisir toutes les opportunités qui peuvent se présenter pour organiser des rencontres de prières entre les chrétiens des diverses confessions. Durant ces rencontres, qui doivent être préparées avec soin et en commun, il convient de donner la première place à la Parole de Dieu, et de mettre en valeur les manières de prier, qui sont propres aux différentes confessions chrétiennes.

Selon les circonstances, il peut être opportun de prêter attention aux membres des autres religions, même si cette démarche doit demeurer exceptionnelle: de fait, il arrive que des sanctuaires soient fréquentés par des non-chrétiens; ces derniers les visitent, car ils sont attirés par les valeurs propres du christianisme. Il importe donc que les actes du culte chrétien, qui se déroulent dans les sanctuaires, soient strictement conformes avec l’identité catholique de ces lieux, sans jamais cacher ce qui appartient en propre à la foi de l’Église.

278. Dans les sanctuaires dédiés à la Vierge Marie, l’engagement œcuménique présente des aspects particuliers. En effet, sur le plan surnaturel, sainte Marie, qui a donné naissance au Sauveur de tous les peuples, et fut à la fois le modèle et le premier des disciples du Christ, exerce certainement une mission de concorde et d’unité à l’égard des disciples de son Fils; cela explique pourquoi l’Église catholique la salue sous le vocable de Mater unitatis. En revanche, sur le plan historique,la figure de Marie a été souvent à l’origine de polémiques et de divisions entre les chrétiens, du fait d’interprétations diverses de son rôle dans l’histoire du salut. Toutefois, il faut reconnaître que, de nos jours, le dialogue œcuménique s’avère particulièrement fructueux dans le domaine de la mariologie.

 

Le Pèlerinage

279. Le pèlerinage est une pratique religieuse universelle, et aussi une expression typique de la piété populaire; il est étroitement lié au sanctuaire, dans la vie duquel il constitue un élément indispensable: en effet, il est possible d’affirmer que le pèlerinage a besoin du sanctuaire, tout comme, inversement, le sanctuaire a besoin du pèlerinage.

Les pèlerinages bibliques

280. Dans la Bible, il convient tout d’abord de mettre en évidence, à cause de leur symbolisme religieux, les pèlerinages des patriarches Abraham, Isaac et Jacob à Sichem (cf. Gn 12, 6-7; 33, 18-20), Béthel (cf. Gn 28, 10-20; 35, 1-15) et Mambré (Gn 13, 18; 18, 1-15), où Dieu se manifesta à eux et promit de leur donner la "terre promise".

La montagne sur laquelle Dieu se révéla à Moïse (cf. Ex 19-20), le Sinaï, devint, pour les tribus des Hébreux, qui avaient fui l’Égypte, un lieu sacré; puis, la traversée du désert du Sinaï prit pour eux l’aspect d’un long pèlerinage, qui devait les conduire jusqu’à la terre promise: ce voyage était béni de Dieu, qui marchait avec son peuple, le guidait et le protégeait du milieu de la Nuée (cf. Nb 9, 15-23); les signes de sa présence étaient l’Arche de l’Alliance (Nb 10-33-36) et la Tente de la Rencontre (cf. S. 7, 6).

Jérusalem devint le siège du Temple et de l’Arche de l’Alliance, et elle fut considérée par les Hébreux comme leur ville-sanctuaire, ainsi que le but par excellence du "saint voyage" tant désiré (Ps 84, 6), durant lequel le pèlerin avançait "parmi les cris de joie et les actions de grâce de la multitude en fête" (Ps 42, 5), jusqu’à la "demeure de Dieu", afin de se tenir en sa présence (cf. Ps 84, 6-8).

Trois fois par an, les hommes, qui étaient membres du peuple d’Israël, devaient "se présenter devant le Seigneur" (cf. Ex 23, 17), c’est-à-dire qu’ils étaient tenus de se rendre au Temple de Jérusalem: cela donnait lieu à trois pèlerinages à l’occasion de la fête des Azymes (la Pâque), des Semaines (la Pentecôte) et des Tentes; de même, toutes les pieuses familles israëlites ne manquaient pas de se rendre dans la cité sainte pour la célébration annuelle de la Pâque; c’est ce que faisait aussi la famille de Jésus (cf. Lc 2, 41). Durant sa vie publique, Jésus se rendit régulièrement en pèlerinage à Jérusalem (cf. Jn 11, 55-56). Il faut noter, à ce propos, que l’évangéliste Luc présente l’action rédemptrice de Jésus comme un pèlerinage, qui révèle le mystère de sa personne (cf. Lc 9, 51-19, 45); en effet, le but intentionnel de la mission du Seigneur est la cité messianique, Jérusalem; elle est le lieu de son sacrifice pascal et le terme de son exode vers le Père: "Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde; maintenant, je quitte le monde, et je pars vers le Père" (Jn 16, 28).

Enfin, il convient de noter que l’Église commence son itinéraire missionnaire à l’occasion d’un rassemblement d’un grand nombre de pèlerins à Jérusalem, qui étaient "des juifs fervents issus de toutes les nations qui sont sous le ciel" (Ac 2, 5).

Le pèlerinage chrétien

281. Les chrétiens considèrent qu’il n’existe plus aucun lieu de pèlerinage, dans lequel ils ont l’obligation de se rendre; en effet, d’une part, Jésus a dévoilé le mystère du Temple en l’attribuant à sa propre personne (cf. Jn 2, 22-23), et, d’autre part, il est passé de ce monde vers le Père (cf. Jn 13, 1), en accomplissant lui-même l’exode définitif: ainsi, désormais, toute la vie des disciples du Christ est une marche vers le sanctuaire céleste, et l’Église elle-même est consciente d’être "en pèlerinage sur la terre".

Il reste que les accointances indéniables existant entre, d’une part, la doctrine du Christ et, d’autre part, les valeurs spirituelles du pèlerinage ont incité l’Église, non seulement à affirmer la légitimité de cette forme de piété, et même à l’encourager tout au long des siècles.

282. Durant les trois premiers siècles, hormis quelques exceptions, le pèlerinage ne fait pas partie des expressions du culte chrétien: l’Église craignait alors la diffusion, parmi les baptisés, de coutumes religieuses issues du judaïsme ou du paganisme, où la pratique du pèlerinage était à son apogée.

Toutefois, on note aussi, à cette époque, que, dans le contexte chrétien, de nouveaux fondements sont posés, annonçant ainsi une reprise de cette pratique du pèlerinage: il s’agit essentiellement du culte des martyrs; de fait, les chrétiens se rendent près des tombeaux de ces témoins du Christ particulièrement exemplaires pour vénérer leurs dépouilles mortelles; or, ce qui n’était au départ qu’une "pieuse visite" prendra progressivement l’aspect d’un véritable "pèlerinage de dévotion".

283. Après la paix de Constantin, et à la suite de l’identification des lieux saints et de la découverte des reliques de la Passion du Christ, le pèlerinage chrétien aborde une étape, qui peut être qualifiée de tournant décisif: il se produit surtout à l’occasion de la visite des chrétiens en Palestine; de fait, cette contrée tout entière est bientôt considérée par eux comme une "Terre Sainte", en raison de la présence des "lieux saints", à commencer par Jérusalem. Les récits de pèlerins célèbres du IV siècle, témoignent de cet engouement: en particulier, l’Itinerarium Burdigalense et l’Itinerarium Egeriae.

Des basiliques sont bientôt édifiées sur les "lieux saints": ainsi, l’Anastasis, construite à l’endroit du Saint Sépulcre, et le Martyrium sur le Mont du Calvaire, sont des édifices particulièrement visités par les pèlerins, à cause de l’importance des événements du salut qu’ils évoquent. Il en est de même des différents endroits où se sont déroulées l’enfance du Sauveur et sa vie publique: ils sont eux aussi devenus des lieux de pèlerinage, de même que, progressivement, les lieux saints de l’Ancien Testament, en particulier le Mont Sinaï.

284. Le Moyen Âge est considéré comme l’âge d’or des pèlerinages: outre leur fonction religieuse, leur rôle est décisif dans l’édification de la chrétienté occidentale, car ils contribuent à amalgamer les divers peuples qui vivent sur le continent européen, en stimulant leurs échanges réciproques sur le plan culturel.

Les lieux de pèlerinage sont alors nombreux. Tout d’abord, il faut citer Jérusalem, qui, malgré l’occupation musulmane, continue à exercer une attraction spirituelle très importante: ainsi, elle est à l’origine du phénomène des croisades, dont la cause et le fondement étaient justement de permettre aux fidèles de se rendre en pèlerinage au sépulcre du Christ; elle inspire aussi la vénération des reliques de la passion du Seigneur: ainsi, la tunique, la sainte face, l’escalier saint (scala santa) et le linceul attirent d’innombrables fidèles et pèlerins. Rome accueille aussi, à cette époque, de nombreux pèlerins, qui viennent vénérer les tombes des apôtres Pierre et Paul (ad limina Apostolorum), visiter les catacombes et les basiliques, et rencontrer le Successeur de Pierre, en reconnaisant ainsi le ministère particulier que ce dernier exerce au service de l’Église universelle (ad Petri sedem). De même, le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle est très fréquenté entre le IX et le XVI siècle, et encore de nos jours: les pèlerins convergent vers ce lieu saint en suivant les nombreux "chemins" qui sillonnent les différents pays européens; ce pèlerinage comporte divers aspects d’ordre religieux, social et caritatif, qui sont complémentaires. Parmi les autres lieux de pèlerinage les plus renommés, on peu encore citer: Tours, où se trouve le tombeau de saint Martin, vénérable fondateur de cette Église; Canterbury, le lieu du martyre de saint Thomas Becket, qui eut un grand retentissement dans toute l’Europe; le Mont-Gargan, dans les Pouilles, Saint-Michel de Cluse dans le Piémont, le Mont Saint-Michel en Normandie, qui sont dédiés à l’archange saint Michel; enfin, Walsingham, Rocamadour et Lorette, qui sont des sanctuaires célèbres dédiés à la Vierge Marie.

285. À l’époque moderne, les changements culturels, les vicissitudes consécutives à l’apparition des mouvements protestants, ainsi que l’influence de l’illuminisme ont entraîné un déclin des pèlerinages: le "voyage vers un pays lointain" est devenu alors un "pèlerinage spirituel", un "itinéraire intérieur" ou une "procession symbolique", dont le parcours est bref, comme dans le cas de la Via Crucis.

À partir de la seconde moitié du XIX siècle, on assiste à une reprise des pèlerinages; toutefois, leur physionomie change quelque peu: ils ont pour but de conduire les fidèles dans des sanctuaires, qui évoquent l’identité de la foi et de la culture d’une nation déterminée: ainsi, par exemple, les sanctuaires d’Altötting, Aparecida, Assise, Caacupé, Chartres, Coromoto, Czestochowa, Ernakulam-Angalamy, Fatima, Guadalupe, Kevelaer, Knock, La Vang, Lorette, Lourdes, Mariazell, Marienberg, Montevergine, Montserrat, Nagasaki, Namugongo, Padoue, Pompei, San Giovanni Rotondo, Washington, Yamoussoukro, etc.

La spiritualité du pèlerinage

286. En dépit des mutations qu’il a subies au cours des siècles, le pèlerinage conserve, à notre époque, ses caractéristiques essentielles, qui déterminent sa spiritualité particulière.

La dimension eschatologique. Cette dimension essentielle est à l’origine du pèlerinage: ce dernier est une "marche vers le sanctuaire", c’est-à-dire un moment et une parabole du chemin qui mène au Royaume; de fait, le pèlerinage aide le chrétien à prendre conscience de la dimension eschatologique de sa vie en tant que baptisé; il est, en effet, un homo viator, dont l’existence se situe entre l’obscurité de la foi et la soif de la vision éternelle, entre les limites étroites du temps et l’aspiration à la vie qui ne finira pas, entre la fatigue éprouvée sur le chemin et l’attente du repos éternel, entre les larmes de l’exil et le désir du bonheur dans la patrie céleste, entre l’agitation de la vie active et l’attrait pour la sérénité de la contemplation.

De plus, la longue marche d’Israël vers la terre promise, appelée l’exode, fait partie aussi de la spiritualité du pèlerinage: le pèlerin sait que "la cité que nous avons ici-bas n’est pas définitive" (He 13, 14), et c’est pourquoi au-delà du but immédiat du sanctuaire, il avance, à travers le désert de la vie, vers le Ciel, qui est la vraie Terre promise.

On a déjà pu constater que le fait de se rendre dans un sanctuaire constitue pour de nombreux fidèles une occasion particulièrement favorable, et même souvent désirée, de s’approcher du sacrement de la Pénitence; il est vrai aussi que le pèlerinage a été vécu dans le passé - et il est encore proposé de nos jours - comme une démarche pénitentielle.

Lorsque le pèlerinage est accompli de la manière qui convient, le fidèle quitte le sanctuaire avec la résolution de "changer de vie", c’est-à-dire d’orienter sa vie vers Dieu avec plus de détermination; le pèlerin désire donc donner une plus grande dimension transcendante à son existence.

La dimension festive. Au cours du pèlerinage, la dimension pénitentielle coexiste avec la dimension festive. On peut même affirmer que cette dimension festive est située au cœur du pèlerinage. Ce dernier assume un certain nombre d’aspects anthropologiques de la fête.

La joie du pèlerinage chrétien se présente comme le prolongement de l’allégresse ressentie par le pieux pèlerin d’Israël: "Quelle joie quand on m’a dit: "nous irons à la maison du Seigneur !"" (Ps 122, 1); elle contribue aussi à rompre la monotonie de la vie quotidienne en présentant une prospective différente de celle du monde; elle allège le poids souvent pesant de la vie, qui, en particulier, pour les pauvres, est un fardeau bien lourd à porter. Cette joie se présente aussi comme une occasion d’exprimer la fraternité chrétienne, en accordant une plus large place à la convivialité et à l’amitié; enfin, elle prend l’aspect de manifestations spontanées, qui sont très souvent réfrénées dans la vie quotidienne.

La dimension cultuelle. Le pèlerinage est essentiellement un acte cultuel: de fait, en marchant vers le sanctuaire, le pèlerin va à la rencontre de Dieu pour demeurer en sa présence, l’adorer et lui ouvrir son cœur.

Dans le sanctuaire, le pèlerin accomplit un certain nombre d’actes cultuels, qui appartiennent soit au domaine de la Liturgie, soit à celui de la piété populaire. Sa prière prend des formes variées: prière de louange et d’adoration adressée au Seigneur pour sa bonté et sa sainteté; prière d’action de grâces pour les dons reçus; prière ayant pour but l’accomplissement d’un vœu, auquel le pèlerin s’était engagé face au Seigneur; prière de demande de grâces nécessaires pour sa vie; prière sollicitant le pardon de Dieu pour les péchés commis.

La prière du pèlerin s’adresse très souvent à la bienheureuse Vierge Marie, aux Anges et aux Saints, qu’il considère à juste raison comme des intercesseurs auprès du Très-Haut. Les saintes images, qui sont vénérées dans le sanctuaire, sont des signes de la présence de la Mère de Dieu et des Saints auprès du Seigneur dans la gloire, "qui vit pour toujours afin d’intercéder en faveur des hommes" (He 7, 25), et qui est toujours présent dans la communauté réunie en son nom (cf. Mt 18, 20; 28, 20). L’image sacrée, vénérée dans le sanctuaire, qui représente le Christ, ou la Vierge Marie, ou encore les Anges ou les Saints, est le signe de la présence divine et de l’amour providentiel de Dieu; c’est pourquoi ce signe est saint. Cette image est aussi le témoignage des multiples prières qui se sont élevées devant elle, de génération en génération: prières de supplications dans les besoins, prières exprimant la douleur de celui qui est affligé, prières aussi de jubilation et de remerciements de la part de celui qui a obtenu grâces et miséricorde.

La dimension apostolique. L’itinéraire du pèlerin reproduit, en un certain sens, celui de Jésus et de ses disciples, qui parcoururent les chemins de la Palestine pour annoncer l’Évangile du salut. Le pèlerinage est donc une annonce de la foi, et les pèlerins sont des "messagers itinérants du Christ".

La dimension de communion. Le pèlerin, qui se rend dans un sanctuaire, est en communion de foi et de charité, non seulement avec les personnes qui accomplissent en sa compagnie le "saint voyage" (Ps 84, 6), mais aussi avec le Seigneur lui-même; celui-ci chemine près de lui, tout comme il marcha avec les disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13-35). Le pèlerin est aussi en communion avec sa communauté d’origine, et par elle, avec toute l’Église, celle qui demeure dans le ciel et celle qui chemine encore sur la terre. Il est encore en communion avec les fidèles qui, tout au long des siècles, ont prié dans ce même sanctuaire. Il est en communion avec la nature, qui entoure le sanctuaire, et dont il admire la beauté, ce qui l’incite à la respecter. Enfin, le pèlerin est en communion avec toute l’humanité, dont les souffrances et l’espérance se manifestent de diverses manières dans le sanctuaire, et qui a laissé en ce lieu de multiples signes de ses talents et de son art.

Le déroulement du pèlerinage

287. À l’image du sanctuaire, qui a été défini comme un lieu de prières, le pèlerinage peut être présenté comme un chemin, dont chaque étape est marquée et animée par la prière. Durant ce parcours, qui mène au sanctuaire, la Parole de Dieu est destinée à éclairer, guider, nourrir et soutenir le pèlerin.

La réussite d’un pèlerinage, tant du point de vue culturel que pour les fruits spirituels, qu’il peut apporter au fidèle, dépend du bon ordonnancement des célébrations et de la présentation appropriée de ses diverses phases.

Le départ du pèlerinage doit être marqué par un moment de prières, qui se déroule dans l’église paroissiale ou dans un lieu plus adapté; il peut consister en la célébration de l’Eucharistie ou d’une partie de la Liturgie des Heures, ou encore en une bénédiction particulière des pèlerins.

La dernière étape du pèlerinage doit donner lieu à une prière plus intense; il est souhaitable que, à l’approche du sanctuaire, le chemin soit accompli à pieds, et que des prières et des chants accompagnent cette procession; les pèlerins ne manqueront pas de s’arrêter près des édicules qui jalonnent éventuellement le trajet qui mène au sanctuaire.

L’accueil des pèlerins peut donner lieu à une sorte de "liturgie du seuil"; celle-ci n’est pas seulement destinée à souligner la dimension humaine de la rencontre entre les pèlerins et les responsables du sanctuaire, mais elle doit revêtir une signification éminente au niveau de la foi. De plus, il est souhaitable, si possible, que les responsables des sanctuaires aillent eux-mêmes à la rencontre des pèlerins pour accomplir avec eux la dernière étape du chemin.

Le séjour dans le sanctuaire doit évidemment constituer le moment le plus intense du pèlerinage; il est caractérisé par l’engagement du pèlerin à la conversion personnelle; ce dernier est appelé à la concrétiser en recevant le sacrement de la réconciliation. Le séjour est aussi marqué par des prières particulières, c’est-à-dire des prières d’action de grâces, de supplications ou de demandes d’intercession, qui sont liées au caractère propre du sanctuaire et aux buts du pèlerinage, et aussi par la célébration de l’Eucharistie, qui est le point culminant du pèlerinage.

La conclusion du pèlerinage doit être soulignée par un moment de prières, qui a lieu soit dans le sanctuaire, soit dans l’église, d’où les pèlerins sont partis. Il est l’occasion pour les fidèles de rendre grâces à Dieu pour le don du pèlerinage qui s’achève, et il leur permet aussi de demander au Seigneur de les aider à mieux vivre leur vocation chrétienne à leur retour à la maison.

Depuis les premiers siècles de l’Église, le pèlerin désire emporter avec lui des "souvenirs" du sanctuaire qu’il a visité. Il convient de veiller à la qualité des objets, des images et des livres, afin qu’ils soient en mesure de transmettre l’esprit authentique du lieu saint. Il faut aussi veiller à ce que les points de vente, qui se trouvent dans l’enceinte du sanctuaire, soient dépourvus de tout caractère mercantile.

 

CONCLUSION

288. Ce Directoire, dans ses deux parties, comporte de nombreuses indications, propositions et orientations qui visent à favoriser et à éclairer, en harmonie avec la Liturgie, les formes extrêmement variées de la piété et de la religiosité populaire.

En prenant en compte la diversité des traditions et des circonstances, tout comme la variété des pieux exercices et des dévotions en tous genres, le présent Directoire contient des présupposés fondamentaux, rappelle les directives et transmet des suggestions, en vue d’une action pastorale fructueuse.

Il revient aux Évêques, avec l’aide de leurs collaborateurs immédiats, spécialement les recteurs des sanctuaires, d’établir des normes et de donner des orientations pratiques en tenant compte des traditions locales et des expressions particulières de la religiosité et de la piété populaire.